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Testing musculaire du pied P. Denormandie1, G. Lonjon1, R. Seringe2
L’évaluation musculaire (testing) est essentielle pour le clinicien afin de préciser les capacités musculaires présentes d’un patient. Le testing est différent suivant le type de lésion neurologique, périphérique ou centrale, évolutive ou non [1]. Il doit permettre de préciser le niveau lésionnel et de suivre l’évolution d’une atteinte paralytique du pied ou, plus largement, du membre inférieur. Pour être interprétable, ce testing nécessite une réalisation rigoureuse, méthodique et formalisée. Il requiert donc une bonne connaissance de la systématisation nerveuse (radiculaire, plexique et tronculaire), des possibilités de compensation et des modalités d’expression des muscles. Nous décrirons le testing dans le cadre d’une paralysie périphérique et les spécificités d’un déficit d’origine centrale.
peut être à 5 en position assise avec une bonne commande analytique alors qu’à la marche, il ne s’exprime pas du tout. Il est impératif d’évaluer l’ensemble des muscles à la fois proximaux et distaux en cotant ceux-ci suivant la cotation habituelle de 0 à 5 (tableau 1). L’examen bilatéral et comparatif et la consignation datée dans le dossier médical sont des éléments essentiels pour l’explication des déformations et de leur évolutivité.
Tableau 1 Échelle de cotation du testing musculaire manuel 0
Aucune contraction
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Une contraction musculaire est palpable sous les doigts, mais aucun mouvement n’est possible
2
La contraction musculaire permet un mouvement de l’articulation sur toute son amplitude, le membre étant sur un plan horizontal sans effet majeur de la pesanteur
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Le mouvement est possible dans toute son amplitude et contre la pesanteur
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Le mouvement est possible dans toute son amplitude, contre l’action de la pesanteur et contre une résistance manuelle de moyenne importance
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La résistance manuelle est maximale
Réalisation du testing L’évaluation de la force musculaire se fait selon la cotation en six stades de la MRC (Medical Research Council), de 0 (aucune contraction) à 5 (force musculaire normale). Elle dépend des capacités cognitives des patients et de la présence de troubles de la commande motrice, qui peuvent se rencontrer dans les pathologies neurologiques centrales. Le testing est, dans ces cas, plus difficile. Chez les jeunes enfants, le testing n’est possible que de 0 à 3, car les cotations 4 et 5 requièrent la participation active du patient [2,3]. Il peut varier suivant l’examen et l’examinateur (renforcement de l’hypertonie dans les situations de stress) ainsi que selon la position d’examen. L’expression des muscles peut être très différente entre l’examen en chaîne ouverte (patient allongé ou assis) et en chaîne fermée (patient verticalisé et à la marche). Il convient, dans ces cas, de noter la cotation, le mode d’expression du muscle, la qualité de la commande analytique, ainsi qu’une éventuelle dissociation avec le testing en syncinésie. Par exemple, le testing du tibial antérieur
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La cotation est affinée par l’adjonction de signes plus (+) et moins (−). Ces signes sont utilisés quand l’amplitude n’est pas complète (−) ou quand un muscle a plus d’efficacité que la définition ne lui en accorde (+). Seules les cotations 4 et 5 sont impossibles chez l’enfant jeune.
Service de chirurgie orthopédique, hôpital Raymond-Poincaré, 104, boulevard Raymond-Poincaré, 92380 Garches. Université Paris-Descartes, hôpital Saint-Vincent-de-Paul, 82, avenue Denfert-Rochereau, 75014 Paris.
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Les déformations du pied de l’enfant et de l’adulte © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
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Groupe des muscles releveurs
Figure 1. Épreuve de marche sur la pointe des pieds.
de l’hallux et le groupe des muscles intrinsèques de la plante. Ils sont innervés directement par le nerf tibial sous la dépendance principale des racines S1 et S2. • Le triceps sural est fléchisseur plantaire du pied ; le testing analytique sur le plan du lit doit toujours être complété par une évaluation fonctionnelle en demandant au sujet de marcher sur la pointe des pieds. On évalue la force 0/1/2 en décubitus ventral en demandant une flexion plantaire du pied sans et avec résistance. Pour 3/4/5, le patient est debout, sur la pointe des pieds (3), avec une résistance sur les épaules (4/5). La marche sur la pointe des pieds (figure 1) permet aussi de mesurer l’angle mort, qui est la différence entre l’angle de flexion plantaire maximal et l’angle de flexion plantaire réellement utilisé par le patient au cours de cet exercice s’il existe une faiblesse surale, surtout si elle est unilatérale. L’épreuve du saut monopode sur la pointe et du saut comparatif n’évalue pas seulement la force du triceps, mais montre bien l’aisance avec laquelle le patient peut utiliser son triceps sural (figure 2). Pour évaluer surtout le soléaire, l’évaluation de la flexion se fait genou fléchi, c’est le test de Silferskiöld (qui détend les gastrocnémiens) [figure 3]. • Le long fléchisseur des orteils, et le long fléchisseur de l’hallux fléchissent les IP distales des orteils, participent par le mouvement d’enroulement à la flexion de l’articulation interphalangienne proximale (IPP) et
Groupe des muscles fléchisseurs plantaires Il comprend les muscles triceps sural (soléaire et gastrocnémiens), long fléchisseur des orteils, long fléchisseur
Figure 2. Saut monopode (test rapide et précieux).
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Il regroupe les muscles tibial antérieur, long exten seur des orteils, long extenseur de l’hallux, troisième fibulaire (inconstant mais très fréquent), court exten seur des orteils. Ces muscles sont innervés par le nerf fibulaire profond, branche du nerf fibulaire commun et sous la dépendance des racines L5, mais aussi L4 et S1. À noter que l’action de flexion dorsale par les releveurs n’est possible que si les muscles interosseux et lombricaux sont présents et efficaces pour stabiliser les articulations métatarsophalangiennes (MP) [3]. • Le tibial antérieur est fléchisseur dorsal de la cheville avec une composante de supination-adduction du pied. Son tendon est le plus médial au cou-de-pied. Le déficit du tibial antérieur s’accompagne d’un steppage qui dépend de la présence des autres releveurs, modéré en cas de déficit isolé. Il provoque un défaut de contrôle de l’abattement du pied lors de l’attaque du pas par le talon. En cas d’hypertonie, qui se déclenche le plus souvent en syncinésie de flexion du genou, au passage du pas, il positionne le pied en inversion, favorisant un appui sur le bord latéral du pied. L’effet de l’inversion est majoré par l’équin. • Le long extenseur des orteils étend les articulations MP et interphalangiennes (IP) des quatre derniers orteils. Il est également fléchisseur dorsal, abducteur et pronateur du pied. Son tendon est le plus latéral au cou-de-pied (en l’absence du troisième fibulaire). • Le long extenseur de l’hallux étend l’articulation IP du gros orteil, participe à l’extension de l’articulation MP et contribue aussi à la flexion dorsale de la cheville ainsi qu’à la supination et à l’adduction du pied. Il favorise la verticalisation du premier métatarsien. Son tendon est palpé entre les tendons du tibial antérieur en dedans et du long extenseur des orteils en dehors. • Le court extenseur des orteils assure l’extension de l’articulation des quatre premiers orteils ; le corps musculaire est palpé dans la région médiotarsienne latérale. • Le troisième fibulaire (anciennement muscle péronier antérieur) est un petit muscle inconstant et distal de la partie antérolatérale de la jambe. Il est parfois considéré comme étant une partie du long extenseur des orteils. Il s’insère en distal sur la face dorsale de la base du cinquième métatarsien, il est releveur du pied et rotateur latéral. Il est innervé par le nerf fibulaire profond.
Testing musculaire du pied
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Figure 3. Test de Silferskiöld.
de l’articulation MP. Ils sont aussi fléchisseurs plantaires de la cheville, et plus accessoirement supinateurs et adducteurs du pied. Le long fléchisseur de l’hallux a un attelage à la plante avec le long fléchisseur des orteils; la flexion de l’hallux peut entraîner ainsi une flexion des deuxième et troisième orteils. Par ailleurs, le mus cle carré plantaire s’insère sur les tendons distaux du long fléchisseur des orteils et provoque exactement le même mouvement. La distinction entre une flexion des IPP des quatre orteils latéraux, d’origine intrinsèque ou extrinsèque, est très difficile à réaliser. La comparaison du testing au maximum de l’équin (pour détendre les extrinsèques) et en position neutre peut orienter. En cas de doute, il faut faire un testing avant et après un bloc anesthésique sélectif de la partie terminale du nerf tibial, réalisé en arrière de la malléole médiale. • Les muscles intrinsèques de la plante sont difficiles à évaluer. Le testing porte sur le court fléchisseur des orteils, qui fléchit l’articulation IPP des quatre derniers orteils, et le court fléchisseur de l’hallux, qui fléchit l’articulation MP du gros orteil. Lors d’une paralysie du long fléchisseur de l’hallux, le court fléchisseur des orteils fléchit l’articulation IPP mais la phalange terminale reste en extension. • Les muscles abducteurs et adducteurs du gros orteil, les lombricaux et interosseux sont testés en demandant au sujet un écartement et un rapprochement des orteils ainsi qu’une flexion des articulations MP. Les inter osseux et les lombricaux peuvent aussi être testés en faisant une épreuve de marche sur les talons. La dorsiflexion active de la cheville est impossible si ces muscles sont lésés, même si les releveurs sont très puissants.
Groupe des muscles stabilisateurs latéraux En dehors, les stabilisateurs latéraux sont les muscles court et long fibulaires. Ils sont innervés par le nerf fibulaire superficiel, branche du nerf fibulaire commun et sous la dépendance de la racine L5. Le long fibulaire est fléchisseur plantaire, pronateur et abducteur du pied. Le court fibulaire n’est que pronateur et abduc-
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teur du pied. La distinction entre les deux fibulaires s’effectue en testant l’abduction du pied, cheville à angle droit pour le court fibulaire, et en demandant une flexion-abduction-pronation du pied pour le long fibulaire, qui s’accompagne d’une verticalisation du premier métatarsien. En dedans, le stabilisateur médial est le muscle tibial postérieur innervé par le nerf tibial et sous la dépendance des racines L4 et L5. Ce muscle est adducteur, supinateur du pied, mais il constitue aussi un puissant fléchisseur plantaire. Son tendon est parfaitement perçu en arrière de la malléole médiale. En cas de déficit partiel (0/1/2), il faut faire attention à la compensation par le long fléchisseur des orteils et le long fléchisseur de l’hallux.
Muscles proximaux du membre inferieur Le testing du pied doit être associé à un testing de l’ensemble des muscles proximaux avec un triple but : • évaluer l’importance d’un déficit radiculaire en examinant les muscles proximaux, qui sont innervés par les mêmes racines que les muscles du pied. Le semi-tendineux et le semi-membraneux sont innervés par la racine L5, le biceps fémoral par la racine S1. L’innervation des muscles fessiers est assurée par la racine L5 pour le gluteus medius et la racine S1 pour le gluteus maximus; • rechercher une possible compensation d’un déficit du pied par la qualité des muscles proximaux : par exemple, des muscles fléchisseurs de hanche puissants facilitent le passage du pas en cas de steppage, un gluteus maximus efficace entraîne une rétroposition du fémur et du genou, ce qui peut pallier une paralysie du soléaire; • profiter d’une déformation du pied pour compenser un déficit sus-jacent : par exemple, utilité de l’équin pour le verrouillage mécanique du genou en cas de déficit du quadriceps.
Interprétation et intérêts du testing Diagnostic topographique d’une atteinte paralytique médullaire et périphérique Lors d’une atteinte paralytique ou paraparétique, le testing musculaire permet de localiser le niveau de l’atteinte, radiculaire ou tronculaire, en fonction des muscles déficitaires [3].
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Atteinte radiculaire L4-L5 Le testing met en évidence, dans ce type d’atteinte, une paralysie des muscles releveurs, des fibulaires, du tibial postérieur, mais aussi des ischiojambiers médiaux (semitendineux et semi-membraneux) et du gluteus medius.
Atteinte radiculaire S1 Elle s’accompagne d’une paralysie du triceps sural, du biceps fémoral, du gluteus maximus. Les fléchis seurs des orteils peuvent être parétiques ou intacts, leur innervation relevant alors de S2. L’intégrité du tibial postérieur permet d’éliminer une atteinte du nerf tibial.
Évaluation des possibilités de transfert tendineux Face à une atteinte paralytique du pied, qu’elle soit d’origine centrale ou périphérique, lorsqu’une chirurgie de transfert tendineux est envisagée, le testing musculaire revêt un intérêt capital.
Principes généraux issus du testing
Elle est fréquente, le plus souvent au col de la fibula mais parfois plus haut, au bassin dans sa partie sciatique. L’intégrité du tibial postérieur (innervé par le nerf tibial), la paralysie du tibial antérieur, du long exten seur des orteils, du long extenseur de l’hallux, du court extenseur des orteils et des muscles fibulaires permet d’affirmer l’atteinte isolée du nerf fibulaire commun. Il faut signaler que le chef court du biceps fémoral est innervé par une collatérale du nerf fibulaire commun, naissant au bassin. La parésie de ce muscle (bien que difficile à mettre en évidence) permet de localiser l’atteinte du nerf fibulaire commun au niveau du bassin.
Selon la loi de Scherb, tout transfert d’un muscle en antagoniste est voué à l’échec, sauf si tous les muscles synergiques du muscle paralysé le sont également. En effet, la moindre contraction d’un des muscles synergiques du muscle dont la paralysie est palliée par transfert d’un antagoniste inhibe la contraction de cet antagoniste. Le testing permet donc, avant un transfert, de s’assurer de la paralysie complète de l’ensemble des muscles synergiques. En outre, la paralysie du muscle ou du groupe musculaire visé doit être définitive pour éviter tout déséquilibre secondaire si le muscle paralysé récupérait. Enfin, le muscle transférable doit être au moins coté à 3+ ou 4, car il existe toujours une perte de force du muscle transféré, liée à la modification des conditions anatomophysiologiques de son fonctionnement. Au total, le testing va permettre de hiérarchiser les muscles transférables. Par exemple, s’il existe un déficit de la loge antérieure avec steppage, on a la possibilité de transférer : le muscle tibial postérieur, le long fléchisseur des orteils, le long fléchisseur de l’hallux ou l’un des muscles court ou long fibulaires.
Atteinte du nerf tibial
En cas de lésions centrales
Elle est de diagnostic aisé sur la constatation d’une parésie du triceps sural, du tibial postérieur, du long fléchisseur des orteils, des intrinsèques du pied. Lorsque l’atteinte du nerf tibial est plus distale, on constate juste une parésie du soléaire, car les gastro cnémiens ont déjà reçu leur innervation en amont.
Les transferts chez le patient présentant des séquelles de paralysie centrale reposent certes sur des bases techniques identiques à celles des paralysies nerveuses périphériques, mais les critères de choix des transferts et les résultats sont très différents [4]. En effet, il convient de transférer un muscle qui se cocontracte dans le cadre du mouvement recherché en situation fonctionnelle. Ce muscle peut avoir une contraction soit analytique, soit syncinétique, et peut être lui-même hypertonique. Le testing doit dans ces cas renseigner, certes, sur la force du muscle transférable, mais aussi et surtout sur le moment où il se contracte à la recherche d’une synergie d’action.
Atteinte du nerf fibulaire commun
Atteinte du nerf fibulaire superficiel Non exceptionnelle au col de la fibula, elle se traduit par une paralysie des muscles fibulaires. La différence avec une atteinte sélective L5 est aisée devant l’intégrité du muscle long extenseur des orteils.
Atteinte du nerf fibulaire profond
En cas de lésions neurologiques évolutives
Elle est facilement diagnostiquée devant l’atteinte élective des muscles releveurs, alors que les fibulaires et le tibial postérieur restent intacts.
Le testing et sa répétition dans le temps permettent de faire des hypothèses sur l’évolutivité du déficit des différents muscles. Les résultats doivent être interprétés au regard
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Testing musculaire du pied
de l’évolution connue de certaines pathologies. Mais chaque cas est particulier. Il est donc impératif que les testings dans les pieds neurologiques déficitaires aident à l’étude rigoureuse des différentes hypothèses de transfert. Le muscle transféré pourrait-il avoir une meilleure utilité dans le cadre de l’évolution de la maladie ? Par exemple, il est plus important de renforcer un tri ceps sural déficitaire que des releveurs absents. Dans ce cas, on préférera conserver le muscle tibial postérieur ou les fléchisseurs d’orteils pour les transférer sur le tri ceps sural plutôt que de les placer sur le dos du pied.
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Conclusion Le testing musculaire fournit des renseignements indispensables dans les atteintes paralytiques du pied en permettant un diagnostic topographique précis, une surveillance de la récupération et, enfin, en guidant la chirurgie de transfert tendineux dans les atteintes périphériques ou centrales. Associé à l’évaluation de la sensibilité du pied, il est une étape essentielle de l’examen clinique du patient.
Références
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1 Hérisson C, Simon L. Le pied neurologique de l’adulte. Monographie de podologie. Paris : Masson ; 1996. 2 Lacote M, Chevalier AM, Miranda A, Bleton JP. Évaluation clinique de la fonction musculaire. 2e éd. Paris : Maloine ; 1990. 3 Laburthe-Tolra Y, Seringe R, Dubousset J. Sémiologie neuroorthopédique illustrée. Paris : Springer ; 2001.
4 Denormandie P, Trincat S, Genet F. Place de la chirurgie dans le traitement des complications neuro-orthopédiques multiples des membres inférieurs du patient cérébrolésé. Neuroorthopédie des membres après cérébrolésion grave. Paris : Masson ; 2009.