Douleurs Évaluation - Diagnostic - Traitement (2018) 19, 174—181
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CONSENSUS
Recommandations de pratiques cliniques pour la prise en charge de la dysménorrhée des patientes africaines. Consensus formalisé Clinical Practice Guidelines for the management of dysmenorrhea in African women Badis Chanoufi a, Chafik Chraibi b, Reshma Gaya c, Luc-Hervé Samison d,∗, Houria Zeggane e, Alain Serrie f a
Centre de gynécologie-obstétrique, 1068 Tunis, Tunisie Centre hospitalo-universitaire Ibn Sina, 10060 Rabat, Maroc c Hôpital Apollo Bramwell, 80827 Moka, Île Maurice d Centre Hospitalo-Universitaire Joseph Ravoahangy Andrianavalona, route Nationale 1, BP 4150, 101 Antananarivo, Madagascar e Centre Hospitalo-universitaire Nefissa Hamoud, 16040 Alger, Algérie f Hôpital Lariboisière de Paris, 75475 Paris, France b
Luc-Hervé Samison
Rec ¸u le 15 juillet 2018 ; accepté le 18 juillet 2018 Disponible sur Internet le 6 septembre 2018
MOTS CLÉS Dysménorrhée ; Afrique ; Recommandation
∗
Résumé L’adolescentologie constitue un volet très important en santé reproductive. En effet, répondre aux besoins physiques et cognitifs des adolescents nécessite beaucoup d’habilité et d’expérience. La dysménorrhée est l’un des symptômes les plus fréquemment rencontrés à cette tranche d’âge. La tolérance de la douleur, les troubles du cycle et les pathologies associées peuvent être totalement différents dans chaque pays du monde. L’Afrique présente des spécificités particulières dans la prise en charge des dysménorrhées au vu de son système de santé différent, telles que la difficulté d’accès au centre de soin ainsi que le paiement des examens complémentaires et l’achat des médicaments par la patiente. Le but de ce travail collaboratif a été de définir la dysménorrhée primaire et secondaire et d’établir des
Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (L.-H. Samison).
https://doi.org/10.1016/j.douler.2018.07.006 1624-5687/© 2018 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´ eserv´ es.
Recommandations de pratiques cliniques pour la prise en charge de la dysménorrhée
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recommandations de bonnes pratiques pour les patientes africaines, notamment pour le diagnostic et la prise en charge clinique et thérapeutique en se basant sur la méthode de consensus formalisé, de type Delphi-modifié, décrite par la Haute Autorité de Santé (HAS) franc ¸aise. © 2018 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´ eserv´ es.
KEYWORDS Dysmenorrhea; Africa; Guideline
Summary This topic is an important subject in reproductive health and offers a good approach to the evaluation of dysmenorrhea in teenagers. The evaluation of the specific condition of abnormal uterine bleeding, pain, and others symptoms in teenagers in Africa and the differential diagnosis are discussed separately. This study was based on the formal consensus method, Delphi-modified type, described by the French ‘‘Haute Autorité de Santé’’. The aim is to define dysmenorrhea and establish guidelines to help any medical to make the right diagnosis and to perform the right clinical and paraclinical management in African women. © 2018 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Introduction Les dysménorrhées sont des douleurs abdominopelviennes cycliques, rythmées par l’apparition du flux menstruel. Ces souffrances sont très variables en intensité, pouvant aller de la simple gêne à la douleur paroxystique aiguë. Elles peuvent être essentielles ou organiques, primaires ou secondaires [1]. La dysménorrhée essentielle est une pathologie propre, associée à une hypersécrétion de prostaglandines endométriales. La dysménorrhée organique est souvent le signe d’une pathologie gynécologique sous-jacente, comme l’endométriose ou l’adénomyose. Lorsque les troubles apparaissent à l’adolescence, dans les mois ou années suivants les premières règles, la dysménorrhée est dite primaire. Elle est secondaire lorsqu’elle survient à distance de la puberté, le plus souvent chez une femme âgée de plus de 30 ans. En pratique, ces deux classifications tendent à se superposer: une dysménorrhée primaire est presque toujours essentielle alors qu’une dysménorrhée secondaire est généralement organique [2]. Pour résumer, il faut distinguer la dysménorrhée primaire ou fonctionnelle qui débute dans l’année qui suit l’apparition des règles et la dysménorrhée secondaire ou organique qui apparaît après une période pendant laquelle les règles étaient normales. Deux recommandations existent actuellement sur la prise en charge de la dysménorrhée [3,4]. Elles ont été rédigées dans un contexte de pays développés et ne cadrent pas forcément avec la réalité africaine, à cause de l’indisponibilité ou de la difficulté d’accès à certains traitements. Cette situation favorise le recours à des prises en charge alternatives comme la médecine par les plantes ou les marabouts. Il est de ce fait pertinent de proposer des recommandations qui cadrent avec les réalités géographiques, sociales et environnementales africaines.
Méthodes Ces recommandations ont été élaborées par la méthode du consensus formalisé, de type Delphi-modifié, décrite par la Haute Autorité de Santé (HAS) franc ¸aise [3]. Elle se sont
reposées, d’une part, sur l’analyse et la synthèse critiques de la littérature médicale disponible (Pubmed) et d’autre part, sur l’avis et les données non publiées d’un groupe de 13 spécialistes pratiquant sur le continent africain qui a réalisé une cotation en deux tours des propositions de recommandations établies par le groupe de pilotage.
Membres du comité de pilotage Pr Badis Chanoufi, Chef de service gynécologie-obstétrique au Centre de gynécologie-obstétrique, Tunis (Tunisie); Pr Chafik Chraibi, Chef de service gynécologie-obstétrique au Centre Hospitalo-Universitaire Ibn Sina, Rabat (Maroc); Dr Reshma Gaya, Médecin anesthésiste-réanimatrice à l’hôpital Apollo Bramwell (Île Maurice); Pr Luc Hervé Samison, Chef de service chirurgie viscérale « B » au Centre Hospitalo-Universitaire Joseph Ravoahangy Andrianavalona, Antananarivo (Madagascar); Pr Houria Zeggane, Maître de conférences à la faculté de médecine d’Alger et Chef d’unité de la procréation médicalement assistée au Centre Hospitalo-Universitaire Nefissa Hamoud, Alger (Algérie); Pr Alain Serrie, Professeur Chef de service, service de médecine de la douleur et de médecine palliative, Hôpital Lariboisière de Paris, (France).
Membres du comité de relecture et de cotation Pr Mourad Derguini, Professeur en gynécologie-obstétrique, Président du comité médical national de gynécologieobstétrique, Président de la société algérienne de ménopause, Alger (Algérie); Pr Nadia Fellah, Chef de département d’anesthésie-réanimation, Chef de service du centre de traitement de la douleur, Centre Hospitalo-Universitaire Bab El Oued, Alger (Algérie); Dr Ilyes Ouali, membre du bureau de la SAGO, Membre du bureau du Conseil de l’Ordre, Alger (Algérie); Pr Adib Filali, Professeur en gynécologie-obstétrique à la maternité des Oranger, Rabat (Maroc); Pr Samir Bargach, Chef de service de gynécologie obstétrique cancérologie et grossesses à haut risque
176 maternité Souissi Rabat (Maroc); Pr Mohamed Elkarroumi, gynécologue-obstétricien, Casablanca (Maroc); Dr Dalenda Chelli, Professeur en gynécologie-obstétrique, Centre de maternité de Tunis (Tunisie); Dr Armel Mapoukou, gynécologue obstétricien, Hôpital Central des Armées de Brazzaville (Congo); Pr Robinson MBU, Professeur titulaire de gynécologie et obstétrique, Directeur de la Santé Familiale, Ministère de la Santé Publique, Yaounde (Cameroun); Pr Jean Lankoande, gynécologue obstétricien, Chef de département UFR/SDS Université Ouagadougou (Burkina Faso); Dr Marie Edouard Faye Dieme, gynécologue, Clinique gynécologique et obstétricale du CHU Aristide le Dantec, Dakar (Sénégal); Pr Serge Boni, Professeur titulaire de gynécologieobstétrique, Chef du département mère-enfant et Chef du département de gynécologie-obstétrique du CHU de Cocody, Abidjan (Côte d’Ivoire); Pr Namory Keita, Chef de service de gynécologie et d’obstétrique, CNH de Donka, Conakry (République de Guinée).
État actuel des connaissances Physiopathologie, épidémiologie et facteurs de risque La physiopathologie de la dysménorrhée reste encore mal connue. Puisque la dysménorrhée n’existe pas avant la ménarche et disparaît à la ménopause, plusieurs théories ont tenté d’expliquer l’apparition des phénomènes douloureux au cours de l’activité génitale [4]. La théorie spasmodique attribue la douleur aux modifications du taux de progestérone pendant le cycle menstruel. La chute de la progestérone avant les règles permet d’avoir une bonne ouverture cervicale facilitant l’extériorisation du sang menstruel, et un retard à l’ouverture serait responsable d’une rétention douloureuse [5]. La théorie congestive a été évoquée chez les femmes ayant, ou ayant eu, des problèmes infectieux, des troubles de la statique pelvienne plus ou moins associés à des facteurs de stase pelvienne comme la constipation ou la station debout [4]. Enfin, la théorie ischémique a été proposée, avec laquelle toute anomalie responsable d’une ischémie utérine entraînera une difficulté à l’évacuation du sang menstruel [6]. En fait les mécanismes de la douleur dans la dysménorrhée sont complexes et feraient intervenir plusieurs facteurs. Au cours du cycle menstruel, la contractilité du myomètre baisse au début de la phase folliculaire, s’élève progressivement jusqu’à 60 mmHg en période ovulatoire, puis diminue en phase lutéale. En plus de ce niveau « de base », se greffent des contractions variables en intensité et en fréquence, dont le maximum d’intensité sera atteint pendant la menstruation (égal à 120 mmHg) avec une fréquence de 2 à 4 par minute et une durée de 30 à 60 secondes. Cette contractilité myométriale est augmentée au cours de la menstruation chez les femmes dysménorrhéiques (150 mmHg) avec une fréquence accrue des contractions, associée à une dysrythmie. La douleur apparaissant autour de 150 mmHg serait liée à la fréquence des contractions et l’absence de retour au tonus de base corollaire d’une ischémie myométriale. Les facteurs responsables de cette hypercontractilité sont probablement une perturbation du rapport entre les différentes
B. Chanoufi et al. prostaglandines locales, elles-mêmes réduites par d’autres facteurs cervicaux, endocriniens ou psychiques [6]. Le flux sanguin utérin a également été impliqué dans les mécanismes de la douleur. Le groupe d’Akerlund a en effet analysé concomitamment le flux menstruel et la pression intra-utérine [7]. Chez les femmes dysménorrhéiques, durant chaque contraction, une diminution du flux ¸on simultanée avec une crise doumenstruel apparaît de fac loureuse à type de colique utérine. Quand le flux sanguin est assez élevé, les douleurs sont modérées. À l’inverse, lorsqu’il est bas les patientes ont une douleur intense. Quand cette équipe injecte par voie intraveineuse 250 g de terbutaline (-2 mimétique), l’utérus est totalement relâché et est associé à une augmentation du flux sanguin et une disparition complète de la douleur. Les mécanismes nerveux permettent d’expliquer la régression, voire la disparition des douleurs menstruelles après une grossesse menée à terme [7]. En revanche, il ne s’agit pas du simple fait de l’état de grossesse puisque la dysménorrhée ne disparaît pas après une fausse couche ou une interruption volontaire de grossesse du premier trimestre [6]. Cela suggère que l’innervation utérine est totalement remaniée et altérée par la grossesse [8]. C’est à partir de cette hypothèse que certains auteurs ont proposé de réaliser une dénervation de l’utérus par neurectomie présacrée par laparotomie autrefois et plus récemment par cœlioscopie [6]. Enfin, les prostaglandines pourraient avoir un rôle important dans les dysménorrhées. Au moment des menstruations, les prostaglandines sont produites à partir des acides gras essentiels relargués par les membranes cellulaires des cellules endométriales. Les prostaglandines sont augmentées dans l’endomètre des femmes dysménorrhéiques [6]. Il semblerait que l’augmentation du taux de production locale, voire général, des prostaglandines soit responsable de la douleur, plus qu’une sensibilité myométriale aux prostaglandines [6]. Les métabolites de l’acide arachidonique (les endopéroxydes) ont également une action antalgique puissante [8]. Au moment des règles chez les femmes dysménorrhéiques, il existe une transformation incomplète en prostaglandine avec accroissement du taux d’endopéroxydes locaux. Les prostaglandines PgF2 et les PgE2 ont un pouvoir de sensibilisation des fibres nerveuses (en augmentant les médiateurs comme l’histamine et la bradykinine) à des stimuli mécaniques ou chimiques [6]. Au moment de la menstruation, la sensibilité de la plaie muqueuse est ainsi accrue. La chute du taux circulant de progestérone déclenche une activité lytique qui entraîne la production de phospholipides. Celle-ci produit de l’acide arachidonique et active la voie de la cyclo-oxygénase. Ces prostanoïdes produits en excès induisent un tonus utérin élevé et des vagues de contractions de grande amplitude responsables de l’algoménorrhée [8].
Recommandation #1 — Accord professionnel fort Une dysménorrhée primaire essentielle doit être fortement suspectée chez toute adolescente dont la ménarche (premières règles) est d’apparition précoce, dont les douleurs menstruelles sont récurrentes et qui présente des antécédents familiaux de dysménorrhée.
Recommandations de pratiques cliniques pour la prise en charge de la dysménorrhée L’épidémiologie de la dysménorrhée varie de fac ¸on importante en fonction des études. Une prévalence plus importante est retrouvée chez les femmes jeunes (17—24 ans), dont 67 % à 90 % se plaignent de ce problème [5]. Cette proportion atteint même 93 % chez les adolescentes australiennes [1]. Les résultats obtenus chez les femmes adultes sont moins pertinents, avec des taux variant entre 35 % et 75 % [4]. Aux États-Unis, une vaste étude épidémiologique américaine portant sur 7000 adolescentes a recensé 59,7 % de dysménorrhées, entraînant 25 % d’absentéisme scolaire [6]. Dans le contexte africain, les rares données épidémiologiques sont résumées ci-après. Au Maghreb, la fréquence des dysménorrhées est très importante. Au Maroc, une étude épidémiologique a évalué la prévalence de la dysménorrhée et les facteurs influenc ¸ant sa survenue chez 502 adolescentes âgées de 15 à 19 ans. Les résultats indiquent une prévalence de 65,34 %, qui augmente entre 18 et 19 ans1 . Elle est significativement associée à l’âge de la ménarche et à la durée des règles, mais sans association avec la régularité du cycle. La dysménorrhée survient généralement après la 1re année post-ménarchale (56,40 %), elle est de siège souvent hypogastrique (84,45 %) et elle débute souvent avec l’écoulement menstruel. Dans 48,76 % des cas, la dysménorrhée survient de fac ¸on régulière. Cette étude indique également que chez 66,77 % des adolescentes, des antécédents familiaux de dysménorrhée sont retrouvés. Les dysménorrhées sévères ont été notées chez 29,27 % des adolescentes avec un taux non négligeable d’absentéisme scolaire (29,88 %). L’absence de la prise en charge thérapeutique a été constatée dans 1/3 des cas avec une tendance à l’automédication. En Egypte, environ 75 % des élèves ont connu une dysménorrhée (55,3 % légère, 30,0 % modérée, sévère 14,8 %) et 34 % ont l’habitude de s’automédiquer [9]. Au Mali, une étude réalisée à Bamako au centre de santé de référence a fait apparaître une prévalence de 35,31 %, parmi les 606 patientes adolescentes qui se sont présentées en consultation2 . Au total, 76,2 % étaient des dysménorrhées primaires. Dans cette étude, la fréquence des dysménorrhées sévères est doublée en présence de facteurs psychologiques (2,8 % contre 1,4 %). En Ethiopie, sur les 440 participantes de l’étude, 368 ont rapporté une dysménorrhée (85,4 %). Au total, 18,8 % des patientes ont rapporté une dysménorrhée sévère [10]. Au Nigeria, la prévalence de la dysménorrhée s’élève à plus de 72,3 % [11]. Deux facteurs de risque de dysménorrhée ont été clairement mis en évidence: les antécédents familiaux de dysménorrhée et la survenue de la ménarche avant l’âge de 13 ans [2]. D’autres facteurs ont également été incriminés mais sont encore débattus à l’heure actuelle. Il s’agit de l’âge, du milieu socioculturel, de l’environnement éco-
1
Wadifi H. Dysménorrhées: enquête épidémiologique auprès des adolescentes lycéennes de Casablanca (à propose de 502 cas): université Hassan II, faculté de médecine et de pharmacie, Casablanca; 2004. 2 Dembele KA. La dysménorrhée chez l’adolescente: aspects cliniques et thérapeutiques au centre de santé de référence de la commune V du district de Bamako (à propos de 214 cas): université de Bamako; 2006.
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nomique, de l’origine ethnique, du profil psychologique ou encore du tabagisme [2].
Explorations, diagnostic positif et diagnostics différentiels
Recommandation #2 — Accord professionnel fort En présence d’une dysménorrhée primaire ou secondaire, l’interrogatoire doit rechercher précisément les caractéristiques de la douleur, généralement protoméniale, de courte durée, et sans irradiation particulière.
Recommandation #3 — Accord professionnel relatif En dehors de l’inspection de l’appareil génital externe à la recherche de malformation, l’examen gynécologique n’est pas systématique chez une adolescente présumée vierge dont la douleur a tous les caractères d’une dysménorrhée essentielle légère à modérée.
Recommandation #4 — Accord professionnel relatif L’efficacité habituelle du traitement médical constitue un test diagnostique et thérapeutique.
Recommandation #5 — Accord professionnel fort L’examen gynécologique est indispensable quand l’interrogatoire oriente vers une dysménorrhée organique et garde son utilité chez une femme en période d’activité génitale, non vierge, en raison de la possibilité de découvrir fortuitement d’autres pathologies gynécologiques.
La stratégie diagnostique d’une dysménorrhée est essentiellement basée sur l’interrogatoire, qui doit être ciblé et pertinent. Le Tableau 1 rappelle les principales questions à poser à la patiente. L’examen clinique et les examens complémentaires ont peu d’intérêt dans cette situation. En effet, l’examen clinique est souvent normal dans la dysménorrhée essentielle, des malformations uro-génitales étant rarement retrouvées. Son intérêt est nul chez l’adolescente sans aucun antécédent gynécologique notable. À l’inverse, l’examen clinique doit être rigoureux et pratiqué chez la femme avec une dysménorrhée secondaire apparaissant avec un tableau inflammatoire infectieux de dyspareunie ou de ménorragie (adénomyose). Ainsi le toucher vaginal va permettre de préciser la sensibilité des culs-de-sac, les masses latéro-utérines, deux gros ovaires douloureux (dystrophie ovarienne) ou un utérus globuleux et douloureux (adénomyose).
178 Tableau 1
B. Chanoufi et al. Interrogatoire à mener face à une dysménorrhée [2].
Âge de la patiente? Stable ou évolutive?
Dysménorrhée secondaire?
Quelle intensité?
Quels signes d’accompagnement? Caractéristiques du flux menstruel En début ou en fin de règles?
La dysménorrhée primaire apparaît à l’adolescence dans les mois suivants les premières règles. En général, elle répond aux anti-inflammatoires non stéroïdiens. Elle s’atténue au bout de quelques années, voire elle disparaît à la première grossesse. Si elle s’aggrave, il faut penser à une malformation génitale ou une endométriose, même chez l’adolescente Une dysménorrhée secondaire apparaît à distance de la puberté. Elle accompagne le plus souvent un trouble du cycle (ménorragie) et est le reflet d’une certaine affection gynécologique (adénomyose, endométriose externe et fibrome remanié) Intensité variable de la simple pesanteur à la douleur intense, résistant aux antalgiques classiques, et invalidante à l’origine de l’absentéisme. De siège en général hypogastrique, pelvienne pouvant irradier vers la région lombaire, périnéale, cruro-inguinale et parfois vers les membres inférieurs. L’étendue de l’irradiation est généralement proportionnelle à l’intensité de la douleur Ils sont fréquents dans la dysménorrhée essentielle et sont à type de signes digestifs: nausées, vomissements, diarrhées témoignant d’une vagotonie réflexe. Des migraines peuvent parfois s’y associer Une dysménorrhée secondaire s’accompagne d’une anomalie quantitative ou qualitative du flux menstruel. Ainsi, une femme de plus de 40 ans présentant des douleurs avec des ménorragies doit évoquer une adénomyose La chronologie de la douleur par rapport à l’apparition du flux menstruels est importante: préméniales: précédant de 12 à 24 h les règles et disparaissant après l’écoulement frais. Ces caractéristiques correspondent en général aux dysménorrhées essentielles; téléméniales: apparaissant aux 2e ou 3e jours des règles. Elles orientent vers une endométriose (surtout adénomyose)
Recommandation #6 — Accord professionnel relatif Les examens complémentaires sont inutiles chez une adolescente ou une femme jeune dont la douleur à tous les caractères d’une dysménorrhée essentielle.
L’échographie pelvienne peut être réalisée secondairement devant une dysménorrhée primaire essentielle résistante aux traitements médicaux. Par ailleurs l’échographie pelvienne a son intérêt dans l’exploration des dysménorrhées secondaires à la recherche d’un utérus myomateux, d’une adénomyose, d’une masse annexielle, d’une dystrophie ovarienne ou d’une endométriose. L’IRM est contributive devant une échographie non concluante pour le diagnostic d’une adénomyose, d’une endométriose (cartographie) ou d’un kyste ovarien complexe. La cœlioscopie est demandée en dernière intention à visée diagnostique pour mettre en évidence des pathologies passées inaperc ¸ues aux différents examens d’imageries, telles que les états inflammatoires ou les endométrioses. Par ailleurs, elle peut être opératoire dans certaines pathologies organiques. L’hystérographie est un examen invasif ayant peu d’intérêt sauf dans de rares cas d’adénomyoses.
Recommandation # 7 — Accord professionnel relatif Les adolescentes présentant une dysménorrhée au cours des 6 premiers mois suivant les premières règles et d’intensité progressivement croissante doivent être adressées à un gynécologue pour rechercher une malformation utérovaginale.
Une dysménorrhée primaire est le plus souvent essentielle. Elle est fréquemment retrouvée chez des jeunes filles sans antécédent gynécologique, ni pathologie pelvienne. Dans ce cas, l’examen clinique est pauvre, et la réponse au traitement médical anti-inflammatoire et/ou œstroprogestatif est bonne. En revanche, une dysménorrhée primaire apparue dès les premiers cycles et d’intensité progressivement croissante doit faire redouter une malformation utérovaginale. L’endométriose juvénile est une entité rare, mais son diagnostic doit être évoqué devant la résistance aux traitements habituels. Le diagnostic étiologique est résumé dans le Tableau 2.
Recommandation # 8 — Accord professionnel fort Le diagnostic de dysménorrhée secondaire organique doit être envisagé lorsque les symptômes apparaissent à la suite de nombreuses années de règles indolores.
Les causes de la dysménorrhée secondaire organique sont nombreuses (adénomyose, endométriose, utérus fibromateux. . .). L’endométriose externe est la cause la plus fréquente et de diagnostic souvent tardif, dans un contexte de dyspareunie et d’infertilité. Son traitement est médicochirurgical. L’adénomyose, apparaît chez des femmes multipares au-delà de 40 ans. La pathologie fibromateuse, entraîne des douleurs à type de pesanteurs pelviennes ou de douleurs vives si remaniement histologique. Le stérilet peut être en cause, en rapport avec une infection pelvienne ou une mauvaise insertion utérine. Les sténoses cervicales totales ou partielles après la conisation du col sont à l’origine de la gêne de l’évacuation des règles.
Recommandations de pratiques cliniques pour la prise en charge de la dysménorrhée Tableau 2 Diagnostic différentiel de dysménorrhée primaire [17]. Dysménorrhée secondaire
Autres causes de douleur
Apparition soudaine de dysménorrhée
Endométriose Adénomyose Myomes utérins Polypes endométriaux Sténose cervicale Malformations obstruant le tractus génital Syndrome inflammatoire pelvien chronique Adhérences pelviennes Syndrome du côlon irritable Affection abdominale inflammatoire Cystite interstitielle Syndrome inflammatoire pelvien Avortement spontané ou grossesse ectopique méconnue
Prise en charge médicamenteuse
Recommandation #9 — Accord professionnel fort Devant un tableau de dysménorrhée primaire essentielle, et en l’absence de contre-indications, un AINS doit être proposé en 1re intention, dès l’apparition des premiers symptômes des règles, pendant 2 à 3 jours.
Les femmes présentant une dysménorrhée primaire devraient se voir prescrire des AINS à titre de traitement de première intention pour le soulagement de la douleur et l’amélioration de la capacité à entreprendre les activités de la vie quotidienne (sauf si l’utilisation de ces AINS est contre-indiquée dans leur cas) [12]. Les études comparatives disponibles ne permettent pas de conclure à la supériorité d’un AINS en particulier [13]. En revanche, s’il faut en choisir un, il est préférable de prescrire un générique comme l’ibuprofène 400 mg 4 fois par jour, le naproxène 275 mg 4 fois par jour, le kétoprofène 50 mg 3 fois par jour, ou encore l’acide méfénamique 250—500 mg 4 fois par jour. Dans tous les cas, il convient d’être attentif au risque d’effets indésirables des AINS, tels que l’ulcération et l’hémorragie gastro-intestinales. Il est important que les femmes prenant des AINS soient avisées de la nécessité de les prendre avant les règles, et pendant les repas [13]. Un traitement par un AINS doit être régulier de deux à trois jours, administré de préférence un à deux jours avant les menstruations [13]. Les AINS ont été significativement plus efficaces que le paracétamol et le placebo, leur mécanisme d’action étant double par leur action anti-prostaglandine au niveau de l’endomètre, et par action directe sur le système nerveux central [13].
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Recommandation #10 — Accord professionnel relatif En cas de contre-indication ou d’efficacité insuffisante des AINS chez une jeune femme ayant terminé sa croissance, un œstroprogestatif oral minidosé est recommandé en cycles continus ou séquentiels. Ce traitement hormonal peut être proposé en 1re intention en cas de souhait d’une contraception chez une jeune femme de plus de 18 ans.
Recommandation #11 — Accord professionnel relatif En cas de contrôle insuffisant de la douleur, un œstroprogestatif peut être administré en cycles prolongés pendant 9 semaines consécutives suivies d’une semaine d’interruption.
Les contraceptifs oraux (en cycles mensuels ou en cycles prolongés) sont une autre possibilité en cas d’efficacité insuffisante ou de contre-indication aux anti-inflammatoires non stéroïdiens. Si la femme souhaite une contraception, ils peuvent même devenir le traitement de première intention [12]. Récemment, une étude randomisée contrôlée par placebo a montré une diminution significative de la douleur et de l’utilisation d’analgésiques chez les femmes prenant un contraceptif oral à base de 0,02 mg d’éthinylestradiol et de 0,1 mg de lévonorgestrel [14]. En cas de contrôle insuffisant de la douleur, les œstroprogestatifs peuvent être administrés en cycles prolongés (c’est-à-dire pendant 9 semaines consécutives suivies d’une semaine d’interruption) dans le but de diminuer la fréquence des menstruations. Afin de ne pas interférer avec la maturation de l’axe hypothalamohypophysaire, il paraît prudent d’attendre 2 ans après la ménarche avant d’instaurer une contraception orale [15]. Il a été démontré que Depo—Provera et Mirena s’avéraient efficaces dans la prise en charge de la dysménorrhée. Ils peuvent donc être envisagés à titre d’options de traitement dans la prise en charge de la dysménorrhée primaire [12]. Il est important de souligner que plusieurs patientes qui affirment que les contraceptifs oraux sont inefficaces ne les ont pas utilisés assez longtemps pour en tirer l’effet maximal en matière de soulagement de la douleur [14].
Prise en charge non médicamenteuse et aspects psychosociaux
Recommandation # 12 — Accord professionnel relatif L’évaluation et la prise en charge psychosociale est souhaitable chez toute patiente présentant une dysménorrhée essentielle associée à un état de stress.
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Recommandation #13 — Accord professionnel relatif La pratique d’une activité physique et/ou sportive a des effets bénéfiques sur les dysménorrhées essentielles et doit systématiquement être recommandée.
Les mesures non médicamenteuses sont importantes en Afrique au vu de la difficulté d’accès aux médicaments, l’insuffisance du pouvoir d’achat, la disponibilité des plantes médicinales et l’ampleur des faux médicaments. La stimulation nerveuse électrique transcutanée, la réduction du stress, les exercices physiques, l’utilisation de plantes médicinales et la formation dans les écoles sont des mesures qui méritent d’être discutées dans le contexte africain. La réduction du stress peut être considérée comme une stratégie de prévention possible pour réduire la survenue de la dysménorrhée, le stress pouvant être à l’origine de contractions utérines [16]. Les exercices physiques doivent également être encouragés pour diminuer la symptomatologie des dysménorrhées [7]. Contrairement à la stimulation nerveuse électrique transcutanée (TENS) à basse fréquence, la TENS à haute fréquence offre un soulagement de la douleur occasionnée par la dysménorrhée plus efficace que le placebo. Elle peut donc être considérée comme un traitement supplémentaire pour les femmes qui ne peuvent tolérer la médication, et est recommandée par la SOGC [17]. En revanche, l’indisponibilité de ce traitement dans la plupart des centres de soins en Afrique ne nous permet pas de le considérer comme une alternative valable.
B. Chanoufi et al.
État des connaissances actuelles sur le sujet • La prévalence des dysménorrhées est élevée dans les pays africains; • absence de consensus sur la prise en charge des dysménorrhées en Afrique.
Contribution de notre étude à la connaissance • État des lieux sur les données épidémiologiques en Afrique; • recommandations sur la prise en charge de la dysménorrhée, adaptées aux conditions en Afrique (en fonction de la disponibilité des traitements et de l’accès aux soins).
Contribution des auteurs Tous les auteurs ont contribué à la conduite de ce travail. Tous les auteurs déclarent également avoir lu et approuvé la version finale du manuscrit.
Remerciements Ces travaux ont été réalisés avec le soutien institutionnel de Sanofi—Aventis Groupe.
Déclaration de liens d’intérêts Recommandation # 14 — Accord professionnel relatif Compte-tenu de l’impact physique et social des dysménorrhées essentielles et de l’absentéisme qui en découle, une approche spécifique devrait être mise en place par les services de santé scolaires.
Les services de santé dans les écoles devraient prioriser des mesures pour atténuer l’impact social et physique des troubles menstruels chez les jeunes femmes au vu du nombre significativement élevé des manquements aux activités scolaires et sociales [18—21]. Les infirmières ont un rôle prépondérant dans cette démarche de conseil et de prise en charge [22].
Conclusion La dysménorrhée est une pathologie difficile à maîtriser rendant sa prise en charge disparate malgré quelques recommandations émises dans les pays développés. Les recommandations africaines de la prise en charge de la dysménorrhée cadrent bien avec la réalité locale et les contraintes budgétaires, permettant l’homogénéisation de la pratique médicale dans ce domaine.
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
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