Maladie de Crohn et grossesse. À propos de 34 cas. Revue de la littérature

Maladie de Crohn et grossesse. À propos de 34 cas. Revue de la littérature

Gynécologie Obstétrique & Fertilité 31 (2003) 20–28 www.elsevier.com/locate/gyobfe Article original Maladie de Crohn et grossesse. À propos de 34 ca...

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Gynécologie Obstétrique & Fertilité 31 (2003) 20–28 www.elsevier.com/locate/gyobfe

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Maladie de Crohn et grossesse. À propos de 34 cas. Revue de la littérature Crohn’s disease and pregnancy. About 34 cases. Review of the literature F. Sergent *, E. Verspyck, L. Marpeau Clinique gynécologique et obstétricale, hôpital Charles-Nicolle, centre hospitalier universitaire (CHU) de Rouen, 1, rue de Germont, 76031 Rouen cedex, France Reçu le 8 août 2001 ; accepté le 24 octobre 2002

Résumé Objectif. – Définir les conditions optimales de survenue d’une grossesse chez les patientes atteintes de maladie de Crohn. Matériel et méthode. – Étude rétrospective de 25 patientes atteintes de maladie de Crohn, suivies pendant huit années au CHU de Rouen. Résultats. – Vingt patientes ont totalisé 34 grossesses. Dix-sept patientes ont au moins eu un enfant, totalisant 26 naissances d’enfants vivants. Parmi les 17 grossesses ayant débuté avec une maladie de Crohn active, 16 ont eu une poursuite de l’activité de la maladie. Parmi les huit grossesses interrompues, six avaient une maladie active. Sur les cinq menaces d’accouchement prématuré jugulées ou non, quatre étaient en poussée. Huit hypotrophies néonatales étaient liées à une poussée. Discussion et conclusions. – D’une confrontation entre les données de la littérature et notre expérience, il se dégage les points essentiels suivants : quand la maladie de Crohn est latente, il existe peu de retentissement de celle-ci sur la grossesse, exception faite d’une hypotrophie fœtale modérée. Lorsque la maladie est active, le risque d’avortement et de prématurité augmente. Il n’existe pas de retentissement de la grossesse sur la maladie de Crohn, quand la grossesse survient dans une période de latence de la maladie. Deux tiers des grossesses de ces femmes se déroulent sans nouvelle poussée de leur maladie. Pendant la grossesse, il n’existe pas de contre-indication aux traitements habituels de la maladie de Crohn, avec une restriction cependant pour l’emploi des immunosuppresseurs. © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Objective. – To define the optimal conditions of pregnancy in patients affected by Crohn’s disease. Material and method. – Retrospective study of 25 patients affected by Crohn’s disease, followed during eight years at Rouen’s University Hospital. Results. – Twenty patients added up 34 pregnancies. Seventeen patients at least had a child, adding up 26 livebirths. Among the 17 pregnancies beginning with an active Crohn’s disease, this proved to be still active in 16 cases. Among the eight interrupted pregnancies, six had an active disease. Out of the five menaces of preterm delivery stopped or not, four were in push. Eight neonatal hypotrophies were connected to a push. Discussion and conclusions. – From a confrontation between the data of the literature and our experience, it emerges the following essential points: when Crohn’s disease is quiescent, it does not affect the pregnancy, except a moderate fetal hypotrophy. When the disease is active, the risk of abortion and prematurity increases. There is no influence of the pregnancy on Crohn’s disease, when pregnancy arises during

* Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (F. Sergent). © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. PII: S 1 2 9 7 - 9 5 8 9 ( 0 2 ) 0 0 0 0 3 - 6

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a period of quiescence of the disease. Two thirds of the pregnancies of these women take place without new push of their disease. During pregnancy, there is no contraindication as far as the usual treatments of Crohn’s disease are concerned, with a limitation however for the use of immunosuppressants. © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. All rights reserved. Mots clés : Avortement ; Grossesse ; Hypotrophie ; Maladie de Crohn ; Prématurité Keywords: Abortion; Crohn’s disease; Hypotrophy; Pregnancy; Prematurity

1. Introduction La maladie de Crohn (MC) est une affection inflammatoire invalidante du tube digestif d’étiologie inconnue responsable d’œdème, d’ulcération, de fissure et de fibrose de la paroi intestinale. Elle évolue par poussées entrecoupées de rémissions associant douleur abdominale, fièvre, diarrhée persistante ou état de dénutrition. Elle est émaillée de complications souvent chirurgicales : abcès péri-intestinaux abdominaux, pelviens ou périnéaux, fistules intestinales internes, occlusions voire perforations digestives. La MC n’a aucune tendance à la guérison spontanée. Elle peut toucher de façon discontinue l’ensemble du tube digestif, de la bouche à l’anus, mais avec une prédominance sur l’iléon, le colon et l’anus. L’incidence de la MC est de l’ordre de 1 à 6/100 000 habitants avec une tendance actuelle à l’augmentation à travers le monde. Sa prévalence est de 27 à 106/100 000 habitants [1]. En France, c’est dans la région Nord-Ouest que l’incidence est la plus élevée (6,3/100 000 habitants), rejoignant la fréquence maximale qui est celle observée en Europe du Nord-Ouest et aux États-Unis. Des cas de MC touchant plus d’un sujet par famille sont rencontrés. Le risque de développer une maladie inflammatoire du tube digestif (MITD) quand un des parents est atteint est de 5 à 10 % [2]. Une prédisposition génétique longtemps suspectée dans l’apparition de la MC semble maintenant confirmée avec la découverte de mutations du gène Nod2 sur le chromosome 16 [3]. De hauts niveaux éducatifs et socio-économiques sont plus fréquemment retrouvés chez les patients atteints de MC. Il existe un risque plus élevé d’apparition ou de rechute chez les fumeurs actifs [4]. La prise de contraceptifs oraux n’intervient pas sur la MC. La MC débute souvent dans la deuxième ou troisième décennie de la vie. Elle peut donc concerner des femmes jeunes en âge de procréer et par là même intéresse notre spécialité. Globalement, il n’existe pas plus de stérilité chez les femmes atteintes de maladie de Crohn, bien que la fertilité de ces femmes soit plus faible [5–7] et ce contrairement à l’homme chez qui certains traitements comme la sulfasalazine perturbent la spermatogenèse [8]. Des notions contradictoires sont souvent véhiculées concernant le retentissement de cette maladie sur l’évolution des grossesses de ces femmes ou bien encore concernant le retentissement même de la grossesse sur l’évolutivité de cette MITD. L’objectif de cet article, en confrontant les données

actuelles de la littérature à notre propre expérience de ces dernières années au CHU de Rouen, est d’effectuer une mise au point sur le retentissement réciproque maladie de Crohngrossesse. Nous exclurons volontairement de notre propos l’autre grande entité nosologique des MITD qu’est la rectocolite hémorragique (RCH). Pour ces deux maladies, il s’agit de populations sensiblement différentes avec un retentissement réciproque grossesse et MITD différent [2,9]. De plus, leur évolution n’est pas la même, en ce sens que lorsqu’une RCH a été opérée (proctocolectomie totale) sa guérison complète est assurée et dès lors son influence sur la grossesse ne semble plus exister.

2. Patientes et méthodes Pendant huit années, nous avons suivi au Pavillon–Mère–Enfant du CHU de Rouen 25 patientes atteintes de MC, âgées de 17 à 45 ans. Elles ont été suivies, soit sur le plan gynécologique (examen clinique standard de surveillance gynécologique), soit sur le plan obstétrical (examens obstétricaux cliniques mensuels, échographiques pour évaluation de la morphologie et de la croissance fœtale). Certaines femmes ont eu des grossesses en deçà de cette période de huit années avec une MC déjà active. Ces grossesses ont été prises en compte dans notre étude. Par contre, les grossesses survenues avant la révélation de la MC n’ont pas été retenues dans l’étude. Le suivi digestif a été assuré de façon conjointe avec le service de gastroentérologie du CHU, évaluant en cas de grossesse, la prise pondérale, la fréquence et l’aspect des selles, la présence de douleur abdominale, l’efficacité du traitement médical. L’activité de la MC a été définie comme étant peu sévère en cas de douleurs abdominales vagues et peu intenses, associées à des diarrhées faites de plus de trois selles liquides par jour. L’activité a été définie comme étant sévère en cas de douleurs abdominales intenses avec altération de l’état général (amaigrissement important, fièvre, chute de l’hématocrite). Entre ces deux tableaux cliniques l’activité de la MC a été considérée comme modérée. L’âge moyen des patientes au moment de leur première poussée de Crohn a été de 20 ans [extrêmes 14 à 27 ans]. Dans notre population, nous avons constaté une répartition variable des lésions digestives sur le plan topographique (Tableau 1). Quarante pour cent des patientes (10/25) ont subi une chirurgie après trois années d’évolution de leur maladie. Sept patientes ont subi au moins une intervention

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Tableau 1 Caractéristiques de la population patientes enceintes : 20 avec 34 grossesses iléale : 1 cas iléocolique : 7 cas iléocoloanale : 3 cas colique : 3 cas coloanale : 4 cas périnéoanale : 1 cas indéterminée : 1 cas

3. Résultats

Fécondité des patientes patientes non enceintes : 5 dont 1 suivie pour stérilité tubaire Topographie des lésions colorectale : 2 cas

indéterminée : 3 cas

Chirurgie préalable 1 résection jéjunale partielle 2 proctocolectomies totales avec iléostomie définitive 2 résections iléocoliques droites 1 colectomie sub-totale 1 colectomie segmentaire 2 fistules anales

chirurgicale du fait de leur MC, avant de devenir enceintes (Tableau 1). Vingt-quatre pour cent des patientes (6/25) ont présenté des manifestations extra-digestives isolées ou associées au cours de l’évolution de leur maladie : quatre érythèmes noueux (16 % de l’ensemble des patientes), trois atteintes rhumatismales (12 %), avec deux cas de spondylarthrite ankylosante, trois pyoderma gangrenosum (12 %), deux atteintes conjonctivales (8 %). Une patiente a développé un cancer colorectal après 18 années d’évolution de sa MC. Pour les 25 patientes nous avons retrouvé chez cinq patientes (20 % des cas) des antécédents familiaux de MC : chez la mère (un cas), dans la fratrie (trois cas), chez une tante (un cas). Le niveau d’étude des patientes a été dans 54 % des cas primaire, dans 23 % des cas secondaire et également dans 23 % des cas supérieur. Une exposition au tabac a été notée chez 12 patientes (48 % des cas). Des contraceptifs oraux ont été prescrits chez 21 patientes (84 % des cas).

Sur les 25 patientes de l’étude 20 sont devenues enceintes (Tableau 1). L’âge moyen des patientes lors de leur première grossesse a été de 24 ans [extrêmes : 17 à 29 ans]. Ces 20 patientes ont au moins eu une grossesse puisque nous avons totalisé 34 grossesses, mais seules 17 patientes ont eu un enfant. Parmi ces 17 patientes, certaines ont eu plus d’un enfant sans jamais cependant dépasser trois enfants (deux cas), puisque 26 naissances d’enfants vivants ont été enregistrées. Il n’y a pas eu de cas de gémellité. La durée d’évolution de la maladie au moment de la première grossesse a été en moyenne de trois années [extrêmes : zéro, MC se révélant au cours de la grossesse à neuf années]. La durée d’évolution de la maladie au moment d’une seconde grossesse a été en moyenne de sept années [extrêmes : deux à 12 ans]. Pour les deux cas de patientes ayant eu une troisième grossesse, la durée moyenne d’évolution de la maladie au moment de la troisième grossesse a été de neuf années et demie. Les résultats de l’étude concernant l’évolution des grossesses, de la MC et les traitements sont résumés dans le Tableau 2. Sur l’ensemble des 34 grossesses, 17 grossesses ont eu une poussée de la MC dans une période que l’on a qualifiée de périconceptionnelle (précédant ou suivant immédiatement la conception). Sur ces 17 grossesses, 16 ont vu leur déroulement marqué par une poursuite ou une reprise ultérieure de l’activité de la MC avec issue défavorable de la grossesse pour six cas dès le premier trimestre. Huit grossesses interrompues avec ou sans poussée de la MC ont été en fait issues de cinq patientes. Elles ont consisté en trois fausses couches spontanées (FCS) précoces (une sur une première poussée de MC, deux chez la même patiente avec une MC quiescente), trois interruptions médicales de grossesse (IMG) (deux chez la même patiente sur indication maternelle à la suite d’une altération de l’état général en rapport avec une poussée sévère de MC, indication discutable et non consensuelle, une pour découverte d’un syndrome de PruneBelly au cours d’une poussée sévère de MC à localisation

Tableau 2 Évolution des 34 grossesses et de la maladie de Crohn de leur mère Évolution de la grossesse

26 enfants vivants 3 MAP (27–30–36 SA) 2 prématurés (36 SA)

Poussée de MC périconceptionnelle

11 grossesses : poussée sévère (8, dont 5 auront une poussée sévère pendant la grossesse) 10 grossesses : poussée sévère (8), modérée (2) 5 cas : poussée sévère (2), modérée (2), peu active (1) 8 grossesses : sulfasalazine (4), mésalazine (2), corticoïdes (1), ciclosporine (1), ornidazole (1) 12 grossesses : sulfasalazine (5), mésalazine (2), corticoïdes (5), ciclosporine (1), metronidazole (1), NPT (3), AEE (1) 1 résection iléocaecale associée à une césarienne (36 SA)

Poussée de MC pendant la grossesse Poussée de MC en post-partum Traitement périconceptionnel Traitement pendant la grossesse

Chirurgie pendant la grossesse

8 grossesses interrompues 3 FCS (2 patientes) 3 IMG (2 patientes) 2 GEU (1 patiente) 6 grossesses : poussée sévère (5) 6 grossesses

5 grossesses : sulfasalazine (2), mésalazine (2), metronidazole (1)

1 colostomie de dérivation sur MC périnéale 1 iléocolectomie subtotale

AEE : Alimentation entérale élémentaire. FCS : Fausse couche spontanée. GEU : Grossesse extra-utérine. IMG : Interruption médicale de grossesse. MAP : Menace d’accouchement prématuré. MC: Maladie de Crohn. NPT: Nutrition parentérale totale. SA : Semaines d’aménorrhée.

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périnéale avec emploi de métronidazole), et deux grossesses extra-utérines (GEU) chez la même patiente (la première au décours d’une poussée sévère à localisation iléocolique, avec nécessité d’une colectomie sub-totale et résection iléale terminale, la seconde au décours d’une nouvelle poussée crohnienne à localisation périnéale). Trente-huit pour cent des grossesses évolutives (10/26) ont été marquées par une poussée de MC en cours de grossesse avec une localisation iléale dans un cas, une localisation colique dans trois cas et une localisation iléocolique dans six cas. Une seule fois la poussée a abouti à un acte chirurgical de type résection iléocaecale avec césarienne dans le même temps opératoire à 36 semaines d’aménorrhée (SA). Sur les 15 grossesses évolutives avec une MC latente au départ, quatre ont vu une réactivation de la maladie pendant la grossesse ou le post-partum. Parmi les huit grossesses évolutives intéressées par une MC sévère au départ, cinq ont eu une nouvelle poussée sévère dans la suite de la grossesse. Cinq cas de grossesse évolutive ont été compliqués d’une menace d’accouchement prématuré (MAP) ou d’un accouchement prématuré. Parmi les MAP, deux ont été sévères nécessitant hospitalisation et perfusion intraveineuse de salbutamol à respectivement 27 et 30 SA. Sur ces cinq cas, quatre ont été associés à une poussée de MC pendant la grossesse survenue au cours du quatrième mois. La prise de poids maternelle a été en moyenne de douze kilogrammes [extrêmes : – 6 à + 28 kg]. Six patientes ont été anémiées de façon importante en cours de grossesse (Hb < 8 g/dl). Des manifestations extra-digestives de la MC (articulaires) n’ont été retrouvées que lors de l’évolution d’une seule grossesse. L’accouchement est survenu en moyenne pour l’ensemble des naissances au terme de 39 SA [extrêmes : 36 à 43 SA] et pour 21 grossesses par voie naturelle. Pour les 26 nouveaunés, le score d’Apgar à 5 min de vie a été coté à 10. Trois nouveau-nés ont été transférés en service de néonatalogie dès leur naissance, dont un du fait de son extraction par césarienne à 36 SA sur poussée sévère de MC, l’autre du fait de son hypotrophie, le troisième du fait d’une anémie néonatale. Le poids de naissance moyen des 26 nouveau-nés a été de 3280 g [extrêmes : 2350 à 4360 g]. Trente pour cent des nouveau-nés (8/26) ont été considérés comme hypotrophes avec un poids de naissance inférieur au dixième percentile. Par contre, il n’a pas été constaté d’hypotrophie inférieure au troisième percentile. Dans notre maternité de niveau III, les taux d’hypotrophie modérée et sévère sont respectivement évalués à 14 et 5 % des naissances. Les données concernant les caractéristiques de la MC en cas d’hypotrophie sont rassemblées dans le Tableau 3. Trois mères d’enfant hypotrophe ont eu une poussée de MC pendant leur grossesse ; autrement dit 38 % des enfants hypotrophes (3/8) ont eu une mère qui a eu une poussée de MC pendant leur gestation. Dans la moitié des cas d’hypotrophie, les mères ont reçu un traitement pendant leur grossesse avec notamment deux fœtus exposés à une corticothérapie importante. Une seule grossesse a été menée sous immunosuppresseur (ciclosporine) sans hypotrophie retrouvée. Sur les sept femmes ayant eu une

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Tableau 3 Origine des nouveau-nés hypotrophes Poussée de MC en cours de grossesse avec sans 3 5

Traitement médical en cours de grossesse avec sans 4 4 dont corticoïdes 2

Chirurgie préalable à la grossesse avec sans 2 6

chirurgie avant leur grossesse, deux ont eu un enfant hypotrophe. Cinquante pour cent de nos patientes ont allaité, dont un tiers sous sulfasalazine.

4. Discussion La puissance de l’étude rétrospective hospitalière que nous rapportons peut apparaître limitée compte tenu de la faiblesse en nombre de l’effectif analysé, cependant c’est bien souvent le cas pour les publications sur ce sujet. Quoi qu’il en soit, même si elle est entachée d’un certain nombre de biais, cette étude conforte les données actuelles de la littérature, ce qui en fait aussi son intérêt. Elle aborde en outre des points originaux que sont : l’évaluation du retentissement de la grossesse sur l’évolution d’une MC active dès la conception et l’évaluation du retentissement de la localisation initiale de la MC sur le risque de récurrence en cas de grossesse. 4.1. Influence de la MC sur la grossesse 4.1.1. Risque de grossesse interrompue Lorsque la MC est quiescente dans la période périconceptionnelle, le risque de FCS est inférieur à 15 %, sensiblement identique à celui rencontré dans la population générale [5,10]. En effet, dans notre série en cas de MC quiescente le taux d’avortement est de 11 % (2 FCS pour 17 grossesses). En revanche, sur les 17 grossesses associées à une MC active en période périconceptionnelle (Tableau 2), six grossesses n’ont pas évolué, ce qui donne un taux de grossesses non évolutives de 35 %. Quand bien même les trois IMG ne seraient pas intégrées dans ce calcul, on parvient à un taux de 17 %. Dans notre expérience on constate en cas de poussée périconceptionnelle de MC, un nombre de grossesses non évolutives augmenté. Notre série ne retrouve pas de risque accru de FCS en cas de traitement médicamenteux de la MC. Huit grossesses sont survenues sous traitement, dont une sous ciclosporine. Pour ce dernier cas la patiente ne s’est pas conformée aux recommandations médicales lui déconseillant formellement d’entreprendre une grossesse. Ces huit grossesses ont évolué favorablement.

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4.1.2. Prématurité Dans la MC, la proportion d’accouchement prématuré fait plus que doubler par rapport à la population générale : 16 % au lieu de 7 % [6,11–13]. Cette augmentation du taux de prématurité est à mettre à l’actif des épisodes de réactivation de la maladie pendant la grossesse [14]. Pour Fedorkow et pour Briese [12,15], une poussée active pendant la grossesse, spécialement au cours du premier trimestre, semble augmenter ce risque de prématurité. Pour Cléandre [16], en cas de maladie active lors de la conception, qui se pérennise ou s’aggrave, on retrouve un tiers de naissances prématurées. Les mécanismes à l’origine de cette prématurité pour Baird sont d’ordre infectieux, nutritionnel, immunologique voire neurologique [13]. La production accrue de prostaglandines en cas de poussée de la maladie peut déclencher prématurément le travail. L’atteinte du contrôle neurologique des muscles lisses au niveau intestinal dans la MC, peut également exister au niveau des muscles lisses utérins, à l’origine donc d’une MAP. Toujours dans l’étude de Baird, les femmes qui ont une MC et qui sont exposées au tabac voient leur taux de prématurité s’élever, le tabac augmentant le risque de réactivation de la maladie. Mais le tabagisme maternel indépendamment de la MC augmente le risque de prématurité. Les abdomens aigus, chirurgicaux (par perforation de grêle, par occlusion ou par abcès profond) sont parfois à l’origine d’une prématurité pour sauvetage maternel. Leur éventualité pendant la grossesse reste cependant exceptionnelle. Cette situation s’est produite une seule fois pour une de nos patientes avec résection iléocaecale et césarienne à 36 SA. En observant les dix grossesses qui ont subi une poussée de la maladie pendant leur évolution, nous avons retrouvé au sein de ces dix grossesses, quatre cas de MAP ou accouchement prématuré : ce qui aboutit par conséquent à un risque de prématurité de 40 % lorsque l’évolution de la grossesse est marquée par une poussée de Crohn, rejoignant en cela les données de la littérature. On notera par ailleurs que sur l’ensemble de ces quatre grossesses, la poussée de MC a eu lieu au quatrième mois de grossesse ; ce qui est à peine différent du premier trimestre de grossesse identifié dans la littérature comme étant la période où lorsqu’une poussée survient, le risque de prématurité ultérieur est maximal. Dans notre série, aucune prématurité sévère n’a été relevée. Les deux cas de MAP sévère ont été jugulés et les accouchements prématurés ont eu lieu à 36 SA. 4.1.3. Hypotrophie fœtale et néonatale Des taux plus élevés de retard de croissance intra-utérin (RCIU) modéré et de faible poids de naissance sont observés dans la MC par rapport à la population générale [4,11] ; 20 % contre 10 % pour Fedorkow [12]. Ces hypotrophies sont essentiellement constatées après la prise de corticoïdes à forte dose (constatations identiques à celles observées pour les cures répétées de corticoïdes pour accélérer la maturation pulmonaire des prématurés) ou après la survenue de poussées de la maladie pendant le déroulement de la grossesse [17]. La

prise d’immunosuppresseurs pendant la grossesse favorise également les retards de croissance fœto-placentaires avec des poids de naissance moyens à terme de 2500 g. Il existe un biais dans la mesure où les immunosuppresseurs sont prescrits en cas de poussée sévère de la MC. Les traitements avec la sulfasalazine, les corticoïdes à faible dose n’ont pas d’effet sur le développement et la croissance des fœtus [17,18]. Une des explications à ces RCIU serait que les poussées sévères de MC, par l’état de dénutrition qu’elles engendrent chez la mère, retentissent à leur tour sur la croissance fœtale. Dans ces cas, une nutrition artificielle de type alimentation parentérale totale (NPT) ou de type alimentation entérale élémentaire (AEE) peut être introduite. Son intérêt thérapeutique pour contrôler les poussées sévères est bien établi. Son intérêt pour maintenir une croissance fœtale correcte le semble également, et ce en toute innocuité [19]. Chez les femmes qui ont une prise de poids correcte, un état nutritionnel satisfaisant pendant leur grossesse, cette notion d’hypotrophie fœtale n’est plus retrouvée [20]. Dès lors, la prévention de la carence nutritionnelle et polyvitaminique apparaît nécessaire chez la femme enceinte atteinte de MC. Pour leur part, les antécédents de résections intestinales, qu’il s’agisse de résections segmentaires ou de proctocolectomies totales, n’ont pas de répercussion sur le déroulement de la grossesse, restriction faite cependant pour les grêles courts qui génèrent une malabsorption et donc un état de dénutrition [16]. Notre taux d’hypotrophie néonatale est effectivement important ; il s’élève à 30 % de l’ensemble de nos naissances confirmant les données de la littérature. Soulignons que cette hypotrophie est modérée. Le poids de naissance le plus faible que nous ayons noté est de 2350 g. La proportion de poussée pendant la grossesse des mères de ces nouveau-nés hypotrophes a été de 38 % (3/8), chiffre identique à la proportion de poussée sur l’ensemble des grossesses observées 38 % (10/26). Il est donc difficile dans notre expérience, contrairement aux données de la littérature, d’incriminer les poussées comme étant responsables d’un taux plus élevé d’hypotrophie. Parmi les cinq grossesses de notre série évoluant sous corticothérapie à forte dose, deux ont développé un RCIU (Tableau 3), confirmant les données de la littérature. Par ailleurs, la seule grossesse menée sous immunosuppresseur (ciclosporine) n’a pas développé d’hypotrophie. Il est difficile sur ce seul cas de grossesse sous immunosuppresseur de notre série d’émettre des conclusions. Sur les sept femmes sur 17 ayant eu une chirurgie avant leur grossesse, deux ont eu un enfant hypotrophe (Tableaux 2 et 3). Ainsi le taux d’hypotrophie, chez les femmes ayant subi une chirurgie avant la conception, est identique à celui de l’ensemble de la population étudiée. Comme pour les données de la littérature, la chirurgie n’a pas entraîné dans notre série, une augmentation de la proportion d’hypotrophie. 4.1.4. Mode d’accouchement La très grande majorité des patientes ayant mené leur grossesse à terme accouche normalement par voie basse [10]. L’intervention césarienne n’est en effet légitime qu’en pré-

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sence d’indications obstétricales ou éventuellement pour éviter une épisiotomie en cas de MC compliquée de fistules ou d’abcès périnéaux [21]. Les taux élevés de césariennes ou d’extractions instrumentales, jusqu’à 26 % dans certaines séries, semblent être en rapport avec la prise en compte par certains médecins des indices d’activité de la MC, qui ont pu les conduire à des déclenchements du travail et par là-même à plus de iatrogénie obstétricale. Cette démarche n’apparaît pas logique, du moins du point de vue de l’évolution de la MC, puisqu’il est établi que l’interruption de la grossesse n’entraîne pas d’amélioration de la maladie [16]. Pour les 20 patientes que nous avons suivies, les accouchements ont eu lieu dans 80 % des cas par voie basse. Cinq césariennes ont été pratiquées, dont trois chez la même personne pour bassin généralement rétréci. 4.1.5. Anémie maternelle Des taux d’hémoglobine plus bas (< 10,5 g/dl) ont été notés par rapport à une population témoin : 20 % contre 3 % pour Porter, et ce même en cas de maladie quiescente [20]. Nous avons effectivement retrouvé pendant la grossesse de nos patientes atteintes de MC, des taux d’anémie (Hb < 8 g/dl) importants : six grossesses sur 26, soit 23 % des grossesses. Il s’est agi surtout d’une anémie microcytaire, sidéropéniques (ferritinémie < 8 µg/l), préexistante le plus souvent à la grossesse. L’anémie rencontrée dans la MC est en fait le reflet d’un état de dénutrition, d’une carence polyvitaminique et en oligo-éléments beaucoup plus globale, à rattacher à la maladie digestive. Il apparaît légitime d’apporter une supplémentation martiale, mais aussi en acide folique du fait des traitements associés (sulfasalazine), chez une femme enceinte atteinte de MC, et ce dès le début de sa grossesse. 4.2. Influence de la grossesse sur la MC En cas de MC latente au moment de la conception, la grossesse ne joue pas de rôle sur le potentiel évolutif de la maladie inflammatoire intestinale : 80 % des MC restent latentes lors de la grossesse [22]. Les pourcentages de réactivation ne sont pas significativement différents des pourcentages de réactivation des femmes de même âge atteintes de MC et non enceintes, soit 20 % de réactivation [14–16]. L’introduction d’un traitement médical supplémentaire sur une MC quiescente, dans un but préventif pendant la grossesse pour diminuer le risque de réactivation, n’est pas souhaitable ou utile [15]. Dans l’étude de Woolfson, la proportion de réactivation de la maladie chez la femme enceinte avec ou sans traitement est identique : 27 % pour 24 % [23]. En revanche, lorsqu’un traitement assure la quiescence de la maladie, il est inopportun de l’interrompre, au risque de voir apparaître une nouvelle poussée [16]. La « rechute » lorsqu’elle survient, se fait préférentiellement lors du premier trimestre de grossesse ou pendant les trois premiers mois suivant l’accouchement [5,7,16]. Les poussées survenant pendant la grossesse ne semblent pas alors plus sévères que celles rencontrées en dehors de la grossesse [7].

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Notre groupe de grossesses avec une MC latente en période périconceptionnelle est composé de 17 grossesses (Tableau 2). Sur ces 17 grossesses, quatre femmes ont eu une réactivation de leur MC pendant leur grossesse ou dans le post-partum, soit un taux de réactivation de 24 % ; chiffre à peu près comparable à la proportion de réactivation de la maladie chez les patientes non enceintes. En cas de MC active au moment de la conception, l’évolution de la MC semble plus aléatoire. Elle est mal évaluée par la littérature [2,5,23]. Dans certains cas, la MC va poursuivre son évolution défavorable, surtout au cours des trois premiers mois de grossesse. Notre série quant à elle, a relevé, sur les 17 grossesses concernées par une MC active en période périconceptionnelle (Tableau 2), dix grossesses marquées par une poursuite ou une reprise des poussées sévères (59 % des cas) dont la moitié au premier trimestre. Dans d’autres cas, la MC va évoluer, au moins partiellement favorablement. C’est le cas pour trois de nos grossesses (18 % des cas). Enfin, dans d’autres cas encore, l’activité de la maladie peu marquée, ne sera pas modifiée durant toute la période de la grossesse. C’est le cas pour quatre de nos grossesses (23 % des cas). Encore une fois, bien qu’ayant travaillé sur un effectif réduit de patientes, notre impression est qu’en cas de MC active en début de grossesse, l’influence de la grossesse sur la maladie est néfaste. 4.3. Influence de la topographie lésionnelle Nous nous sommes interrogés sur l’influence des localisations lésionnelles initiales de la maladie, sur le risque de « rechute » en cours de grossesse ? Cette question qui n’a semble-t-il jamais été abordée auparavant dans la littérature, nous est apparue par analogie avec le risque accru connu de réactivation de la maladie après chirurgie en cas de localisation initiale iléocolique [24–26]. Il s’avère que, sur les dix grossesses évolutives de notre série ayant subi une réactivation de la MC, une a été associée à une maladie initialement iléale, trois à une maladie colique et six à une maladie iléocolique. Ainsi dans notre expérience, le risque de réactivation de la maladie en cours de grossesse semble augmenté en cas d’atteinte iléocolique. Mais l’étendue des lésions dans l’atteinte iléocolique étant plus importante, il est légitime de penser que le risque de réactivation augmente proportionnellement. Cette notion est démentie par certains auteurs qui ne constatent pas d’augmentation de la fréquence des réactivations en fonction de l’étendue des lésions [27]. 4.4. Évaluation pluridisciplinaire périconceptionnelle Elle est importante tant sur le plan de l’évolutivité de la maladie digestive que sur le plan de l’optimisation du bien être de la grossesse. Sur huit grossesses évolutives de notre série concernées par une poussée sévère périconceptionnelle, cinq ont développé une nouvelle poussée (Tableau 2). Sur huit grossesses interrompues précocement, cinq ont été concernées par une poussée sévère (Tableau 2).

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4.5. Traitement de la MC pendant la grossesse 4.5.1. Règles hygiénodiététiques La conservation d’un état nutritionnel satisfaisant avec correction des carences polyvitaminiques est indispensable, dès la période périconceptionnelle. De façon plus sensible dans la MC, les carences nutritionnelle et vitaminiques peuvent être à l’origine de prématurité et d’hypotrophie. Si nécessaire, une NPT ou une AEE doivent être instituées sans retard en cas de dénutrition avérée. Dans quatre cas, nous y avons eu recours avec une évolution satisfaisante de la grossesse (Tableau 2). L’arrêt du tabagisme maternel s’impose dans l’intérêt de la grossesse comme pour celui de la MC [4]. 4.5.2. Traitement médical Les spécialités autorisées sont les mêmes que celles utilisées en dehors de la grossesse, aux mêmes doses et le plus souvent sans restriction pour la plupart des thérapeutiques usuelles de la MC (sulfasalazine, mésalazine, corticoïdes, imidazolés). Les indications des traitements doivent être les mêmes qu’en dehors de la grossesse [2,18]. On évitera par précaution l’emploi du budésonide, corticoïde utilisé plus récemment dans le traitement de la MC, des effets tératogènes ayant été rapportés chez l’animal [28]. Il est préférable de ne pas utiliser les imidazolés au long cours et au premier trimestre de grossesse. Un syndrome de Prune-Belly au cours d’une poussée sévère de MC à localisation périnéale avec emploi de métronidazole a été retrouvé dans notre série. Il s’agit là manifestement d’une association fortuite puisque des centaines de grossesses ont été exposées à cette molécule sans effet tératogène constaté. Les quinolones du fait de leur action sur le cartilage fœtal sont contreindiquées en cours de grossesse. L’emploi des immunosuppresseurs est normalement déconseillé pendant la grossesse. Cependant, il existe des accouchements normaux d’enfants normaux chez les transplantées rénales sous ciclosporine ou sous azathioprine (Imurel®). Par ailleurs, le risque encouru par la mère et l’enfant exposés aux immunosuppresseurs apparaît moins grand statistiquement qu’une poussée aiguë de MC [18]. En fait, lorsqu’une femme qui a une MC quiescente sous immunosuppresseur devient enceinte, nous sommes confrontés théoriquement à un choix entre deux types de risques. Les risques induits par l’immunosuppresseur, à savoir malformation fœtale pour l’azathioprine ou atteinte rénale pour la ciclosporine (purement théorique il est vrai, les effets de ces molécules ayant été constatés uniquement chez l’animal) ou dépression immunitaire néonatale, à opposer aux risques d’une poussée de MC, à savoir avortement ou accouchement prématuré. Sachant que le risque de réactivation chez une femme qui a une MC quiescente sous immunosuppresseur est de 5 % contre 40 % si l’immunosuppresseur est interrompu [7], il devient évident que la prescription d’immunosuppresseur pendant la grossesse ne peut plus être une contre-indication formelle. La ciclosporine a été utilisée pour une seule de nos grossesses avec évolution favorable de

celle-ci. Dans notre cas, la ciclosporine a été commencée en période périconceptionnelle pour contrôler une MC active, sévère, résistante aux corticoïdes. Dans cette situation nous avons préféré poursuivre la ciclosporine. Actuellement la littérature conclue à l’innocuité de la ciclosporine et de l’azathioprine aux doses employées dans le traitement de la MC. Il en serait de même pour la 6-mercaptopurine (PurinétholTM) [18]. Le méthotrexate reste par contre formellement contreindiqué. L’infliximab, anticorps monoclonaux murins dirigés contre le TNFa (tumour necrosing factor alpha) nouvellement utilisé dans le traitement de la MC [29], du fait de ses effets inconnus à l’heure actuelle sur la grossesse, par précaution ne sera pas prescrit chez la femme enceinte. La thalidomide introduite également récemment dans le traitement de la MC [30], à haut risque tératogène reconnu, est bien sûr contre indiquée. L’allaitement est déconseillé chez les patientes sous immunosuppresseur. En revanche, corticoïdes et sulfasalazine sont autorisés, en dehors d’un contexte de prématurité ou de maladie hémolytique du nouveau-né. Un tiers des enfants de notre série a été allaité par des mères sous sulfasalazine. 4.5.3. Traitement chirurgical Il est rarement nécessaire d’opérer des femmes enceintes ayant une MC. Mais en cas d’indication indiscutable (abdomen aigu chirurgical : péritonite par perforation de grêle, occlusion organique, abcès profond), l’acte chirurgical ne doit pas être retardé. En ce qui concerne les indications relevant de l’échec du traitement médical, il est souhaitable que la chirurgie ne soit pas différée d’autant qu’une corticothérapie à forte dose peut masquer un ventre aigu chirurgical et d’autant que les complications obstétricales qui peuvent accompagner la chirurgie ne sont pas plus fréquentes que celles rencontrées en présence d’une poussée évolutive. Elles semblent donc plutôt liées à la sévérité de la maladie qu’à l’opération ellemême [23]. En cas de résection de grêle, il semble préférable que le rétablissement de la continuité ne se fasse pas dans le même temps opératoire mais secondairement après trois à six mois afin de ne pas faire courir un risque supplémentaire à la grossesse par désunion de l’anastomose [31]. Dans les interventions chirurgicales de notre série, le rétablissement de la continuité a pu être réalisé en un temps (Tableau 2) car la grossesse a été interrompue soit à l’approche du terme, soit du fait de son caractère non viable. La survenue d’une grossesse chez des femmes préalablement opérées de leur MC induit parfois des complications mécaniques. Il s’agit de dysfonctionnements stomiaux, d’occlusion, de prolapsus de l’iléostomie, de rétraction de la stomie [32]. Ces complications évaluées à 10 % des cas lors d’iléostomie définitive [16], sont en rapport avec l’augmentation de la taille de l’utérus gravide. Par prudence, certains auteurs déconseillent la survenue d’une grossesse dans l’année qui suit la mise en place d’une iléostomie, les risques de

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complication étant alors maximaux [16]. Nous n’avons pas eu à déplorer de telles complications.

Références

Les dysfonctionnements d’anastomose iléoanale dans le dernier trimestre de grossesse, vues dans la RCH [33], ne devraient pas exister dans le cadre de la MC, car théoriquement de telles anastomoses ne sont pas réalisées dans une maladie où le canal anal est souvent impliqué et où la confection d’un réservoir se ferait avec du grêle potentiellement malade. Des dysfonctionnements d’anastomose iléorectale ou iléosigmoïdienne sont envisageables mais il n’en est pas fait mention dans la littérature.

[1]

En cas d’antécédent d’atteinte anopérinéale, avec chirurgie compliquée de trajets fistuleux, l’accouchement par césarienne est conseillé. De même en cas de MC périnéale active au moment de l’accouchement, la césarienne est préconisée pour prévenir l’apparition d’une fistule ano-périnéale [21]. En revanche, une MC périnéale non active au moment de l’accouchement ne devrait pas conduire à la réalisation d’une césarienne [21]. Dans notre série, deux patientes aux antécédents de MC périnéale (Tableau 1), ont pu accoucher par voie naturelle sans complication périnéale ultérieure.

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5. Conclusion [13]

Dans l’association maladie de Crohn et grossesse, il semble exister deux populations différentes de femmes. Une première population (deux tiers des cas), chez qui la maladie est latente au moment de la conception, et qui est peu concernée par les avortements, la prématurité, les poussées de Crohn, de fréquence comparable à celle des femmes non enceintes atteintes par la maladie (soit 20 % de risque de « rechute » en cas de maladie quiescente). Une seconde population (un tiers des cas), chez qui la maladie est active au moment de la conception, et qui possède un pronostic obstétrical et digestif plus sombre. Le plus souvent, leur grossesse pose un problème gynéco-obstétrical ou bien leur grossesse a une évolution marquée par une reprise de la maladie, voire les deux. Dans ces conditions, nous sommes enclins à croire qu’une grossesse a toutes les chances d’évoluer favorablement si elle survient dans une période de quiescence de la maladie. Nous pensons raisonnable de déconseiller aux patientes, qui se situeraient en phase active de leur maladie, d’entreprendre une grossesse. Par ailleurs, lorsque la latence d’une maladie de Crohn est assurée par un traitement, il est souhaitable de ne pas l’interrompre lors de la grossesse, situation trop souvent rencontrée malheureusement encore à l’heure actuelle. En cas de poussée survenant au cours d’une grossesse, celle-ci doit être traitée selon les mêmes modalités que chez une femme non enceinte. Il est cependant préférable d’éviter l’introduction d’immunosuppresseurs. Ceux-ci ne seront utilisés qu’en cas de nécessité pour une MC corticorésistante précédant la grossesse.

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