Syndrome thoracique aigu des patients porteurs d’un syndrome drépanocytaire majeur

Syndrome thoracique aigu des patients porteurs d’un syndrome drépanocytaire majeur

Revue des Maladies Respiratoires Actualités (2012) 4, 69-72 ISSN 1877-1203 Revue des Maladies Respiratoires Actualités Organe Officiel de la Sociét...

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Revue des Maladies Respiratoires Actualités (2012) 4, 69-72 ISSN 1877-1203

Revue des

Maladies

Respiratoires Actualités

Organe Officiel de la Société de Pneumologie de Langue Française

Disponible en ligne sur

Séminaire d’Approfondissement et de Perfectionnement en Pneumologie Édition 2012 Atteintes vasculaires pulmonaires Paris, 16 et 17 mars 2012 Coordination : B. Maître, F. Chabot A. Bergeron pour la Revue des Maladies Respiratoires Actualités

www.sciencedirect.com 70501

Numéro réalisé grâce au soutien des laboratoires

mars www.splf.org

Vol 4 2012



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CAS CLINIQUE À TENDANCE THÉRAPEUTIQUE N°5

Syndrome thoracique aigu des patients porteurs d’un syndrome drépanocytaire majeur B. Maitre Antenne de Pneumologie, Hôpital Henri Mondor, APHP, Créteil, France

Commentaires Les complications aiguës pulmonaires de la drépanocytose sont regroupées sous le terme de syndrome thoracique aigu (STA). Il s’agit d’une pathologie potentiellement grave avec une mortalité de 5 % et qui représente un quart des causes de décès observés chez l’adulte. Si le STA est plus fréquent chez les patients homozygotes, il peut survenir chez les patients hétérozygotes composites (SC, Sbthal) et être une complication inaugurale de la maladie drépanocytaire. Certaines situations comme la grossesse (en particulier pendant la période du post partum) ou les interventions chirurgicales en majorent le risque de survenue.

'pÀQLWLRQVeWLRORJLHV3K\VLRSDWKRORJLH ,OHVWGpÀQLSDUWRXWHQRXYHOOHLPDJHSXOPRQDLUHDVVRFLpHjXQGHVV\PSW{PHVVXLYDQWV GRXOHXU WKRUDFLTXH ÀqYUH RX G\VSQpH &HWWH DJUHVVLRQ SXOPRQDLUH DLJXs TXL SHXW évoluer vers le syndrome de détresse respiratoire aigu, est rarement isolée : elle est déclenchée par un certain nombre de causes ou facteurs (Fig. 1). Les causes les plus fréquentes chez l’adulte sont les hypoventilations d’origine multiple (algiques, dues à des infarctus osseux ou à des pathologies sous-diaphragmatiques, secondaires à un surdosage en opiacés) et/ou les embolies graisseuses. Dans une étude américaine portant sur 671 épisodes regroupés dans 30 centres, il a été montré que les causes infectieuses bactériennes ou virales seraient plus fréquentes chez les enfants chez lesquels on connait depuis longtemps la recrudescence hivernale du STA. Les thromboses in situ sont un des mécanismes possibles de syndrome thoracique aigu et une thrombose pulmonaire au moins segmentaire est retrouvée dans 17 % des cas en l’absence de thromboses périphériques détectables dans des écho-Dopplers veineux. Le mécanisme HWOHWUDLWHPHQWUHVWHQWjGpÀQLUGDQVFHFRQWH[WH

Correspondance. Adresse e-mail : [email protected]

© 2012 SPLF. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

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B. Maitre

Infections

Présentation biologique et radiologique

y Pneumocoque

Hypoventilation

y Virales

y Infarctus osseux

y Germes atypiques Chlamydia

Atteinte vasculaire y Inflammation y Embols graisseux y Embols cruoriques y Hématies Falciformées

côtes, sternum

y Chirurgie abdominale lithiase vésiculaire

y Grossesse, postpartum y Médicaments morphiniques

Fig 1. Différentes causes d’agression pulmonaire susceptibles de déclencher un syndrome de détresse respiratoire aigu.

Présentation clinique Les symptômes principaux sont : ‡ la douleur thoracique inconstante et évoquant soit une douleur d’origine pleurale soit un infarctus costal ou un infarctus de la colonne vertébrale ; ‡ la fièvre évoquant un tableau de pneumopathie LQIHFWLHXVH8QHÀqYUH!ƒ&HVWSUpVHQWHGDQV des cas chez l’adulte mais dépasse rarement 39 °C ; ‡ ODG\VSQpHVRXVIRUPHGHSRO\SQpHVXSHUÀFLHOOHG·LQWHQVLWp variable présente dans près d’un cas sur deux. À l’examen clinique on retrouve des râles crépitants ou une diminution du murmure vésiculaire perçus dans un cas sur deux. Le STA s’accompagne en effet chez 80 % des patients adultes d’une crise vaso-occlusive qui le précède dans près de 50 % des cas et qui se manifeste par des douleurs osseuses précédant parfois les signes pulmonaires de 3 à 5 jours. Cette évolution en deux temps de la symptomatologie souvent observée chez l’adulte nécessite donc une surveillance clinique régulière des patients hospitalisés pour crise vaso-occlusive osseuse sans signe d’appel pulmonaire au départ. Ces crises vaso-occlusive osseuses associées chez l’enfant sont rares, à l’inverse des infections des voies aériennes. Ces différences suggèrent que sa physiopathologie est probablement différente dans les deux populations enfant jeunes, adolescents et adultes. Dans le cas de notre patiente la présentation clinique est typique avec une hospitalisation de 48 heures précédant le syndrome thoracique aigu pour CVO et l’apparition secondaire d’une défaillance respiratoire aigue. La prise en charge initiale comprenait donc une hospitalisation pour hydratation, sédation de la douleur par morphine avec titration IV puis bolus IVSE associée à du paracetamol. Une kinésithérapie active (spirométrie incitative) est QpFHVVDLUHjFHVWDGH(QÀQODVXUYHLOODQFHFOLQLTXHHVW très importante pour détecter au plus tôt une évolution défavorable notamment vers un STA.

L’expression radiologique qui peut faire défaut dans les premières 24 heures est plutôt alvéolaire, multilobaire, associée dans plus d’un tiers des cas à une atteinte pleurale. La prédominance aux deux lobes inférieurs et la bilatéralité sont caractéristiques de cette pathologie et une étude récente a montré que l’atteinte du lobe inférieur droit est quasi constante dans le STA. Dans le cas clinique présenté l’imagerie de la patiente était très évocatrice DYHFGHVRSDFLWpVELEDVDOHVFRQÀUPpHVVXU les coupes de l’angioscanner thoracique (Fig. 2a et b).

Au cours du STA comme dans les crises vaso-occlusives, le taux d’hémoglobine reste stable ou diminue légèrement alors qu’il existe souvent une hyperleucocytose marquée dépassant d’au moins une fois et demi la valeur de base (8-16.109/l), même en dehors d’infection associée. De même l’augmentation de la CRP est quasi constante et non synonyme d’infection bactérienne. Un taux de plaquettes abaissé a été retrouvé dans différentes études comme un signe de gravité. Chez près de 50 % des patients, l’hypoxémie est profonde avec une PaO2 inférieure à 60 mmHg et est associée dans la moitié des cas à une normo voire une hypercapnie. Le taux de LDH sérique dont l’élévation est assez bien corrélée avec la sévérité de la crise vaso-occlusive pourrait servir de marqueur évolutif. '·DXWUHV PDUTXHXUV LQÁDPPDWRLUHV FRPPH OD &53 HW OD phospholipase A2 sériques pourraient également servir de marqueurs précoces. Dans les formes très sévères on peut observer une augmentation des transaminases hépatiques dont l’explication physiopathologique n’est pas uniciste (crise vaso-occlusive hépatique, foie cardiaque …) et une augmentation de la créatinine. La recherche d’une dysfonction ventriculaire droite doit être systématique à l’échographie cardiaque car elle est fréquente et associée à une mortalité élevée. Dans notre cas clinique le bilan biologique retrouve la plupart de ces anomalies et il faut noter l’absence d’aggravation de l’hémolyse. Les examens à demander étaient donc une enquête étiologique : ECBC + recherche particules graisseuses, hémocultures, antigénurie légionnelle + pneumocoque. Dans ce cadre un angioscanner thoracique peut VHGLVFXWHU(QÀQXQHpFKRJUDSKLHFDUGLDTXHjODUHFKHUFKH d’une dysfonction ventriculaire droite a été effectuée.

Prise en charge Le clinicien doit impérativement garder à l’esprit qu’il s’agit d’une pathologie grave qui peut en quelques heures VH GpFRPSHQVHU HW DERXWLU j XQH LQVXIÀVDQFH UHVSLUDWRLUH aiguë voire une défaillance multiviscérale mettant en jeu le pronostic vital. L’hospitalisation est donc systématique et

Cas clinique à tendance thérapeutique n°5 - Syndrome thoracique aigu des patients porteurs d’un syndrome drépanocytaire majeur

Fig. 2a et b. Coupes tomodensitométriques basses en fenêtre médiastinale et parenchymateuse : on retrouve un aspect de condensation parenchymateuse bilatérale prédominant aux deux bases.

le transfert en unité de soins intensifs doit être envisagé dans les formes sévères ou dès lors qu’une surveillance attentive ne peut pas être assurée dans un milieu d’hospitalisation conventionnelle. La surveillance clinique de ces patients sera donc particulièrement attentive en insistant sur la tolérance cardio respiratoire et l’apparition de troubles neurologiques (conscience, crises convulsives) souvent retrouvés dans les études anglo-saxonnes associés à une évolution défavorable. Le centre de référence a publié des recommandations de traitement pour le STA qui ont été validées par l’HAS. L’oxygénothérapie est systématique dans ce contexte pour obtenir une saturation transcutanée supérieure à 98 %. L’hydratation par voie intraveineuse sous forme d’au moins 2 litres de sérum glucosé ou physiologique par 24 heures permet de diminuer les facteurs de déshydratation qui pourraient favoriser les phénomènes de falciformation et une aggravation des manifestations respiratoires. Il faut garder à l’esprit les risques de surcharge volémique surtout chez les patients porteurs de cardiopathie connue. Le traitement antalgique est un élément majeur de la prise en charge thérapeutique et l’absence de soulagement est un facteur aggravant du STA. Deux circonstances l’illustrent bien : la période post opératoire (chirurgie biliaire et orthopédique) et lorsqu’il existe des infarctus costaux douloureux qui limitent l’ampliation thoracique et

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favorisent la formation d’atéléctasies, elles-mêmes source d’hypoxémie avec le risque de l’installation d’un cercle vicieux pouvant aboutir à un STA gravissime. L’utilisation de morphiniques est donc très large dans cette indication avec une titration initiale par voie IV poursuivi par un traitement soit par IVSE soit par voie sous cutanée. /HV DQWDOJLTXHV DGMXYDQWV VRQW XWLOHV DÀQ GH GLPLQXHU OD consommation de morphine : l’adjonction de paracétamol est dans ce contexte systématique… Les benzodiazépines ne sont pas recommandées dans ce contexte aigu par leur effets centraux associés aux morphiniques. L’adjonction V\VWpPDWLTXH G·DQWLLQÁDPPDWRLUHV QRQ VWpURwGLHQV Q·HVW SDVEpQpÀTXH Le recours à la ventilation non invasive ne peut pas être recommandé comme support ventilatoire de première intention mais sa place dans les formes très sévères de STA reste à discuter. Une antibiothérapie couvrant le pneumocoque et les germes intracellulaires (amoxicilline associée aux macrolides ou nouvelles quinolones) est associée dans l’hypothèse d’une infection bactérienne. En effet, même si la fréquence des infections réelles est faible chez les patients adultes, l’asplénie fonctionnelle observée au cours des syndromes drépanocytaires majeurs expose ces patients à haut risque d’infection à germes encapsulés (Pneumocoque, +DHPRSKLOXVLQÁXHQ]DH…). Dans les cas graves, la transfusion simple ou l’échange transfusionnel partiel (associant saignée puis transfusion) UHVWHOHWUDLWHPHQWOHSOXVHIÀFDFHSRXUGLPLQXHUODIDOFLIRUmation et améliorer les symptômes des patients. L’objectif est d’abaisser le taux d’HbS (c’est-à-dire la fraction de globules rouges autologues) et de rompre ainsi le cercle vicieux de la falciformation. Le volume d’échange (minimum 2 culots globulaires) et la saignée se font en fonction du taux d’hémoglobine présent avec comme objectif un retour au taux d’hémoglobine de base. Ce traitement doit être envisagé d’emblée dans les formes les plus sévères ou après 48 à 72 heures d’un traitement symptomatique bien conduit si aucune amélioration n’est notée (persistance GH OD ÀqYUH HW GHV V\PSW{PHV UHVSLUDWRLUHV DJJUDYDWLRQ des images radiologiques). Il peut se répéter en cas de persistance de signes de gravité. IL faut noter que les équipes pédiatriques ont plus souvent recours à ce traitePHQWGpVTXHOHGLDJQRVWLFGH67$HVWFRQÀUPp5DSSHORQV TXHODWUDQVIXVLRQGRLWUpSRQGUHjGHVUqJOHVVWULFWHVDÀQ de limiter au maximum les risques d’allo-immunisation. Ainsi, l’utilisation de concentrés érythrocytaires phénotypés compatibilisés dans les groupes les plus immunogènes est impérative. Les indications chez les patients ayant des antécédents d’hémolyse post transfusionnelle retardée ou des problèmes de compatibilité seront discutées au cas par cas. Un traitement préventif du STA à l’aide de la spirométrie incitative est également indispensable dès lors qu’un patient est hospitalisé pour une crise osseuse vasoocclusive. Il a été démontré que cette technique simple, peu coûteuse et non invasive limite alors de manière VLJQLÀFDWLYHOHULVTXHGHVXUYHQXHGH67$ Une préparation kinésithérapique et éducative est souhaitable à chaque fois que le risque de STA est prévisible lors d’un geste chirurgical ou d’une hospitalisation.

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Le traitement de la patiente a compris à ce stade une oxygénothérapie à fort débit, une hydratation par perfusion de 2000 ml/24H, une antibiothérapie par Ketek®, une nouvelle titration et relai IV de Morphine. Une saignée de 350 ml suivie d’une transfusion de 2 CG associée a été GpFLGpHGXIDLWGHO·DJJUDYDWLRQUDSLGHGHODSDWLHQWH(QÀQ un traitement par Spéciafoldine® et une prévention de la MTE ont également été prescrites.

B. Maitre

Pour en savoir plus ‡

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Évolution La durée d’hospitalisation est en moyenne de 5 jours. Sous traitement symptomatique, l’évolution est en général favorable et sans séquelle. Cependant il est fréquent de voir des images d’atélectasies partielles des deux bases chez des patients ayant développé des STA. Il a également été retrouvé une association entre syndrome restrictif, hypertension pulmonaire et antécédents de STA. Si la mortalité parait faible 5 %, elle reste la principale cause de mortalité des patients de lors de complications aigues de la maladie. Dans le cas clinique présenté, l’évolution a été favorable avec apyrexie en 72H mais a nécessité une nouvelle saignée 350 ml + transfusion de 2 CG 24 H après la première du fait de l’absence d’amélioration rapide des symptômes.

Déclarations d’intérêts B. Maitre : Essais cliniques : en qualité d’investigateur principal, coordonnateur ou expérimentateur principal (Ikaria).

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