Mise au point Monitoring to be adopted for the shift and night workers V. Bayona*, A. Benzekri-Le Loueta, E. Pre´vota, D. Choudatb, D. Le´gera a Centre du sommeil et de la vigilance et consultation de pathologie professionnelle, centre de re´fe´rence hypersomnies rares, hoˆpital Hoˆtel-Dieu, 1, place du Parvis-Notre-Dame, 75181 Paris cedex 04, France b Service de pathologie professionnelle, hoˆpital Cochin, 27, rue du Faubourg-Saint-Jacques,
Surveillance a` adopter pour les travailleurs poste´s et de nuit
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75014 Paris, France
Mots cle´s : Travail poste´, Travail de nuit, Troubles du sommeil, De´synchronisation Keywords: Shift work, Night work, Sleep disorders, Desynchronization
L
e travail de nuit et le travail poste´ concernent environ un travailleur salarie´ sur cinq. En France, les enqueˆtes re´alise´es par l’Insee en 1995 et en 2001 retrouvent une progression sur six anne´es de la proportion des travailleurs en horaires irre´guliers [1]. En 2002, l’enqueˆte Emploi de l’Insee montre que 14,3 % des salarie´s travaillent re´gulie`rement ou occasionnellement entre minuit et cinq heures du matin [2]. Cette proportion de travailleurs de nuit est reste´e stable tre`s longtemps mais a nettement progresse´ au cours des anne´es 1990. Ces horaires irre´guliers ou de nuit soumettent l’organisme a` des changements importants au niveau des rythmes chronobiologiques. Meˆme si l’adaptation du travailleur a` ces contraintes horaires est possible, elle est contraignante et il est habituel d’observer, parmi ces populations de salarie´s soumises a` des horaires de´cale´s de manie`re chronique, des plaintes multiples traduisant les conse´quences des de´synchronisations auxquelles leur organisme est soumis en permanence. Comme le de´montrent plusieurs travaux, il existe un retentissement du travail en horaires de´cale´s ou de nuit sur la sante´ a` plus ou moins long terme. Si les relations entre ces diffe´rents rythmes de travail et les troubles du sommeil, les troubles digestifs et le risque cardiovasculaire sont ge´ne´ralement admises, d’autres liens sont e´galement pressentis avec le vieillissement pre´coce et les risques de cancers. * Auteur correspondant. e-mail :
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Par ailleurs, la dette chronique de sommeil, pre´sente chez ces salarie´s, est souvent responsable de somnolence elle-meˆme source d’accidents du travail ou de la circulation. La meilleure connaissance des effets sur la sante´ du travail poste´ et de nuit a incite´ le le´gislateur a` un renforcement de la re´glementation concernant la surveillance me´dicale de ces salarie´s avec la mise en place d’une deuxie`me visite me´dicale annuelle. Nous vous proposons de faire le point sur le travail poste´ et le travail de nuit (de´finition, physiopathologie, effets sur la sante´), sur la surveillance me´dicale de ces salarie´s et sur les contre mesures permettant d’ame´liorer la prise en charge de ces travailleurs.
De´finitions Travail poste´ La directive 93/104/CE conside`re comme travail poste´ « tout mode d’organisation du travail en e´quipe selon lequel des travailleurs sont occupe´s successivement sur les meˆmes postes de travail, selon un certain rythme, y compris un rythme rotatif et qui peut eˆtre de type continu ou discontinu entraıˆnant pour les travailleurs la ne´cessite´ d’accomplir un travail a` des heures diffe´rentes sur une pe´riode donne´e de jours ou de semaines » [3]. Ainsi, le travail poste´ se de´finit par des crite`res de continuite´, de type de rotation, d’alternance des e´quipes et de rythme. 695
1775-8785/$ - see front matter ß 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. 10.1016/j.admp.2008.10.009 Archives des Maladies Professionnelles et de l’Environnement 2008;69:695-707
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Le rythme de rotation est court quand la dure´e passe´e sur le meˆme poste est de un a` trois jours. Le rythme est long quand cette dure´e de´passe cinq jours.
Travail de nuit Tout travail qui a lieu entre 21 h 00 et 6 h 00 est conside´re´ comme travail de nuit. Selon l’article L. 213-2 du Code du travail, le salarie´ qui effectue habituellement au moins trois heures de travail quotidien pendant cette pe´riode, au moins deux fois par semaine, ou encore qui accomplit un nombre minimal d’heures de travail de nuit (270 heures) pendant une pe´riode de re´fe´rence (pe´riode quelconque de 12 mois conse´cutifs) doit eˆtre conside´re´ comme travailleur de nuit. Il existe des de´rogations a` cette de´finition par accords collectifs de branche e´tendus. La loi no 2001-397 du 9 mai 2001 relative a` l’e´galite´ professionnelle entre les femmes et les hommes a leve´ l’interdiction du travail de nuit des femmes. De meˆme, le de´cret no 2006-42 du 13 janvier 2006 autorise le travail de nuit pour les apprentis de moins de 18 ans dans certains secteurs (boulangerie, paˆtisserie, restauration. . .) [4].
Physiopathologie L’adaptation au poste de´pend principalement de trois facteurs : chronobiologique, sommeil et socioe´conomique.
Le facteur chronobiologique Une adaptation des rythmes circadiens est une condition essentielle de l’adaptation de l’homme au travail poste´. L’horloge biologique gouverne le sommeil et l’e´veil ainsi que de nombreux autres rythmes biologiques de´pendants les uns des autres. Lorsque notre vie est re´gulie`re, tous ces rythmes sont harmonieusement synchronise´s. En cas d’horaires de´cale´s, ils se de´synchronisent les uns par rapport aux autres avec des perturbations de la vigilance, du sommeil et de la qualite´ de vie. La compre´hension du fonctionnement de notre horloge biologique doit beaucoup aux expe´riences d’isolement re´alise´es par certains chercheurs. Lorsque l’on isole un individu de son environnement, notre horloge biologique adopte pour le rythme veille-sommeil, une pe´riodicite´ proche de 25 heures et non de 24 heures. Les autres rythmes circadiens (tempe´rature interne, se´cre´tions hormonales telles le cortisol et la me´latonine, rythme cardiaque. . .) ont aussi des pe´riodes diffe´rentes. Deux facteurs principaux contribuent a` synchroniser l’horloge biologique sur le rythme de 24 heures. Le premier est 696
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l’activite´ sociale (montre re´gle´e sur 24 heures, horaires des repas, travail, activite´ physique. . .). Le second synchroniseur est la lumie`re, et surtout la lumie`re de haute intensite´, qui agit directement sur l’horloge biologique situe´e au niveau du noyau suprachiasmatique de l’hypothalamus. Des facteurs ge´ne´tiques interviennent e´galement pour comprendre la pe´riode de cette horloge. Ces dernie`res anne´es, la mise en e´vidence du ge`ne appele´ clock gene chez la drosophile a permis de confirmer cette hypothe`se. D’autres caracte´ristiques comme le caracte`re du matin ou du soir ainsi que la dure´e de sommeil (court dormeur ou long dormeur) ont e´galement une composante ge´ne´tique. Avec l’aˆge, l’horloge devient moins souple et l’adaptation aux changements de rythme plus de´licate. Un certain nombre de facteurs chronobiologiques semblent ainsi eˆtre pre´dictifs d’une bonne adaptation aux horaires de´cale´s : le sens de rotation des postes de travail : le sens horaire est mieux tole´re´ que le sens anti-horaire ; le caracte`re du salarie´ du matin ou du soir : les sujets du matin supportent moins bien les horaires du soir ou de nuit ; l’aˆge : le sujet jeune s’adapte souvent plus facilement aux horaires alternants.
Le facteur sommeil Le sommeil est un processus complexe tre`s de´pendant de la bonne synchronisation de l’horloge biologique. Un bon sommeil est un facteur essentiel d’adaptation au travail poste´. Le sommeil de jour est de moins bonne qualite´ que le sommeil de nuit : le sommeil lent profond et le sommeil paradoxal surviennent de fac¸on plus difficile le jour et, sur le plan environnemental, la lumie`re, le bruit et la tempe´rature ne sont pas favorables au sommeil le jour. De fac¸on habituelle, on observe l’installation, chez les travailleurs de nuit ou en horaires de´cale´s, d’une dette chronique de sommeil d’environ une a` deux heures par jour.
Les facteurs socioe´conomiques La tole´rance au travail poste´ impose un environnement domestique favorable. Des perturbations sociales et familiales sont souvent pre´sentes en relation avec les horaires alternants. Ces difficulte´s domestiques touchent particulie`rement les femmes ayant des enfants en bas aˆge et pour qui les nuits blanches sont fre´quentes. De plus, chez les travailleurs en horaires de´cale´s, un double travail n’est pas rare. Ces trois types de facteurs participent de fac¸on conjointe a` la tole´rance ou a` l’intole´rance d’un sujet au travail poste´.
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Lorsque l’un d’eux est perturbe´, le travailleur est plus a` risque de se de´sadapter et devenir intole´rant a` ce travail en horaires de´cale´s. En de´pit du repos compensateur rendu obligatoire par le le´gislateur (de´cret 2002-792 du 3 mai 2002), le travail de nuit ou en horaires de´cale´s est responsable d’une de´synchronisation des rythmes biologiques qu’une possible majoration de re´mune´ration ne compense pas et qui peut au contraire bloquer pour raison budge´taire un salarie´ dans un poste inadapte´.
essaye´ de calculer un risque moyen d’accident au travail en fonction des horaires de travail. Si on prend comme re´fe´rence le risque observe´ sur le poste du matin (bien que la re´fe´rence ide´ale aurait e´te´ un poste fixe de jour type 8–17 heures), le risque est majore´ de 18 % au cours de l’apre`smidi et de 30 % au cours de la nuit. Il existe donc un risque maximal d’accident au cours de la nuit. L’accumulation de plusieurs nuits de travail successives augmente le risque accidentel [11].
Les effets sur la sante´
Les troubles digestifs
Le me´decin du travail doit chercher a` pre´venir cette de´sadaptation en de´pistant en amont les signes d’intole´rance.
Effets a` court terme Les troubles du sommeil Les principaux effets a` court terme sur la sante´ du travail de nuit ou en horaires alternants sont les troubles du sommeil responsables de fatigue et de somnolence. La plainte de mauvais sommeil est tre`s fre´quente chez ces salarie´s et peut sembler banale. Cependant, elle me´rite l’attention du me´decin du travail car elle est souvent un des premiers signes de de´sadaptation. Les diffe´rentes perturbations du sommeil signale´es sont les insomnies d’endormissement, les insomnies de maintien du sommeil et les insomnies par re´veil trop pre´coce. Il existe bien souvent une perturbation de la qualite´ du sommeil lie´e a` des conditions environnementales de´favorables au sommeil de jour (tempe´rature, bruit et lumie`re) et a` des facteurs chronobiologiques. Ce raccourcissement de la dure´e de sommeil est responsable de la constitution d’une dette chronique de sommeil estime´e a` environ une a` deux heures par 24 heures par rapport a` un travailleur de jour, ge´ne´ratrice de somnolence, d’une de´gradation de l’attention et des performances. Chez les insomniaques se´ve`res, les accidents de travail, les arreˆts de travail et les risques d’erreurs sont plus e´leve´s que chez les bons dormeurs [5]. Les e´pisodes de somnolence au travail chez les travailleurs poste´s sont fre´quents a` la fois en fin de poste et lors du premier jour de travail suite a` un changement d’horaires [6,7]. Ces troubles de la vigilance augmentent le risque d’accidents du travail, en particulier s’il s’agit d’un poste de se´curite´, et le risque d’accident automobile [8–10]. La majorite´ des accidents, en particulier les accidents mortels, se produisent dans les pe´riodes chronobiologiques de somnolence maximale, c’est-a`-dire entre deux et cinq heures du matin et entre 13 et 15 heures. Plusieurs travaux ont
Ils repre´sentent une plainte fre´quente des travailleurs poste´s. Les troubles les plus fre´quents sont les troubles dyspeptiques, les ballonnements, les troubles du transit et les douleurs abdominales [12]. Les e´tudes concernant les troubles digestifs chez les travailleurs poste´s sont anciennes, mais elles vont dans le sens d’une pre´valence augmente´e de la symptomatologie digestive et d’un risque relatif d’ulce`re gastro-duode´nal supe´rieur [13,14]. Le facteur comportemental alimentaire joue un roˆle primordial dans ces troubles : alimentation pauvre en fibres, plats industriels, consommation excessive de the´ et de cafe´. . . Le facteur chronobiologique intervient e´galement, les se´cre´tions gastriques suivent une variation circadienne qui peut eˆtre perturbe´e chez les travailleurs poste´s.
Sante´ mentale Le travail poste´ est commune´ment admis comme pourvoyeur de stress, de fatigue chronique et il serait aussi responsable d’un risque accru de pathologie de´pressive. Toutefois peu de travaux sont disponibles sur ce sujet [15].
Effets a` long terme Troubles cardiovasculaires La plupart des e´tudes publie´es retrouvent une tendance a` l’augmentation du risque de cardiopathie ische´mique de 20 a` 40 % chez les travailleurs poste´s [16,17]. Ce risque accru s’explique par une augmentation des facteurs de risque cardiaque connus dans ces populations de salarie´s (hypertension arte´rielle, troubles du rythme, dyslipide´mie), ou suspecte´s (surpoids, tabagisme) mais peut aussi eˆtre lie´ a` la pre´sence d’un risque inde´pendant lie´ au travail poste´ luimeˆme [18,19]. Le stress secondaire a` la dette de sommeil et a` l’isolement social est source de modifications du syste`me neurove´ge´tatif cardiovasculaire, ce qui peut expliquer le risque augmente´ de de´velopper une hypertension arte´rielle ou un trouble du rythme cardiaque. D’une fac¸on ge´ne´rale, on 697
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peut retenir un risque relatif moyen de pathologies cardiovasculaires autour de 1,4 chez les travailleurs poste´s [16]. En revanche, les relations entre travail poste´ et insulinore´sistance, diabe`te, surpoids, obe´site´ et tabagisme sont moins e´tablies. Certaines e´tudes retrouvent une pre´valence du surpoids (de´fini par un indice de masse corporelle [IMC] compris entre 25 et 30 kg/m2) accrue chez les travailleurs poste´s par rapport aux travailleurs de jour. La modification des rythmes alimentaires, le grignotage interprandial, une alimentation de´se´quilibre´e ainsi que la se´dentarite´ sont incrimine´s pour expliquer cette prise de poids [20]. Toutefois, un lien de causalite´ entre surpoids et travail poste´ n’est pas clairement de´fini [21]. De meˆme, la relation de causalite´ entre insulinore´sistance ou diabe`te et travail poste´ n’est pas certaine [22]. Les variations nycthe´me´rales des se´cre´tions d’insuline et de glucose peuvent ne´anmoins intervenir. Enfin, la consommation de tabac semble plus fre´quente chez les travailleurs poste´s, probablement en raison du stress et du besoin de stimuler sa vigilance.
Risque de cancers Ces dernie`res anne´es, beaucoup de publications se sont inte´resse´es aux relations entre cancers et travail de nuit. En effet, plusieurs travaux retrouvent parmi les femmes travaillant en horaires de´cale´s un exce`s mode´re´ de risque de survenue de cancer du sein, le risque relatif moyen allant de 1,3 a` 1,7 [23–25]. Pour expliquer cette observation, un roˆle possible de la me´latonine sur les estroge`nes est e´voque´ [26]. Il semble que la suppression du pic nocturne de me´latonine lors de l’exposition a` la lumie`re artificielle la nuit soit incrimine´e. La me´latonine est en effet un inhibiteur potentiel des radicaux libres et exerce une activite´ inhibitrice du de´veloppement tumoral sur les cellules du cancer du sein humain et sur des mode`les animaux in vitro [27,28]. Diffe´rentes e´tudes chez les infirmie`res et les hoˆtesses de l’air expose´es a` long terme au travail en horaires de´cale´s ont montre´ une augmentation de risque de cancer du sein avec un risque moyen entre 1,3 et 1,7 selon les e´tudes. Cette situation a amene´ le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a` classer le travail poste´ entraıˆnant une perturbation du rythme circadien dans le groupe 2A des situations de travail cance´roge`nes (cance´roge`ne probable) en de´cembre 2007 (monographie a` paraıˆtre). Un des me´canismes incrimine´ est l’exposition a` la lumie`re durant la nuit, provoquant une baisse de la production de me´latonine, enzyme qui inhiberait le de´veloppement tumoral. Compte tenu du roˆle possible de la me´latonine dans le de´veloppement des cancers, ce risque peut eˆtre e´tendu a` d’autres organes. Pour l’instant, seul le cancer colorectal a e´te´ 698
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e´tudie´. Il semble exister un risque relatif de cancers colorectaux plus important chez les travailleurs en rythme poste´ avec nuit, a` partir de plusieurs anne´es d’exposition [29].
Risques spe´cifiques chez la femme En ce qui concerne les risques lie´s a` la grossesse, moins d’e´tudes sont disponibles. Cependant, une association entre retard de croissance intra-ute´rin, pre´maturite´ et risque de fausses couches semble e´galement retrouve´e [30,31].
Vieillissement et mortalite´ L’adaptation aux horaires de nuit et irre´guliers est plus facile chez les sujets jeunes. Avec l’aˆge, en raison d’une perte de l’e´lasticite´ de l’horloge biologique, cette adaptation est plus difficile. Le vieillissement est ainsi connu pour diminuer la vitesse d’adaptation des rythmes circadiens [32]. Concernant le risque cardiovasculaire, l’aˆge est un facteur de risque supple´mentaire a` part entie`re, qui majore l’exce`s de risque retrouve´ chez les travailleurs poste´s. Le risque de mortalite´ chez les travailleurs poste´s a e´te´ peu e´tudie´ jusqu’a` pre´sent mais les re´sultats actuellement disponibles ne semblent pas retrouver d’exce`s de risque de mortalite´ globale. Cet indice de mortalite´ global est toutefois a` suivre avec attention. Il existe en revanche un exce`s de risque de mortalite´ cardiovasculaire, ce qui confirme les observations pre´ce´dentes [18]. Les diffe´rents risques relatifs avance´s dans ces e´tudes sont faibles et leur me´thodologie est parfois discutable. Ne´anmoins, compte tenu de l’importance de la population expose´e, le travail poste´ me´rite d’eˆtre conside´re´ comme un ve´ritable proble`me de sante´ publique.
Surveillance me´dicale et conseils La le´gislation sur la surveillance me´dicale des travailleurs de nuit remonte a` l’arreˆte´ du 11 juillet 1977. La loi no 2001-397 du 09 mai 2001 relative a` l’e´galite´ professionnelle entre les hommes et les femmes encadre le travail de nuit pour l’ensemble des salarie´s et le`ve l’interdiction du travail de nuit des femmes [33]. L’ordonnance no 2001-174 du 22 fe´vrier 2001 est relative au travail de nuit des jeunes travailleurs. Ces diffe´rents textes ont e´te´ comple´te´s par le de´cret no 2002792 du 3 mai 2002 (J.O. du 5 mai 2002). Ce texte « a pour objet de permettre au me´decin du travail d’appre´cier les conse´quences e´ventuelles pour leur sante´ et leur se´curite´ du travail de nuit, notamment du fait des modifications des rythmes chronobiologiques, et d’en appre´hender les re´percussions potentielles sur leur vie sociale ». Ce de´cret a permis de rede´finir le travail de nuit, de fixer une dure´e
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maximale de travail spe´cifique (8 heures) avec des de´rogations possibles pre´vues re´glementairement, secondaires a` des accords de branche ou enfin sur autorisation de l’inspecteur du travail. Il permet e´galement de de´terminer des garanties et contreparties sous forme de repos compensateur qui doit eˆtre pris dans les plus brefs de´lais a` l’issue de la pe´riode travaille´e et, le cas e´che´ant, sous forme d’une compensation salariale. Ce texte institue e´galement une intensification de la surveillance me´dicale avec mise en place d’une surveillance me´dicale renforce´e de ces salarie´s qui comprend une premie`re visite me´dicale avant l’affectation a` un travail de nuit puis renouvele´e tous les six mois. La fiche d’aptitude de´livre´e a` l’issue de ces visites indique la date de l’e´tude du poste de travail et celle de la dernie`re mise a` jour de la fiche d’entreprise lorsqu’elle existe. Cependant, aucune directive n’est donne´e concernant le contenu de cette surveillance. Il appartient au me´decin du travail de de´cider de la prescription d’e´ventuels examens comple´mentaires et de leur fre´quence. Cette surveillance me´dicale implique de prendre en compte les parame`tres techniques lie´s au poste, les parame`tres cliniques lie´s au sujet et les parame`tres sociaux lie´s a` l’environnement. Chaque visite me´dicale doit comporter un examen clinique complet. Une premie`re visite me´dicale est indispensable avant la prise d’un travail poste´ ou de nuit afin de rechercher les facteurs de vulne´rabilite´ et les facteurs de risque de de´sadaptation et notamment, l’existence d’une pathologie pre´existante ou d’un facteur personnel susceptible d’eˆtre aggrave´ par le rythme de travail : diabe`te de´se´quilibre´ ; cardiopathie ische´mique instable ; hypertension arte´rielle se´ve`re ; aˆge supe´rieur a` 40 ans ; travail domestique lourd, trajets longs. . . Cette visite initiale permettra de servir de re´fe´rence pour le suivi ulte´rieur du salarie´. Les visites biannuelles ont pour objectif de repe´rer les signes d’intole´rance ou de de´sadaptation et, le cas e´che´ant, de proposer des ame´nagements de poste ou un reclassement. Au cours de ces visites, en tenant compte des risques particuliers lie´s au travail poste´, l’examen clinique sera oriente´ de fac¸on plus particulie`re sur le risque cardiovasculaire, le risque digestif, les risques de surpoids, voire d’obe´site´. L’attention du me´decin devra e´galement porter sur les facteurs d’adaptation au travail poste´ (facteurs chronobiologiques, facteurs personnels et facteur sommeil) avec de´tection pre´coce de troubles du sommeil, recherche d’accidents du travail ou de la circulation en relation e´ventuelle avec une hypovigilance. Afin d’ame´liorer cette e´valuation par le me´decin du travail, celui-ci pourra s’appuyer sur diffe´rents questionnaires :
un agenda du sommeil rempli par le salarie´ sur une dure´e
de trois semaines ; l’e´chelle d’Epworth qui permet de de´pister un e´tat de somnolence (annexe 1) ; un questionnaire des troubles du sommeil comme le questionnaire de Spiegel (annexe 2) ; le questionnaire de Pittsburgh (annexe 3). La de´tection pre´coce de trouble du sommeil facilite la prise en charge ulte´rieure d’ou` l’inte´reˆt d’un suivi re´gulier et re´pe´te´. Le me´decin du travail estimera enfin le risque anxiode´pressif du salarie´ expose´ a` ce travail en horaires atypiques. Cette visite me´dicale permettra aussi de rappeler les re`gles de pre´vention et les conseils hygie´nodie´te´tiques. L’information des salarie´s est primordiale, en particulier sur les moyens de pre´vention de la somnolence au volant (privile´gier les transports publics, e´viter les trajets monotones, prendre un cafe´ et faire une sieste avant un trajet long, ame´nager des temps de pause sur la route. . .) [34]. Suite a` une e´tude mene´e par le service du Centre du sommeil et de la vigilance de l’Hoˆtel-Dieu qui a porte´ sur 20 dossiers de travailleurs poste´s adresse´s pour de´sadaptation a` notre consultation spe´cialise´e de pathologie professionnelle, une proposition de plaquette d’information pour les travailleurs poste´s a pu eˆtre e´labore´e (Benzekri-Le louet A. Quelle surveillance me´dicale adopter pour les travailleurs poste´s et les travailleurs de nuit ? Re´flexion a` partir de 20 travailleurs poste´s et de nuit de´sadapte´s. The`se pour le doctorat de me´decine, 2006). Cette plaquette regroupe les principes de pre´vention de la de´sadaptation des travailleurs poste´s et pourrait eˆtre remise lors des visites me´dicales ou affiche´e sur les lieux de travail (annexe 4). En terme de traitement, les hypnotiques peuvent eˆtre utilise´s de fac¸on ponctuelle pour permettre une re´induction du sommeil. Leur prescription doit rester limite´e dans le temps. En ce qui concerne les traitements e´veillants (modafinil), les re´sultats d’une e´tude sur les travailleurs poste´s montre une re´duction objective de la somnolence sous traitement mais l’efficacite´ reste modeste [29]. Ces traitements n’ont pas l’autorisation de mise sur le marche´ dans cette indication en France. Fondamentalement, proposer une the´rapeutique me´dicamenteuse pour compenser une pathologie d’origine professionnelle est e´thiquement contestable. Le me´decin du travail a un roˆle d’information aupre`s des travailleurs et un roˆle de conseiller de l’employeur auquel il doit proposer des ame´nagements des conditions de travail afin de favoriser une meilleure tole´rance au travail poste´. Il rappellera en toutes circonstances l’importance d’e´viter de grandes amplitudes horaires de travail et la contre-indication aux heures supple´mentaires, conseillera sur le sens des 699
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rotations des postes de travail (de pre´fe´rence sens horaire). Compte tenu de l’absence de rythme de travail poste´ ide´al, l’ame´nagement des conditions de travail passe par : une gestion des temps de pause la plus souple possible (un temps de pause avec la possibilite´ de re´aliser une sieste est recommande´ sans augmentation de l’amplitude horaire de travail) ; une ame´lioration des repas servis la nuit ; une utilisation de lumie`re d’intensite´ e´leve´e indispensable au maintien d’une bonne vigilance ; un accompagnement social du travail de nuit au niveau des transports et de la garde des enfants [35,36]. La luxthe´rapie (lumie`re de haute intensite´) constitue le synchroniseur circadien le plus puissant. Son utilisation peut s’ave´rer tre`s utile en cas de de´synchronisation [37].
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Les horaires de travail irre´guliers ou de nuit soumettent
Conclusion La de´sadaptation au travail poste´ fait partie de l’e´volution normale d’un travailleur expose´ pendant de nombreuses anne´es. Une surveillance me´dicale ne peut pas toujours de´pister a` temps cette de´sadaptation et pre´venir l’inaptitude temporaire ou de´finitive mais, la nouvelle le´gislation apporte cependant une aide notable. Le roˆle du service de sante´ au travail dans cette surveillance me´dicale est essentiel (le me´decin du travail peut former les infirmie`res a` l’utilisation des e´chelles de de´pistage). Il est indispensable que cette surveillance individuelle puisse s’inscrire dans un cadre plus large de surveillance e´pide´miologique afin d’ame´liorer les connaissances sur les risques engendre´s par le travail en horaires de´cale´s ou de nuit. L’ame´lioration de ces connaissances pourrait ainsi permettre d’e´laborer une surveillance consensuelle et une e´volution des conditions de travail (ame´nagement des locaux, e´viter les heures supple´mentaires pour les travailleurs poste´s ou de nuit, adapter la charge de travail aux horaires travaille´s. . .). Au vu des connaissances actuelles, il est ne´cessaire que la visite me´dicale en me´decine du travail s’appuie, d’une part, sur un examen clinique complet du salarie´ et, d’autre part, sur l’utilisation d’outils valide´s et standardise´s tels l’agenda de sommeil, l’e´chelle de somnolence d’Epworth, l’IMC et un questionnaire subjectif de sommeil notamment.
Points essentiels
Le travail de nuit et le travail poste´ concernent environ un salarie´ sur cinq. Cette proportion de salarie´s a nettement progresse´ depuis ces dix dernie`res anne´es. 700
l’organisme humain a` des changements importants de ses rythmes chronobiologiques, sources de de´synchronisation et d’effets sur la sante´. Le travail poste´ se de´finit par « tout mode d’organisation du travail en e´quipe selon lequel des travailleurs sont occupe´s successivement sur les meˆmes postes de travail, selon un certain rythme, y compris un rythme rotatif et qui peut eˆtre de type continu ou discontinu entraıˆnant pour les travailleurs la ne´cessite´ d’accomplir un travail a` des heures diffe´rentes sur une pe´riode donne´e de jours ou de semaines. » Est conside´re´ comme travail de nuit, tout travail qui a lieu entre 21 h 00 et 6 h 00. Selon l’article L. 213-2 du Code du travail, le salarie´ qui effectue habituellement au moins trois heures de travail quotidien pendant cette pe´riode, au moins deux fois par semaine, ou encore qui accomplit un nombre minimal d’heures de travail de nuit (270 heures) pendant une pe´riode de re´fe´rence (12 mois conse´cutifs) doit eˆtre conside´re´ comme travailleur de nuit. Trois facteurs principaux permettent a` l’organisme humain de s’adapter a` un poste de travail : les facteurs chronobiologique, sommeil et socioe´conomique. Les principaux effets a` court terme sur la sante´ du travail de nuit ou en horaires alternants sont les troubles du sommeil responsables de fatigue et de somnolence. La plainte de mauvais sommeil est souvent un des premiers signes de de´sadaptation. De fac¸on habituelle, on observe l’apparition d’une dette chronique de sommeil d’environ un a` deux heures par jour. Le travail en horaires de´cale´s est responsable d’effets a` long terme cardiovasculaires (essentiellement hypertension arte´rielle et dyslipide´mie) et cance´roge`nes (exce`s mode´re´ de risque de survenue de cancer du sein chez la femme) avec une classification par le CIRC en de´cembre 2007 du « travail poste´ entraıˆnant une perturbation du rythme circadien » dans le groupe 2A des situations de travail cance´roge`nes (cance´roge`ne probable). Le travail de nuit impose une surveillance me´dicale renforce´e avec renouvellement de la fiche d’aptitude tous les six mois. Le contenu de cette surveillance n’est pas fixe´ re´glementairement. La visite me´dicale en me´decine du travail doit s’appuyer sur l’utilisation d’outils valide´s et standardise´s tels l’agenda de sommeil, l’e´chelle de somnolence d’Epworth, l’IMC, un questionnaire subjectif de sommeil. Une bonne tole´rance au travail en horaires de´cale´s est base´e sur le respect de re`gles hygie´nodie´te´tiques et sur une organisation du travail tenant compte de rythmes adapte´s, de pauses souples, d’ame´nagement des locaux inte´grant, en particulier, un e´clairage avec une lumie`re de haute intensite´.
Surveillance a` adopter pour les travailleurs poste´s et de nuit
Annexe 1. E´chelle d’Epworth Quelle chance avez-vous de somnoler ou de vous endormir, pas simplement de vous sentir fatigue´(e) dans les situations suivantes ? Cette question concerne votre mode de vie habituel au cours des derniers mois. Au cas ou` une des situations ne s’est pas produite re´cemment, essayez d’imaginer ce qui se passerait. Pour re´pondre, utilisez l’e´chelle suivante en entourant le chiffre le plus approprie´ pour chaque situation : 0 = aucune chance de somnoler ; 1 = faible chance de s’endormir ; 2 = chance mode´re´e de s’endormir ; 3 = forte chance de s’endormir.
De De De De
0 a` 8 : votre somnolence est normale. 8 a` 10 : votre somnolence est moyenne. 11 a` 15 : votre somnolence est e´leve´e. 16 a` 20 : votre somnolence est se´ve`re. De 21 a` 24 : votre somnolence est excessive. 701
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Annexe 2. Questionnaire de Spiegel
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Annexe 3. Index de qualite´ du sommeil de Pittsburgh (PSQI) Test effectue´ le : . . ./. . ./. . . (jour/mois/anne´e). Les questions suivantes ont trait a` vos habitudes de sommeil pendant le dernier mois seulement. Vos re´ponses doivent indiquer ce qui correspond aux expe´riences que vous avez eues pendant la majorite´ des jours et des nuits au cours du dernier mois. Re´pondez a` toutes les questions.
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Annexe 3 (Suite)
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Annexe 3 (Suite)
Annexe 4. Proposition de plaquette d’information pour les travailleurs poste´s Optimiser son sommeil : pre´server des horaires de lever et coucher les plus re´guliers possibles, meˆme en pe´riode de repos. Limiter la dette de sommeil : instaurer les siestes courtes (moins de 20 minutes) ou plus longues (1 h 15 a` 1 h 45). Cre´er un environnement favorable au sommeil : calme (utilisation de bouchons d’oreilles si besoin), sombre avec feneˆtres
calfeutre´es et frais avec tempe´rature ambiante ne de´passant pas les 22 8C. Utiliser la lumie`re : s’y exposer au maximum pendant le travail et l’e´viter dans les heures pre´ce´dant le coucher. Adapter l’activite´ physique : privile´gier une activite´ physique re´gulie`re et la pratiquer a` distance de l’heure du coucher. Pre´server une alimentation e´quilibre´e : conserver les trois repas par jour et e´viter le grignotage. Limiter les excitants (the´, cafe´, cola) et les e´viter dans les heures pre´ce´dant le coucher. Se me´fier de la conduite automobile apre`s une nuit de travail.
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