Annales de Cardiologie et d’Angéiologie 54 (2005) 212–215 http://france.elsevier.com/direct/ANCAAN/
Fait clinique
Survenue d’un infarctus du myocarde après arrêt de l’aspirine et des corticoïdes oraux chez une patiente présentant un syndrome des antiphospholipides Acute myocardial infarction complicating primary antiphospholipid syndrome after aspirin and steroids withdrawal K. Wahbi a,*, E. Salengro a, L. Galicier b, L. Guillevin c, C. Spaulding a, S Weber a, C. Meune a a
Service de cardiologie, hôpital Cochin, université René-Descartes, 27, rue du Faubourg-Saint-Jacques, 75014 Paris, France b Service de médecine interne–immunologie clinique, hôpital Saint-Louis, Paris, France c Service de médecine interne, hôpital Cochin, université René-Descartes, Paris, France Reçu le 11 mars 2005 ; accepté le 31 mai 2005 Disponible sur internet le 23 juin 2005
Résumé Une jeune femme de 24 ans, porteuse d’anticorps antiphospholipides, a été hospitalisée pour un infarctus du myocarde au 3e mois du post-partum. Elle n’avait pas d’antécédent de thrombose veineuse, ni artérielle, ni de facteur de risque cardiovasculaire. Pendant sa grossesse, une prophylaxie des accidents thrombotiques par aspirine avait été prescrite, suivie d’une corticothérapie orale après l’accouchement pour suspicion de HELLP syndrome. L’infarctus est survenu au décours de l’arrêt de l’aspirine puis des corticoïdes. La coronarographie effectuée précocement a révélé une occlusion thrombotique de l’IVA, traitée par angioplastie avec mise en place d’une endoprothèse. L’association aspirine–antivitamine K a ensuite été instaurée, sans événement thrombotique ultérieur. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract A 24-year-old woman, with known antiphospholid antibodies (APS), presented with an acute myocardial infarction (AMI) that occurred three months after delivery. No risk factors for arteriosclerosis and no past history of arterial/venous thrombosis were noted. During pregnancy, aspirin prophylaxis was prescribed and followed by steroids after caesarian section. Steroids withdrawal was followed by AMI. Immediate coronary angiography revealed thrombotic occlusion of the left descending coronary artery; PTCA was successfully performed. She was discharged with an antiplatelet and anticoagulant regimen. No recurrent coronary event occurred during follow-up. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Infarctus du myocarde ; Syndrome des antiphospholipides ; Angioplastie coronaire ; Aspirine ; Corticothérapie Keywords: Myocardial infarction; Antiphospholipid syndrome; Coronary angioplasty; Aspirin; Corticotherapy
1. Introduction Le syndrome des antiphospholipides (SAPL) est une affection rare, caractérisée par l’association d’anticorps antiphos* Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (K. Wahbi). 0003-3928/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.ancard.2005.05.019
pholipides (antiprothrombinase, anticardiolipines) et d’évènements cliniques, principalement des thromboses veineuses et/ou artérielles. Il peut être isolé (SAPL primaire) ou associé à d’autres affections (SAPL secondaire) dont des connectivites, principalement le lupus érythémateux disséminé (LED). Plusieurs observations d’infarctus du myocarde (IDM) survenus dans le cadre d’un SAPL ont été rapportées [1,2]. Il
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n’existe pas de consensus sur les modalités de prévention de ces évènements thrombotiques. Nous rapportons l’histoire d’une patiente prise en charge pour un IDM, dans le cadre d’un SAPL, survenu au décours de l’interruption d’un traitement par aspirine et corticoïdes oraux. 2. Observation Une jeune femme de 24 ans a été hospitalisée à la phase aiguë d’un infarctus antérieur, survenu à la 10e semaine du post-partum. Elle avait pour principal antécédent la présence d’anticorps anticardiolipines, découverts lors du bilan d’un purpura thrombopénique idiopathique à l’âge de dix ans, sans épisode thrombotique, sans argument pour une connectivite sous-jacente. Elle ne présentait aucun facteur de risque d’athérosclérose. Lors du suivi d’une seconde grossesse (première grossesse sans complication), à la 5e semaine, a été initié un traitement par aspirine 100 mg/jour en prévention de complications thrombotiques. Au 7e mois sont apparues une cytolyse hépatique et une thrombopénie, sans protéinurie, sans hypertension artérielle, ni symptômes. Un équivalent de HELLP syndrome, acronyme anglais désignant une forme compliquée de prééclampsie qui associe une hémolyse (HEmolysis), une cytolyse hépatique (Elevated Liver) et une thrombopénie (Low Platelet), a été suspecté et une corticothérapie instituée à la posologie de 1 mg/kg par jour. L’évolution a rapidement été marquée par la survenue d’une souffrance fœtale aiguë, nécessitant une césarienne. Dans le contexte chirurgical, l’aspirine a été interrompue, sans réintroduction ultérieure, ni relais par un agent antithrombotique, pour un motif indéterminé. La corticothérapie a été poursuivie, suivie d’une décroissance progressive. Deux mois et demi après la césarienne (soit deux mois et demi après l’arrêt de l’aspirine et 15 jours après l’arrêt des corticoïdes), la patiente a présenté plusieurs douleurs thoraciques, rétrospectivement évocatrices d’origine coronarienne. Elle a été hospitalisée 15 jours plus tard pour un infarctus en voie de constitution, vu à la 6e heure. La coronarographie effectuée dès l’admission a montré une occlusion thrombotique de l’IVA proximale, avec une reprise du lit d’aval à partir de la coronaire droite (Figs. 1 et 2), sans infiltration athéromateuse du réseau coronarien. Malgré l’administration précoce d’anti-GPIIb-IIIa, la procédure d’angioplastie a été compliquée d’une migration thrombotique dans le tronc commun coronaire gauche et l’artère circonflexe (Fig. 3), responsable de plusieurs épisodes de fibrillation ventriculaire réduits par chocs électriques externes. En fin de procédure, après plusieurs angioplasties et la pose d’une endoprothèse non nue dans l’IVA proximale, un flux TIMI III a pu être obtenu sur l’ensemble du réseau. L’évolution hospitalière précoce a été favorable et la patiente a quitté le service sous une trithérapie antithrombo-
Fig. 1. Occlusion thrombotique de l’artère interventriculaire antérieure (IVA).
Fig. 2. Occlusion thrombotique de l’IVA proximale avec reprise en distalité à partir de la coronaire droite.
tique associant aspirine 100 mg/jour, clopidogrel 75 mg/jour et enoxaparine sous-cutanée 100 UI/kg par 12 heures, relayée à un mois par l’association aspirine 100 mg/jour et AVK (INR cible supérieur à trois). À un an, aucune récidive angineuse n’était survenue, le test d’effort était négatif et l’échographie cardiaque ne montrait qu’une hypokinésie apicale modérée avec une fraction d’éjection à 55 %.
3. Discussion La survenue de thromboses veineuses ou artérielles définit le SAPL. Si la survenue de thrombose veineuse est plus
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Fig. 3. Migration du thrombus dans le tronc commun coronaire gauche et dans l’artère circonflexe.
fréquente, plusieurs observations rapportent la survenue de thromboses coronaires [1,2]. De plus, la recherche systématique d’APL dans des populations de jeunes patients pris en charge pour un infarctus [3] ainsi que le recueil prospectif, au sein de cohortes de patients porteurs d’anticorps antiphospholipides de survenue d’infarctus [4] ont confirmé cette association. La physiopathologie de ces évènements coronariens peut impliquer un processus purement thrombotique sur artères non athéromateuses (comme le suggèrent les données de la coronarographie rapportées dans notre observation), mais aussi un athérome accéléré, dont on a démontré qu’il peut être favorisé par la présence des APL, indépendamment de leur association à un lupus [5,6]. Dans notre observation, les douleurs thoraciques sont apparues deux mois et demi après l’accouchement et l’interruption du traitement par aspirine, et 15 jours après l’interruption progressive de la corticothérapie orale. L’imputabilité de ces évènements dans la survenue de l’infarctus est discutable. Un risque accru de thrombose dans la période du postpartum est connu, mais son rôle dans notre observation semble minimal compte tenu du délai séparant l’accouchement de l’IDM. En prévention secondaire des accidents thrombotiques au cours du SAPL, les anticoagulants oraux sont recommandés [7]. En prévention primaire, l’aspirine est largement utilisée, mais son usage est controversé [8]. Dans cette observation, l’influence de l’arrêt de l’aspirine est probable, bien qu’un lien de cause à effet direct soit discutable, du fait d’un délai qui semble trop long (classiquement autour du dixième jour). Une corticothérapie orale peut être utilisée en présence d’APL en prévention des fausses couches [9]. Elle pourrait aussi prévenir la survenue de thromboses vasculaires par la diminution des taux d’anticorps antiphospholipides ; aussi
son interruption sans administration d’un antithrombotique pourrait avoir favorisé la survenue de la thrombose coronaire. Aucune conclusion formelle concernant la prévention primaire des accidents emboliques au cours du SAPL ne peut être déduite de cette observation, mais elle suggère qu’une période de sevrage de l’aspirine ou des corticoïdes pourrait constituer une période à risque de thrombose. La survenue de thromboses coronaires extensives a été rapportée lors des IDM associés à un SAPL [1]. Dans ces formes cliniques, l’utilisation d’anti-GpIIb-IIIa apporte vraisemblablement un bénéfice important en limitant les embolies distales de matériel fibrinoplaquettaire et les phénomènes de « no reflow » [10]. Dans notre observation, ils ont été administrés dès le début de la procédure et ont possiblement contribué au rétablissement d’une perfusion normale, TIMI III. Plusieurs procédés de thrombectomie sont en cours de développement et leur place dans la prise en charge de ces patients avec thrombose extensive pourrait constituer une aide précieuse, mais leur place reste à définir [11,12].
4. Conclusion Le SAPL est défini par l’association d’anticorps antiphospholipides et d’évènements cliniques, principalement des thromboses veineuses et/ou artérielles. L’IDM peut s’inscrire dans ce cadre, et sa survenue chez un patient jeune, surtout s’il n’existe pas de facteur de risque d’athérosclérose, doit faire rechercher des APL. Il n’existe pas actuellement de consensus pour la prévention primaire des accidents thrombotiques au cours du SAPL, mais l’aspirine est fréquemment utilisée ; son interruption doit être considérée comme à risque accru de thrombose. La corticothérapie, en diminuant le taux d’anticorps, pourrait réduire le risque de survenue d’accidents thrombotiques et sa période de sevrage pourrait constituer une période à risque. La prise en charge de l’IDM associé à un SAPL doit être conforme aux recommandations, incluant la réalisation d’une angioplastie et l’utilisation d’anti-GpIIb-IIIa. Au décours, nous suggérons de traiter les patients par l’association d’anticoagulants oraux et d’aspirine.
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