La revue de médecine interne 23 (2002) 953–956 www.elsevier.com/locate/revmed
Littérature commentée Rubrique coordonnée par Hervé Lévesque (Rouen) avec le concours des conseillers éditoriaux
Syndrome de reconstitution immunitaire et inflammatoire
S.A. Shelburne III, R.L. Hamill, M.C. Rodriguez-Barradas, S.B. Greenberg, R.L. Atmar, D.M. Musher, J.C. Gathe, F. Visnegarwala, B.W. Trautner. Immune reconstitution inflammatory syndrome. Medicine 2002;81:213-27
Les multithérapies antirétrovirales hautement actives ont considérablement fait reculer l’incidence des infections opportunistes et la mortalité associées à l’infection par le VIH par le biais d’une reconstitution des défenses immunitaires. Néanmoins, l’introduction de ces thérapeutiques a parfois pour conséquence précoce l’apparition de signes généraux inflammatoires dus à la restauration de la capacité de réponse inflammatoire des cellules immunes à des antigènes infectieux ou non infectieux. Les auteurs ont ainsi défini le syndrome de reconstitution immune et inflammatoire (SRII) comme une détérioration paradoxale de l’état clinique attribuable à l’amélioration du statut immunitaire après la mise en place d’une multithérapie antirétrovirale. Les auteurs font, dans cet article, une synthèse des connaissances et une revue de la littérature portant sur ce syndrome émergent, illustrées par une série de cas personnels. L’identification des patients et la définition des cas reposaient sur les critères suivants : • le patient était au stade sida ; • le traitement anti-VIH (associant ou non un inhibiteur de protéase) a entraîné une ascension des lymphocytes T CD4+ et une baisse de la charge virale VIH (quand elle a été mesurée) ; • les symptômes compatibles avec une affection infectieuse ou inflammatoire (auto-
immune) étaient apparus sous traitement antirétroviral ; • ces symptômes n’étaient pas expliqués par une nouvelle infection, par une évolution prévisible d’une infection connue ou par un effet secondaire médicamenteux. Sur le plan physiopathologique, l’introduction d’une multithérapie antirétrovirale entraîne une décroissance rapide de la charge virale plasmatique et une augmentation des cellules immunes. L’expansion immunitaire initiale concerne les lymphocytes T CD4+ mémoires CD45RO+, ayant déjà été exposé à des antigènes. Ce n’est que secondairement, après 4 à 6 semaines de traitement que les lymphocytes T CD4+ naïfs CD45RA+ augmentent. Cette expansion cellulaire, dépendante de l’état du thymus, s’associe à une modification du profil de sécrétion des cytokines, passant d’un profil Th-2 à Th-1, avec en particulier une augmentation de la production d’interleukine-2 et d’interféron-c, ainsi qu’à une progression des lymphocytes T CD8+. En complément de cette expansion cellulaire, les multithérapies antirétrovirales semblent capables d’améliorer le fonctionnement des cellules de l’immunité et les réponses prolifératives, notamment contre certains pathogènes tels que le cytomégalovirus ou les mycobactéries. La restauration de ces fonctions immunitaires par les multithérapies antirétrovirales est possible, même chez des patients fortement immunodéprimés et est fonction du degré de suppression de la charge virale VIH et de la croissance des lymphocytes T CD4+, plus que de leur nadir. La description des cas personnels et de la revue de la littérature porte sur un total de 185 observations. Les deux pathogènes les plus fréquemment associés à un SRII sont les infections à herpès zona (41 cas) et à Mycobacterium tuberculosis (37 cas). Si la présentation clinique est le plus souvent habituelle sous la forme d’un zona monomérique ou d’une tuberculose pulmonaire,
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certaines observations font état de présentation plus atypiques ou systémiques générales (atteinte ophtalmologique pour le zona, atteinte purement ganglionnaire, extrapulmonaire, du système nerveux central pour Mycobacterium tuberculosis). Le délai de survenue du SRII après introduction des MARV s’échelonne de 9 à 180 j. Il est à remarquer que ces deux affections les plus fréquemment associées au SRII sont communes chez le sujet non VIH et surviennent chez le sujet VIH à un niveau d’immunodépression inférieur aux classiques autres infections opportunistes, même si le niveau moyen des lymphocytes T CD4+ avant l’introduction des multithérapies antirétrovirales est bas, le plus souvent inférieur à 50/mm3. Il est néanmoins à signaler des observations de SRII sur tuberculose ou le nadir des lymphocytes T CD4+ était supérieur à 200, rapprochant ces observations des réactions paradoxales observées à l’introduction de traitement antituberculeux observées chez des sujets non infectés par le VIH (rôle immunodépresseur intrinsèque de Mycobacterium tuberculosis). Les infections à Mycobacterium avium complex (MAC) (32 cas) sont les premières à avoir été associées au SRII. En raison de leur faible pathogenicité, les infections à MAC sont souvent peu symptomatiques et diffuses et constituent une cible idéale lors d’une restauration immunitaire. Le tableau clinique associe des signes généraux et des atteintes viscérales variées et parfois associées : ganglionnaires, osseuses, cutanées, pulmonaires, digestives. Le niveau des lymphocytes CD4+ avant traitement est habituellement très bas (10 à 100/mm3) et le délai de survenue des signes cliniques le plus souvent inférieur à 1 mois après le début de la MARV mais pouvant aller jusqu’à 750 jours pour certaines localisations profondes. Les infections à CMV (22 cas) se traduisent habituellement par une atteinte ophtalmique (atteinte vasculaire, réti-
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nienne, ou du vitrée) qui se caractérise par une atteinte inflammatoire intense survenant 35 à 180 jours après l’introduction d’une MARV. D’autres atteintes sont possibles : parotidiennes, pulmonaires ou diffuses. Le niveau d’immunodépression est élevé à l’introduction des MARV (20 à 70 CD4+ par mm3 selon les études). Les infections à Cryptococcus neoformans associées à un SRII sont plus rares (12 cas) et surviennent sous la forme d’une méningite dans seulement 50 % des cas, d’adénite, d’abcès sous-cutané ou de pneumopathie nécrosante. Le délai de survenu du SRII est de 8 à 270 jours par rapport au début du traitement par MARV et l’immunodépression avant traitement très avancée (7 à 42 lymphocytes T CD4+ par mm3). Sept patients co-infectés par le virus de l’hépatite B ont présenté un SRII sous la forme d’une hépatite aiguë symptomatique ou non. Il a été décrit dans ce contexte l’apparition de divers anticorps anti hépatite B associé à une disparition de l’antigène HBs avec guérison de l’hépatite. Quatre patients co-infectés par le virus de l’hépatite C ont présenté un SRII, trois fois sous la forme d’une hépatite aiguë et une fois sous la forme d’une cryoglobulinémie symptomatique. Deux de ces patients, qui avaient une sérologie négative pour l’hépatite C avant le début de la MARV ont vu apparaitre des anticorps anti-VHC après traitement. L’analyse rétrospective du sérum avant MARV confirmait la présence du VHC par PCR. Le diagnostic de SRII chez les patients co-infectés par les virus hépatotropes est problématique compte tenu de l’hépatotoxicité habituelle des MARV. Une élévation des transaminases à la suite d’une MARV est en effet habituelle chez les patients coinfectés. Il est rapporté 10 cas de sarcoïdose pulmonaire, cutanée et/ou ganglionnaire associés à un SRII dont deux en situation de reprise évolutive d’une sarcoïdose diagnostiquée avant MARV. Il est remarquable de relever que le niveau d’immunodépression avant MARV semble moins important que dans les autres situation de SRII puisque sept patients avaient des lymphocytes T CD4+ > 146/mm3. Le délai de diagnostic était également retardé, entre 60 et 750 jours après le début de la MARV. Neuf cas d’hyperthyroïdie sont également rapporté et pourraient être associés à la genèse d’anticorps antithyroïdiens sous MARV. Enfin il est également rapporté, associé à un SRII, 5 cas de leucoencéphalite multifocale progressive, 3 cas de sarcome de Kaposi, 1 cas d’infection à herpès, 1 cas d’infection à Pneumocystis carinii et 1 cas d’infection à Bartonella henselea. La survenue de ces SRII était constamment associée à une augmentation très significative du taux de
lymphocytes T CD4+ au moment du diagnostic par rapport à la valeur préthérapeutique et à une décroissance importante de la charge virale VIH plasmatique. L’aspect thérapeutique est peu abordé par les auteurs. Outre le traitement spécifique de l’infection causale, le traitement du SRII repose essentiellement sur la corticothérapie, dont les modalités d’administration ne sont pas précisément définies. D’autres thérapeutiques sont en cours d’évaluation : anti-inflammatoire non stéroïdiens, thalidomide. L’expression clinique d’un SRII est très variable et sa reconnaissance doit être évoquée devant tout nouveau symptôme chez un patient traité par une MARV d’introduction récente et efficace en termes de réponse immunovirologique. La prise en charge thérapeutique en est encore imparfaitement codifiée. Si cette entité émergente est aujourd’hui bien connue des praticiens, cette étude descriptive exhaustive permet d’en définir plus précisément les contours et de synthétiser les différentes expressions cliniques associées à un SRII sous MARV. Néanmoins, il est à regretter que les auteurs ne proposent pas, à l’issue de cette étude exhaustive, une conduite à tenir précise face à la survenue d’un SRII sous MARV. Fabrice Bonnet S02488663(02)00740-3
Pratique religieuse et tabagisme chez les adultes jeunes. Étude CARDIA
M.A. Whooley, A.L. Boyd, J.M. Gardin, D.R. Williams. Religious involvement and cigarette smoking. The CARDIA study. Arch Intern Med 2002;162:1604-10
Le tabagisme est un facteur de risque majeur de morbi-mortalité cardiovasculaire, en accélérant la survenue de l’athérosclérose par de multiples mécanismes demeurant mal élucidés jusqu’alors ; de fait, de nombreuses équipes ont mis en évidence une relation entre le risque accru de morbidité coronarienne et la sévérité de l’intoxication tabagique (– 30 % versus + 26 % versus + 60 %, si tabagisme nul, < un paquet/jour et > un paquet/jour, respectivement). Cependant, à l’heure actuelle, la prévalence mondiale du tabagisme augmente inexorablement et tout particulièrement chez les sujets jeunes vivant dans les pays occidentaux (28 % en
1991 versus 36 % en 1997) (Centers for Disease Control. MMWR Morb Mortal Wkly Rep 1998;47:229-35). Récemment, des travaux ont suggéré que la pratique d’une religion pourrait être associée à une réduction de la consommation tabagique (J.M. Wallace et al. Health Educ Behav 1998;25:721-4). Ces données préliminaires, quelque peu surprenantes, ont ainsi incité Whooley et al. à réaliser cette étude prospective, nord-américaine et multicentrique (Birmingham, Chicago, Minneapolis, Oakland), dont le but était de déterminer si l’importance de la pratique religieuse, appréciée par l’assiduité aux offices religieux, était corrélée à une diminution de la prévalence et de l’incidence du tabagisme, dans une population d’adultes jeunes. En définitive, 4544 sujets, âgés de 20 à 32 ans et regroupant un nombre superposable d’hommes et de femmes de race caucasienne et noire, ont été inclus dans cette série ; ils avaient préalablement participé à l’étude CARDIA, dont les objectifs étaient de décrire l’évolution des facteurs de risque coronariens chez les adultes jeunes (G.D. Friedman et al. J Clin Epidemiol 1998;41:1105-16). L’« implication » religieuse des patients, mesurée par leur fréquentation des offices religieux, était évaluée, lors de l’inclusion, au moyen d’un autoquestionnaire ; celle-ci était considérée comme faible, modérée et forte, lorsque la participation aux offices religieux était < 1 fois/mois, de 1 à 3 fois/mois et ≥ 1 fois/semaine, respectivement. Par ailleurs, le tabagisme était estimé par un interrogatoire des sujets, au moment de l’inclusion et au cours du suivi à 3 ans. Dans ce travail, les auteurs ont, tout d’abord, observé, lors de l’inclusion, une corrélation inverse entre l’importance de la participation aux offices religieux des patients et : • la prévalence du tabagisme : 17 % versus 30 % versus 34 %, respectivement, en cas de fréquentation des offices religieux, ≥ 1 fois/semaine, de 1 à 3 fois/mois et < 1 fois/mois (OR : 1,7 ; 95 % CI : 1,52 ; p < 0,001) ; • la sévérité de l’intoxication tabagique : consommations moyennes respectives de tabac chez les fumeurs de l’ordre de 12 cigarettes/jour versus 14 cigarettes/jour, en cas de fréquentation des offices religieux > 1 fois/mois et < 1 fois/mois. Cette relation inverse entre l’intensité de la participation aux offices religieux et la prévalence du tabagisme chez les sujets, était relevée quelle que soit l’appartenance à un groupe religieux (i.e., religions : catholique, protestante, orthodoxe, juive, musulmane, bouddhiste{) (p < 0,001).