© Masson, Paris
CAS CLINIQUE
Ann Fr Anesth Réanim, 1995 ; 14 : 222-224
Rupture bronchique bilatérale : problèmes de prise en charge ventilatoire Bilateral bronchial rupture : respiratory management F. SZTARK*, M. THICOÎPÉ*, J.F. FAVAREL-GARRIGUES*, J.F. VELLY**, P. LASSIÉ* • Département des Urgences (Service du pt P. Dabadie), •• Service de Chirurgie Thoracique (Service du pt L. Couraud), H6pital Pellegrin CHU, 33076 Bordeaux Cedex
RÉSUMÉ : Les auteurs rapportent l'observation d'une rupture bronchique bilatérale post-traumatique chez un polytraumatisé âgé de 39 ans. Lon de la thoracotomie droite pour rupture de la bronche souche droite, une rupture partieUe de la bronche souche gauche a été mise en évidence, du fait de la détérioration rapide de la fonction respiratoire Ion de l'intubation sélective à gauche. Cette situation exceptionnelle doit être connue, car les conséquences ventilatoires peropératoires peuvent devenir dramatiques. Les moyens d'y faire face sont rappelés.
OBSERVATION
En traumatologie, la rupture bronchique reste rare (1 à 3 %) [1, 2]. Elle se rencontre le plus souvent après des accidents à haute vélocité [3]. La gravité de ces lésions est considérable. La mortalité préhospitalière atteint près de 30 % [4] et les associations lésionnelles sont fréquentes. La double rupture bronchique droite et gauche est exceptionnelle et, le plus souvent, létale d'emblée en raison des difficultés ventilatoires incontrôlables [5]. L'observation rapportée ici décrit un cas de rupture bronchique bilatérale opérée en urgence pour une rupture à droite et aborde les problèmes ventilatoires majeurs posés par la découverte peropératoire de la rupture bronchique gauche.
Un homme de 39 ans, sans antécédents médicaux, a été victime d'un accident de la voie publique à moto. Au Centre Hospitalier Général, le bilan initial a révélé un polytraumatisme associant un traumatisme crânien avec perte de conscience initiale transitoire, sans lésion osseuse visible sur les radiographies du crâne, un traumatisme facial avec plaies multiples et fracture mandibulaire, un traumatisme abdominal responsable d'une contracture diffuse, et surtout un traumatisme thoracique grave avec fracture de la première côte droite, emphysème souscutané cervicothoracique et pneumothorax droit qui a été immédiatement drainé. Il existait une détresse respiratoire avec hypoxémie, imposant une ventilation mécanique après intubation trachéale. L'état hémodynamique était stable. Compte tenu d'un état ventilatoire préoccupant et nécessitant des investigations spécialisées, il a été transféré dans le Département des Urgences du Centre Hospitalier Universitaire, par transport héliporté. A son arrivée, quatre heures plus tard, il était sous ventilation mécanique, avec une Fi02 à 0,8 avec un emphysème majeur, allant des paupières aux chevilles, associé à un pneumothorax gauche qui a été immédiatement drainé. Les aspirations trachéobronchiques ramenaient du sang. Le bilan radiologique ne montrait pas de lésion osseuse. L'examen tomodensitométrique cérébral et abdominal était normal. La tomodensitométrie thoracique a confirmé la présence d'un hémopneumothorax bilatéral drainé. Il persistait une fuite d'air permanente au niveau des deux drains, mais avec régression de l'emphysème et amélioration de l'état gazométrique (Pa02 normale sous Fi02 = 0,6), et radiologique. Sous sédation (midazolam, fentanyl), la ventilation mécanique était poursuivie et l'état cardiorespiratoire restait parfaitement
Reçu le 9 novembre 1994, accepté après révision le 30 janvier 1995.
Tirés il part: F. Sztark.
Mots-clés : Traumatisme: polytraumatisé, thoracique; Voies aériennes: bronches. ABSTRAeT : The authon report the case of bilateral bronchial rupture in a 39-year-old multiple trauma patient. During the thoracotomy for right main bronchus repair, a partial left bronchial rupture was recognized because of severe hypoxaemia after left selective intubation. Key-words : Thorax trauma; Bronchus rupture.
INTRODUCTION
RUPTURE BRONCHIQUE
stable. Une bronchoscopie a été réalisée 20 heures après l'accident. Elle a montré une désinsertion complète de la bronche souche droite; il n'existait pas de lésion visible à l'origine de la bronche souche gauche. La décision de thoracotomie droite a été prise immédiatement. La sonde d'intubation a été remplacée par une sonde sélective gauche (Robertshaw 37). L'ouverture rapide du médiastin a trouvé une désinsertion complète de l'origine de la bronche souche droite. Les paramètres respiratoires du patient se sont dégradés progressivement. L'exploration a montré des fuites aériques par le médiastin. La dissection médiastinale, entre la bronche souche gauche et l'œsophage, a mis en évidence une plaie longitudinale de la membrane postérieure de la bronche souche gauche. Le maintien d'une ventilation adaptée, avec amélioration de l'hématose, n'a été possible qu'en obstruant les orifices de rupture aVec des compresses. Une suture par trois points était rapidement réalisée sur la bronche souche gauche rétablissant ainsi une ventilation efficace du poumon gauche. Il a été alors possible de réimplanter la bronche souche droite, après avivement des berges, dans de bonnes conditions respiratoires. Le contrôle fibroscopique peropératoire a été satisfaiSant à droite. Il semblait exister un défaut de suture à gauche, ne justifiant pas une reprise chirurgicale. En phase postopératoire, l'amélioration respiratoire a été notable, tant clinique que gazométrique. L'emphysème a régressé progressivement et la fuite d'air par les drains à droite a cessé rapidement. Les fuites aériques, à gauche, ont persisté quatre jours. Le sevrage du respirateur s'est avéré difficile et l'extubation n'a été possible qu'au 14e jour. L'évolution fonctionnelle a nécessité une kinésithérapie respiratoire intense. Le retour à domicile a été possible au 2s e jour. Le contrôle endoscopique au 60 e jour a montré un calibre trachéal et bronchique tout à fait normal. Il existait trois petits granulomes sur la face postéro-interne de la bronche souche droite, ne justifiant pas un geste de photocoagulation par laser. Cliniquement, l'état respiratoire était parfait et aucune séquelle n'a été constatée. DISCUSSION
Une rupture bronchique doit être envisagée devant tout traumatisme thoracique comportant un emphysème médiastinal et/ou sous-cutané, un pneumothorax unilatéral voire bilatéral, ou une hémoPtysie [6, 7]. Le diagnostic peut être difficile et souvent retardé [8]. Il est confirmé par la fibroscopie réalisée, systématiquement et le plus tôt possible en cas de signes d'appel [2], par un praticien expérimenté [3, 9]. La chirurgie précoce des ruptures bronchiques d.onne les meilleurs résultats [3] en réalisant, si possIble, un traitement conservateur par suture bron-
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chique [10]. La rupture est située le plus souvent sur les bronches souches, à 2,5 cm de la carène [2, 7], et prédomine sur la bronche souche droite [3, 4]. Les ruptures complexes ou associées sont exceptionnelles (8 % de l'ensemble des ruptures bronchiques) et posent le plus souvent des problèmes ventilatoires majeurs [5, 11]. La prise en charge initiale associe presque toujours une intubation endotrachéale avec ventilation contrôlée (VC) et drainage pleural aspiratif. La persistance d'une fuite aérique continue doit conduire à l'exploration endoscopique. La collaboration entre chirurgien et anesthésiste-réanimateur est essentielle [5, 12]. Lors d'une rupture bronchique droite ou gauche, la mise en place d'une sonde à double lumière est indispensable. Elle permet d'exclure la bronche lésée et le poumon concerné. Ce geste rend possible une réparation chirurgicale dans d'excellentes conditions [10]. Ces sondes endotrachéales à double lumière permettent une ventilation indépendante de chaque poumon, avec possibilité d'une pression positive (PEP) et protègent le poumon controlatéral de la contamination de sang ou de sécrétions, en cours d'intervention. Leur tolérance est bonne et leur utilisation dépend du côté de la rupture. La sonde à simple lumière, souvent déjà en place à l'admission en salle d'opération, peut être poussée dans la bronche souche opposée à la rupture avec l'aide du fibroscope [13] et permet une ventilation efficace. La jet ventilation à haute fréquence globale a été recommandée par certains, mais n'est pas toujours utilisable en cas de rupture bronchique [5, 14]. Toutefois, l'utilisation de la jet ventilation distale (au delà de la rupture) permet de réaliser les sutures bronchiques dans de meilleures conditions. Dans cette observation, la sonde à double lumière mise en place pour la ventilation du poumon gauche n'a pas permis une ventilation efficace, du fait de la rupture bronchique gauche. Une coordination étroite entre chirurgien et anesthésiste-réanimateur a permis de contrôler la situation grâce à l'occlusion répétée de la rupture gauche avec des compresses et la suture concomitante de la bronche souche gauche, sous surveillance des paramètres ventilatoires. Un cas semblable de rupture, nécessitant un contrôle manuel intermittent pendant la réparation et permettant la ventilation peropératoire a été décrit [15]. Lors de ruptures bronchiques complexes, certains proposent la mise en place d'une circulation extracorporelle pour la réparation chirurgicale, en raison du risque de détresse respiratoire. Les avantages doivent être discutés par rapport aux risques de l'héparinisation chez les traumatisés ayant très souvent des lésions associées [5]. Dans deux cas, la circulation extracorporelle avec anticoagulation n'a pas entraîné de complications majeures. Une observation récente [16] a décrit le recours à un shunt veinoveineux chez une femme de 18 ans atteinte d'un SDRA, pour qui la découverte au 3e jour d'une rup-
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ture bronchique gauche complète a imposé une réparation chirurgicale en urgence. La circulation extracorporelle a été supprimée au bout de 69 heures et l'évolution ultérieure a été favorable. CONCLUSION
Les ruptures bronchiques sont rares. Leur confirmation endoscopique indique la chirurgie précoce. Une sonde à double lumière et une ventilation conventionnelle sont habituellement utilisées. Lors de certaines ruptures complexes ou chez certains traumatisés avec un état cardiorespiratoire précaire, les méthodes de contrôle ventilatoire doivent être discutées avant l'intervention. La ventilation à haute fréquence ou une circulation extracorporelle peuvent être envisagées. Enfin, quelquefois, des techniques de sauvetage peropératoires immédiates et provisoires sont réalisées grâce à la collaboration étroite avec le chirurgien, avant la mise en œuvre de méthodes plus adaptées. RÉFÉRENCES
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