Suivi des concentrations sériques de la vancomycine en pédiatrie

Suivi des concentrations sériques de la vancomycine en pédiatrie

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Médecine et maladies infectieuses 42 (2012) 167–170 Communication brève Suivi des concentrations séri...

234KB Sizes 1 Downloads 94 Views

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com Médecine et maladies infectieuses 42 (2012) 167–170

Communication brève

Suivi des concentrations sériques de la vancomycine en pédiatrie Monitoring of vancomycin in pediatrics A. Delicourt , K. Touzin , A. Lavoie , R. Therrien , D. Lebel ∗ Département de pharmacie, CHU Sainte-Justine, H3T 1C5, 3175, Côte-Ste-Catherine, Montréal, Québec, Canada Rec¸u le 12 septembre 2011 ; rec¸u sous la forme révisée le 23 janvier 2012 ; accepté le 3 f´evrier 2012 Disponible sur Internet le 15 mars 2012

Résumé Objectifs. – Déterminer si la pratique actuelle de prescription initiale et de suivi pharmacologique de la vancomycine en pédiatrie permet d’atteindre des concentrations sériques dans l’intervalle cible. Patients et méthode. – Étude rétrospective sur 30 patients hospitalisés au centre hospitalier universitaire Sainte-Justine et traités par la vancomycine pendant cinq jours ou plus et ayant eu au moins un dosage de concentration sérique au cours de la période de traitement. Les valeurs des dosages du taux résiduel et du pic sérique ont été analysées. Résultats. – Les concentrations sériques mesurées étaient comprises dans les intervalles thérapeutiques selon la norme locale, dans 60 % des cas pour le taux résiduel (5 à 10 mg/L) et dans 33 % des cas pour le pic sérique (20 à 40 mg/L) au cinquième jour de traitement de vancomycine. Conclusion. – La pratique actuelle ne permet pas d’obtenir des concentrations sériques dans les intervalles cibles. L’utilisation d’un intervalle plus large pour le taux résiduel pourrait être envisagée. © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Dosage antibiotique ; Pédiatrie ; Vancomycine

Abstract Objectives. – The authors wanted to determine if the current local practice (initial prescription and monitoring) in pediatrics allowed reaching vancomycin therapeutic concentrations. Patients and methods. – Thirty patients that had received vancomycin for at least five days with at least one evaluation of serum concentration, at the Sainte-Justine university hospital center, were retrospectively studied. Vancomycin trough and peak levels were analyzed. Results. – The values of vancomycin serum concentration were within therapeutic ranges (local standards of 5 to 10 mg/L for trough level and 20 to 40 mg/L for peak level) in 60% and 33% of cases at the fifth day of treatment for trough and peak levels, respectively. Conclusion. – The current practice does not allow reaching vancomycin serum concentrations in the target range. Using a wider range for the trough values could be considered. © 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Drug monitoring; Pediatrics; Vancomycin

1. Introduction La publication de nouvelles recommandations pour le suivi thérapeutique pharmacologique de la vancomycine, dans la population adulte en 2009, nous a amenés à nous questionner quant à la pratique en pédiatrie. En effet, l’Infectious Diseases



Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (D. Lebel).

0399-077X/$ – see front matter © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.medmal.2012.02.001

Society of America, l’American Society of Health-System Pharmacists et la Society of Infectious Diseases Pharmacists [1] recommandent un monitoring de la vancomycine, qu’il serait intéressant de pouvoir appliquer à la population pédiatrique bien que la pharmacocinétique chez l’enfant soit différente de celle de l’adulte [2]. La vancomycine est un antibiotique temps-dépendant. Pour être efficace, sa concentration au niveau du site d’action doit être maintenue à une concentration supérieure à la concentration minimale inhibitrice (CMI) du germe en cause durant l’intervalle

168

A. Delicourt et al. / Médecine et maladies infectieuses 42 (2012) 167–170

séparant deux administrations. Afin d’évaluer l’efficacité thérapeutique et d’optimiser le traitement, il est nécessaire de mesurer la concentration résiduelle en vancomycine avant l’administration d’une autre dose (taux résiduel ou TR). La concentration sérique maximale (pic sérique ou PS) peut également être mesurée à l’état d’équilibre, mais la relation entre l’efficacité, la toxicité et le PS de la vancomycine n’a jamais été clairement démontrée [2]. Au centre hospitalier universitaire Sainte-Justine (CHUSJ), les prélèvements du TR et du PS sont habituellement faits immédiatement avant l’administration et une heure après la fin de l’administration d’une dose de vancomycine, respectivement. La posologie initiale de la vancomycine est de 10 mg/kg/dose par voie intraveineuse toutes les six heures (maximum 500 mg/dose). Les premiers dosages du TR et du PS sont systématiquement réalisés sur la troisième, la quatrième ou la cinquième dose. La posologie est ensuite ajustée sur la base des résultats obtenus pour obtenir des concentrations mesurées (TR et PS) comprises dans l’intervalle cible. Un pharmacien effectue ensuite une analyse pharmacocinétique basée sur des équations de Sawchuk Zaske [3] (modèle mono-compartimental) et propose une posologie adaptée pour atteindre les intervalles cibles. L’objectif de cette étude est de déterminer si la pratique actuelle, au CHUSJ, de prescription initiale et de suivi thérapeutique pharmacologique de la vancomycine, permet d’atteindre des concentrations sériques de vancomycine dans l’intervalle cible. Le critère principal de cette étude est la proportion de valeurs du TR comprises entre 5 à 10 mg/L et du PS comprises entre 20 à 40 mg/L au troisième et cinquième jour du traitement. Dans une analyse secondaire, nous avons évalué l’impact d’un changement d’intervalle cible et l’intérêt de la mesure systématique du PS. 2. Patients et méthode Une revue d’utilisation de médicament simplifiée a été réalisée en analysant les 30 dernières prescriptions de vancomycine faites avant le 1er avril 2010. La sélection a été réalisée à partir du profil pharmacologique informatisé, c’est-à-dire, informatiquement uniquement et sans consulter le dossier papier du patient. Toutes les prescriptions de plus de cinq jours de vancomycine pour des patients admis au CHUSJ ont été incluses, à l’exception des prescriptions de patients hospitalisés dans l’unité de néonatologie. Les prescriptions pour lesquelles aucun dosage de concentration sérique n’était effectué ou interprétable dans les trois premiers jours de traitement ont été exclues. Pour chaque prescription incluse dans l’étude, les données démographiques suivantes ont été colligées : la date de naissance, le poids, le sexe du patient et la clairance de la créatinine. La date de début et de fin de traitement, la dose de vancomycine en milligrammes, la durée de perfusion, la date de prélèvement, la valeur des concentrations du TR et du PS, l’identification bactériologique et la CMI correspondante, lorsque disponibles, ont été également colligées. Lorsqu’aucun dosage n’était réalisé entre le troisième et le cinquième jour, le premier dosage utilisé pour l’analyse des données à j3 était reporté pour l’analyse à j5, afin de

refléter ce qu’un soignant ferait comme analyse au moment où il consulte le dossier d’un patient et utilise le dernier dosage effectué pour faire le suivi thérapeutique pharmacologique de la vancomycine. Les dosages de vancomycine étaient réalisés par le Emit® 2000 Vancomycin Assay (Beckman Coulter® , Etats-Unis). 3. Résultats En tout, 107 ordonnances rédigées entre le 30 janvier 2010 et le 1er avril 2010 ont été analysées. De ce nombre, 30 correspondaient à nos critères de sélection. Douze ordonnances provenant de l’unité de néonatologie, 56 ordonnances de vancomycine d’une durée inférieure à cinq jours, trois ordonnances de patients n’ayant eu aucun dosage interprétable dans les trois premiers jours de traitement, ainsi que six ordonnances de vancomycine prescrites au besoin (par exemple : administrer si fièvre) ont été exclues. La moyenne d’âge de notre population était de 10,2 ± 6,9 ans, une majorité de sexe masculin (n = 19). Entre le 1er avril 2009 et le 31 mars 2010, la médiane (intervalle) des CMI des Staphylococcus aureus résistants à la méthicilline (SARM) et identifiés au CHUSJ était de 1 (0,5 à 2) mg/L (n = 36). Parmi les 30 prescriptions de l’étude, aucun germe n’a été identifié pour 12 d’entre elles, les autres correspondaient à des traitements de vancomycine pour des infections à Staphylocoques à coagulase négative (n = 7), à Staphylococcus epidermidis (n = 4), à d’autres germes (n = 4), à SARM (n = 3). La médiane (intervalle) des CMI des SARM retrouvée chez nos patients, traités par la vancomycine, était de 2 mg/L [1,2]. Nous avons obtenu, au troisième jour de traitement, une valeur médiane (intervalle) de 8,1 (2,8 à 22,7) mg/L pour le TR et de 17,1 (8,6 à 58,0) mg/L pour le PS. Au cinquième jour de traitement, une valeur médiane de 8,4 (3,9 à 22,7) pour le TR et de 17,2 (11,1 à 58,0) mg/L pour le PS. Nous avons relevé que les valeurs de dosages les plus élevées au troisième et au cinquième jour de traitement étaient identiques et associées à un même patient, présentant un surpoids (IMC 28), une insuffisance rénale (créatinine 133 ␮mol/L, clairance 73 mL/min/1m73) et ayant rec¸u une dose initiale de 14 mg/kg deux fois par jour de vancomycine. Les données relatives au suivi thérapeutique pharmacologique de la vancomycine sont résumées dans le Tableau 1. Nous avons analysé nos résultats en se basant sur les recommandations appliquées au CHUSJ et sur celles évoquées dans la littérature [4–7] (Fig. 1). Les analyses ont été faites en considérant d’une part, le TR et d’autre part, simultanément le TR et le PS considérés comme une paire de dosages. Concernant le TR uniquement, on observe une réduction de 6 % de la proportion de dosages dans l’intervalle de 5 à 10 mg/L entre le troisième et le cinquième jour. Lorsque l’on considère l’intervalle élargi de 5 à 15 mg/L, cette proportion augmente plutôt de 7 %. Si on s’intéresse aux deux dosages, TR et PS, entre le troisième et cinquième jour, la proportion de paires de dosages dans l’intervalle cible varie de −4 % et +10 % si l’on considère respectivement les intervalles 5 à 10 mg/L et 5 à 15 mg/L pour le TR.

A. Delicourt et al. / Médecine et maladies infectieuses 42 (2012) 167–170 Tableau 1 Répartition des valeurs de dosage de vancomycine chez la population étudiée. Serum concentrations of vancomycin in the studied population. Dosage

Jour 3 (n = 30) n (%)

Jour 5 (n = 30) n (%)

Taux résiduel (mg/L) <5 Entre 5 et 10 Entre 10 et 15 > 15

3 (10) 20 (67) 4 (13) 3 (10)

3 (10) 18 (60) 8 (27) 1 (3)

Pic sérique (mg/L) < 15 Entre 15 et 20 Entre 20 et 40 > 40

14 (47) 6 (20) 9 (30) 1 (3)

3 (10) 16 (54) 10 (33) 1 (3)

Fig. 1. Proportion de dosages présentant des valeurs du taux résiduel (TR) et du pic sérique (PS) dans les intervalles cibles au jour trois et au jour cinq (n = 30). Percentage of prescriptions presenting therapeutic trough and peak values on day three and day five (n = 30).

4. Discussion Au CHUSJ, les intervalles thérapeutiques visés se situent entre 5 et 10 mg/L pour le TR et entre 20 et 40 mg/L pour le pic. Cette étude montre que, d’une part, la proportion de valeurs comprises dans les intervalles cibles est faible et, d’autre part, cette proportion n’augmente pas entre le troisième et le cinquième jour. Pour la population adulte, il est recommandé pour atteindre l’efficacité clinique de la vancomycine, d’avoir une valeur cible du rapport aire sous la courbe (ASC) sur CMI (ASC/CMI) supérieure ou égale à 400. Le calcul de l’ASC/CMI n’est pas un usage courant, mais il existe une corrélation entre l’exposition totale du médicament donnée par le rapport ASC/CMI et les concentrations résiduelles de la vancomycine [1,8]. Ainsi, la mesure des TR est recommandée comme outil de suivi dans la pratique clinique chez l’adulte. Dans le cas où la CMI serait égale à 1 mg/L, le pré-dose doit être supérieur à 15 mg/L pour atteindre l’objectif ASC/CMI supérieur ou égal à 400. Il est également recommandé de maintenir la concentration résiduelle au-dessus de 10 mg/L pour éviter le développement de résistances [1]. Une controverse persiste dans la littérature quant à l’intervalle

169

optimal cible pour la valeur du TR. En effet, de nombreux auteurs proposent une marge thérapeutique de 5 à 15 mg/L [4–7]. Nous constatons que l’utilisation d’une marge thérapeutique plus étendue (i.e., 5 à 15 mg/L au lieu de 5 à 10 mg/L) pourrait permettre d’observer une proportion plus importante de TR compris dans l’intervalle cible au troisième et au cinquième jour. L’utilisation, au CHUSJ, d’un intervalle cible pour le TR entre 15 et 20 mg/L permettrait d’augmenter la probabilité d’obtenir la valeur cible pour le rapport ASC/CMI et d’améliorer les résultats cliniques. Il n’y a pas de preuve évidente que la mesure du PS réduit la fréquence de néphrotoxicité. De plus, monitorer pour prévenir les risques d’ototoxicité n’est pas recommandé pour des patients recevant la vancomycine en monothérapie, en revanche, cette conduite doit être considérée pour les patients recevant d’autres agents ototoxiques tels que les aminosides [1]. Dans notre pratique locale, un résultat de dosage du PS en dehors de l’intervalle 20 à 40 mg/L nous amène souvent à ajuster la posologie de la vancomycine et à réaliser de nouveau un dosage de contrôle. Pourtant ces ajustements de doses ne permettent pas une augmentation de la proportion de dosages dans l’intervalle cible, de 70 % et 67 % des PS sont en dehors de l’intervalle cible, respectivement au troisième et cinquième jour de traitement. Ces ajustements de doses ne sont pas non plus responsables d’une augmentation de la proportion de TR dans l’intervalle cible, ce pourcentage passe de 67 % à 60 % entre j3 et j5. Considérant que la prescription et le suivi d’un traitement à la vancomycine peuvent être grandement améliorés [9], il est paradoxal de constater, d’une part, que plusieurs publications ainsi que nos connaissances sur le mécanisme d’action et le modèle pharmacocinétique de la vancomycine ne supportent pas l’utilisation d’un dosage du PS pour optimiser le traitement [2,4,6,10] et, d’autre part, que la pratique ne change pas et entraîne des ajustements de dose et des dosages de contrôle somme toute peu utiles. Une analyse sur un plus grand nombre de patients aurait été préférable, mais l’avantage de cette méthode est de pouvoir faire un état des lieux rapide de la situation actuelle. Pour la même raison, l’extraction des données a été faite uniquement à partir de la base de données informatique. Il aurait également été intéressant de discuter de l’efficacité clinique de la vancomycine. Cependant, cette étude nous permet de se poser la question suivante, à laquelle nous envisageons de répondre dans une étude plus approfondie : dans l’optique de réduire le nombre d’ajustement de doses ainsi que de limiter les dosages de contrôle, ne serait-il pas intéressant d’élargir notre intervalle considéré thérapeutique pour le TR et de ne plus systématiquement considérer le PS ? Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références [1] Rybak M, Lomaestro B, Rotschafer JC, Moellering Jr R, Craig W, Billeter M, et al. Therapeutic monitoring of vancomycin in adult patients: a

170

[2]

[3]

[4]

[5]

A. Delicourt et al. / Médecine et maladies infectieuses 42 (2012) 167–170 consensus review of the American Society of Health-System Pharmacists, the Infectious Diseases Society of America, and the Society of Infectious Diseases Pharmacists. Am J Health Syst Pharm 2009;66(1):82–98. Miles MV, Li L, Lakkis H, Youngblood J, McGinnis P. Special considerations for monitoring vancomycin concentrations in pediatric patients. Ther Drug Monit 1997;19(3):265–70. Garrelts JC, Godley PJ, Horton MW, Karboski JA. Accuracy of Bayesian, Sawchuk-Zaske, and nomogram dosing methods for vancomycin. Clin Pharm 1987;6(10):795–9. Tan WH, Brown N, Kelsall AW, McClure RJ. Dose regimen for vancomycin not needing serum peak levels? Arch Dis Child Fetal Neonatal Ed 2002;87(3):F214–6. Crumby T, Rinehart E, Carby MC, Kuhl D, Talati AJ. Pharmacokinetic comparison of nomogram-based and individualized vancomycin regimens in neonates. Am J Health Syst Pharm 2009;66(2):149–53.

[6] de Hoog M, Schoemaker RC, Mouton JW, van den Anker JN. Vancomycin population pharmacokinetics in neonates. Clin Pharmacol Ther 2000;67(4):360–7. [7] Thomas MP, Steele RW. Monitoring serum vancomycin concentrations in children: is it necessary? Pediatr Infect Dis J 1998;17(4):351–3. [8] Lodise TP, Patel N, Lomaestro BM, Rodvold KA, Drusano GL. Relationship between initial vancomycin concentration-time profile and nephrotoxicity among hospitalized patients. Clin Infect Dis 2009;49(4):507–14. [9] Alfandari S, Levent T, Descamps D, Hendricx S, Bonenfant C, Taines V, et al. Evaluation of glycopeptides use in nine French hospitals. Med Mal Infect 2010;40(4):232–7. [10] Glover ML, Cole E, Wolfsdorf J. Vancomycin dosage requirements among pediatric intensive care unit patients with normal renal function. J Crit Care 2000;15(1):1–4.