Rupture gastrique après oxygénothérapie par voie nasale

Rupture gastrique après oxygénothérapie par voie nasale

Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation 23 (2004) 146–148 www.elsevier.com/locate/annfar Cas clinique Rupture gastrique après oxygénothéra...

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Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation 23 (2004) 146–148 www.elsevier.com/locate/annfar

Cas clinique

Rupture gastrique après oxygénothérapie par voie nasale Stomach rupture after nasal oxygen administration M. Adam a, M.A. Boughaba a, V. Kuoch b, F. Blot a, E. Desruennes a,* a b

Département d’anesthésie–réanimation, institut Gustave-Roussy, 39, rue Camille-Desmoulins, 94800 Villejuif, France Service de radiologie interventionnelle, institut Gustave-Roussy, 39, rue Camille-Desmoulins, 94800 Villejuif, France Reçu le 7 juin 2003 ; accepté le 13 novembre 2003

Résumé Nous rapportons une observation de rupture spontanée de l’estomac consécutive à une oxygénothérapie par voie nasale. Une prise en charge précoce a permis d’éviter la laparotomie. Cette complication rare rappelle l’importance du positionnement correct d’une sonde nasale à oxygène et nous amène à rediscuter de sa place par rapport aux autres moyens d’oxygénation (lunettes, masque simple de Hudson, masque avec système de Venturi). © 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract We report a case of a spontaneous rupture of a normal stomach after therapeutic oxygen administration. In this case, early treatment precluded the need for a laparotomy. This rare complication highlights the importance of the right positioning of a nasal catheter and leads us to question its role compared to other means of oxygen delivery (nasal cannulae, Hudson mask, Venturi mask). © 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Rupture spontanée de l’estomac ; Oxygénothérapie par voie nasale ; Différents moyens d’oxygénothérapie ; Complication iatrogène Keywords: Spontaneous rupture of normal stomach; Nasal cannula; Oxygen delivery systems; Iatrogenic side effects

1. Introduction

2. Observation

La sonde nasale à oxygène est un des moyens permettant d’augmenter la fraction d’O2 dans le mélange inspiré (FIO2) lors d’une sédation ou d’une anesthésie intraveineuse légère en ventilation spontanée. Lorsque la sonde est mal insérée, cette méthode peut exceptionnellement se compliquer d’une rupture gastrique qui nécessite habituellement un traitement chirurgical. Nous rapportons un cas de rupture gastrique liée à une oxygénothérapie nasale lors d’une anesthésie intraveineuse à objectif de concentration (AIVOC), d’évolution favorable sous traitement médical exclusif.

Une femme de 70 ans était prise en charge en juin 2002 dans le service de radiologie interventionnelle pour ablation d’une endoprothèse urétérale. Cette dernière avait été posée un mois auparavant en raison d’une urétérohydronéphrose gauche secondaire au traitement radiochirurgical d’un adénocarcinome rectal (résection antérieure du rectum en août 2001, précédée d’une radiothérapie et d’une chimiothérapie). L’intervention était réalisée en position gynécologique sous propofol en mode AIVOC avec une concentration cible maintenue entre 2,5 et 3 µg/ml. La patiente était en ventilation spontanée. À l’induction, une sonde nasale à oxygène était introduite, poussée à l’aveugle sur quelques centimètres et une oxygénothérapie (4 l/min) était administrée. L’état hémodynamique et respiratoire était stable pendant les 40 minutes de l’intervention, mais à la fin de la procédure la

* Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (E. Desruennes). © 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.annfar.2003.11.010

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patiente présentait brutalement une détresse respiratoire majeure avec une chute de la saturation de l’hémoglobine mesurée au doigt par oxymètre de pouls à 80 puis 50 %. La sonde d’oxygène était alors retirée et la patiente intubée et ventilée manuellement avec des pressions d’insufflation anormalement élevées. Après retrait des champs opératoires et remise en décubitus dorsal, il était constaté une augmentation considérable du volume de l’abdomen, qui était distendu et météorisé, ainsi qu’un emphysème sous-cutané des creux susclaviculaires. Une scopie était réalisée et montrait un pneumopéritoine, une aéro-iléie et une aérocolie (Fig. 1). Une ponction du pneumopéritoine était réalisée, permettant l’évacuation d’une grande quantité de gaz et l’amélioration de l’état respiratoire de la patiente, et une antibiothérapie par amoxicilline–acide clavulanique était commencée. Une sonde gastrique et une sonde rectale étaient posées et ramenaient du gaz ainsi qu’un peu de sang dans la sonde gastrique. Un transit aux hydrosolubles montrait l’intégrité de la paroi de l’œsophage sans renseigner sur l’état de la paroi gastrique. Une scanographie thoracoabdominale avec opacification digestive retrouvait un pneumopéritoine, une distension colique et une aéro-iléie, sans évidence de fuite extragastrique du produit de contraste, un pneumothorax bilatéral prédominant à gauche et un pneumomédiastin. Cliniquement, l’abdomen était redevenu parfaitement souple et le transit était conservé, aussi, après discussion avec l’équipe chirurgicale et le gastroentérologue, il était décidé

Fig. 1. Cliché radiologique montrant un volumineux pneumopéritoine, une aéro-iléie et une aérocolie. Le rein et l’uretère sont opacifiés (contrôle après ablation de l’endoprothèse urétérale).

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de ne pas réaliser de laparotomie en urgence, mais de traiter médicalement la patiente et de faire une fibroscopie œsophagique après quelques jours d’aspiration gastrique. La surveillance était assurée en service de soins intensifs. La patiente était rapidement extubée au décours de l’exsufflation du pneumopéritoine et après drainage du pneumothorax gauche. La sonde gastrique était maintenue en aspiration pendant 48 heures et l’alimentation par voie orale suspendue pendant sept jours. L’antibioprophylaxie était poursuivie pendant quatre jours. L’évolution clinique était rapidement favorable. Le contrôle endoscopique réalisé au septième jour retrouvait une fissuration sous-cardiale postérieure de deux centimètres de longueur en voie de cicatrisation, confirmant le diagnostic initial de rupture de la paroi gastrique.

3. Discussion La mise en place d’une sonde d’oxygénothérapie par voie nasale fait partie de notre pratique quotidienne ; ce geste bénin peut avoir exceptionnellement des conséquences graves comme dans cette observation. Des accidents similaires ont été rapportés dans la littérature [1–4]. Ces ruptures survenant en dehors de tout traumatisme ou de lésion préexistante sont dites « spontanées », par opposition aux ruptures compliquant un volvulus, un ulcère ou un cancer et aux ruptures de contiguïté post-traumatique ou au contact d’une nécrose pancréatique. Les ruptures « spontanées », également appelées primaires, sont provoquées par une distension massive de l’estomac associée à des perturbations de la vidange gastrique (relaxation anormale des muscles contrôlant la déglutition au cours de l’anesthésie). On retrouve des causes variées parfois anecdotiques comme les ruptures gastriques après repas pantagruéliques, après prise de sels effervescents (bicarbonate de sodium), au cours de l’accouchement, en post-partum, compliquant une hémorragie massive gastrique, au décours d’une intoxication aiguë à l’opium ; cependant la cause est le plus souvent iatrogène par distension gazeuse pure comme lors d’oxygénothérapie par sonde nasale, ventilation par bouche à bouche surtout dans le cadre de massage cardiaque, intubation œsophagienne, manœuvre d’Heimlich chez l’enfant. Le tableau clinique est relativement stéréotypé. Le siège de la lésion se situe dans 87 % des cas au niveau de la petite courbure sous-cardiale, dans une zone de fragilité, le locus minoris resistentiae [3]. Toutes les observations publiées de rupture gastrique ont été traitées chirurgicalement. Le cas rapporté ici a bénéficié d’une prise en charge exclusivement médicale et l’évolution en a été favorable. Le tableau clinique était tout à fait typique et le diagnostic évoqué immédiatement. De plus l’accident ayant eu lieu en radiologie interventionnelle, la scopie a permis d’objectiver le pneumopéritoine et de l’évacuer dans le même temps, permettant de retrouver une mécanique respiratoire correcte. Après discussion médicochirurgicale et devant la rapide amélioration clinique, il a été décidé de

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traiter cette rupture gastrique selon la méthode de Taylor (traitement médical des ulcères perforés), les critères suivants étant réunis : malade vu à moins de six heures après perforation, à jeun, sans signes de défaillance, certitude du diagnostic. L’antibiothérapie a été commencée dés l’évocation du diagnostic. Une surveillance en milieu intensif a été maintenue pendant sept jours et les apports oraux ont été suspendus durant toute cette période. Le contrôle endoscopique a permis de confirmer le diagnostic, la lésion était typique et aucune pathologie sous-jacente n’a été retrouvée. Cette complication purement iatrogène nous a amenés à rediscuter de la place de la sonde nasale à oxygène par rapport aux autres moyens d’oxygénation : lunettes, masque et masque à réservoir à haute concentration. En terme d’efficacité, plusieurs études se sont intéressées à la FIO2 délivrée par ces différents systèmes et à la pression partielle artérielle en O2 (PaO2) chez des patients en ventilation spontanée : • une FIO2 élevée peut être atteinte avec la sonde nasale à oxygène mais au prix de débits inconfortables supérieurs à 10 l/minute [5,6] ; pour des débits entre 6 et 10 l/minute, les PaO2 les plus élevées sont atteintes avec le masque à réservoir à haute concentration avec une moindre dispersion des valeurs par rapport aux autres dispositifs [7] ; • le système le plus adapté à délivrer une FIO2 précise est le masque à réservoir [5,8] ; • toutes les études retrouvent de grandes variations interindividuelles. En terme de confort, la sonde nasale est le dispositif le mieux supporté par les patients pour des débits d’oxygénothérapie inférieurs à 4 l/minute [9,10]. Pour un débit supérieur à 4 l/minute, la sonde nasale devient inconfortable [6]. Enfin, en terme de coût, la sonde nasale d’oxygénothérapie est la plus intéressante [6]. De plus dans certaines situations, elle reste le seul moyen d’oxygénothérapie, comme au cours de fibroscopies hautes réalisées en ventilation spontanée. 4. Conclusion Cette observation n’a pas remis en cause l’utilisation de l’oxygénothérapie par voie nasale dans notre service ; cette

complication bien que non exceptionnelle reste rare et les avantages de la sonde nasale priment par rapport aux autres dispositifs d’oxygénation. En revanche, il est important de respecter une technique rigoureuse de pose et de l’enseigner au personnel médical et paramédical : introduire la sonde d’une longueur inférieure d’au moins deux centimètres à la distance séparant l’aile du nez du tragus homolatéral, si besoin vérifier par laryngoscopie directe et assurer une bonne fixation. Évoquer le diagnostic de distension gastrique après oxygénothérapie par voie nasale et assurer une prise en charge rapide permettent seuls d’éviter des complications graves. Un geste même banal et en apparence anodin doit toujours être réalisé en respectant les règles de bonnes pratiques.

Références [1]

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