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Réparation cellulaire : casser la voie
doi : 10.1684/bdc.2011.1331
Pour citer cet article : Piedbois P. Réparation cellulaire : casser la voie. Bull Cancer 2011 ; 98 : 225-226. doi : 10.1684/bdc.2011.1331.
L’idée n’est pas neuve : administrer des agents anticancéreux capables de provoquer des lésions de l’ADN qui conduisent à la mort cellulaire. Et les moyens inventés au cours du siècle dernier sont nombreux et variés, allant de la radiothérapie sous toutes ses formes aux taxanes, en passant par les anthracyclines ou les différents sels de platine. Pour autant, nous savons bien que cette stratégie, si elle a permis des avancées certaines, est souvent mise à défaut, en particulier parce que les cellules, qu’elles soient normales ou cancéreuses, disposent de mécanismes de réparation complexes et souvent très efficaces. Ce qui a considérablement évolué ces dernières années, et qui permet d’envisager le futur avec espoir, c’est à la fois notre compréhension des mécanismes de la réparation et la recherche de thérapeutiques tirant spécifiquement partie de ces anomalies. Il était dès lors devenu légitime que le Bulletin du cancer présente un état des connaissances sur ce domaine en pleine accélération. Sans prétendre à l’exhaustivité, et avec un souci constant d’éviter l’hyperspécialisation, ce numéro porte ainsi à la connaissance du lecteur l’essentiel de ce qu’il faut savoir en 2011 sur cette question. Les défauts de réparation ont beaucoup été étudiés en radiothérapie, tant il est apparu rapidement que la radiosensibilité intrinsèque d’un cancer dépendait au premier chef de l’intégrité des systèmes de détection et de réparation des lésions de l’ADN tels PARP-1, XRCC1, ATM, p53, le complexe MRN ou BRCA1. À partir d’un recensement des syndromes génétiques majeurs associés à la radiosensibilité et la prédisposition au cancer, on comprendra mieux les grandes étapes des principaux Bull Cancer vol. 98 • N◦ 3 • mars 2011
mécanismes de réparation. Mais il est devenu essentiel d’étudier cette réparation au niveau fonctionnel, et le lecteur verra que sont parfois impliqués non seulement des défauts classiques de réparation, mais aussi des anomalies de la signalisation. Une illustration de l’importance de la réparation cellulaire comme facteur de carcinogenèse est fournie par les leucémies aiguës myéloïdes induites (LAM-t). Le polymorphisme des différents mécanismes de la réparation de l’ADN joue certainement un rôle clé dans la détermination du niveau de risque leucémogène. Mais les anomalies de la réparation jouent également un rôle clé dans de nombreuses tumeurs solides. Le syndrome HNPCC (Hereditary Non Polyposis Colorectal Cancer) ou syndrome de Lynch, est un des exemples les mieux connus. Constituant la forme la plus fréquente de cancer colorectal héréditaire, il implique des gènes clés du système MMR (MisMatch Repair) qui participent à la réparation des mésappariements de l’ADN. Les tumeurs se caractérisent par une instabilité de séquences nucléotidiques d’ADN, appelées microsatellites, et la facilité avec laquelle ces séquences peuvent être le siège de mutation définit le degré d’instabilité microsatellitaire. On sait aujourd’hui que le syndrome HNPCC est associé non seulement à une augmentation significative du risque de survenue de cancer colorectal, mais également de cancer de l’endomètre, des voies excrétrices urinaires et de l’intestin grêle (spectre tumoral étroit) et de fac¸on moins importante de cancer de l’ovaire, des voies biliaires et de l’estomac (spectre tumoral large). Ces connaissances ont des implications importantes dans la prise en charge, notamment chirurgicale, et la surveillance des malades atteints.
Pascal Piedbois Directeur médical, AstraZeneca
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D’autres exemples sont apparus ces dernières années et ont permis de mieux mesurer l’importance de la réparation, à la fois dans la carcinogenèse et pour les possibilités thérapeutiques théoriques offertes. Ainsi, les PARPs (Poly[ADP-ribose] Polymérases) jouent un rôle clé dans la poly(ADP-ribosyl)ation, modification post-traductionnelle de protéines nucléaires. Ce système permet la détection de cassures d’ADN et restaure l’intégrité génomique. Le développement d’inhibiteurs de PARPs, interférant avec les capacités de réparation apparaît comme une voie de recherche logique en monothérapie ou en combinaison, en particulier pour certaines formes de cancer du sein ou de cancer de l’ovaire. Ces développements vont nécessairement conduire à une évolution de nos pratiques et à l’identification de biomarqueurs qui sont en passe d’entrer dans la routine, en premier lieu à visée pronostique, mais bientôt à visée prédictive. Il en va ainsi de la détermination du statut MGMT, devenu incontournable lors de la mise en place de nouveaux essais thérapeutiques dans les gliomes, et qui commence à être utilisée dans la pratique quotidienne. On a là un facteur prédictif de réponse au traitement standard des glioblastomes par radiothérapie et témozolomide (TMZ), qui peut s’expliquer par le rôle de l’enzyme de réparation MGMT contrecarrant l’action des agents alkylants, et l’on sait d’autre part que
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la méthylation du promoteur MGMT est un facteur pronostique dans les gliomes anaplasiques. Pour le cancer bronchique non à petites cellules également, il a été montré que certains marqueurs spécifiques de voies de réparation pouvaient guider des choix thérapeutiques, comme l’expression de la protéine ERCC1 et la réponse au cisplatine. Un concept intéressant émerge de ces travaux : en modulant pharmacologiquement les voies de réparation de l’ADN, ne pourrait-on pas augmenter significativement l’efficacité thérapeutique de certains anticancéreux ? À la lecture de ce numéro du Bulletin du cancer, on verra que la réalité est bien entendu complexe : les réparations de l’ADN n’empruntent pas une voie unique, qu’il suffirait de casser pour précipiter une cellule malade vers la mort, mais mettent en œuvre une grande variété de mécanismes adaptés à chaque type de lésion. De plus, si des défauts de réparation peuvent conduire à la mort cellulaire, ils peuvent aussi eux-mêmes participer à la carcinogenèse. Cependant, le lecteur trouvera ici un exposé clair et illustré par l’exemple de ce qu’il faut savoir de ce phénomène central, en même temps qu’une source de réflexion et d’idées pour de futurs développements. Conflits d’intérêts : P. Piedbois est directeur médical au sein des laboratoires AstraZeneca.
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