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Article original
Techniques et activités des hommes du Paléolithique supérieur sur le site de Wangfujing Oriental Plaza, Pékin, Chine Technics and activities of the upper Palaeolithic people (Oriental Plaza site of Wangfujing, Peking, China) Li Chaorong *, Feng Xingwu, Li Hao Institut of Vertebrate Paleontology and Paleoanthropology (IVPP), Chinese Academy of Science, PO Box 613, 100044 Beijing, Chine Disponible sur Internet le 30 octobre 2010
Résumé Le site de Wangfujing-Oriental Plaza est un site du Paléolithique supérieur daté d’environ 22 240 et 24 890 ans B.P. Le matériel mis au jour y est très abondant et comprend des artefacts lithiques, des restes osseux, des traces d’usage du feu et des fragments d’hématite. Une analyse statistique du matériel, une étude des remontages ainsi qu’un examen des microtraces ont été entrepris. Les données numériques de terrain et de laboratoire ont été traitées par ordinateur. Enfin, les techniques de taille employées pour le matériel lithique et osseux ainsi que les activités de chasse, d’usage du feu, et leur dimension symboliques sont discutées et expliquées grâce au recours à l’archéologie expérimentale et à l’ethnoarchéologie. Le site de Wangfujing-Oriental Plaza est un campement temporaire à caractère saisonnier qui rend compte d’une vie basée sur la chasse et la cueillette. Les hommes y confectionnaient des outils et y abattaient et démembraient le gibier, pratiquant la cuisson et s’adonnant à des activités symboliques autour des foyers. # 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Wangfujing-Oriental Plaza ; Site Paléolithique ; Technologie lithique ; Activités humaines
Abstract More than 2000 pieces of cultural relics were unearthed from the Oriental Plaza site, including stone artifacts, bone artifacts, fossils, hematite powder, fire use remains and plant root and foliage. By analyzing these remains in refitting stone and bone artifacts, in experimentally producing some artifacts, and comparing
* Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (L. Chaorong). 0003-5521/$ – see front matter # 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.anthro.2010.09.005
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with ethnologic data, it is concluded that the Oriental Plaza site is a seasonal human activity site, that humans had been making a life of hunting and collecting food, can make stone artifacts, bone artifacts to kill their quarries, use fire to cook their food, and at the same time they also conducted some religion activities. # 2010 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: The Oriental Plaza site of Wangfujing; Paleolithic; Tool-making technology; Behavior characteristics
1. Introduction Le site de Wangfujing-Oriental Plaza, attribué au Paléolithique supérieur (entre 22 240 et 24 890 ans environ) et qui a livré un matériel archéologique abondant, occupe une place importante dans la culture préhistorique de Chine. Il est situé en plein centre de Pékin, dans la partie nord de la rue Changan Est, entre les rues Wangfujing et Dongdar. Ses cordonnées sont 1168250 280 ’ de longitude est et de 398550 260 ’ de latitude nord. La surface du site couvre environ 2000 m2. Des fouilles de sauvetage localisées ont été réalisées dans la zone où la concentration des vestiges était la plus importante: 9 carrés de 4 m 4 m ont été ouverts sur une surface de 1440 m2 sur laquelle 780 m2 ont été fouillées dont 164 m2 pour la couche supérieure et 616 m2 pour la couche inférieure. Un ramassage a été effectué sur 112 m2 de la couche inférieure. Au total, la surface fouillée et la zone de ramassage couvre 892 m2. Le matériel archéologique était réparti en deux couches: la couche inférieure située entre 11,4 et 11,8 m de la surface et la couche supérieure située entre 12,3 et 12,6 m au sein des dépôts alluviaux (Fig. 1). Le matériel archéologique recueilli compte 2000 pièces dont 1514 ont été coordonnées (Li Chaorong et al., 1998; Li Chaorong et al., 2000b). Ce sont des pièces d’industrie lithique, des ossements, des restes attestant de l’usage du feu et des fragments d’hématite. Le matériel a fait l’objet d’études statistiques. L’étude des remontages, des microtraces, des techniques de taille, et de la fracturation des ossements a été effectuée. Les activités de chasse, l’usage du feu et les pratiques symboliques ont été évoquées à la lumière de l’archéologie expérimentale et de l’ethnoarchéologie.
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Fig. 1. Vue du site Wangfujing-Oriental Plaza en cours de fouilles. View of the site Wangfujing-Oriental Plaza in the course of excavations.
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2. Technologie 2.1. Industrie lithique La vie des hommes paléolithiques reposait sur une alimentation carnée et végétale et sur des ressources naturelles environnantes. En s’adaptant à leur environnement, ils faisaient le choix de transformer les produits de la nature de manière à satisfaire leurs besoins de subsistance. Les différents types d’outils lithiques étaient produits pour permettre aux hommes de s’adapter à leur environnement dans le but de satisfaire leurs nombreux besoins vitaux. De nombreux artefacts ont été mis au jour sur le site de Wangfujing-Oriental Plaza. Du fait de l’importance du site, il fut décidé de construire sur place le musée de site préhistorique de Wangfujing. Certains artefacts furent ainsi laissés en place sur le site. 1098 artefacts lithiques ont été analysés (585 provenant de la couche archéologique et 513 provenant du ramassage). La couche supérieure a livré 71 artefacts, dont 52 sont coordonnés et 19 proviennent des refus de tamis et du ramassage. Ils comprennent 2 nucléus, 20 fragments de blocs façonnés par l’Homme, 22 éclats, 4 éclats fragmentés transversalement, 3 éclats fragmentés longitudinalement, 8 débris de taille et 12 outils. La couche inférieure a livré 1027 artefacts lithiques, dont 533 coordonnés et 494 provenant des refus de tamis et du ramassage. Ils comprennent 15 nucléus, 99 fragments façonnés par l’Homme, 344 éclats, 181 éclats fragmentés transversalement, 28 éclats fragmentés longitudinalement, 314 débris de taille et 46 outils. Parmi les 46 outils de la couche inférieure, on trouve 26 racloirs, 2 outils convergents, 12 burins, 2 perçoirs, 2 enclumes et 2 percuteurs. Les nucléus occupent 1,5 % de l’ensemble du matériel lithique, les fragments de bloc anthropiques 10,8 %, les éclats 33,3 %, les éclats fragmentés longitudinalement 2,8 %, les éclats fragmentés transversalement 16,8 %, les débris de taille 29,3 % et les outils 5,2 %. Les types d’outils sont très variés. On trouve 37,9 % de racloirs simples, 13,7 % de racloirs doubles, 10,3 % de racloirs à tranchants multiples, 22,4 % de burins, 3,4 % d’outils convergents, 3,4 % de perçoirs, 1,7 % de racloirs-burins, 3,4 % de percuteurs et 3,4 % d’enclumes. Une caractéristique importante du matériel du site de Wangfujing-Oriental Plaza est que les matières premières proviennent des berges de la rivière, avec une utilisation majoritaire de silex noir (97,8 %), puis de quartzite (1,2 %) et de grès (0,9 %). Les techniques de débitage utilisées étaient principalement la percussion directe et, occasionnellement, la percussion bipolaire. Les débris de taille et les éclats fragmentaires produits au cours du débitage et de la retouche sont en nombre important. Certains éclats présentent des traces d’utilisation. Les supports utilisés pour aménager des outils étaient principalement des éclats de différentes formes. Les nucléus et les fragments de blocs étaient aussi parfois utilisés. Les racloirs sont nombreux et de types variés (Li Chaorong et al., 2001): certains sont courts et finement travaillés tandis que d’autres sont longs à extrémité arrondie (Fig. 2). Ces outils sont majoritairement de petites dimensions. En analysant la retouche des outils, on constate que le débitage par pression à peut être été employé pour certains artefacts. Les outils sont majoritairement retouchés de la face inférieure vers la face supérieure. L’analyse des produits de la chaîne opératoire, des matières premières, des nucléus, des fragments de bloc façonnés par l’Homme, des éclats, des débris de taille et des outils ainsi que nos propres expérimentations permet de définir les caractéristiques culturelles présentées cidessous. La fabrication d’outils par les hommes était liée à leur environnement, à la disponibilité des matières premières, à leur qualité, aux capacités cognitives des Hommes et à leur habileté à la taille. Le silex est une matière première d’excellente qualité et il est en général taillé par
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Fig. 2. Artefacts lithiques découverts sur le site d’Oriental Plaza. 1. Nucléus bipolaire ( 1,5). 2. Racloir droit-concave ( 2). 3. Racloir long à extrémité arrondie ( 2). 4. Racloir court à extrémité arrondie ( 2). 5. Racloir double droit ( 1,5). 6. Stone bore ( 3). 7. Burin ( 2). Lithics artefacts discovered on the Oriental Plaza site. 1. Bipolar core ( 1.5). 2. Straight-concave scraper ( 2). 3. Long scraper with rounded extremity ( 2). 4. Court scraper with rounded extremity ( 2). 5. Straight double scraper ( 1.5). 6. Stone bore ( 3). 7. Burin ( 2).
percussion directe. Pour les matériaux de mauvaise qualité (comme le quartz), la percussion bipolaire est utilisée pour la production d’éclats et la réalisation d’outils. Sur le site de Wangfujing, la percussion bipolaire a été employée pour produire nucléus et éclats. Quelle en est la cause ? Il est très rare de rencontrer la percussion bipolaire dans les sites paléolithiques pour le débitage du silex. Nous avons mené des expérimentations en utilisant le silex collecté dans les environs du site, puis nous avons comparé ces produits avec ceux du site de Wangfujing, ce qui nous a permis de comprendre que ce phénomène était en relation avec les capacités cognitives des hommes de cette époque. En effet, il était assez difficile de collecter du silex de bonne qualité sur la berge de la rivière. Après avoir ramassé du silex de qualité supérieure et de dimensions variables, les hommes devaient penser à la manière d’utiliser le plus efficacement ce matériau. La percussion directe a été utilisée pour les gros blocs et la percussion bipolaire pour les petits blocs. Parce qu’il était impossible d’employer la percussion directe pour les petits blocs, seule la percussion bipolaire pouvait permettre de produire de longs éclats et de fabriquer des outils. Lorsque les matières premières de bonne qualité étaient très rares, la percussion bipolaire était également utilisée pour produire des éclats. Ceci reflète l’utilisation ingénieuse de différents types de matières premières par les hommes pour produire des outils. Le site a livré de très beaux racloirs, des burins et des perçoirs en silex. Ceci met en lumière la capacité des hommes à s’adapter à leur environnement lorsqu’ils utilisaient leurs outils.
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Des nucléus, des fragments lithiques et des éclats obtenus par percussion bipolaire ont également été découverts dans des sites en grotte du Paléolithique inférieur en Chine. Lors de la fouille de ces sites, de nombreux fragments et débris de taille ont été mis au jour, mais on ne trouve que très peu d’éclats. Généralement, les nucléus, les éclats et les outils occupent un pourcentage important du matériel. Nous avons mené une expérimentation en pratiquant la technique de la percussion bipolaire sur des galets et des fragments de silex de différente taille provenant de grottes. Il en ressort qu’une percussion bipolaire sur un bord posé à plat produit des artefacts en forme de blocs tandis qu’une percussion bipolaire sur un bord posé verticalement produit des artefacts plats ou peut parfois également produire de longs éclats. En comparant le produit de nos expérimentations au matériel découvert lors des fouilles, il est apparu qu’un nombre important de fragments de bloc façonnés par l’Homme et de débris de taille étaient le produit de cette technique de percussion bipolaire. C’est une technique simple et c’est aussi l’une des techniques de débitage les plus anciennement utilisées par les hominidés. Cela reflète les limites des capacités cognitives des hominidés à cette époque, où ils ne disposaient pas de matières premières de qualité supérieure. Les hommes préhistoriques n’ont cessé d’améliorer leurs techniques de taille, jusqu’au Paléolithique supérieur, où ils utilisent cette technique de la percussion bipolaire de manière très adroite et adoptent des techniques de taille adaptées à la nature de la matière première. Les remontages d’artefacts ont une signification très importante dans la recherche paléolithique (Li Chaorong, 2004). Ce travail peut fournir des informations sur la nature du site et permet de se soustraire à la subjectivité de la classification. Il permet de comprendre les méthodes de production d’artefacts lithiques et osseux, en rétablissant les processus mis en œuvre par les hommes de la préhistoire pour produire leurs outils. De plus, les coordonnées spatiales des artefacts remontés permettent d’analyser la structure interne du site, de déterminer les étapes de formation du site et de mettre en évidence les aires d’activités des hommes préhistoriques: aires de production lithique, aires d’activités (foyers, alimentation), aires de chasse, par exemple. Parmi les artefacts lithiques, trois groupes de pierres brûlées et un groupe d’artefacts ont pu être remontés. Trois cent vingt-deux débris de taille ont été mis au jour sur le site, dont 74 ont été coordonnés. Leur longueur est comprise entre 2 et 8 mm. Le plus lourd pèse 0,1 g, le plus léger 0,01 g. Du fait de leur petite taille et de leur forte densité, il était impossible de coordonner tous les débris de taille lors de la fouille. Le carré T86 de la zone B a livré 198 débris de taille, non coordonnés, sur une surface d’environ 1 m2. Le plus long de ces 198 artefacts mesure 8 mm, le plus petit 0,8 mm. 111 ont une longueur inférieure à 3 mm, 53 sont compris entre 3 et 5 mm et 34 entre 5 et 8 mm. Leur poids est compris entre 0,05 et 0,01 g. La plupart ont un poids inférieur 0,05 g. Le carré T86 a également livré deux nucléus, un fragment de bloc façonné par l’Homme, vingt éclats entiers, quatre éclats fragmentaires, un éclat fragmenté longitudinalement et un grattoir. De plus, onze éclats entiers, trois fragments de bloc façonnés par l’Homme et huit éclats fragmentaires proviennent de la zone de ramassage. D’après l’analyse de la chaîne opératoire, on peut inférer qu’il s’agit d’un atelier de taille. Cela met également en évidence les conditions d’enfouissement primaires du site de Wangfujing. C’est un campement temporaire, où se déroulaient différents types d’activités. L’analyse de la pièce no 503 du secteur B du carré T5 nous montre que celui-ci est une enclume, mais, alors que ses deux faces présentent les traces caractéristiques d’une enclume, l’une de ses extrémités montre les traces caractéristiques de percussion et un enlèvement isolé, comme si l’un des bords montrait qu’il a servi de percuteur. L’autre extrémité présente des traces d’usures et de poudre d’hématite rouge. Cet objet a un usage multifonctionnel et met en évidence quatre types d’informations sur les activités humaines (Fig. 3).
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Fig. 3. Plan de répartition du matériel de la fosse T5. Plan of distribution of the T5 pit material.
2.2. Les ossements fracturés Un grand nombre de fragments d’os d’animaux furent découverts sur le site. L’analyse du matériel, des expérimentations, des remontages et des recherches comparatives furent réalisées pour l’étude de ces ossements fracturés. Parmi les 1099 fragments osseux mis à jour, 411 furent déterminés comme fracturés volontairement par l’Homme. Les os fracturés ont été répartis en cinq catégories (Li Chaorong, 2004): os à fractures anthropiques, éclats, esquilles et os présentant des esquilles. Ces ossements fracturés sont répartis dans les deux couches: 245 pièces dans la couche inférieure et 20 pièces dans la couche supérieure, auxquelles viennent s’ajouter 146 pièces provenant des refus de tamis et du ramassage. L’étude du matériel, les caractéristiques principales des ossements fracturés de Wangfujing sont les suivants: l’état de conservation des ossements d’animaux et des outils est très bon. La matière première consiste principalement en os des membres de grands animaux. D’après les fractures visibles sur les artefacts, on peut déduire que les os étaient frais lors de leur fracturation. En effet, lorsqu’un os frais est fracturé, la fracture produite est lisse et régulière. Pour fracturer ces ossements, la percussion directe et la percussion bipolaire ont été principalement utilisées et, parfois, la pression. Un grand nombre d’éclats osseux présentent de manière très claire le point de percussion et le bulbe comme des éclats lithiques. De plus, après avoir exhumé un os fracturé, un petit éclat se détache de celui-ci du fait de la weathering. Ceci est la conséquence de la fracturation volontaire de cet os qui l’a ainsi fragilisé. La technique de la percussion bipolaire pour la fracturation des ossements a été peu étudiée en Chine. On la connaît toutefois sur le site de Maanshan (Guizhou). Les éclats osseux sont nombreux, mais leur forme est très irrégulière. Leurs caractéristiques morphologiques ne sont pas aussi évidentes que pour les éclats lithiques. Les fragments osseux
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Fig. 4. 1, 2. Ossements fracturés du site d’Oriental Plaza. 3. Pointe ( 4/5). 4. Os présentant des traces de broyage ( 4/ 5). 5. Os présentant des traces de découpe ( 1,5). 6. Os présentant des retouches ( 1,5). 1, 2. Broken bones of the Oriental Plaza site. 3. Point ( 4/5). 4. Bones with grinding traces ( 4/5). 5. Bones with traces of cut ( 1.5). 6. Bones with retouchings ( 1.5).
détachés ont le plus souvent une morphologie rectangulaire (50 %). Certains fragments osseux présentent des traces de découpe, de broyage et des incisions (Fig. 4). Parmi les ossements fracturés, certaines pièces présentent des traces anthropiques de découpe et d’écrasement (Li Chaorong et al., 2004): 38 pièces présentent des traces de découpe, trois pièces des traces d’écrasement, deux pièces des traces de découpe et d’écrasement. La couche supérieure a livré 10 pièces présentant des traces de découpe. Elles sont réparties dans les carrés T12, T13, T14, T27 et T28. 33 pièces proviennent de la couche inférieure, parmi lesquels 28 présentent des traces de découpe, trois des traces d’écrasement et deux des traces de découpe et d’écrasement. Elles se répartissent dans les carrés T4, T5, T6, T19, T20, T21, T22, T31, T35, T79, T80, T81, T82 et T84. On retrouve les traces d’écrasement principalement sur les os longs de grands animaux. Les traces de découpe se retrouvent principalement sur les côtes ainsi que sur d’autres parties osseuses indéterminées. D’après l’analyse du matériel, la longueur et la profondeur de ces traces sont variables. Cela indique peut-être la variabilité de la force appliquée par les Hommes lorsqu’ils démembraient les animaux. En 1986, sur le site de Shuangqiao
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(Pékin), une mâchoire inférieure d’éléphant Paleloxodon Matsumo, 1924 portant des traces de broyage fut découverte. Le site de Wangfujing-Oriental Plaza est le seul site chinois où une étude détaillée des ossements fracturés a été effectuée. Le matériel a été étudié à la lumière d’expérimentations, d’analyse des remontages et de comparaisons. Au total, 33 groupes de remontages ont pu être réalisés parmi les ossements fracturés et les coquilles d’œuf d’autruche dont 5 groupes pour les ossements d’animaux fracturés et un groupe pour les coquilles d’œufs d’autruche. Les groupes de remontage sont le plus souvent constitués de deux pièces et le groupe le plus important comprend cinq pièces. Pour la couche supérieure, six pièces forment trois groupes de remontage, chacun constitué de deux pièces et proviennent des carrés T28 et T22. Pour la couche inférieure, 73 pièces permettent de former 30 groupes, dont 22 sont constitués de deux pièces, 5 sont constitués de 3 pièces, 1 groupe constitué de 4 pièces et 2 groupes sont constitués de 5 pièces. Ils se répartissent sur les 16 carrés suivants: T4 (n = 2), T5 (n = 2), T6 (n = 4), T7 (n = 2), T8 (n = 7), T9 (n = 7), T19 (n = 1), T20 (n = 4), T21 (n = 1), T22 (n = 2), T80 (n = 1), T81 (n = 11), T82 (n = 9), T84 (n = 3), T86 (n = 14) et T88 (n = 3). Parmi les 1099 artefacts osseux et ossements d’animaux, 33 groupes ont pu être remontés ce qui correspond à 7,19 % de l’ensemble du matériel (Fig. 5). La pièce no 417 présente sur son bord [()TD$FIG]droit, dans la partie mésiale, des négatifs d’enlèvements.
Fig. 5. Remontages osseux. 1, 3. Remontage de deux fragments ( 1). 2. Remontage de trois fragments ( 2/3). 4, 5. Remontage de cinq fragments ( 1/2). Bony refitting. 1, 3. Two fragments refitting ( 1). 2. Three fragments refitting ( 2/3). 4, 5. Five fragments refitting ( 1/2).
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Fig. 6. Plan de répartition des remontages. Plan of distribution of refitting.
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Fig. 7. Répartition des remontages en section. Distribution of refitting in section.
Une autre pièce retrouvée dans un excellent état de conservation lors des fouilles permet d’observer les traces de deux percussions successives. Cette « pièce » peut être remontée avec les pièces 1351, 1354 et 1436. C’est un os fracturé qui permet d’obtenir des informations sur le processus de fragmentation des ossements. Parmi les ossements remontés, les plus éloignés sur le plan horizontal sont distants de 4,5 m, les plus proches de 0,1 cm. Sur un plan vertical, les plus éloignés sont séparés d’environ 20 cm, les plus proches de 0,1 cm (Fig. 6 et 7). Les traces de découpe et de broyage présentes sur les ossements et les remontages montrent que les Hommes menaient sur le site des activités de fracturation des ossements, de découpe et de leur alimentation. 3. Activités 3.1. Chasse et cueillette Au Paléolithique supérieur, l’invention et l’utilisation de nouvelles techniques augmentèrent la productivité et l’existence des hominidés s’adapta à divers environnements écologiques (Li
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Chaorong et al., 1998; Li Chaorong et al., 2004). Les restes fauniques et végétaux découverts dans les sites sont les documents qui ont le plus de valeur pour l’étude de l’alimentation des hominidés et de leurs activités saisonnières. Au cours des fouilles systématiques, seuls les fossiles de sept espèces d’animaux vertébrés ont été mis au jour sur le site de Wangfujing-Oriental Plaza. Il s’agit de Struthio anderssoni Lowe, 1931, Lepus capensis tolai Pallas, 1778, Bos primiginius Ojanus, 1827, Cervus sp., Struthio anderssoni, Phasianidae, Teleostei. De plus, des feuilles, des racines et des graines ont été mises au jour. Les animaux que chassaient les hominidés de cette époque étaient des herbivores: bœuf, cerf et lièvre. Ils pratiquaient également la pêche, attrapaient des oiseaux et collectaient des fruits et des racines. La fouille archéologique a montré que le site se divisait en deux couches, inférieure et supérieure, dont les artefacts sont similaires. Les artefacts mis à jour au sein de la couche supérieure sont peu nombreux, les activités humaines se sont donc déroulées pendant une courte période. Le matériel de la couche inférieure est abondant, la durée de l’occupation a donc été longue. Les deux couches sont des lieux d’activités temporaires des Hommes du Paléolithique supérieur. De plus, ce sont des sites saisonniers relativement stables. Le résultat des analyses palynologiques a montré que la couche inférieure correspondait à un climat froid et humide et la couche supérieure à un climat froid et sec. Les Hommes, pour s’adapter aux changements climatiques et environnementaux, ont utilisé le feu pour se chauffer et ont pratiqué la cuisson. Les couches inférieure et supérieure ont toutes deux livré des traces d’usage du feu. D’après les caractéristiques de la stratigraphie et la répartition des sédiments évoquant des dépôts lacustres ou fluviatiles, les géologues supposent que la place géomorphologique du site correspond à une digue naturelle de rivière. Les activités des hominidés se seraient déroulées sur une digue naturelle au relief assez élevé (Xia Zhengkai et al., 1998a).
3.2. Traces d’usage du feu et artefacts associés Après avoir chassé et récolté leur nourriture, cette dernière devait être cuite. De nombreuses traces d’usage du feu ont été découvertes à Wangfujing-Oriental Plaza: des pierres et des os brûlés, des charbons et des cendres. La répartition spatiale des traces d’usage du feu présente une organisation certaine. On trouve deux zones pour la couche supérieure: la première zone se trouve à la jonction des carrés T87, T88, T89 et T90, la seconde se trouve entre les carrés T22 et T35. La couche inférieure présente quatre zones: la première se situe dans le carré T1, la deuxième occupe l’espace situé entre les carrés T80 et T82, la troisième entre les carrés T6 et T19 et la quatrième entre les carrés T84 et T86. Les pierres et les os brûlés de la couche supérieure peuvent respectivement être remontés. Onze pierres brûlées forment trois groupes de remontages de cinq, quatre et deux pièces chacun. Deux os brûlés peuvent être remontés ensemble. Les quatre amas de restes d’utilisation du feu de la couche inférieure ont livré des os brûlés, des charbons et des cendres. Les pierres brûlées se sont fracturées du fait de la haute température lors de la cuisson des aliments. D’après les os présentant des traces de découpe, les remontages fauniques et la répartition des os brûlés, on peut supposer que les hominidés de cette époque taillaient la pierre et procédaient à l’abattage et au démembrement du gibier, puis procédaient à la cuisson autour du feu (Fig. 8).
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Fig. 8. Reconstitution de la vie des Hominidés sur le site d’Oriental Plaza. Reconstitution of the hominids life in the Oriental Plaza site.
3.3. Activités symboliques: fragments d’hématite Des fragments d’hématite ont également été retrouvés sur le site. Deux enclumes et deux percuteurs présentent à proximité des traces d’hématite liées au broyage de ce minéral. Certains os ont également été teints en rouge. À proximité du carré T19 se trouve une vaste surface colorée en rouge par la poudre d’hématite. Ceci semble refléter les traces laissées par des activités symboliques ayant eu lieu avant ou après la chasse par les hominidés. Les sites de Wangfujing et de Zhoukoudian Upper Cave (Shanding dong) ont tous deux livré des fragments d’hématite ainsi que des artefacts teints en rouge. À Shanding dong, la poudre d’hématite se trouve à proximité des défunts tandis qu’à Wangfujing, on la retrouve autour des foyers. Ceci reflète peut-être des activités symboliques primitives, peut-être même religieuses (Pei, 1939). 4. Conclusion Wangfujing-Oriental Plaza est un site Paléolithique supérieur. Les dates Cl4 donnent un âge de 22 240 300 B.P. pour la couche supérieure et de 24 890 350 B.P. (Li Chaorong et al., 2000b) pour la couche inférieure. Les datations effectuées par thermoluminescence sont de 25 850 180 B.P. pour la base de la couche inférieure et 22 850 1540 B.P. pour le sommet de la couche inférieure. Pour la couche supérieure, la partie inférieure est datée de 19 230 3370 B.P. et la partie supérieure de 14 940 550 B.P. (Xia Zhengkai et al., 1998b). Les dates obtenues par Cl4 et celles obtenues par thermoluminescence concordent parfaitement. L’âge géologique du site est Pléistocène supérieur et son âge archéologique est Paléolithique supérieur. Aujourd’hui, trois sites paléolithiques ont déjà été découverts dans la ville de Pékin: Wangfujing-Oriental Plaza, mais aussi Xidan-Zhongying Dasha (Li Chaorong et al., 2000a) et Shuangqiao (Huang Wanbo, 1990). Le matériel lithique et faunique de Zhongying Dasha a été découvert dans une couche alluviale, à 21 m sous la surface du sol. Le matériel d’Oriental Plaza provient d’une couche qui semble alluviale, située à environ 12 m sous la surface. D’après leur stratigraphie et les résultats des datations absolues, ces trois sites appartiennent au Paléolithique supérieur. Du fait des changements climatiques et environnementaux qui surviennent au Pléistocène supérieur, le cadre des activités des hominidés s’élargit de plus en plus pour leur permettre de
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s’adapter à ce nouvel environnement. Les trois sites de plein air du Paléolithique supérieur découverts à Pékin mettent en évidence la vie de chasse, pêche et collecte que menaient les Hommes de cette époque dans la plaine de Pékin. Ces sites sont des campements d’activités saisonniers. Cela met en évidence le fait que les activités des groupes humains n’avaient pas seulement lieu dans les grottes, mais aussi dans les plaines. L’étude du matériel de ces sites démontre également qu’il existe une continuité culturelle entre 50 000/60 000 et 20 000 B.P. à Pékin (Pei Wenzhong et Zhang Senshui, 1985; Gao Xing, 2000, 2001). Pour pouvoir comprendre les techniques et les comportements des hommes paléolithiques, les archéologues doivent mener des fouilles scientifiques sur le terrain, faire un plan des artefacts en trois dimensions, recueillir toutes sortes d’informations provenant de la stratigraphie, récolter des matières premières autour du site afin de mener des expérimentations, effectuer des remontages des artefacts en laboratoire, tout ceci dans le but d’obtenir des informations sur les activités des hommes préhistoriques. Ce travail demande un effort en temps et en énergie, mais il est très utile pour comprendre les techniques et les modes de vie des hommes préhistoriques. Nous avons beaucoup tiré profit de l’étude des remontages lithiques et osseux de Wangfujing-Oriental Plaza et compris les comportements des hommes de cette époque. Il n’y a qu’en menant une analyse des microtraces sur le matériel osseux, en faisant des expérimentations lithiques et en synthétisant ces résultats que l’on peut objectivement comprendre les activités des hommes de la préhistoire. Le musée de préhistoire de Wangfujing a ouvert le 28 décembre 2001. Il est au troisième soussol de l’Oriental Plaza. Les artefacts lithiques, les restes fauniques, les ossements fracturés et les objets brûlés y sont exposés, ainsi qu’un grand nombre de photographies et de plans, de reconstitutions peintes, sculptées et virtuelles expliquant la situation lors des fouilles, les productions et la vie des hommes préhistoriques. Le musée est déjà devenu une base de diffusion scientifique de la capitale. Remerciements La détermination des fossiles vertébrés a été réalisée par M. Hou Lian-hai et Zhang Shao-hua. L’auteur leur adresse ses plus vifs remerciements. Nous remercions également le Pr Henry de Lumley pour avoir effectué la révision de cet article, Dr Erika Bodin pour la traduction de texte. Ce projet a reçu une aide financière de la part du Major Basic Research Projects (2006CB806400) of MST of China et de la National Natural Science Foundation of China (40472016; 40672208). Références Gao Xing, 2000. A study of flaking technology at Zhoukoudian locality 15. Acta Anthropologica Sinica 19, 199–215. Gao Xing, 2001. A study of stone tool typology and retouch technology at Zhoukoudian locality 15. Acta Anthropologica Sinica 20, 1–18. Huang Wanbo, 1990. A chopped trace on mandible of Paeoloxodon from Shuangqiao, Beijing. Acta Anthropologica Sinica 9, 188–189. Li Chaorong, 2004. The artifacts from the Longgudong cave in 1999–2000. In: Zheng Shaohua (Eds.), Jianshi hominid site. Science Press, Beijing, pp. 36–66. Li Chaorong, Feng Xingwu, Yu Jincheng, 2000a. The stone artifacts from Xi Dan, Beijing. Acta Anthropologica Sinica 19, 76–77. Li Chaorong, Yu Jincheng, Feng Xingwu, 2000b. Excavation of a Paleolithic site at Oriental Plaza, Wangfujing, Beijing. Archaeology 9, 1–8.
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