Table ronde Soins douloureux du quotidien à la maltraitance
Rappel des bonnes pratiques en matière de douleur des soins D. Annequin Unité fonctionnelle de lutte contre la douleur, AP-HP, Hôpital d’Enfants Armand Trousseau, 75012 Paris, France
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’échec ou la non-utilisation de moyens antalgiques chez l’enfant lors des soins sont facilement repérables ; l’utilisation de la contention (immobilisation active) pour réaliser des soins, des actes douloureux ou anxiogènes représente un bon indicateur de ces pratiques. La contention est fréquente chez les enfants : 54 % de contention forte lors d’une suture de plaie [1], 60 % de contention lors d’une fibroscopie laryngée par voie nasale [2], 28 % de contention forte aux urgences pédiatriques de Melbourne malgré l’utilisation de protocole de sédation [3], 80 % des services d’urgence pédiatrique du Danemark déclarent l’utiliser [4]. Cette pratique du « passage en force » infligé aux enfants « pour leur bien » est encore régulièrement observée : sous prétexte de soins, d’actes « qui ne peuvent pas attendre ». Tous les ingrédients (violence, terreur, douleur) sont réunis pour fabriquer un traumatisme psychique et générer chez certains, des comportements phobiques vis-à-vis des soins, des soignants. Pour ces situations critiques, le respect d’éléments clefs permet le plus souvent de les éviter.
1. Anticiper Une stratégie antalgique doit être anticipée dès le début de la prise en charge. Le bon déroulement des premiers soins va déterminer celui des procédures ultérieures [5]. La mise en place de moyens efficaces ne doit pas reposer sur le choix, la décision personnelle de chaque soignant. Elle doit s’intégrer dans l’organisation des soins des services et faire l’objet de protocoles diffusés à tous les membres de l’équipe. Les prescriptions médicales quotidiennes doivent inclure les stratégies antalgiques en cas de procédure douloureuse programmée ; en cas d’échec, d’autres options thérapeutiques doivent aussi être anticipées.
2. Repérer les enfants à risque Ces enfants nécessitent le plus souvent une prise en charge plus puissante que pour les autres enfants : les enfants de Correspondance. e-mail :
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200 © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Archives de Pédiatrie 2013;20:200-201
moins de 4 ans, les enfants aux lourds antécédents médicochirurgicaux, les enfants devant régulièrement subir/bénéficier de soins et d’actes itératifs (brûlés, onco-hématologie…), les enfants handicapés présentant des troubles cognitifs (autisme…)
3. Évaluer Les indications de chaque geste douloureux peuvent être discutées. Un nouveau bilan est-il vraiment nécessaire ? Peut-on espacer les pansements ? Il faut chercher à planifier au mieux la réalisation des soins : regrouper tous les examens sanguins en un seul prélèvement, profiter d’une anesthésie pour réaliser plusieurs actes douloureux. L’évaluation de l’efficacité des moyens utilisés, de la satisfaction de l’enfant permettront de proposer d’éventuelles améliorations pour le déroulement des soins ultérieurs.
4. Informer L’information des patients et de leurs parents est essentielle. Il faut expliquer le geste, ne pas minimiser ni nier la douleur potentielle qu’il engendre, et insister sur le fait que tout sera mis en œuvre pour prévenir et diminuer cette douleur. Les informations doivent être adaptées au niveau de compréhension de l’enfant. Répondre aux doutes et aux appréhensions des parents est essentiel car ils peuvent transmettre leur insécurité aux enfants. Des documents spécifiques (fiches, livrets, affiches) sur les principales situations (piqûres, fibroscopie…) sont diffusés par l’association SPARADRAP (www.sparadrap.org).
5. Favoriser la présence des parents La présence physique de ses parents est un élément de réassurance fondamental pour l’enfant [6]. Ils doivent être considérés non pas comme des juges, mais comme des alliés dont l’aide contribue au bon déroulement de la procédure. Les objets familiers (doudou, tétine…) sont nécessaires pour rassurer les plus jeunes.
Rappel des bonnes pratiques en matière de douleur des soins
6. Choisir un matériel optimal
9. Crème anesthésiante
Une installation confortable doit être recherchée pour le soin. On laissera, si possible, l’enfant choisir sa position. Les aiguilles de petit calibre, ou les adhésifs de surface limitée, sont recherchés. Les garrots doivent être serrés sans pincer la peau, par-dessus un vêtement si nécessaire.
L’application topique sous pansement occlusif (pendant au moins 60 minutes) du mélange lidocaïne-prilocaïne est un moyen antalgique efficace lors d’effractions cutanées (prélèvement sanguin, ponction lombaire…)
7. Utiliser les moyens non médicamenteux • L’opérateur trop pressé, qui ne laisse pas le temps aux antalgiques d’agir, qui ne parle pas à l’enfant, des gestes trop brusques peuvent défaire tout le travail de préparation initial. • L’anxiété majorant la perception de la douleur, les moyens de distraction peuvent contribuer au soulagement de l’enfant [7] : distraire l’enfant en détournant son attention de la douleur (gonfler un ballon pendant la ponction, jouer avec un smartphone…) ; suggestions hypnotiques lors de la pose d’une sonde vésicale pour cystographie [8]. • Les solutions sucrées (glucosé 30 %, saccharose 24 %) peuvent être utilisées chez les enfants de moins de 5 ans, pour une douleur d’intensité brève (effraction cutanée…). Le renforcement de l’effet des solutions sucrées et de la succion est démontré. Un délai de 2 minutes entre le début de la succion sucrée et le geste doit être respecté. La durée de l’analgésie est de 5 à 7 minutes. L’allaitement maternel est une alternative aussi efficace qu’une solution sucrée.
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Prémédication morphinique
En l’absence d’utilisation du MEOPA, ou en association si l’importance du geste le justifie, on peut prescrire une prémédication par un morphinique. En l’absence de contre-indication, on choisira, selon l’acte et le terrain : • nalbuphine par voie rectale : 0,4 mg/kg à administrer 10 à 20 minutes avant le geste ; • morphine orale à action rapide : 0,5 mg/kg (maximum 20 mg) 45 minutes avant le geste ; • l’association au midazolam se discute au cas par cas. Si elle est réalisée, elle justifie une surveillance médicale pendant au moins 2 heures.
10. Anesthésie générale Le recours à l’anesthésie générale reste parfois la meilleure ou la seule méthode efficace pour réaliser certains actes douloureux. Elle est nécessaire par l’intensité de la douleur du geste, par sa durée, ou pour certains enfants à risque.
8. Bien utiliser les moyens médicamenteux Depuis, 2009, il existe en France des recommandations officielles de bonne pratique qui permettent de répondre à la majorité des situations cliniques [9] : • le mélange oxygène – protoxyde d’azote (MEOPA) est le produit de référence pour les actes et les soins douloureux chez l’enfant, car il possède une rapidité et réversibilité d’action sans pareil avec un excellent profil « bénéfice/risque » ; ses effets antalgiques et anxiolytiques se renforcent mutuellement. Toutefois, son efficacité limitée ne permet pas de couvrir tous les actes et soins douloureux ; • lorsque le MEOPA est inefficace, la kétamine IV à faible dose (0,5 mg/kg sans dépasser 2 mg/kg) apparaît le seul médicament utilisable par un médecin non anesthésiste mais possédant des compétences spécifiques.
Références [1] McGlone RG, Ranasinghe S, Durham S. An alternative to “brutacaine”: a comparison of low dose intramuscular ketamine with intranasal midazolam in children before suturing. J Accid Emerg Med 1998;15:231-6. [2] Hay I, Oates J, Giannini A, et al. Pain perception of children undergoing nasendoscopy for investigation of voice and resonance disorders. J Voice 2009;23:380-8. [3] Babl FE, Munro J, Kainey G, et al. Scope for improvement: hospital wide sedation practice at a children’s hospital. Arch Dis Child 2006;91:716-7. [4] Sonderskov ML, Hallas P. The use of “brutacaine” in Danish emergency departments. Eur J Emerg Med 2012 (in press). [5] Weisman SJ, Bernstein B, Schechter NL. Consequences of inadequate analgesia during painful procedures in children. Arch Pediatr Adolesc Med 1998;152:147-9. [6] Piira T, Sugiura T, Champion GD, et al. The role of parental presence in the context of children’s medical procedures: a systematic review. Child Care Health Dev 2005;31:233-43.
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