Revue francophone d'orthoptie 2017;10:20–23
Dossier / Formation
Rappels anatomiques et physiologiques de la vision dans l'action Anatomical and physiological reminder of vision in action Hortense Chatard (Orthoptiste DE, Doctorante en Neurosciences (ED 566-Paris Saclay))a,b,c,d,e
a
UMR 1141, INSERM - Université Paris 7, Hôpital Robert Debré, 48 boulevard Sérurier, 75019 Paris, France b Vestibular and Oculomotor Evaluation Unit, ENT Department, Université Paris 7, Hôpital Robert Debré, 48 boulevard Sérurier, 75019 Paris, France c Centre d'Investigation Clinique du CHNO des XVXX, 28 rue de Charenton, 75012 Paris, France d Centre Ophtalmologique Italie, 155 boulevard Vincent Auriol, 75013 Paris, France e Clinique de la Vision, 131 rue de l'université, 75007 Paris, France
RÉSUMÉ
MOTS CLÉS
La vision est un processus complexe mettant en jeu plusieurs structures allant du globe oculaire jusqu'au cortex visuel primaire strié V1 (aire 17 de Brodmann). Il s'agit d'un phénomène dynamique qui permet à l'individu d'explorer son environnement extérieur par différentes stratégies visuelles pour établir une réponse adaptée.
Voies visuelles Vision fonctionnelle Mouvements oculaires Fonction sensorielle
© 2017 Publié par Elsevier Masson SAS.
KEYWORDS SUMMARY Vision is a complex process involving several structures from the eye to the primary visual cortex (V1 or Brodmann area 17). It is a dynamic phenomenon that allows the subject to explore his external environment through different visual strategies in order to establish an appropriate response.
Visual pathways Functional vision Eye movements Sensory function
© 2017 Published by Elsevier Masson SAS.
INTRODUCTION La vision est un processus complexe mettant en jeu plusieurs structures allant du globe oculaire (assimilable à un appareil photo) jusqu'au cortex visuel primaire strié V1 (aire 17 de Brodmann). Il s'agit d'un phénomène dynamique qui permet à l'individu d'explorer son environnement extérieur et d'adopter une réponse adaptée. L'objectif de cet article est de faire quelques rappels anatomiques et physiologiques de la vision dans l'action.
VOIES VISUELLES La perception visuelle est un processus qui se décompose en plusieurs étapes :
Formation de l'image sur la rétine : conversion du signal lumineux en signal électrique [1] ; Transmission du signal électrique jusqu'au cortex visuel primaire strié (V1) par les voies visuelles intracrâniennes composées du nerf optique, du chiasma optique, des bandelettes optiques, du corps genouillé latéral (relais thalamique primaire) [2] puis des radiations optiques ; Intégration de ce signal via les aires visuelles d'association localisées au niveau des lobes temporaux (voie du « quoi ») et pariétaux (voie du « où ») [3] ; Élaboration de la réponse (motrice, mnésique. . .) en lien avec différentes aires corticales. L'information visuelle est principalement contrôlée par la voie rétino-géniculée (Fig. 1).
Correspondance : H. Chatard, UMR 1141, INSERM - Université Paris 7, Hôpital Robert Debré, 48 boulevard Sérurier, 75019 Paris, France. Adresse e-mail :
[email protected] http://dx.doi.org/10.1016/j.rfo.2017.03.008 © 2017 Publié par Elsevier Masson SAS.
20
Dossier / Formation
Rappels anatomiques et physiologiques de la vision dans l'action
de haute fréquence temporelle permettant une analyse grossière des stimuli, à l'inverse des cellules de la couche parvocellulaire [4].
AXE SENSORIEL
Figure 1. Les aires visuelles et les voies de traitement de l'information visuelle : la voie magnocellulaire et la voie parvocellulaire, d'après [6].
Du corps genouillé latéral (CGL) naissent deux voies visuelles distinctes complémentaires dans le traitement de l'information visuelle : la voie magnocellulaire et la voie parvocellulaire. Les axones des cellules ganglionnaires (formant le nerf optique) se projettent dans 90 % des cas au niveau du CGL. La voie magnocellulaire est composée de larges cellules localisées dans les couches ventrales 1 et 2 du CGL [4], qui se projettent dans le système dorsal de V1 [5] pour former la voie du « où ». Cette voie prend son origine en V1 et se projette via V2 et V3 au niveau d'aires pariéto-postérieures et temporopostérieures. Elle permet l'analyse visuospatiale à savoir la localisation des objets et des mouvements. La voie parvocellulaire est constituée de petites cellules localisées dans les couches dorsales 3 à 6 du CGL, et se projette dans le système ventral de V1 pour former la voie du « quoi ». Cette voie prend ainsi son origine au niveau de V1 puis se projette via V2 et V4 au niveau du gyrus angulaire, du lobe inféro-temporal et des structures limbiques. Elle permet l'identification des formes, le langage, la mémoire ainsi que les émotions. Il est important de noter que les cellules de la couche magnocellulaire répondent aux stimuli de faible fréquence spatiale et
L'examen sensoriel repose sur l'étude de la capacité à voir simple et net [7]. Il comprend en premier lieu la mesure de l'acuité visuelle. Il s'agit du pouvoir de discrimination des détails au contraste maximal qui correspond au plus petit angle sous lequel l'œil peut percevoir deux points distincts. La mesure de l'acuité visuelle permet d'explorer la fonction fovéale, et s'effectue lors de la réfraction en vision de près et de loin, ainsi qu'en vision monoculaire et binoculaire. L'objectif de la réfraction est l'emmétropisation de l'œil. Dans un deuxième temps, l'orthoptiste est amené à évaluer la qualité de la fonction binoculaire et de l'accommodation, puis à étudier les trois degrés de la vision binoculaire (perception simultanée, fusion, vision stéréoscopique). La qualité accommodative peut par exemple être objectivée via la plaquette de Mawas (parcours d'accommodation (punctum proximum (PPA)–punctum remotum d'accommodation (PRA)) et le Rock accommodatif. Enfin, l'examen sensoriel comprend également l'évaluation de la dominance oculaire, l'étude du champ visuel par confrontation, l'examen de la vision des couleurs et de la vision des contrastes, etc. [8].
AXE OPTOMOTEUR Le terme « optomoteur » désigne les éléments oculomoteurs ainsi que les mouvements conjugués. La mobilité des globes oculaires est régie par les fonctions supérieures et permet l'orientation du regard ainsi que le contrôle des mouvements oculaires. Elle est assurée par la motricité oculaire conjuguée (fixation, saccades, poursuites et vergences) et par la motilité oculaire extrinsèque (muscles oculo-moteurs). On dénombre six muscles oculo-moteurs innervés par trois paires de nerf crâniens et vascularisés par des branches et rameaux artério-veineux voisins (Tableau I). La motilité oculaire est régie par deux lois physiologiques principales. La loi de Hering d'après laquelle « dans tout mouvement binoculaire, l'influx nerveux est envoyé en
Tableau I. Muscles oculo-moteurs (action, champs d'action et innervation) [d'après 7]. Muscle
Action
Champs d'action
Innervation
Droit latéral
Abducteur (élévateur et extorteur dans les regards en haut ou en bas)
Regard en dehors
Nerf VI (abducens)
Droit médial
Adducteur (élévateur et intorteur dans les regards en haut ou en bas)
Regard en dedans
Nerf III (oculomoteur)
Droit supérieur
Adducteur, élévateur, intorteur
Regard en haut et en dehors
Droit inférieur
Adducteur, abaisseur, extorteur
Regard en bas et en dehors
Oblique inférieur
Abducteur, élévateur, extorteur
Regard en haut et en dedans
Oblique supérieur
Abducteur, abaisseur, intorteur
Regard en bas et en dedans
Nerf IV (trochléaire)
21
H. Chatard
Dossier / Formation quantité égale aux muscles des deux yeux », et la loi de Sherrington d'après laquelle « quand l'agoniste se contracte, l'antagoniste se relâche » (principe d'innervation réciproque). Les mouvements oculaires conjugués ont été décrits par Dodge en 1903 [9]. Ces mouvements ont pour but de garder la fovéa sur une cible statique ou dynamique. La fixation est une immobilisation apparente du regard d'une durée de 150 msec. La saccade est un mouvement brusque et rapide (latence d'environ 200 msec) qui permet de positionner une image donnée sur la fovéa, et d'adapter la direction du regard au mouvement de cette cible à la suite d'une période de fixation. Les deux yeux se dirigent dans la même direction avec la même amplitude. Les saccades peuvent être horizontales, verticales ou obliques. La poursuite oculaire est un mouvement lent au cours duquel une mire mobile donnée (vitesse inférieure à 408/seconde) se maintient sur la fovéa (latence d'environ 125-150 msec). Les vergences sont des mouvements disjoints au cours desquels les yeux se dirigent dans le sens opposé.
BOUCLE NEURO-VISUELLE Nous venons de détailler plusieurs aspects de l'axe sensorimoteur évalués durant le bilan orthoptique. L'exploration de la
Figure 2. Organisation fonctionnelle des voies visuelles (d'après [12]).
22
vision fonctionnelle permet à l'orthoptiste de mettre en relation la vision et l'action chez un sujet donné. Cette exploration est réalisée selon trois axes d'études : vision et communication, vision et saisie de l'information, vision et organisation du geste.
Vision et communication L'étude de cet axe porte sur les capacités d'émission et de réception du regard jouant un rôle primordial dans les interactions sociales. Par exemple, une excentration (due à une malvoyance) ou une attitude de tête (due à un nystagmus) peuvent constituer des freins dans la communication non verbale.
Vision et saisie de l'information La perception visuelle s'appuie d'une part sur les structures du globe oculaire et des voies visuelles ; et d'autre part, sur les stratégies oculomotrices du sujet (développées au cours de sa vie) qui permettent la réalisation de mouvements oculaires indispensables à l'analyse visuelle d'un objet, d'un mouvement ou d'une situation. Certains auteurs différencient deux voies complémentaires jouant un rôle dans la perception visuelle : la voie efférente (practo-motrice) et la voie afférente (sensori-gnosique) [10] (Fig. 2).
Dossier / Formation
Rappels anatomiques et physiologiques de la vision dans l'action
Les voies efférentes permettent au sujet d'explorer son environnement par les mouvements oculaires (motricité conjuguée, réflexe vestibulo-oculaire, réflexe optocinétique ; [11]), les mouvements de la tête et de l'ensemble de l'organisme. Cela permet à l'individu de rechercher une cible, de « regarder ». Les voies afférentes permettent l'intégration de l'information projetée sur la rétine et ainsi de donner du sens à une information visuelle, de « voir et comprendre ». L'exploration clinique de la perception visuelle porte sur : la vitesse de la perception visuelle, la localisation de la perception visuelle, la capacité à rester visuellement concentré (capacité d'inhibition), l'analyse perceptive visuelle (perception de la forme : orientation, dimension et position relative) ainsi que la saisie de l'information par les stratégies (balayage visuel, anticipation visuelle, etc.) [7].
Vision et organisation du geste Le geste représente un ensemble de mouvements du corps coordonné dans le but de réaliser une tâche. Il existe deux types de gestes [13] : les gestes universels acquis par l'expérience sensori-motrice et les gestes culturels acquis et permis par l'équipement perceptivo-moteur.
CONCLUSION La vision dans l'action est un phénomène complexe faisant intervenir diverses structures. De nombreuses pathologies, chez l'enfant comme chez l'adulte, peuvent venir perturber ce schéma et ainsi être à l'origine de troubles neurovisuels. Déclaration de liens d'intérêts L'auteur déclare ne pas avoir de liens d'intérêts.
RÉFÉRENCES [1] Kaplan E, Benardete E. The dynamics of primate retinal ganglion cells. Prog Brain Res 2001;134:17–34. [2] Sherman MS, Guillery RW. The role of the thalamus in the flow of information to the cortex. Philos Trans R Soc Lond B Biol Sci 2006;357:1695–708. [3] Yamasaki T, Tobimatsu S. In: Harris JM, Scott J, editors. Electrophysiological assessment of the human visual system: The visual cortex. New York: Nova Science Publisher; 2012;36–67. [4] Livingstone M, Rosen GD, Drislane FW, Galaburda AM. Physiological and anatomical evidence for a magnocellular defect in developmental dyslexia. Proc Natl Acad Sci U S A 1991;88:7943–7. [5] Livingstone MS, Hubel DH. Segregation of form, color, movement and depth: anatomy, physiology, and perception. Science 1988;240:740–9. [6] Tiadi GA. Mouvements oculaires chez l'enfant dyslexique. Thèse de doctorat; 2016. [7] Clenet MF, Hervault C, Pouliquen Y. Guide de l'orthoptie. Issyles-Moulineaux: Elsevier-Masson; 2013. [8] Chatard H, Delfosse G. La dyspraxie développementale chez l'enfant : quelles perspectives dans sa prise en charge orthoptique neurovisuelle ? Rev Francoph Orthop 2016;9:98–103. [9] Dodge R. Five types of eye movements in the horizontal meridian plane of the field of regard. Am J Physiol 1903;8:307–29. [10] Griffon P. Neuropsychologie et déficience visuelle, pratiques cliniques et réadaptatives. Communication aux journées de l'alfphv. Mons; 2011. [11] Leigh RJ, Zee DS. The Neurology of Eye Movements, 5th ed. Oxford: Oxford University Press; 2015;646. [12] Mazeau M, Lemoalle JP. Déficits visuo-spatiaux et dyspraxiques de l'enfant cérébro-lésé. Paris: Masson; 1997. [13] Mazeau M, Le Lostec C, Lirondière S. L'enfant dyspraxique et les apprentissages, 2nd ed. Issy-les-Moulineaux: Elsevier-Masson; 2016.
23