Journal de Gyn´ ecologie Obst´ etrique et Biologie de la Reproduction (2009) 38, 250—253
CAS CLINIQUE
Syndrome de Boerhaave et grossesse. À propos d’un cas et revue de la littérature Syndrome of Boerhaave and pregnancy. A case report and review of the literature C. Rissoan a, C. Louerat a, R. Riou a, S. Lantheaume b,∗ a b
Service de pneumologie, centre hospitalier de Valence, 179, boulevard Maréchal-Juin, 26953 Valence cedex 9, France Service de gynécologie-obstétrique, centre hospitalier de Valence, 179, boulevard Maréchal-Juin, 26953 Valence cedex 9, France
Rec ¸u le 20 janvier 2008 ; avis du comité de lecture le 4 septembre 2008 ; définitivement accepté le 15 septembre 2008 Disponible sur Internet le 30 octobre 2008
MOTS CLÉS Syndrome de Boerhaave ; Grossesse ; Pneumomédiastin
KEYWORDS Boerhaave syndrome; Pregnancy; Pneumomediastinum
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Résumé Le syndrome de Boerhaave est une affection rare, correspondant à une rupture spontanée de l’œsophage (RSO), dont le pronostic dépend de la précocité de la prise en charge. Cliniquement, il est caractérisé par la triade : efforts de vomissements, douleur thoracique et emphysème sous-cutané. Nous rapportons le premier cas de RSO chez une femme enceinte de trois mois, suite à des vomissements incoercibles. L’excellente tolérance clinique de la patiente a permis une prise en charge médicale avec surveillance stricte, alimentation parentérale et antibiothérapie adaptée. La chirurgie en urgence, habituellement indiquée dans cette pathologie, n’a pas été réalisée dans ce contexte de grossesse. Le devenir obstétrical et néonatal a été favorable. Nous discutons les difficultés diagnostiques, les modalités de prise en charge ainsi que le pronostic d’une telle pathologie. © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Summary The syndrome of Boerhaave is a rare affection, corresponding to a spontaneous rupture of the oesophagus, the prognosis of which depends on the precocity of cares. Clinically, it is characterized by a set of three: efforts of vomitings, thoracic pain and subcutaneous emphysema. We report the first case of spontaneous rupture of the oesophagus in a 3-month pregnant woman, further to incoercible vomiting. The excellent clinical tolerance of the patient has allowed a medical care with strict monitoring, parenteral food and adapted antibiotic therapy. The surgery as a matter of urgency, usually indicated in this pathology, was not realized in this context of pregnancy. The obstetric and neonatal future was favorable. We discuss the diagnostic difficulties, the modalities of cares as well as the prognosis of such a pathology. © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (S. Lantheaume).
0368-2315/$ – see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.jgyn.2008.09.003
Syndrome de Boerhaave et grossesse. À propos d’un cas et revue de la littérature
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Le syndrome de Boerhaave, caractérisé par la triade : efforts de vomissements, douleur thoracique et emphysème sous-cutané, correspond à une rupture spontanée du tiers inférieur de l’œsophage. C’est une pathologie rare, de diagnostic difficile et dont le pronostic dépend de la précocité de la prise en charge. Il survient essentiellement lors des efforts de vomissements. Nous rapportons le cas d’un syndrome de Boerhaave survenu à 15 semaines d’aménorrhée chez une patiente présentant des vomissements gravidiques incoercibles et discuterons les difficultés diagnostiques, les modalités de prise en charge ainsi que le pronostic d’une telle pathologie.
Observation Mme D., 29 ans, enceinte d’une première grossesse de 15 semaines d’aménorrhée, est hospitalisée en urgence pour douleur vive rétrosternale irradiant en région cervicale, avec sensation de « crépitations » dans le cou de survenue brutale. Dans ces antécédents, on notait un pneumothorax survenu au cours d’une séance de plongée, il y a cinq ans, traité par talcage. Le début de sa grossesse était marqué par des nausées avec vomissements incoercibles (environ trois à quatre fois par jour), responsables d’un amaigrissement de 4 kg et non soulagés par les antiémétiques conventionnels. L’examen clinique retrouvait un emphysème sous-cutané sus-claviculaire gauche. Il n’y avait pas de trouble hémodynamique, le reste de l’examen clinique était sans particularité. Un scanner thoracique a mis en évidence un important pneumomédiastin s’étendant dans la région cervicale et sus-claviculaire gauche, faisant évoquer, en l’absence d’autres étiologies, le diagnostic de brèche du tiers inférieur de l’œsophage, appelé syndrome de Boerhaave (Fig. 1 et 2). Devant l’excellente tolérance clinique, la patiente a été laissée à jeun, avec une ali-
Figure 2 Pneumomédiastin. Pneumomediastin.
mentation parentérale apportant 2000 kcal par 24 heures, une intensification du traitement antiémétique par perfusion de granisétron et un traitement anti-acide à base de ranitidine et alginate de sodium. Une antibiothérapie par tazocilline a été débutée, couvrant les microorganismes de la sphère oropharyngée et digestive. Le contrôle du transit œsophagien à la gastrografine, réalisé à j + 2, n’a pas mis en évidence de brèche franche. Devant le caractère non compressif du pneumomédiastin et l’excellente tolérance clinique et biologique, une surveillance intensive a été décidée. Des échographies itératives de bien-être fœtal ont été réalisées. Mme D. a évolué favorablement sous traitement médical simple avec disparition des douleurs et de l’emphysème à j + 5. Le scanner thoracique de contrôle notait la disparition du pneumomédisatin et de l’emphysème sous-cutané. La patiente a repris une alimentation progressivement. Les vomissements se sont espacés tous les trois à quatre jours avec une reprise pondérale de 3 kg. Elle a pu regagner son domicile à j + 10, avec une prescription d’antiacides et d’antibiotiques, et contrôle biologique du bilan inflammatoire pendant un mois. La surveillance du bien-être fœtal a été réalisée deux fois par semaine par une échographie pendant son séjour. Le devenir de la grossesse n’a posé aucun problème. Mme D. a accouché à terme (39 SA), par voie vaginale, d’un enfant pesant 3715 g.
Discussion
Figure 1 Emphysème sous-cutané. Subcutaneous emphysema.
Le syndrome de Boerhaave est une affection rare, décrite pour la première fois en 1724, qui correspond à une rupture spontanée de l’œsophage (RSO) responsable d’une fistule œsopleurale ou œsomédiastinale [1,2]. Cette RSO concerne principalement l’homme (80 % des cas), avec un âge moyen de survenue entre 40 et 60 ans.
252 Elle survient le plus souvent à la suite d’un effort de vomissements et entraîne une augmentation soudaine de la pression intrathoracique ou intra-abdominale, transmise à un œsophage mal relaxé et/ou dont l’extrémité supérieure est occluse. Le tableau clinique varie mais est souvent dominé par la douleur thoracique et/ou abdominale orientant le diagnostic surtout si elle survient après un effort de vomissement. La triade pathognomonique du syndrome de Boerhaave, caractérisée par les douleurs thoraciques, les vomissements et l’emphysème sous-cutané, n’est que rarement retrouvée. L’examen de référence permettant de confirmer le diagnostic, s’il est réalisé précocement (avant la 48e heure), est le scanner thoracique avec opacification de l’œsophage qui supplante le transit œsophagien à la gastrographine [3]. Il permet de visualiser l’extravasation du produit de contraste par la brèche œsophagienne. La radiographie pulmonaire peut mettre en évidence un pneumomédiastin ou hydropneumothorax, orientant le diagnostic. La tomodensitométrie thoracique seule est également utilisée montrant des signes directs ou indirects, comme un pneumomédiastin, un œdème périœsophagien, des signes de médiastinite. Elle peut être utile en cas de doute : transit œsophagien aux hydrosolubles normal, rupture œsophagienne vue tardivement. . . [4]. Le pronostic dépend de la rapidité de la prise en charge. Les 24 premières heures sont déterminantes, tout retard au diagnostic augmente de fac ¸on notable la mortalité qui peut atteindre 100 % [5]. Le traitement doit être initié le plus rapidement possible pour juguler l’évolution vers la défaillance cardiorespiratoire et l’installation d’un tableau septique. Il reste le plus souvent chirurgical et ce d’autant plus que le diagnostic est précoce. Il consiste en une suture des berges de la rupture œsophagienne [4—6]. Si l’intervention est réalisée au delà de 12 heures, un risque de désunion des berges est possible par nécrose des bords de la rupture. On peut également proposer une fistulisation dirigée avec drain en T, dont la branche verticale intube l’œsophage et l’estomac et dont la branche horizontale intube la brèche et ressort à la peau. Le traitement médical est toujours associé au traitement chirurgical. En cas de prise en charge tardive et selon la gravité du tableau, il peut également constituer la meilleure attitude de traitement. Il comprend essentiellement deux volets : • une antibiothérapie à large spectre pour éviter l’évolution vers un tableau de médiastinite ; • une alimentation entérale par gastrostomie ou jéjunostomie, ou parentérale [4]. La particularité de ce cas clinique est la survenue d’une RSO chez une femme enceinte dans le cadre de vomissements incoercibles, observation non retrouvée dans la littérature. Chez Mme D., le diagnostic a été rapidement orienté par la présence d’un emphysème sous-cutané. La mise en évidence du pneumomédiastin et la confrontation avec l’histoire clinique ont permis d’affirmer le diagnostic de RSO.
C. Rissoan et al. Macia et al. rapportent, comme autres étiologies du pneumomédiastin, un traumatisme trachéobronchique, un cancer de l’œsophage, une décompensation asthmatique [7]. Ces diagnostics différentiels ne correspondaient pas à l’histoire clinique de notre observation. Pour Pourriat et al., le tableau débute le plus souvent par des douleurs thoraciques et des vomissements pouvant évoquer un syndrome coronarien aigu, une dissection des gros vaisseaux, une urgence abdominale à l’origine d’une errance diagnostique [8]. Dans cette observation, le tableau clinique était peu inquiétant évoquant plutôt un tableau de fissuration de l’œsophage. La patiente n’a présenté à aucun moment des signes de défaillance cardiorespiratoire ou septique, la prise en charge ayant essentiellement reposé sur : • la non-alimentation entérale de la patiente ; • le traitement antiémétique ; • la mise en route d’une antibiothérapie précoce pour éviter l’évolution vers une médiastinite. Compte tenu de la grossesse et de son état nutritionnel, la patiente a été perfusée sur VVC avec apport hypercalorique. L’alimentation a pu être reprise après contrôle de la quasi-disparition du pneumomédiastin au scanner. La patiente sous antiémétique à forte dose n’a présenté que deux vomissements en neuf jours dans le service. Le granisétron, normalement déconseillé chez les femmes enceintes, a été utilisé pour éviter la survenue de nouveaux vomissements. Ceux-ci risquaient d’aggraver la brèche œsophagienne et donc l’état clinique de la patiente. Dans le cas d’une brèche œsophagienne plus large responsable d’un tableau clinique plus inquiétant, la prise en charge aurait été chirurgicale, avec des conséquences probablement plus dramatiques pour la patiente et son enfant. La grossesse de Mme D. nous a contraints en une attitude plus attentiste. Le diagnostic précoce et le tableau clinique peu sévères nous ont fait préférer la surveillance à la chirurgie malgré des avis divergents à ce sujet. Une laparoscopie exploratrice et opératoire aurait pu être discutée. Mais un seul cas de suture œsophagienne laparoscopique en urgence a été décrit à ce jour, chez un homme de 40 ans présentant un RSO et d’évolution favorable [9]. La grossesse modifie à la fois la courbure gastrique et le sphincter inférieur de l’œsophage. En tenant compte de ces deux éléments, l’approche laparoscopique ne semble pas à privilégier (risques de lâchage des sutures et de fistule). Le risque de la surveillance était l’aggravation secondaire de la brèche avec réalisation d’une chirurgie en urgence, dans des conditions difficiles, mettant en jeu le pronostic vital de la mère et de l’enfant. La physiopathologie du RSO est bien spécifique et la récidive n’est pas décrite dans la littérature [7]. Le devenir obstétrical a été favorable et l’accouchement voie basse, générant des pressions abdominales importantes, n’a aucune action sur le sphincter inférieur de l’œsophage. Les vomissements incoercibles de la grossesse doivent faire l’objet d’une attention particulière afin de prendre des mesures adaptées avant la survenue d’une complication.
Syndrome de Boerhaave et grossesse. À propos d’un cas et revue de la littérature
Conclusion Nous rapportons ici le premier cas d’un syndrome de Boerhaave survenu chez une patiente enceinte de trois mois dans les suites de vomissements incoercibles. Dans cette observation, le pronostic vital de la patiente n’a pas été engagé. Elle a donc bénéficié d’une prise en charge médicale consistant essentiellement en une alimentation non entérale afin de permettre la cicatrisation œsophagienne, au renforcement des traitements antiémétiques pour éviter un nouvel épisode de vomissement qui aggraverait la brèche et enfin à une antibiothérapie prévenant l’évolution vers une médiastinite. Le devenir obstétrical et néonatal a été favorable. L’évaluation des bénéfices et des risques de la prise en charge de la RSO sont d’une importance capitale chez une femme enceinte puisque le pronostic vital de la mère et de l’enfant peuvent être engagés. Les auteurs insistent sur la prise en charge en concertation pluridisciplinaire.
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