Réanimation cardiaque et gestion de l’écrit

Réanimation cardiaque et gestion de l’écrit

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com ScienceDirect Droit Déontologie & Soin 17 (2017) 168–172 Jurisprudence Réanimation cardiaque et gesti...

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ScienceDirect Droit Déontologie & Soin 17 (2017) 168–172

Jurisprudence

Réanimation cardiaque et gestion de l’écrit Etienne Tête (Avocat) BP 65, 69642 Caluire-et-Cuire cedex, France Disponible sur Internet le 17 mai 2017

Résumé En l’absence de dossier médical laissant apparaître les prescriptions et les soins pratiqués, il incombe aux professionnels de santé d’apporter la preuve que les soins prodigués étaient appropriés à l’état de santé (Cass. Civ. 1re , 8 février 2017, no 16-11527). © 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´eserv´es.

C’est une des règles les plus établies, et qui fait entièrement consensus : un dossier médical doit être constitué pour chaque patient, ce dossier regroupant les éléments nécessaires à la prise en charge du patient. Le code de la santé publique a défini un standard réglementaire, à l’article R. 1112-2, mais ce modèle a besoin d’être adapté en fonction des services et des types de soins prodigués. Dans une note récente de mars 20171 , le conseil de l’Ordre rappelle les quatre fonctions du dossier : la trac¸abilité et la continuité des soins ; la mise à disposition d’informations nécessaires à la prise en charge et au suivi ; la trac¸abilité de l’information donnée au patient et du recueil de son consentement ; un moyen de preuve éventuel en cas d’action de recherche en responsabilité. Un arrêt rendu par la Cour de cassation ce 8 février 2017 (Cass. Civ. 1re , 8 février 2017, no 1611527) revient très utilement rappeler cette dernière fonction du dossier à savoir la preuve en cas d’action en recherche de responsabilité. En l’occurrence, il s’agissait de la situation d’un patient en postopératoire, six jours après une néphro-uretérectomie, dont l’état s’était brutalement aggravée. Le patient était en service de soins intensifs, et la prise en charge décrite semblait correcte, avec la notion d’une impuissance devant une attaque cardiaque sévère. Mais il se trouve que s’agissant des heures qui avaient suivi et au moment de cette réanimation, le dossier n’était pas renseigné sur le plan médical. La cour d’appel,

Adresse e-mail : [email protected] Fiche de synthèse de l’Ordre des médecins de mars 2017 : https://www.conseil-national.medecin.fr/sites/default/files/ cnomdossiermedical.pdf. 1

http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2017.04.025 1629-6583/© 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´eserv´es.

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rejoignant l’avis de l’expert, avait estimé ce silence regrettable, mais avait néanmoins considéré au vu des renseignements recueillis, que la prise en charge considérée comme correcte. Saisie par la famille, la Cour de cassation casse cet arrêt, en relevant en l’absence de mention médicale dans le dossier, il incombait à la clinique et aux médecins d’apporter la preuve que les soins avaient été appropriés à son état de santé. 1. Faits Un patient, atteint d’un cancer du rein, a subi, le 24 novembre 2009, dans une clinique, une néphro-uretérectomie réalisée par deux chirurgiens urologues exerc¸ant leur activité à titre libéral. L’intervention s’est déroulée sans incident, et à ce stade, toute la prise en charge est qualifiée de normale. Le 27 novembre 2009, le patient a été placé dans l’unité de surveillance continue de l’établissement, qui est un service de soins intensifs, le suivi étant rassurant. Le patient a été placé sous Atarax 100, le 30 novembre 2009 au soir, et on situe la dernière visite médicale au soir vers 18 heures. Il est soudainement décédé dans la nuit du 30 novembre au 1er décembre 2009. Dans le dossier infirmier, on trouve les déclarations manuscrites de l’infirmière qui mentionne : « 22 heures, patient agité, agressif, veut se lever, des hallucinations ; allo médecin de garde, consignes, 100 mg d’Atarax en flash + attaches ; « 1h20 le scope de M. X. . . sonne en asystolie. Nous sommes allées directement dans la chambre, le patient était en effet en asystolie. Je commence le massage cardiaque ; je demande à l’aide-soignante d’apporter le chariot d’urgence et de téléphoner au médecin de garde pour le prévenir. Le temps que le médecin arrive, l’aide-soignante massait le patient pendant que je ventilais. « Le médecin de garde est arrivé dans les 5 min sur place et nous avons continué la réanimation. La réanimation a duré environ 30 minutes au bout desquelles le médecin a décidé d’arrêter la réanimation. « 2 h le patient est déclaré décédé ». Dans les temps qui ont suivi, la famille a rec¸u le témoignage du voisin de chambre, exposant une scène désordonnée, si ce n’est brutale. De ces déclarations, ressort l’état d’agitation du patient, la pose de sangles, la venue d’une infirmière plus tard qui en a appelé trois autres. 2. L’expertise judiciaire La famille a engagé une procédure de référé aux fins d’obtenir la désignation de l’organisation d’une expertise judiciaire. Selon l’expert, l’indication opératoire, le processus et la surveillance ne font l’objet d’aucune critique de l’expert. L’expert ne critique pas davantage la prescription d’Atarax 100, le 1er décembre 2009 au soir, soit quelques heures avant son décès, se bornant à noter qu’elle était « de nature à apporter une réponse symptomatique mais non étiologique ». L’expert considère que la contention par sangle ne peut être assimilée à de la maltraitance « face à un opéré récent, porteur transitoirement de drains, de pansements, agité malgré les traitements usuels, dans un service comportant d’autres patients ayant eux aussi des risques vitaux, qu’il a

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été logique d’opposer un bénéfice fort face à un risque faible pour le patient et que par ailleurs, le décès n’est pas en relation directe et certaine avec cet événement ». L’expert a pointé une impossibilité de répondre à certaines questions de sa mission concernant la prise en charge médicale à l’occasion de l’arrêt cardiorespiratoire, car il n’a pas été transmis d’informations médicales durant la période précédant le décès. Dans son pré-rapport du 29 février 2012, l’expert avait indiqué qu’il manquait « de fac¸on cruciale un écrit du médecin réanimateur prescripteur qui pourrait permettre de mieux répondre à ce dossier. En conclusion de son rapport, il a ajouté qu’il lui était “impossible de répondre, en l’absence d’autres informations médicales transmises durant cette période”, aux questions de savoir si le patient était monitoré ou non, s’il y avait eu une présence médicale lors de la phase d’agitation, à la suite de l’appel de l’IDE ou pour la prescription, de sorte que ce manque d’information « laisse ainsi planer un doute ». Ceci étant, l’expert a conclu, au vu de ce compte rendu infirmier et des données cliniques, à l’absence de manquement du personnel aux pratiques habituelles d’une unité de surveillance continue, confronté à une défaillance cardiaque brutale.

3. Procédure en responsabilité À la suite, la famille a engagé une procédure devant le tribunal de grande instance, en responsabilité civile, visant les praticiens à titre individuel, comme ils exercent en libéral, et la clinique, en tant qu’employeur des infirmières. Ils invoquaient un défaut de soins appropriés dans les heures précédant le décès, et lors de la prise en charge de l’accident cardiaque. À la suite d’un jugement de rejet, un appel a été formé, et la cour d’appel d’Aix-en-Provence s’est prononcée en arrêt du 29 octobre 2015, rejetant le recours en estimant qu’on ne pouvait retenir de fautes dans cette phase cruciale. La cour se fonde sur le rapport d’expertise et le compte rendu établi par l’infirmière, ayant suivi le patient avant son décès, qui est précis et décrit bien les événements. Ce rapport a relaté l’application de prescriptions médicales, la survenue d’une asystolie qui a conduit, outre à un massage cardiaque, à l’appel et l’arrivée rapide du médecin de garde et la constatation du décès, à l’issue d’une réanimation durant trente minutes. Pour la cour d’appel, aucun manquement du personnel aux pratiques habituelles d’une unité de surveillance continue ne peut être retenue, ainsi que souligné par l’expert. La seule donnée apportée par la famille destinée à contredire les dires de l’infirmière est le témoignage d’un patient partageait la même chambre que la victime, le soir des faits. Le témoignage confirme l’état d’agitation du patient, la pose de sangles, puis, plus tard, la venue d’une infirmière, qui en a appelé trois autres en secours. Toutefois, ce patient était dans un état de grande faiblesse physique, au point d’être dans l’impossibilité de signer ses déclarations. Pendant la période des soins de crise, a été mis en place un paravent, de sorte que les indications données par le patient sont d’une faible pertinence, car il n’était plus témoin visuel. La cour souligne « qu’on peut comprendre les interrogations de témoins non médicaux à des pratiques infirmière réalisées dans l’urgence qui ont pu leur paraître agressives, en l’absence de toute présente physique médicale initiale ». Au final, et selon la cour d’appel, rien ne permet de retenir que la mise en œuvre et le suivi par le personnel soignant salarié de l’établissement de santé des prescriptions médicales n’ont pas été conformes aux règles de bonnes pratiques. De même rien ne permet de retenir le médical dans cette phase cruciale, alors que l’accident cardiaque était très radical.

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Enfin, note la cour, le fait que le séjour du patient au service de soins continus n’ait pas toujours été documenté dans son dossier médical est une faute, qui est bien regrettable, mais elle est sans lien de causalité direct avec le décès de ce patient et le préjudice d’affection réclamé. D’ailleurs, si l’expert a indiqué ne pouvoir répondre à certaines questions posées, relativement à la prise en charge médicale en l’absence d’informations médicales, il a toutefois estimé globalement la situation pour dire que la prise en charge avait été conforme à ce qui est attendu dans un tel service. En somme, la cour, comme l’expert, déplore les insuffisances du dossier médical, estime que l’atteinte cardiaque était tellement massive l’intervention avisée de l’infirmière et des médecins, et décrit de manière cohérente, ne pouvait changer le cours des choses. 4. Cassation 4.1. Moyens de cassation Devant la Cour de cassation, la famille est revenu sur cette question de l’absence d’indications médicales pendant la phase immédiatement antérieure au décès. Pendant la procédure devant la cour d’appel, la famille avait souligné à la suite du pré-rapport, qu’« aucun document établi par un médecin n’avait été fourni, ce qui corroborait le fait que le patient n’avait pas été examiné par un médecin avant son décès malgré un état de santé des plus inquiétants », et qu’« aucun document justifiant d’une surveillance médicale adéquate n’avait été fourni ». La famille ne se contentait pas de pointer les insuffisances de production de la part de la clinique et des médecins. Elle avait versé aux débats le rapport critique d’un praticien réanimateur, qui déplorait que les documents émanant du réanimateur de garde et/ou du médecin de garde concernant le suivi médical du patient dans la nuit du 30 novembre 2009 au 1er décembre 2009 n’aient pas été produits, et ajoutant : « aucun document établi par un médecin n’a pu être fourni, ce qui corrobore le fait que le patient n’a pas été examiné par un médecin avant son décès malgré l’état de santé inquiétant qu’il a présenté dès 20 heures le 30 novembre 2009 ». Or, souligne la famille, malgré cela, la cour d’appel a jugé que « s’agissant de la surveillance du patient incombant à la clinique, le déroulé des soins entre le 29 novembre et le 30 novembre, tel que repris avec précision par l’expert, met en avant une prise en charge adaptée aux besoins du patient avec appel du médecin avant toute prise en charge de type médical, surveillance régulière et réaction immédiate au moment de l’asystolie ». Pour la famille, l’absence de documents médicaux essentiels concernant le suivi médical dans la nuit du 30 novembre 2009 au matin du 1er décembre 2009 était un manquement devant être reproché à la clinique et aux médecins, alors qu’une prise en charge rapide par un médecin au moment de l’aggravation de l’état de santé aurait pu éviter le décès. 4.2. Cour de cassation La Cour de cassation synthétise ainsi le raisonnement de la cour d’appel. Les juges, visant essentiellement le rapport de l’infirmière, qui était considéré comme sérieux et précis par un expert médical, en avait déduit que, d’une part, rien ne permettait de retenir que la mise en œuvre et le suivi par le personnel soignant salarié de l’établissement de santé des prescriptions médicales n’avait pas été conformes aux règles de bonnes pratiques et que, d’autre part, le fait que le séjour du patient au service de soins continus n’ait pas toujours été documenté dans son dossier médical était sans lien de causalité direct avec le décès du patient et le préjudice réclamé.

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Or, tranche la Cour de cassation, en l’absence de communication d’informations médicales relatives à la prise en charge du patient dans la nuit du 30 novembre au 1er décembre 2009, il incombait à la clinique et aux médecins d’apporter la preuve que les soins avaient été appropriés à son état de santé. Le dossier va donc revenir devant elle, et la marge de manœuvre sera cette fois-ci assez limitée, car la cour d’appel de renvoi ne pourra jouer sur les déductions. Il reviendra à la clinique et aux médecins de prouver que les soins ont été de qualité ce qui sera bien difficile dès lors qu’ils ne sont pas en mesure de justifier des actes pratiqués en l’absence de mention dans le dossier. Sur le plan pratique, il est bien certain que lorsque le patient s’aggrave, les praticiens sont occupés à une phase de réanimation, l’écrit se gère secondairement. . . secondairement, mais rapidement et de manière professionnelle.