Table ronde Deuil en pédiatrie
Repères et outils pour un enfant en deuil C. Séjourné Psychologue – Formatrice, spécialisée dans l’accompagnement en fin de vie et au deuil. Chargée de mission sur le projet « Accompagner le deuil en milieu scolaire : des ressources pour les professionnels » mené par le CNDR SP et la Fondation de France
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ous vous proposons à suivre quelques repères pour vous aider à mieux prendre en charge vos patients en deuil et mieux conseiller leurs parents.
1. Annoncer sans tarder Lorsque la mort survient dans sa famille, l’enfant sent bien qu’il se passe quelque chose autour de lui, qui sort de l’ordinaire, génère du désordre et du chagrin. Différer ou taire l’annonce, c’est prendre le risque qu’il s’invente des scenarii souvent bien pires que la réalité et qu’il apprenne la vérité plus tard – seul et brutalement – sans adulte bienveillant à ses côtés pour amortir le choc de la nouvelle. Lui mentir, c’est aussi entamer sa confiance dans les adultes qui l’entourent et générer chez lui un sentiment très tenace de trahison.
2. Parler à hauteur d’enfant Les adultes ont une représentation de la mort, de son universalité, de sa radicalité qui vient teinter de gravité leur discours et renforcer leur appréhension à parler de la mort. L’enfant, lui, aborde la mort avec un autre regard, empreint de croyances infantiles, de pensée magique et de curiosité. Il importe donc de lui parler à hauteur d’enfant, c’est-à-dire en tenant compte de sa représentation de la mort en fonction de son âge et en utilisant un langage simple et adapté. Parce que les enfants prennent tout au pied de la lettre, il faut par exemple éviter toute métaphore ou tout euphémisme, sources de beaucoup d’interprétations erronées. Il convient déjà tout simplement d’utiliser le mot mort (et non « il est parti », « nous l’avons perdu », « il s’est endormi pour toujours », « il est avec le père Noël »…), lui demander ce que cela veut dire pour lui et compléter (« quand on est mort : on ne bouge plus, on ne respire plus, on ne souffre plus… »), en écho aux questions qu’il pose : « Comment elle fait pour respirer maman dans la boîte sous la terre, elle ne s’étouffe pas ? ». En ne devançant pas les questions des enfants, en les laissant les poser à leur rythme et en y répondant sans tabou ni faux-semblant, on instaure un climat de confiance et de respect qui sécurise l’enfant et contient son angoisse.
3. Trouver un équilibre entre ne rien dire et tout dire S’il est délétère de mentir à un enfant, il ne s’agit pas pour autant d’être dans une dictature de la vérité en lui assénant une réalité douloureuse et brutale au travers de détails ou d’explications qui ne seraient pas adaptés à son âge. C’est souvent le prétexte invoqué pour ne pas dire. Pourtant, s’il n’est nul besoin de préciser à un enfant que son père a eu la tête arrachée dans l’accident, il est essentiel de lui dire que son père est mort dans un accident le matin même.
4. Accepter de dire « je ne sais pas » Si la réponse est délicate à donner (en cas de suicide par exemple), si on n’a pas de réponse – comme sur la vie après la mort – ou si on est trop submergé par sa souffrance, il ne faut pas hésiter à conseiller aux proches de répondre « je ne sais pas », « je suis trop triste maintenant mais je t’expliquerai plus tard ».
5. Accueillir et décrypter la culpabilité de l’enfant sans la nier d’emblée L’enfant se sent coupable de la mort de l’autre. La pensée magique est à l’œuvre : c’est peut-être parce qu’il n’a pas été assez affectueux, sage, gentil, etc. que l’autre l’a abandonné. « C’est peut-être ça qui l’a tué. » nous disent-ils avec leurs mots et surtout au travers de leurs actes et de leurs maux. Leur dire qu’ils se trompent n’est pas productif car l’enfant est convaincu du contraire. Il faut plutôt repérer où se niche cette culpabilité, l’accueillir pour que l’enfant la partage et la répète jusqu’à ce que celle-ci se vide de sens. Si cette culpabilité n’est pas mise à jour et entendue, alors sournoisement elle continuera à alimenter ses comportements d’autopunition, de dépréciation voire de dépression. Combien de professionnels et de parents savent la dépister derrière un eczéma, une hyperactivité, des accidents à répétition… ? Qui fait le lien avec le décès survenu il y a quelques mois, voire quelques années ?
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6. Renforcer son sentiment interne de sécurité Il est important de conseiller aux proches de mettre des mots sur chaque séparation, même la plus anodine, comme de ne pas minimiser ses pertes secondaires (changement de domicile, d’école, moindre disponibilité des parents, baisse des revenus familiaux…), mais au contraire d’essayer de les accompagner au mieux et de façon progressive.
7. Expliquer que la mort n’est pas une maladie qui s’attrape Il importe de repérer les craintes liées à leur croyance que la mort est contagieuse. « Qui va être le prochain après papa : maman, ma sœur, mon chien… ou moi ? ». L’enfant a besoin d’être rassuré, d’entendre que normalement on ne meurt que quand on est très vieux, que les autres morts surviennent par accident, quand la maladie est très grave et incurable, par suicide… et que de toutes les façons « tout le monde ne va pas mourir en même temps », et que « la mort ne s’attrape pas comme un rhume ». Le pédiatre peut jouer à ce niveau un rôle précieux : l’enfant est très attentif au statut de celui qui parle et la parole d’un médecin pourra s’avérer plus convaincante que celle d’un parent.
8. Le rassurer que si la vie continue, personne ne va oublier celui qui est mort Si la vie reprend son cours, il est important de transmettre comme message à l’enfant que l’on n’oublie pas l’autre pour autant. Rire et s’amuser, retrouver le goût de la vie n’est ni moins l’aimer ni le trahir. Au contraire, l’enfant doit être encouragé dans son travail de deuil, travail qui consiste à transformer l’absence extérieure en présence intérieure.
9. Se souvenir que l’enfant n’est pas un adulte miniature L’enfant mesure l’impact de la mort à l’aune de son univers d’enfant. « Mais alors si on change d’école parce que papa est mort, je vais perdre tous mes copains, c’est pas juste ! » Ses préoccupations souvent triviales – en contraste avec l’ampleur de l’évènement – déroutent les adultes qui jugent souvent l’enfant bien futile ou égoïste. De même, ses questions souvent très crues sur le devenir du corps les sidèrent : « Tu crois que ma maman elle est en squelette maintenant ? » Par ailleurs, l’enfant passe rapidement d’une question à une autre, des
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larmes au rire. « Le chagrin, ça vient et puis ça repart. » Il ne sert à rien d’entamer de longues discussions sur la mort comme on pourrait le faire avec un adulte, il faut plutôt saisir ses perches quand il les tend. Par ailleurs, au-delà des mots, il convient de savoir lire les manifestations de son deuil au travers de ses autres modes d’expression, souvent bien plus « parlants » : ses jeux, ses dessins, son hyperactivité, ses coups de poings, son mutisme, ses maux de ventre…Posséder alors la bonne grille de lecture, repérer et faire le lien avec le deuil qu’il traverse peut être utile au diagnostic du pédiatre.
10. Lui proposer (sans lui imposer) de participer activement aux rituels d’au revoir Lui faire choisir un objet familier du défunt qu’il pourra conserver précieusement et enfin lui proposer des supports adaptés à son âge pour l’aider à cheminer dans son deuil sont également des conseils précieux. En lisant des livres, en écoutant une chanson, en regardant un film, l’enfant peut tricoter son imagination avec celle des autres. Echanger avec d’autres enfants endeuillés, dans des groupes d’entraide par exemple ou via des forums, peut également le sortir de son isolement et le rassurer sur la « normalité » de ce qu’il ressent.
11. Que proposer et comment ? Quels outils ? À titre d’exemple, nous vous présentons le tout récent panier de ressources constitué dans le cadre du projet « Accompagner le deuil en milieu scolaire : des ressources pour les professionnels », mené conjointement par le Centre National de Ressources Soin Palliatif (CNDR SP) et la Fondation de France. Actuellement en test sur l’académie de Rouen, vous pouvez le consulter sur : http://www.ac- rouen.fr/sensibilisation- au- deuil- en- milieuscolaire-55646.kjsp?RH=REUSSITE_ELEVES. Ce panier comprend : des bibliographies thématiques à destination des professionnels, des parents et des élèves du second degré, notamment une bibliographie inédite de bandes dessinées et de mangas ; une discographie, des filmographies ; des activités à proposer aux élèves en deuil ainsi que des formations ad hoc ; des listes de guides pratiques, de sites internet, de lieux et de personnes ressources. Nous espérons que ce type de ressources qui a déjà suscité l’attention des médecins scolaires saura retenir votre intérêt. Nous vous invitons à nous faire part de vos remarques et suggestions quant à celles qui vous seraient particulièrement utiles pour une meilleure prise en charge de vos patients en deuil.