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Syndrome de Willebrand acquis : étude d’une série de neuf patients et revue de la littérature Acquired von Willebrand syndrome: A case series of nine patients and literature review E. Boissier a , L. Darnige b , J. Dougados a , J.-B. Arlet a , S. Dupeux a , S. Georgin-Lavialle a,c , C. Caron d , J. Tapon-Bretaudière b,c , J. Pouchot a,c , B. Ranque a,∗,c a
Service de médecine interne, hôpital européen Georges-Pompidou, AP–HP, 20, rue Leblanc, 75015 Paris, France Service d’hématologie, hôpital européen Georges-Pompidou, AP–HP, 20, rue Leblanc, 75015 Paris, France c Faculté de médecine, université Paris Descartes, Paris Sorbonne Cité, 75005 Paris, France d Institut d’hématologie-transfusion, centre de biologie-pathologie, CHRU de Lille, 59037 Lille, France b
i n f o
a r t i c l e
Historique de l’article : Disponible sur Internet le xxx Mots clés : Syndrome de Willebrand acquis Hémostase Maladies lymphoprolifératives
r é s u m é Propos. – Alors que la maladie de Willebrand est la plus fréquente des pathologies hémorragiques constitutionnelles, le syndrome de Willebrand acquis est rare. Méthodes. – Étude rétrospective monocentrique descriptive des observations de syndrome de Willebrand acquis diagnostiqués entre 2000 et 2012. Les critères diagnostiques retenus étaient l’absence d’antécédents hémorragiques cutanéomuqueux, et la diminution des taux de facteur VIII (FVIII) et de facteur Willebrand (VWF), activité cofacteur de la ristocétine (RCo) et antigène (Ag). Résultats. – Neuf hommes présentant un syndrome de Willebrand acquis ont été étudiés, dont six ayant un syndrome hémorragique récent. Chez tous sauf un, la caractérisation phénotypique évoquait une maladie de Willebrand qualitative, avec diminution du rapport VWF:RCo/VWF:Ag. Tous avaient une maladie lymphoproliférative avec immunoglobuline monoclonale circulante (une leucémie lymphoïde chronique, trois maladies de Waldenström, un lymphome de la zone marginale, quatre gammapathies monoclonales de signification indéterminée). La recherche d’anticorps anti-VWF était négative. Un traitement symptomatique par concentrés de VWF était instauré en cas d’hémorragie sévère. Cinq patients ont rec¸u des immunoglobulines intraveineuses, avec une bonne réponse uniquement chez les porteurs d’immunoglobuline monoclonale d’isotype G. Chez trois patients, la rémission du lymphome sous chimiothérapie a été suivie d’une normalisation partielle ou totale du taux de VWF, les autres patients ayant conservé un déficit. Conclusion. – Le syndrome de Willebrand acquis est rare mais potentiellement grave. Il doit être évoqué chez l’adulte devant un syndrome hémorragique cutanéomuqueux inhabituel avec ou sans allongement du temps de céphaline activée (TCA) et confirmé par dosage du VWF (Ag et RCo). Une maladie associée hématologique, néoplasique ou valvulaire cardiaque doit être recherchée. © 2013 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
a b s t r a c t Keywords: Acquired von Willebrand disease Haemostasis Lymphoproliferative disease
Purpose. – Whereas von Willebrand disease is the most common constitutional bleeding disorder, acquired von Willebrand syndrome is rare. Methods. – Retrospective, monocentric descriptive study of consecutive cases of acquired von Willebrand syndrome diagnosed between 2000 and 2012. Diagnostic criteria included: absence of a past history of mucocutaneous bleeding, with low plasma levels of factor VIII (FVIII) and von Willebrand factor (VWF), ristocetine cofactor activity (RCo) and antigen (Ag). Results. – Nine men were diagnosed with von Willebrand syndrome. Six of them presented with recent mucocutaneous bleeding. In eight cases, the biological phenotype was a type 2 von Willebrand disease, with decreased VWF:RCo/VWF:Ag ratio. A lymphoproliferative disease with circulating paraprotein was identified in all patients, including one chronic lymphoid leukemia, three Waldenström and one marginal
∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (B. Ranque). 0248-8663/$ – see front matter © 2013 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.revmed.2013.02.039
Pour citer cet article : Boissier E, et al. Syndrome de Willebrand acquis : étude d’une série de neuf patients et revue de la littérature. Rev Med Interne (2013), http://dx.doi.org/10.1016/j.revmed.2013.02.039
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zone lymphomas, four monoclonal gammapathies of unknown significance. Screening for an anti-VWF inhibitor was negative. Symptomatic treatment using infusion of VWF concentrates was administrated in the presence of severe mucocutaneaous bleeding. Five patients received intravenous immunoglobulins with a good response only in patients with G isotype paraprotein. A chemotherapy was initiated if indicated for the underlying disorder. Three of the four patients who achieved remission of the associated lymphoma had a subsequent improvement of plasma VWF levels, while all other patients remained deficient. Conclusion. – Acquired von Willebrand syndrome is a rare but potentially serious disease. The diagnostic should be suspected in adults with unusual mucocutaneous bleeding, with or without prolonged partial thromboplastin time (PTT), and confirmed with a decreased plasma level of VWF (Ag and RCo). An associated haematological, neoplastic or cardiac valvular disease must be searched. © 2013 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
1. Introduction La maladie de Willebrand constitutionnelle est la plus fréquente des maladies hémorragiques constitutionnelles, avec une prévalence de 1 % dans la population générale [1]. Elle se manifeste dès l’enfance par un syndrome hémorragique cutanéomuqueux plus ou moins sévère. On distingue le type 1 caractérisé par un déficit quantitatif partiel, le type 2 par un déficit qualitatif et le type 3 par un déficit total. Le syndrome de Willebrand acquis est une maladie beaucoup plus rare et méconnue, dont la prévalence est évaluée à 0,04 % dans la population générale [2]. Il a été décrit pour la première fois en 1968, chez une patiente atteinte de lupus érythémateux disséminé [3]. Depuis, environ 300 cas ont été décrits dans la littérature [4]. Comme pour la maladie de Willebrand constitutionnelle, les hémorragies cutanéomuqueuses sont les signes cliniques révélateurs : ecchymoses spontanées, épistaxis sévères, gingivorragies, hémorragies digestives, hématurie, etc. Sur le plan biologique, ce syndrome évoque le plus souvent une maladie de Willebrand de type 2 (déficit qualitatif partiel). Il peut toutefois présenter les caractéristiques d’un type 1 ou 3. Devant un syndrome hémorragique cutanéomuqueux inhabituel, le diagnostic de syndrome de Willebrand acquis doit être envisagé en présence des caractéristiques cliniques suivantes : âge d’apparition tardif, absence d’antécédents personnels ou familiaux de troubles de la coagulation, et pathologie sousjacente fréquemment associée : hémopathie lymphoproliférative ou myéloproliférative, cancer solide, maladie auto-immune, rétrécissement aortique ou hypothyroïdie [5]. Nous rapportons neuf observations de syndrome de Willebrand acquis diagnostiqués et traités entre janvier 2005 et janvier 2012 à l’hôpital européen Georges-Pompidou (HEGP), à Paris.
2. Patients et méthodes Les patients atteints d’un syndrome de Willebrand acquis ayant eu un bilan d’hémostase à l’HEGP (ouverture de l’hôpital en 2000) ont été recensés grâce à la base de données informatisée du service d’hémostase. Le diagnostic de syndrome de Willebrand acquis a été retenu devant une diminution du taux plasmatique de facteur Willebrand:antigène (VWF:Ag) dosé par un Elisa avec lecture fluorimétrique (Vidas, Bio-Mérieux, France), du facteur Willebrand : activité cofacteur de la ristocétine (VWF:RCo) dosée en agrégométrie plaquettaire et du facteur VIII (FVIII) par dosage chronométrique, en l’absence d’antécédents hémorragiques personnels ou familiaux. Il a été complété secondairement par un dosage du pro-peptide du VWF (VWF:pp) par un Elisa avec lecture fluorimétrique (GTI Diagnostics, États-Unis) dont le taux est normal dans cette pathologie acquise (dosage effectué par le centre de biologiepathologie du CHR de Lille).
Chez ces patients, nous avons recueilli rétrospectivement, outre les antécédents personnels ou familiaux de syndrome hémorragique, les traitements modifiants l’hémostase, l’âge de survenue du syndrome de Willebrand, la ou les pathologies associées ainsi que les traitements rec¸us avec leur délai et durée d’efficacité. Les résultats biologiques recueillis étaient la numération formule sanguine, le temps de prothrombine (TP), le temps de céphaline kaolin (TCK), le dosage du FVIII et du VWF (Ag et RCo), l’électrophorèse et l’immunofixation des protéines sériques. La recherche d’anticorps anti-VWF neutralisants a été réalisée classiquement par un dosage du VWF:RCo en agrégométrie sur un mélange du plasma du malade et d’un plasma témoin, alors qu’une technique Elisa selon la procédure décrite par Siaka et al. [6] a été mise en œuvre pour rechercher des anticorps non neutralisants. Ce bilan biologique a été complété pour tous les patients par le dosage du pro-peptide du VWF (VWF:pp) qui, s’il est normal, indique que le déficit en VWF est dû à une clairance augmentée de ce dernier et, pour quatre des patients, par la mesure par technique Elisa (Asserachrom VWF:CB, Stago, France) de la liaison du VWF au collagène (VWF:CB) qui permet d’apprécier l’absence éventuelle des hauts poids moléculaires du VWF, indispensables pour une hémostase primaire normale. 3. Résultats Entre janvier 2001 et 2012, neuf cas de syndrome de Willebrand acquis étaient diagnostiqués à l’HEGP (Tableau 1). Tous les patients étaient de sexe masculin avec un âge au diagnostic allant de 35 à 85 ans. Parmi les neuf patients, six présentaient une symptomatologie hémorragique cutanéomuqueuse : trois épisodes d’hématurie, un épisode de rectorragie, une hémorragie digestive et une épistaxis sévère. Pour trois des patients, la découverte du syndrome de Willebrand était fortuite lors du bilan d’une hémopathie associée (gammapathie monocolonale de signification indéterminée [MGUS] et maladie de Waldenström). Aucun patient n’avait d’antécédent personnel ancien de troubles de l’hémostase ou de symptomatologie hémorragique. L’enquête familiale n’avait pas révélé d’anomalie particulière. Aucun patient n’avait de rétrécissement aortique. Deux patients prenaient des anticoagulants pour une fibrillation atriale. Trois patients avaient un cancer en cours de traitement : prostate (n = 2) et côlon (n = 1). Cinq patients avaient une anémie et trois une thrombopénie modérée (> 100 G/L). 3.1. Bilan d’hémostase Huit des neuf patients présentaient une augmentation significative du TCK (ratio malade/témoin ≥ 1,2) avec diminution du VWF:RCo et VWF:Ag et du FVIII. Le phénotype de huit des patients indiquait un déficit de type qualitatif avec un ratio VWF:RCo/VWF:Ag inférieur ou égal à 0,7. Pour quatre des patients, le ratio VWF:CB/VWF Ag inférieur ou égal à 0,6 correspondait à une perte importante des multimères de haut poids moléculaires. Le
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Patient 3
Patient 4
Patient 5
Patient 6
Patient 7
Patient 8
Patient 9
Âge au diagnostic (ans) Signes cliniques révélateurs
77 Hématomes volumineux
82 Hématurie, gingivorragies
73 –
35 Épistaxis acquis
50 Aucun
78 Rectorragies
76 Hématurie
78 Aucun
TCK ratio M/T – N < 1,2 VWF:RCo % – N : 50–150 VWF:Ag % – N : 50–150 VWF:RCo/Ag – N > 0,7 VWF:CB % – N : 50–150 VWF:CB/Ag – N > 0,6 FVIII:C % – N : 50–150 VWF:pp/Ag – N < 2,8 Recherche anti-VWF T+M Elisa Ig monoclonale Maladies associées
1,7 (ACC+) < 10 39 < 0,2 nd – 64 13
84 Hématurie, hémorragie digestive 1,1 19 31 0,6 5 0,2 38 6,2
1,2 30 31 1 nd – 26 5,9
1,3 28 37 0,7 nd – 34 5,0
1,6 17 27 0,6 15 0,6 29 6,1
1,4 15 24 0,6 21 0,9 22 4,1
1,3 < 10 16 < 0,6 5 0,3 14 10,8
1,3 < 10 19 < 0,5 nd – 20 9,6
1,3 20 33 0,6 nd – 45 5
Négative Négative IgM lambda LZM, cryoglobuline, cancer prostate
Négative Négative IgG lambda MGUS
Négative Négative IgM kappa Waldenström
Négative Négative IgM lambda Waldenström
Négative Négative IgM Kappa Waldenström, hépatite C
Négative Négative IgG Kappa MGUS
Négative Négative IgG Kappa MGUS
Négative Négative IgG lambda MGUS, cancer colorectal
IgIV
0
0
0
0
VWF, IgIV
IgIV
IgIV
EP, chimiothérapie – 0 Rémission complète TCK ratio 1,2 Hémorragies digestives récidivantes
0
Chimiothérapie
Chimiothérapie
0
0
Chimiothérapie
– – MGUS stable
– – Rémission partielle VWF:RCo 41 VWF:Ag 55 FVIII 59 Aucun symptôme
EP, chimiothérapie – – Rémission partielle VWF:RCo 167 VWF:Ag 158 FVIII 156 Aucun symptôme
– – Rémission complète VWF:RCo 137 VWF:Ag 119 FVIII 72 Aucun symptôme
24 heures 6 semaines Stable
24 heures 2 semaines Stable
24 heures 2 semaines –
VWF:RCo 10 VWF:Ag 19 FVIII 20 Aucun symptôme
VWF:RCo 45 VWF:Ag 42 FVIII 46 Hématuries récidivantes
Décès
Traitement étiologique
Négative Négative IgM Kappa LLC, AHAI, cancer prostate, méningiome Desmopressine, VWF, IgIV Chimiothérapie
Délai d’efficacité des IgIV Durée d’efficacité des IgIV Évolution de la maladie sous-jacente
13 jours 24 heures –
Évolution du syndrome de Willebrand
Décès
Traitement symptomatique
VWF:RCo 30 VWF:Ag 29 FVIII 41 Aucun symptôme
ACC : anticoagulant circulant de type lupique ; AHAI : anémie hémolytique auto-immune ; EP : échanges plasmatiques ; LLC : leucémie lymphoïde chronique ; LZM : lymphome de la zone marginale ; nd : non déterminé ; IgIV : immunoglobulines intraveineuses ; Ig : immunoglobuline ; MGUS : gammapathie monoclonale de signification indéterminée ; VWF : facteur Willebrand ; VWF:Ag : facteur Willebrand:antigène ; VWF:CB : VWF au collagène ; VWF:pp : pro-peptide du VWF ;VWF:RCo : activité cofacteur de la ristocétine.
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Patient 2
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Patient 1
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Tableau 1 Caractéristiques cliniques, biologiques, thérapeutiques et évolutives des neuf patients suivis.
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rapport VFW:pp/VWF:Ag élevé (> 2,8) chez les neuf patients témoignait d’une clairance augmentée du VWF. La recherche d’anticorps anti-VWF était négative pour tous les malades. Un seul patient avec allongement du TCK avait un index d’anticoagulant circulant supérieur à 15 et un anticoagulant circulant de type lupique. 3.2. Bilan étiologique Une gammapathie monoclonale était mise en évidence chez tous les patients : quatre MGUS de type IgG avec deux isotypes kappa et deux isotypes lambda et cinq IgM avec trois isotypes kappa et deux isotypes lambda. Chez deux patients, une pathologie tumorale préexistait au diagnostic : une leucémie lymphoïde chronique en stade C de la classification de Binet compliquée d’une anémie hémolytique auto-immune (patient 1), et un cancer colorectal avec une MGUS (patient 9). Pour les autres patients, le bilan complémentaire permettait de diagnostiquer une maladie de Waldenström (patients 4, 5 et 6) et un lymphome de la zone marginale (patient 2). 3.3. Traitement symptomatique Le traitement consistait en l’administration de concentrés de VWF pour les patients 1 et 7, afin de contrôler le syndrome hémorragique. Dans les deux cas, la récupération plasmatique a été médiocre. La desmopressine préalablement testée chez le patient 1 s’est révélée inefficace. Cinq patients ont rec¸us des immunoglobulines intraveineuses (IgIV). Le délai d’efficacité était de 24 heures pour les trois patients porteurs d’une immunoglobuline IgG (patients 7, 8 et 9) avec une durée d’action allant de deux à six semaines. Pour les deux patients avec une IgM (patients 1 et 2), les IgIV étaient inefficaces. 3.4. Évolution Deux patients décédaient des suites de leur maladie tumorale : le patient 1 (leucémie lymphoïde chronique) décédait des complications d’un syndrome d’activation macrophagique et de l’anémie hémolytique auto-immune, et le patient 9 (MGUS) de son cancer colorectal. Le patient 2 était en rémission de son lymphome de la zone marginale avec un recul de quatre ans après la réalisation d’une chimiothérapie ; toutefois, il persistait un syndrome de Willebrand avec un TCK allongé (dosages du VWF et du FVIII non réalisés dans le suivi) et des saignements digestifs. Deux des patients (patients 3 et 7) qui avaient une MGUS conservaient des taux bas de VWF et de FVIII sans syndrome hémorragique. Le patient 8, ayant lui aussi une MGUS, présentait des taux de VWF et FVIII à la limite inférieure de la normale, avec de rares épisodes d’hématuries traités ponctuellement par IgIV. Trois patients ayant une maladie de Waldenström traitée avaient un syndrome de Willebrand contrôlé, avec des taux de VWF:RCo et VWF:Ag soit élevés (patients 5 et 6), soit à la limite inférieure de la normale (patient 4), sans syndrome hémorragique. L’un d’eux était en rémission complète de son lymphome (patient 4) et les deux autres gardaient des taux élevés de gammaglobulines. 4. Discussion Le syndrome de Willebrand acquis est une maladie de l’hémostase très rare mais dont la prévalence est probablement sous-estimée. Un registre international a été créé, qui comprenait 186 patients en 2000 [7]. Le syndrome atteint principalement les sujets d’âge mûr (l’âge moyen au diagnostic est de 60 ans), mais peut également survenir chez de jeunes adultes. Chez ces derniers, on retrouve souvent une association avec des maladies auto-immunes comme le lupus érythémateux disséminé. Dans
notre série, l’âge médian est de 77 ans, mais un patient atteint d’une maladie de Waldenström avait 35 ans au diagnostic. Il ne semble pas y avoir de nette prépondérance masculine d’après le registre international qui comprend 98 hommes et 88 femmes [7], contrairement à ce que pourrait laisser croire l’exclusivité masculine de notre série, qui est probablement dûe au hasard. La physiopathologie du syndrome de Willebrand acquis n’est pas encore totalement élucidée, mais plusieurs mécanismes ont été mis en évidence selon la maladie sous-jacente : la présence d’auto-anticorps anti-VWF, une adsorption sélective, une protéolyse spécifique, voire un défaut de synthèse : • la présence d’auto-anticorps anti-VWF est principalement retrouvée dans les maladies lymphoprolifératives de type MGUS et myélome multiple, et dans le lupus érythémateux disséminé [8]. Deux types d’anticorps peuvent être mis en évidence : ◦ des anticorps neutralisants qui interagissent avec le site de liaison du VWF au collagène ou aux glycoprotéines plaquettaires, ◦ des anticorps non neutralisants, plus difficiles à mettre en évidence, dirigés contre des sites non fonctionnels de la protéine et responsables d’une élimination accélérée du complexe VWF/FVIII de la circulation par le système réticulo-endothélial ; • une adsorption des multimères de haut poids moléculaire peut se faire au contact de cellules tumorales, par expression aberrante à la surface de ces cellules de récepteurs GPIb ou GPIIb/IIIa-like, expliquant la présence de ce syndrome dans les maladies lymphoprolifératives ou les cancers solides. L’hyperviscosité au cours de la maladie de Waldenström serait associée à une augmentation des forces de cisaillement s’accompagnant d’une diminution des multimètres de haut poids moléculaire du VWF [9]. Les plaquettes peuvent également être activées par les forces de cisaillement exercées lors d’une sténose aortique, favorisant alors la liaison du VWF à la GPIb plaquettaire [10] ; • une protéolyse du VWF serait en cause dans les syndromes myéloprolifératifs, due à la sécrétion d’enzymes comme l’élastase ou la plasmine [5]. Dans la sténose aortique, les forces de cisaillement élevées générées localement induiraient une altération de la conformation du VWF, le rendant plus sensible à une protéolyse par la métalloprotéase ADAMTS13 et provoquant un déficit en multimères de haut poids moléculaire [11]. Certains médicaments comme la ciprofloxacine peuvent aussi être responsables d’une protéolyse du VWF [12] ; • l’hypothyroïdie pourrait entraîner un défaut de synthèse du VWF [5,13]. L’évaluation initiale d’un patient suspect de syndrome de Willebrand acquis doit comporter un hémogramme et un temps de céphaline activée (TCA), mais l’allongement du TCA est inconstant car il dépend du taux de FVIII qui peut être dans cette pathologie proche de la limite inférieure de la normale. L’allongement du TCA observé est variable en fonction de l’étiologie du syndrome de Willebrand acquis et il est plus marqué quand il complique l’évolution d’un syndrome lymphoprolifératif [7]. Ce sont les mesures de l’activité cofacteur de la ristocétine (VWF:RCo) et de l’antigène (VWF:Ag), complétées par un dosage du FVIII qui permettent d’orienter le diagnostic. Dans la littérature, la plupart des formes acquises sont de type 2 par déficit qualitatif, caractérisé par un rapport VWF:RCo/VWF:Ag inférieur à 0,7. Le type 1 (représentant 80 % des maladies héréditaires) et le type 3 sont des déficits quantitatifs avec un rapport VWF:RCo/VWF:Ag proche de 1. Tous nos patients sauf un avaient un rapport abaissé, en faveur d’un déficit de type 2. La perte des multimères de haut poids moléculaire peut être évaluée par une électrophorèse sur gel d’agarose [14] ou indirectement par une étude de la liaison du VWF au collagène, plus facile à mettre en œuvre. C’est cette dernière technique qui a pu être réalisée chez
Pour citer cet article : Boissier E, et al. Syndrome de Willebrand acquis : étude d’une série de neuf patients et revue de la littérature. Rev Med Interne (2013), http://dx.doi.org/10.1016/j.revmed.2013.02.039
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quatre des neuf patients de cette série, mettant en évidence pour les patients 2 et 7 une perte des multimères de haut poids moléculaire. Le dosage du pro-peptide du VWF permet de mettre en évidence une clairance augmentée du VWF mature dans la forme acquise de la maladie de Willebrand, car il est normal ou augmenté, alors qu’il est diminué dans les formes constitutionnelles, sauf dans les variants 1C [15]. La mise en évidence d’anticorps anti-VWF peut être une aide précieuse au diagnostic étiologique. Lorsqu’il s’agit d’anticorps neutralisants, ceux-ci sont mis en évidence en mesurant l’inhibition du VWF d’un plasma témoin par mélange avec le plasma du patient. Cependant, ces anticorps sont difficiles à mettre en évidence, en raison de leur faible avidité pour le VWF in vitro [10]. Des tests Elisa, disponibles uniquement dans les centres d’hémostase spécialisés, permettent de détecter les anticorps non neutralisants, mais avec une faible sensibilité [6]. Aucun anticorps n’a été détecté chez nos patients, en revanche tous étaient porteurs d’une immunoglobuline monoclonale. Dans notre série, tous les patients avaient un syndrome lymphoprolifératif de bas grade et cela témoigne probablement d’un biais de recrutement. Les syndromes lymphoprolifératifs représentent plus de la moitié des causes de syndrome de Willebrand acquis avec essentiellement les MGUS (23 %) et le myélome multiple (9 %), plus rarement la maladie de Waldenström, les lymphomes non hodgkiniens et la leucémie lymphoïde chronique. Les syndromes myéloprolifératifs associés sont principalement la thrombocytémie essentielle (11 %) et la leucémie myéloïde chronique (3 %). Des observations de syndrome de Willebrand acquis ont plus rarement été décrites en association avec des néoplasies solides, particulièrement des carcinomes et des néphroblastomes [16]. Les pathologies cardiaques associées au syndrome de Willebrand acquis sont des valvulopathies (21 % des cas), essentiellement des rétrécissements aortiques [7,17], mais aussi des cardiomyopathies hypertrophiques obstructives [18]. La part des maladies cardiaques est probablement sous-estimée, car chez ces patients les troubles de l’hémostase sont souvent mis sur le compte de la prise d’anticoagulants ou d’antiagrégants et le syndrome de Willebrand n’est donc pas recherché. Des observations de maladies auto-immunes associées sont également rapportées dans la littérature (2 à 6 % des cas) notamment le lupus érythémateux disséminé et l’hypothyroïdie. Enfin, des observations de syndrome de Willebrand iatrogènes ont été rapportées, secondaires à des traitements antiépileptiques ou à des antibiotiques, notamment la ciprofloxacine [19,20]. Le traitement du syndrome de Willebrand acquis est double. On distingue le traitement symptomatique, permettant de prévenir ou de traiter le syndrome hémorragique, et le traitement curatif ciblant la pathologie sous-jacente [19,21]. Selon les données du registre international, trois traitements symptomatiques sont envisageables : la desmopressine, les concentrés de VWF ± FVIII et les IgIV. Le choix réside dans le type de réponse souhaitée, le type de déficit présent et la présence ou non d’anticorps antiVWF. La desmopressine est un médicament qui mime l’action de l’hormone antidiurétique. La prise de desmopressine va permettre la libération du VWF stocké dans les cellules endothéliales. Ce traitement est efficace dans un tiers des cas, notamment dans les maladies de Willebrand de type 1 et utilisé à la dose de 0,3 g/kg. Du fait d’une grande variabilité d’efficacité, un test thérapeutique préalable est nécessaire afin d’évaluer si le malade est répondeur ou non. En cas de non réponse à la desmopressine ou en cas de situation d’urgence (hémorragie non contrôlée), l’administration de concentrés plasmatiques de VWF (associé éventuellement au FVIII si son taux est nettement diminué) permet d’amender les symptômes mais de fac¸on très transitoire, motivant une administration pluriquotidienne [22]. Les posologies sont fonction du poids
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du patient, du taux initial du facteur et de l’indication thérapeutique, en sachant que 1 UI/kg permet une augmentation de 2 % du facteur. Dans la littérature, il a été décrit chez les patients porteurs d’anticorps anti-VWF une bonne réponse à l’administration d’IgIV. Celles-ci s’administrent par voie intraveineuse à la dose de 0,5 à 1 g/kg pendant deux à quatre jours. Cependant, une moins bonne réponse a été observée chez les patients porteurs d’une immunoglobuline monoclonale d’isotype M que chez ceux porteurs d’une IgG [23]. Ces données ont été confirmées dans notre série, où l’on a constaté une absence de réponse en présence d’une IgM mais une bonne efficacité en cas d’IgG après un délai moyen de 24 heures, avec une durée d’action de deux à six semaines. La moyenne de durée d’efficacité des immunoglobulines polyvalentes est de trois semaines dans la littérature, ce qui correspond à leur demi-vie. Les immunoglobulines agiraient par plusieurs mécanismes : blocage des récepteurs Fc du système réticulo-endothélial, retardant l’élimination plasmatique des complexes anticorps-VWF [24], effet de rétrocontrôle négatif sur les cellules produisant les anticorps [25] et augmentation de l’élimination des auto-anticorps par liaison avec des auto-anticorps idiotypiques présents sur les immunoglobulines [26]. En cas de nécessité de geste invasif ou de chirurgie programmée, il est conseillé d’effectuer en préopératoire une évaluation de la demi-vie du facteur Willebrand permettant de définir le meilleur schéma thérapeutique [22]. Ce test thérapeutique aux IgIV peut être également intéressant à réaliser en dehors de toute chirurgie programmée, afin de connaître la réponse ou non du patient et la cinétique de réponse. Cela permet de savoir s’il est utile d’administrer ce traitement dans une situation hémorragique aiguë ou subaiguë. Le résultat de ce test doit être idéalement consigné dans le dossier du patient et sur une carte à remettre au patient. Le second volet du traitement consiste à prendre en charge de fac¸on spécifique la maladie associée. Notre série ne comportant que des maladies hématologiques, le traitement consistait en l’administration de chimiothérapie pour la leucémie lymphoïde chronique, les lymphomes et la maladie de Waldenström. Les autres pathologies pouvant être associées au syndrome de Willebrand acquis doivent être traitées de fac¸on habituelle : corticothérapie ou immunosuppresseurs pour les maladies auto-immunes, thyroxine pour l’hypothyroïdie, arrêt du traitement responsable, ou chirurgie cardiaque pour les pathologies valvulaires. Dans l’étude de Frederici et al., le traitement de la pathologie associée permet une disparition totale du syndrome hémorragique avec normalisation des troubles de la coagulation spécifiques du syndrome de Willebrand acquis. Cette réponse confirme alors le lien de causalité avec la forme acquise [22]. Dans notre série, le syndrome de Willebrand acquis n’a pas régressé chez un des quatre patients ayant une maladie hématologique contrôlée par le traitement étiologique. Deux des trois patients avec MGUS non traitée conservent des taux bas de VWF et de FVIII, l’un étant asymptomatique et l’autre présentant uniquement de rares épisodes d’hématuries. L’évolution est donc souvent favorable après le diagnostic, sous réserve de l’administration d’un traitement prophylactique avant toute intervention chirurgicale ou dentaire : IgIV en cas de bonne réponse observée précédemment, ou injection de concentrés de VWF encadrant le geste. 5. Conclusion Le syndrome de Willebrand acquis est rare mais potentiellement grave et reste insuffisamment dépisté. Le diagnostic doit être évoqué devant une hémorragie cutanéomuqueuse inhabituelle survenant chez un adulte sans antécédent hémorragique, et/ou devant un allongement isolé du TCA dû au déficit en FVIII, fréquent mais inconstant dans ce syndrome. Le bilan biologique doit être complété par le dosage du facteur VIII, du VWF:Ag et VWF:RCo. Le caractère acquis du syndrome est confirmé par la
Pour citer cet article : Boissier E, et al. Syndrome de Willebrand acquis : étude d’une série de neuf patients et revue de la littérature. Rev Med Interne (2013), http://dx.doi.org/10.1016/j.revmed.2013.02.039
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mesure d’un rapport VFW:pp/VWF:Ag élevé. La découverte d’un syndrome de Willebrand acquis impose la recherche d’une maladie hématologique (notamment une gammapathie monoclonale par électrophorèse des protides et immunofixation), cancéreuse ou auto-immune, d’une hypothyroïdie ou d’une valvulopathie cardiaque. Le traitement de l’affection associée permet le plus souvent de guérir ou du moins de contrôler le syndrome de Willebrand. Dans les autres cas où il persiste, un traitement symptomatique doit être administré en urgence en cas d’hémorragie et avant toute intervention chirurgicale. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Remerciements Les auteurs remercient vivement les docteurs Richard Delarue et Felipe Suarez (service d’hématologie, hôpital Necker, Paris) pour la prise en charge thérapeutique et le suivi des quatre patients ayant bénéficié d’une chimiothérapie. Références [1] Rodeghiero F, Castaman G, Dini E. Epidemiological investigation of the prevalence of von Willebrand’s disease. Blood 1987;69:454–9. [2] Kumar S, Pruthi RK, Nichols WL. Acquired von Willebrand’s syndrome: a single institution experience. Am J Hematol 2003;72:243–7. [3] Simone JV, Cornet JA, Abildgaard CF. Acquired von Willebrand’s syndrome in systemic lupus erythematosus. Blood 1968;31:806–12. [4] Mohri H. Acquired von Willebrand syndrome: its pathophysiology, laboratory features and management. J Thromb Thrombolysis 2003;15:141–9. [5] Veyradier A, Jenkins CS, Fressinaud E, Meyer D. Acquired von Willebrand syndrome: from pathophysiology to management. Thromb Haemost 2000;84:175–82. [6] Siaka C, Rugeri L, Caron C, Goudemand J. A new ELISA assay for diagnosis of acquired von Willebrand syndrome. Haemophilia 2003;9:303–8. [7] Federici AB, Rand JH, Bucciarelli P, Budde U, van Genderen PJ, Mohri H, et al. Acquired von Willebrand syndrome: data from an international registry. Thromb Haemost 2000;84:345–9. [8] Viallard JF, Pellegrin JL, Vergnes C, Borel-Derlon A, Clofent-Sanchez G, Nurden AT, et al. Three cases of acquired von Willebrand disease associated with systemic lupus erythematosus. Br J Haematol 1999;105:532–7.
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Pour citer cet article : Boissier E, et al. Syndrome de Willebrand acquis : étude d’une série de neuf patients et revue de la littérature. Rev Med Interne (2013), http://dx.doi.org/10.1016/j.revmed.2013.02.039