J Gynecol Obstet Biol Reprod 2005 ; 34 (Hors série n° 1) : 3S209-3S212.
Question 3 Comment prendre en charge les femmes fumeuses ?
Tabagisme et allaitement : quelles techniques d’aide à l’arrêt du tabac proposer aux mères ? B. Fontaine Service de Gynécologie-Obstétrique, Centre Hospitalier d’Angoulême, Hôpital de Girac, 16470 Saint-Michel. RÉSUMÉ Après avoir rappelé le métabolisme de la nicotine dont la demi-vie est de 60 à 90 min et le rapport concentration lactée sur concentration plasmatique de 2,9, l’auteur évoque l’incidence du tabagisme sur l’allaitement qui est moins fréquemment choisi, plus court et moins productif. L’allaitement en revanche diminue les conséquences respiratoires du tabagisme. Dans le post-partum, outre le soutien psychologique, les substituts nicotiniques doivent être largement proposés ; en préférant l’usage des substituts à durée de vie courte, gommes ou comprimés dosés à 2 mg pris après la tétée. En cas de tabagisme persistant, le nombre de cigarettes sera limité, pris après la tétée et hors du domicile. Mots-clés : Allaitement maternel • Substituts nicotiniques. SUMMARY: Smoking and breastfeeding: how can we help mothers stop smoking? The study of nicotine metabolism shows that nicotine has a half-life of 60 to 90 min, and that nicotine concentration in human breast milk is 2.9 times higher than in the plasma. Smokers are less likely to choose breastfeeding. The duration of breastfeeding is shorter and there is less milk production amongst smokers who decide to breastfeed. Breastfeeding diminishes the infant’s respiratory problems that are linked to smoking. During the breastfeeding period, in addition to psychological support, nicotine replacement therapy should be proposed, preferring gums or 2 mg tablets with a short half-life taken after feeding. For those who continue to smoke, the number of cigarettes should be limited and smoking should be done after feeding and outside of living quarters. Key words: Tobacco • Breastfeeding • Nicotine replacement therapy.
Le tabagisme maternel est un problème dont on commence à se préoccuper pendant la grossesse mais qu’on oublie fréquemment dans la période du post-partum. Or, plusieurs situations se présentent au quotidien : — Certaines femmes qui ne sont pas parvenues à s’arrêter de fumer pendant la grossesse sont capables de le faire pour l’allaitement ; la présence concrète du nouveau-né étant pour elles un facteur plus motivant que la grossesse. Ces patientes auront besoin d’encouragements et éventuellement d’aide médicamenteuse. — D’autres renonceront à l’allaitement par crainte des conséquences du tabagisme. — D’autres jeunes mamans enfin s’étant arrêtées, reprendront la cigarette et envisageront un sevrage plus rapide du bébé. Avant d’aborder les outils d’aide à l’arrêt du tabac pendant l’allaitement, un certain nombre de questions méritent d’être abordées succinctement :
— Quel est le devenir des différents composants du tabac et des substituts nicotiniques dans le lait maternel ? — Quelle est l’incidence du tabagisme sur la motivation à allaiter, sur la quantité de lait produite et sur la durée de l’allaitement ? — Quel est le rapport bénéfice/risque du tabagisme, des substituts nicotiniques et de l’allaitement ?
QUEL EST LE DEVENIR DES DIFFÉRENTS COMPOSANTS DU TABAC ET DES SUBSTITUTS NICOTINIQUES DANS LE LAIT MATERNEL ?
Les études portent quasi exclusivement sur la nicotine. Comme beaucoup de substances, la nicotine passe dans le lait maternel. Le rapport concentration
Tirés à part : B. Fontaine, à l’adresse ci-dessus.
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B. Fontaine
dans le lait sur concentration plasmatique est de 2,9 [1] et les demi-vies lactée et plasmatique sont identiques de 60 à 90 min [2]. Comme pour toutes les substances, la concentration dans le lait est parallèle à la concentration plasmatique ce qui guidera la prescription des substituts nicotiniques et les conseils aux mamans fumeuses. Plusieurs études ont montré que le tabagisme chez les mères allaitantes entraînait chez l’enfant des taux de nicotine 10 fois supérieurs au taux des enfants non allaités de mère fumeuse [3]. Mais la mère joue le rôle de filtre et de nombreuses substances ne sont pas transférées contrairement à la voie aérienne du tabagisme passif. Les timbres nicotiniques entraînent des taux lactés 2,5 fois inférieurs aux taux constatés chez les mères fumeuses (44 ng/ml contre 17 ng/ml) [4] ; et lors du sevrage les taux sont progressivement diminués lors de la décroissance des dosages des timbres [5]. En ce qui concerne les gommes et comprimés, les taux sont beaucoup moins réguliers avec des pics suivant la prise. Ils sont cependant conseillés à condition d’être pris après la tétée qui devra être différée de 2 à 3 heures pour limiter au maximum le passage dans le lait [6]. QUELLE EST L’INCIDENCE DU TABAGISME SUR LA MOTIVATION À ALLAITER, LA QUANTITÉ DE LAIT PRODUITE ET LA DURÉE DE L’ALLAITEMENT ?
Plusieurs études occidentales et nord-américaines montrent la prévalence diminuée du taux et de la durée de l’allaitement persistant après correction des facteurs sociaux. Mais on ne peut exclure un impact psychologique comme le suggère une méta-analyse récente [7]. La quantité de lait produite est globalement diminuée de 20 % [8]. Il faut remarquer que cette diminution aura une incidence chez les femmes dont la production naturelle est plus faible mais sera sans conséquence chez celles qui ont la chance de produire beaucoup de lait. La qualité nutritionnelle du lait n’est quasi pas modifiée. QUEL EST LE RAPPORT BÉNÉFICE/RISQUE DU TABAGISME, DES SUBSTITUTS NICOTINIQUES ET DE L’ALLAITEMENT ?
En France, on a l’habitude de parler des bénéfices de l’allaitement maternel or l’alimentation de référence devrait être le lait maternel et l’on devrait, au
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risque de passer pour provocateur, parler des préjudices de l’allaitement artificiel. Par ailleurs les effets néfastes du tabagisme sur la santé de l’enfant commencent à être bien connus. Une étude norvégienne bien documentée portant sur 3 754 enfants montre l’effet protecteur de l’allaitement prolongé sur les maladies respiratoires des enfants durant la première année ; avec une différence d’autant plus significative que la mère est exposée au tabac. En d’autres termes, l’allaitement prolongé diminue les conséquences infectieuses respiratoires du tabagisme. Pour un risque 1 de maladie respiratoire dans le cas d’un allaitement supérieur à 6 mois chez une nonfumeuse, le risque relatif était de 2,2 pour un allaitement inférieur à 6 mois chez une fumeuse, de 1,3 en cas d’allaitement court chez une non-fumeuse et de 1,1 en cas d’allaitement long chez une fumeuse [9]. QUELLES TECHNIQUES D’ARRÊT PROPOSER AUX MÈRES ?
La problématique de l’arrêt du tabac est voisine de celle du choix de l’allaitement. Comme pour celui-ci, la motivation est le point de départ indispensable de l’arrêt. Le rôle de l’entourage dès la grossesse et dans le post-partum sera de renforcer cette double motivation : par l’information sur les bénéfices de l’allaitement maternel et les bénéfices de l’arrêt complet du tabac pour la mère, l’enfant, la famille ; en rassurant sur la faible incidence des substituts nicotiniques et en donnant des conseils pour limiter les conséquences d’un tabagisme persistant. Il est peut-être inutile de rappeler les bénéfices de l’allaitement sur le plan nutritionnel, anti-infectieux, immunoprotecteur et affectif, mais il est toujours intéressant de redire les raisons de ne pas se contenter d’une diminution à 5-10 cigarettes : — à cause du phénomène d’auto-titration qui est une modification de l’inhalation pour augmenter la nicotine absorbée en cas de diminution de la consommation, — à cause de la difficulté qui peut être équivalente à un arrêt, — à cause des effets résiduels, — et surtout de la perte de chance d’arrêt définitif. Les personnes pouvant intervenir pour renforcer les motivations sont multiples : entourage amical et familial, médecin de famille, sage-femme ou médecin suivant la grossesse, personnel de maternité. On connaît également le rôle important des groupes de
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Question 3 • Tabagisme et allaitement : quelles techniques d’aide à l’arrêt du tabac proposer aux mères ?
mères pour l’aide à l’allaitement, il serait important de leur proposer une information sur les problèmes du tabac et de l’allaitement et réciproquement de proposer aux tabacologues et aux animateurs de groupes d’aide à l’arrêt du tabac, une information sur l’allaitement maternel. Sur le plan pratique, les encouragements qu’on peut prodiguer au personnel de maternité sont : — de connaître systématiquement le statut tabagique des patientes, — de donner les informations sur le passage de la nicotine dans le lait de façon positive et non culpabilisante, — de féliciter les patientes qui se sont arrêtées et les mettre en garde sur la reprise du tabac qui touche 2/3 des accouchées dans les 6 mois, — d’encourager à s’arrêter les femmes qui ne sont pas encore parvenues à le faire, qu’elles souhaitent allaiter ou non, — de favoriser la présence permanente de l’enfant dans la chambre de la maman (« rooming in ») ce qui facilite l’allaitement et diminue l’envie de fumer, — de proposer systématiquement des substituts nicotiniques, — de poursuivre le soutien au cours du séjour, — de proposer une consultation de tabacologie après le retour à domicile. Comment prescrire les substituts nicotiniques ?
Les substituts nicotiniques doivent être proposés très précocement en maternité car l’expérience montre que si une cigarette a été fumée, les patientes n’envisagent que l’échec et ne veulent pas tenter l’expérience de la substitution. Il faut préférer les substituts à durée de vie courte : gommes ou comprimés dosés à 2 mg à prendre après la tétée. Dans le cas des grosses fumeuses, les timbres peuvent également être prescrits car ils facilitent la réussite et permettent de diminuer le syndrome de sevrage du nouveau-né. Il faut préférer les timbres dont la durée de vie est de 16 heures ou les enlever le soir sans faute, ceci limite la quantité de nicotine absorbée par l’enfant et permet une pause nocturne. En revanche on conseillera les tétées nocturnes autant que possible en raison de l’absence de nicotine dans cette période. Selon l’importance du tabagisme on proposera des timbres dosés à 15 mg, 10 mg, ou 5 mg associés à 4 à 6 gommes ou comprimés dosés à 2 mg. En
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effet, il est souhaitable de choisir un dosage inférieur qui va donner un taux constant modéré de nicotine associé à des gommes ou comprimés donnant un pic complémentaire rapidement éliminé ; ceci toujours à condition que la prise suive la tétée qui sera décalée de 2 à 3 heures. Bien entendu les encouragements quotidiens par le personnel de maternité puis par l’entourage sont un complément important aux substituts nicotiniques. Des groupes de parole peuvent également être proposés mais ils ne sont pas toujours faciles à organiser ni d’un accès aisé pour une jeune maman. Quels conseils donner aux femmes qui ne peuvent pas s’arrêter ?
— fumer le moins possible ; — fumer après la tétée et attendre si possible 2 à 3 heures pour la tétée suivante ; — pour toutes les personnes de la famille s’abstenir de fumer dans l’appartement ou la maison afin de ne pas surajouter un tabagisme passif respiratoire, ce qui est plus facile à dire qu’à faire avec un nouveau-né ; — privilégier les tétées nocturnes car la plupart des mères ne fument pas la nuit ; — ne pas faire dormir l’enfant dans le lit maternel en raison du risque accru de mort subite lié au tabagisme ; — privilégier un allaitement long, si possible de 6 mois complet, et prolongé au-delà en commençant la diversification alimentaire. CONCLUSION
Retenir que l’allaitement maternel est toujours à privilégier si c’est le souhait de la mère. Les bénéfices de l’allaitement étant supérieurs aux inconvénients du tabagisme. Cependant toutes les dispositions permettant la limitation de l’imprégnation du bébé à la nicotine et au tabac doivent être utilisées : — information des parents et des acteurs de santé sur les bénéfices de l’allaitement et les inconvénients du tabagisme, — information et mise à disposition des moyens d’aide à l’arrêt du tabac incluant les substituts nicotiniques et le soutien psychologique. Et ne pas oublier que pour l’aide à l’allaitement comme pour l’aide à l’arrêt du tabac l’important est de ne pas se décourager, avoir confiance et donner confiance aux femmes.
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B. Fontaine
RÉFÉRENCES 1. Luck W, Nau H. Nicotine and cotinine concentrations in serum and milk of nursing smokers. Br J Clin pharmacol 1984; 18: 9-15. 2. Steldinger R, Luck W, Nau H. Half-lives of nicotine in milk of smoking mothers implication for nursing. J Perinat Med 1988; 16: 261-2. 3. Mascola MA, Van Vunakis H, Tager IB, Speizer FE, Hanaran JP. Exposure of young infants to environmental tobacco smoke breastfeeding among smoking mothers. Am J Public Health 1998; 88: 893-6. 4. Benowitz NL. Nicotine replacement therapy during pregnancy. JAMA 1991; 266: 3174-7. 5. Ilett KF, Hale TW, Page-Sharp M, Kristensen JH, Kohan R, Hackett LP. Use of nicotine patches in breastfeeding mothers:
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