Thrombose de la veine cave inférieure sur syndrome primaire des antiphospholipides : à propos d’un cas

Thrombose de la veine cave inférieure sur syndrome primaire des antiphospholipides : à propos d’un cas

Journal des Maladies Vasculaires (2010) 35, 47—50 CAS CLINIQUE Thrombose de la veine cave inférieure sur syndrome primaire des antiphospholipides : ...

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Journal des Maladies Vasculaires (2010) 35, 47—50

CAS CLINIQUE

Thrombose de la veine cave inférieure sur syndrome primaire des antiphospholipides : à propos d’un cas Thrombosis of the inferior vena cava revealing primary antiphospholipid syndrome: A case report R. Berrady ∗, Z. Khammar , L. Lamchachti , M. Lahlou , S. Rabhi , W. Bono Service de médecine interne, CHU Hassan II de Fès, route sidi Hrazem, Fès, Maroc Rec ¸u le 31 juillet 2009 ; accepté le 29 octobre 2009 Disponible sur Internet le 6 d´ ecembre 2009

MOTS CLÉS Antiphospholipides ; Ascite ; Thrombophilie ; Thrombose de la veine cave

KEYWORDS Antiphospholipid; Ascitis; Thrombophilia; Thrombosis of the vena cava



Résumé La thrombose de la veine cave inférieure est une expression clinique rare du syndrome primaire des antiphospholipides. Par cette observation, nous essayons de mettre en évidence l’aspect clinique et paraclinique, ainsi que la prise en charge thérapeutique d’une thrombose de la veine cave inférieure sur syndrome primaire des antiphospholipides avant le stade de complication. Nous rapportons le cas d’une patiente âgée de 24 ans ayant des antécédents de thromboses veineuses profondes récidivantes, admise au service de médecine interne pour dyspnée et douleur de l’hypocondre droit. L’examen clinique avait objectivé un livédo avec un syndrome œdémateux ascitique. Le scanner couplé à l’écho-Doppler avait montré une thrombose de la veine cave inférieure. Sur ces résultats radiologiques, un bilan immunologique était demandé, ce qui a montré la présence des anticorps antiphospholipides. © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Summary Thrombosis of the inferior vena cava is a rare clinical expression of primary antiphospholipid syndrome. This case clearly illustrates the clinical manifestations, work-up findings and management principles of thrombosis of the inferior vena cava in primary antiphospholipid syndrome before the stage of complication. The patient was a 24-year-old female with a history of recurrent deep venous thrombosis. She was admitted to the department of internal medicine for dyspnea and pain of the right hypochondria. Physical examination disclosed an edematous ascitic syndrome. The scanner coupled with Doppler ultrasonography showed thrombosis of the inferior vena cava. On these radiological findings, an immunological work-up was requested, which showed the presence of antiphospholipid antibodies. © 2009 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (R. Berrady).

0398-0499/$ – see front matter © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.jmv.2009.11.004

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R. Berrady et al.

Introduction Le syndrome cave inférieur regroupe tous les signes cliniques secondaires à l’obstruction de la veine cave inférieure, entraînant ainsi une congestion hépatique. Le plus souvent, le syndrome cave inférieur est lié à des causes tumorales bénignes (62 %), puis à des maladies de systèmes et enfin à des causes tumorales malignes. Dans 18 % des cas, il est idiopathique [1].

Observation clinique Nous rapportons le cas d’une patiente âgée de 24 ans ayant des antécédents de thromboses veineuses profondes spontanées et récidivantes sous traitement anticoagulant, de siège variable, admise au service de médecine interne pour orthopnée et douleur de l’hypocondre droit. L’examen clinique avait objectivé un livédo étendu aux membres inférieurs, une circulation veineuse collatérale (Fig. 1), un syndrome d’épanchement pleural bilatéral, une ascite (Fig. 2) avec œdème des deux membres inférieurs à prédominance à droite. Un bilan biologique avait objectivé une légère perturbation de la fonction hépatique, avec GOT à deux fois la normale et les GPT à 2,5 la normale, le TP et le TCA étaient normaux. Le bilan rénal était normal. Le diagnostic d’une hépatopathie en décompensation était retenu. Le scanner couplé à l’écho-Doppler avait montré une thrombose de la veine cave inférieure (Fig. 3) et de l’artère pulmonaire. Sur ces résultats radiologiques, le diagnostic a été revu et un bilan immunologique était demandé, ce qui a montré la présence des anticorps antiphospholipides selon la technique enzymoimmunoassay (EIA) (AC anti-␤2 GPI fortement positifs successivement à des taux supérieurs à 42 et 47 UGPL à deux reprises et à 12 semaines d’intervalle). Les anticorps antinucléaires (AAN), les anticorps anti-ADN natifs ainsi que le reste du bilan de thrombophilie (prot S, prot C, ATIII, mutation du facteur II et V Leiden) étaient négatifs.

Figure 1

Circulation veineuse collatérale.

Collateral venous circulation.

Figure 2

Ascite.

Ascitis.

Le traitement à base d’antalgiques et d’anticoagulants a été démarré, la patiente avait présenté une résistance à l’héparine de bas poids moléculaire (HBPM) et à l’acénocoumarol, avec aggravation du syndrome œdématoascitique. Un traitement à base d’héparine sodique à débit continu a été démarré avec bonne évolution clinique. Le relais a été assuré par la fluindione. L’évolution à court terme chez notre patiente était marquée par la régression partielle du syndrome œdémato-ascitique, avec normalisation du bilan hépatique. La patiente était équilibrée sous

Figure 3 Thrombose de la veine cave inférieure. Aspect scanographique de la thrombose de la veine cave inférieure avec trouble de la revascularisation hépatique. Thrombosis of the inferior vena cava. Ultrasonographic aspect of the thrombus in the inferior vena cava with perturbed hepatic revascularisation.

Thrombose de la veine cave inférieure sur syndrome primaire des antiphospholipides : à propos d’un cas traitement antivitamines K avec un INR de contrôle à trois, avec disparition des manifestations thrombotiques à long terme. Le traitement anticoagulant à base de fluindione était maintenu à vie chez notre patiente.

Discussion Le syndrome des antiphospholipides (SAPL) est défini par une manifestation clinique (au moins une) parmi les thromboses veineuses ou artérielles ou des fausses couches répétées et une anomalie biologique (au moins une) témoignant de la présence dans le sang du patient d’anticorps dirigés contre les phospholipides membranaires : anticorps anticardiolipine, anticoagulant circulant et anti-␤2 GPI, confirmée sur deux déterminations à 12 semaines d’intervalle [2]. Il est fondamental de noter que, si les anticorps antiphospholipides peuvent être positifs dans des circonstances très diverses comme la prise de certains médicaments ou des infections bactériennes et virales, seule l’existence de manifestations cliniques permettra d’en définir le rôle pathogène [3]. Initialement considéré comme un sousgroupe inclus au sein du lupus érythémateux systémique, le SAPL peut être complètement isolé, constituant alors le SAPL primaire [4]. La thrombose observée au cours du SAPL a la particularité de survenir sur une paroi vasculaire saine, indemne de toute infiltration cellulaire. Parfois, le thrombus se constitue sur une lésion athéromateuse, les antiphospholipides apparaissent alors comme un facteur précipitant. Tous les territoires vasculaires peuvent être touchés : artères (quel que soit le calibre), artérioles, capillaires, veinules, veines profondes ou veines superficielles. Cela explique la diversité des tableaux cliniques observés [5]. Notre patiente a eu la particularité de faire une thrombose sur la veine cave inférieure avec des symptômes relatifs au syndrome cave inférieur clinique. Tous les sièges sont donc possibles, mais le clinicien devra songer au SAPL devant des localisations inhabituelles comme la veine cave, les membres supérieurs. Ces thromboses sont volontiers emboligènes [4]. Notre patiente en est un exemple puisqu’elle s’est compliquée d’une embolie pulmonaire. La plupart des cas de thrombose de la veine cave inférieure ne surviennent que lorsque s’additionnent plusieurs étapes prothrombotiques [6]. Certains de ces états sont héréditaires : facteur V de Leiden, déficit en protéine C, en protéine S, en anti-thrombine III, hyperhomocystéinémie et anomalie du facteur II, d’autres affections sont acquises : syndrome myéloprolifératif, hémoglobinurie paroxystique nocturne, syndrome des antiphospholipides (comme c’était le cas de notre patiente). Une recherche systématique de tous ces états doit être effectuée. Pour notre observation, nous avons éliminé les autres pathologies systémiques susceptibles d’être à l’origine d’un état prothrombotique. Les facteurs responsables de la localisation à la veine cave inférieure de la thrombose au cours de ces états prothrombotiques généralisés restent le plus souvent inconnus ; mais dans certains cas on peut incriminer un abcès amibien, un kyste hydatique, un traumatisme hépatique ou un hématome [7], ce qui a été écarté chez notre patiente par une étude échographique et tomodensitométrique minutieuse. La clinique n’est pas très contributive

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dans le cas du syndrome cave inférieur [1], surtout qu’on peut avoir un tableau d’hypertension portale comme c’est le cas pour notre patiente, ce qui a dérouté le diagnostic initial, mais il est facilement rétabli par l’imagerie médicale. L’échographie couplée au Doppler montre soit des signes directs par la visualisation du thrombus en intraluminale, chose qui a été soulignée au cours de l’examen radiologique de notre patiente, soit indirects surtout par la mise en évidence d’une circulation veineuse collatérale entre les territoires obstrués et les territoires contigus intra- ou extrahépatiques restés perméables. Le traitement inclut la prévention des accidents de thrombose par l’administration d’anticoagulants. Celle-ci peut initialement être faite par l’héparine de bas poids moléculaire mais il faut introduire des antagonistes de la vitamine K (AVK) le plus rapidement possible pour éviter les accidents de thrombopénie à l’héparine [6]. C’était notre attitude thérapeutique initiale, mais vu la complexité du tableau clinique présenté par la patiente, une héparine standard a été utilisée. Le traitement des complications (ascite, hémorragie digestive, insuffisance rénale) repose sur les mêmes règles que celles établies pour les maladies chroniques du foie [1]. La durée du traitement est au long cours pour notre patiente vu ses antécédents thrombotiques et ses complications. De même dans la littérature, la survenue d’une thrombose veineuse, associée à des anticorps antiphospholipides persistants, est une indication de traitement anticoagulant prolongé, de durée indéfinie. Selon les recommandations établies sur la base de deux études randomisées [8,9], ces études n’ont pas comparé différentes durées de traitement mais deux intensités d’anticoagulations car elles partaient du postulat que le traitement prolongé d’une thrombose constituée se justifiait dès le premier épisode dans ce contexte. Ce postulat découle des études d’observations montrant un risque de récidive très élevé en cas d’interruption du traitement avec un antagoniste de la AVK. Parfois un arrêt intempestif du traitement a pu favoriser un syndrome catastrophique des antiphospholipides [2].

Conclusion La thrombose de la veine cave inférieure devient une pathologie de plus en plus fréquente, probablement multifactorielle et dans laquelle les facteurs héréditaires sont fortement impliqués, parmi lesquels nous citons le SAPL primaire encore sous-estimé. Les tableaux initiaux peuvent être très sévères, mais peuvent aussi être totalement réversibles si une prise en charge adéquate est mise en œuvre. Il faut y penser plus souvent.

Conflit d’intérêt Aucun.

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