Réponse à la lettre de A. Bénichou

Réponse à la lettre de A. Bénichou

627 Lettres à la rédaction valable, une telle étude nécessiterait un groupe témoin sans consultation ! Cependant, alors qu’à ma connaissance aucune ...

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valable, une telle étude nécessiterait un groupe témoin sans consultation ! Cependant, alors qu’à ma connaissance aucune étude épidémiologique n’a pu démontrer une réduction de la mortalité ou de la morbidité grâce au monitorage peropératoire de la SpO2, quel anesthésiste songerait à se passer de la surveillance de ce paramètre ! Le fait que les médecins anesthésistes ne soient pas des psychologues n’est pas rédhibitoire, sinon il faudrait renier toutes les consultations médicales (et chirurgicales) qui sont faites par des praticiens ni plus ni moins psychologues que les anesthésistes. Quant à l’information sur l’anesthésie, qui d’autre que l’anesthésiste peut la donner ? Elle est même l’un des buts principaux de cette consultation. Bénichou me répondra qu’elle peut être donnée lors de la visite préanesthésique et avec des résultats similaires quant à l’anxiété du patient si l’on en croit les données de la littérature. Cela dit les travaux cités pour défendre cette thèse sont ni plus ni moins critiquables que ceux auxquels faisait référence l’éditorial [1]. Le problème majeur reste le temps à consacrer pour interroger, examiner et informer, sachant que les accidents anesthésiques graves surviennent volontiers chez des patients ASA 1 pris en charge pour un geste bénin. Que ce temps soit consacré au patient le jour même ou la veille de l’anesthésie, plusieurs jours avant, directement ou au téléphone, change-t-il vraiment les données du problème ? Et si l’on considère la « performance » de l’anesthésiste : est-elle meilleure lorsqu’il voit les malades en visite préanesthésique que lorsqu’il consulte ? Enfin, s’il est vrai que dans les établissements privés, les malades sont plus exigeants sur la « personnalisation de l’anesthésie », rien ne s’oppose à ce qu’ils prennent rendezvous le jour où l’anesthésiste de leur choix assure les consultations. La proposition de limiter la consultation d’anesthésie « aux patients qui le nécessitent vraiment » est plus simple à énoncer qu’à réaliser [2]. Qui va faire la sélection ? Certainement pas le chirurgien, sous peine de retourner à la case départ. Un tri effectué par l’anesthésiste lors d’un entretien téléphonique (voire par internet) à partir d’un questionnaire permettrait certainement « d’éviter » un certain nombre de consultations, mais ne dispenserait pas de l’examen ni de l’information du patient lors de la visite préanesthésique. En somme ne serait-il pas préférable, plutôt que de limiter le temps consacré à la prise

en charge des malades, que ce soit lors des consultations ou des anesthésies, de réduire le nombre d’anesthésies générales pour des gestes qui pourraient être réalisés sous anesthésie locale ? Je sais que cette proposition est, elle aussi, provocatrice... mais pouvons-nous actuellement allier qualité et quantité ? RE´ FE´ RENCES 1 Bricard H. De la consultation d’anesthésie... Ann Fr Anesth Réanim 1999 ; 12 : 829-30. 2 Bénichou A. Vous avez dit « Détracteurs ». Ann Fr Anesth Réanim 2000 ; 19 : 564-6. Ann Fr Anesth Réanim 2000 ; 19 : 626–7

Réponse à la lettre de A. Bénichou R. Dorne Département d’anesthésie-réanimation, CH Saint-Joseph et Saint-Luc, 9, rue du Pr-Grignard, 69365 Lyon cedex 07, France

A. Bénichou, dont nul ne songerait à contester l’engagement dans la lutte pour la sécurité en anesthésie, pose, dans sa lettre à la rédaction [1], des questions dont l’importance pour la pratique anesthésique n’échappe à personne. Néanmoins, les arguments qu’il développe ne nous semblent pas tout à fait exacts et les solutions qu’il laisse entrevoir ont des conséquences sérieuses, puisqu’il s’agit rien de moins que de supprimer dans certaines conditions la consultation d’anesthésie à distance de l’opération projetée. Examinons-en les différents aspects. 1) Aspect médical : l’auteur suggère de ne pas réaliser la consultation pour certains patients sans facteur de risque (comment le savoir avant de les avoir vu ?), ou programmés pour une chirurgie sans risque majeur (peut-on vraiment en être sûr ?). L’auteur cite à l’appui de sa démonstration trois circonstances pour lesquelles une consultation préalable n’aurait d’après lui rien changé : l’affaire Farçat, celle de Poitiers, et une troisième, plus récente, où la vie d’un de nos ministres en exercice s’est trouvée mise en péril. Or, cette série d’accidents dramatiques n’a, à notre sens, absolument rien à voir avec l’utilité ou non d’une consultation d’anesthésie. L’argumentation de l’auteur reviendrait à faire dire à une commission d’enquête sur une catastrophe aérienne que l’inspec-

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tion avant le vol de l’appareil n’avait servi à rien, puisqu’il avait percuté une montagne ! Comme chacun le sait, les deux premières affaires ont montré à tout le moins des manquements ou des négligences humaines graves, tandis que la dernière serait a contrario un argument de poids en faveur d’une consultation d’anesthésie approfondie à la recherche d’une possible allergie. Peut-on, comme le suggère l’auteur, se reposer sur le chirurgien pour dépister les malades à haut risque anesthésique ? Certainement pas : pourrions-nous nous substituer à lui pour prévoir les difficultés de la technique chirurgicale ? Sa responsabilité pourrait-elle se substituer à la nôtre si, notre confrère et partenaire n’ayant pas remarqué une difficulté anesthésique prévisible, nous nous trouvions de ce fait confrontés à un accident lié à notre propre technique ? Évidemment non. 2) Aspect éthique : la simple visite avant l’intervention suffirait-elle ? Comme nous le savons, le devoir d’information et la production de la preuve de cette dernière s’impose désormais à tout médecin. C’est la base du consentement libre et éclairé. Le Conseil de l’Ordre a nettement pris parti sur ce sujet …la veille de l’intervention, le consentement n’est plus réellement libre (…) un questionnaire (…) ne peut en aucun cas tenir lieu de consultation anesthésique [2]. Enfin, si la seule visite préopératoire est réalisée, et qu’elle met en évidence, dans les heures qui précèdent l’intervention, une contre-indication, est-ce éthique d’annoncer au malade au dernier moment qu’on ne pourra pas l’opérer comme prévu ? Son anxiété ne va-t-elle pas s’en trouver accrue ? Une étude a d’ailleurs montré le bénéfice de la consultation d’anesthésie sur la durée de l’hospitalisation préopératoire et le nombre de reports d’interventions dans un CHU [3]. 3) Aspect organisationnel : rien n’empêche que la consultation d’anesthésie soit structurée pour gagner un temps précieux. Un questionnaire peut être envoyé au patient et pourquoi ne pas utiliser, en effet, sous certaines conditions respectant le secret médical, fax, téléphone ou même internet ? Certaines données, préalablement recueillies par l’infirmière ou mesurées par des appareils automatiques, peuvent être utilement inscrites à l’avance sur la feuille d’anesthésie (âge, poids, taille, bilan biologique éventuel, traitements reçus, ECG, pression artérielle, pouls, SpO2, etc.). La consultation de certains patients ASA 1 ou 2, dans ces conditions, peut effectivement être brève.

Enfin, comme le souhaite l’auteur, la consultation devrait idéalement être réalisée par le médecin qui effectuera l’acte anesthésique. Mais qui se soucie actuellement de ce principe dans la programmation des blocs opératoires ? Dans combien d’établissements cela est-il établi comme un élément valorisant ? Combien y a-t-il de chirurgiens prêts à modifier la date et l’heure d’une intervention qu’ils ont prévue pour que l’anesthésiste qui a fait la consultation puisse intervenir ? En quoi cela met-il en cause l’utilité de la consultation ? 4) Conditions de travail : nous sommes d’accord avec l’auteur lorsqu’il affirme que l’anesthésiste ne peut plus assumer un cahier des charges de plus en plus lourd. On a décrit ailleurs la pénurie, actuelle (ou très prochaine) en médecins anesthésistesréanimateurs [4]. Mais une situation de pénurie doitelle nous conduire à abandonner un élément de la sécurité en anesthésie pour laquelle beaucoup ont, avec la Sfar, si âprement lutté ? Comme le souligne Bénichou, les anesthésistes ne sont pas là pour pallier les insuffisances dans l’organisation des hôpitaux. Mais on ne peut laisser écrire sans réagir que faute d’effectifs, dans de nombreux établissements, le médecin anesthésiste est remplacé au bloc opératoire par un infirmier anesthésiste. L’anesthésie reste, jusqu’à preuve du contraire, ou prise de position contraire des pouvoirs publics, un acte médical, et en tout cas la justice la considère comme telle et la Sfar l’a récemment rappelé [5]. Si les faits rapportés par l’auteur sont réels, c’est que la situation est grave et il faut que les autorités compétentes prennent au plus vite leurs responsabilités. On a vu récemment un Ministre Délégué à la Santé se déplacer personnellement pour traiter tel problème chirurgical ou obstétrical, on a pris, il y a peu, des mesures très coûteuses dans le domaine de la transfusion, contre l’avis des experts, au nom du principe de précaution, et on laisserait sans sourcilier démédicaliser l’anesthésie parce qu’il n’y a plus assez de médecins pour assurer les programmes opératoires ? Bénichou a été un des membres influents du groupe de rédaction des premières recommandations de la Sfar de 1989 [6]. Il n’ignore pas ce qu’a coûté en temps et en investissement le développement d’une anesthésie de qualité pour le plus grand nombre (près de 8 millions d’anesthésies en 1996). Notre spécialité assume de trop nombreuses tâches, gardes et astreintes dans l’organisation hospitalière actuelle. Il

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faut sans doute qu’elle se désengage de certaines d’entres elles, mais évitons de rejeter aujourd’hui ce qui a été et reste à notre avis un des éléments essentiel de la sécurité en anesthésie. RE´ FE´ RENCES 1 Bénichou A. Vous avez dit « détracteurs ». Ann Fr Anesth Réanim 2000 ; 19 : 564-6. 2 Ordre National des Médecins, Conseil National de l’Ordre, Recommandations concernant les relations entre anesthésistesréanimateurs, chirurgiens et autres spécialistes ou professionnels de santé. Édition mai 1994.

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3 Blanc-Jouvan M, Mercatello A, Long D, Benoit MP, Khadraoui M, Nemoz C, et al. Intérêt de la consultation d’anesthésie par rapport à la seule visite préanesthésique. Ann Fr Anesth Réanim 1999 ; 18 : 843-7. 4 Nicolas G, Duret M. Rapport sur l’adéquation entre les besoins hospitaliers en anesthésie réanimation, gynécologie obstétrique, psychiatrie et radiologie. Ann Fr Anesth Réanim 1998 ; 17 : fi53i67. 5 Société française d’anesthésie et de réanimation. Communiqué des 13 et 23 mai 2000http ://www.sfar.org/communiqueiade.html. 6 Société française d’anesthésie et de réanimation. Recommandations concernant la surveillance des patients en cours d’anesthésie. Mars 1990, 2e édition, janvier 1994. Ann Fr Anesth Réanim 2000 ; 19 : 627–9