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Le traitement de la tumeur primitive diffère peu de celui de la femme, comportant le plus souvent une mammectomie de type Patey suivie d’une radiothérapie adjuvante (paroi thoracique et aires ganglionnaires) qui améliore le contrôle local sans bénéfice sur la survie globale [2]. Une hormonothérapie adjuvante par tamoxifène est souvent prescrite si les récepteurs hormonaux sont positifs [3]. Les indications de chimiothérapie adjuvante comportant une anthracycline sont les mêmes que chez la femme [4]. Toutefois, compte tenu de la rareté de cette pathologie, aucune étude randomisée n’a été menée pour évaluer le bénéfice de ces traitements. En phase métastatique, l’hormonothérapie est le traitement de première intention, la chimiothérapie est ainsi réservée aux cas d’hormonorésistance [1]. Plusieurs armes thérapeutiques sont dans ce cadre disponibles : anti-estrogènes, inhibiteur de l’aromatase, antiandrogène, orchidectomie, analogue de la LHRH [3]. C’est encore le tamoxifène qui est le plus souvent utilisé en première ligne [5]. En revanche, peu de données existent sur l’efficacité des inhibiteurs de l’aromatase dans cette indication. En effet, l’origine des estrogènes chez l’homme est double : • sécrétion par les cellules de Leydig (20–25 %) ; • aromatisation des androgènes au niveau des surrénales (75–80 %). En théorie, les inhibiteurs de l’aromatase permettraient donc de supprimer la plus importante source d’estrogènes chez l’homme avec persistance néanmoins d’une sécrétion basale d’origine testiculaire. Ainsi, quelques cas de rémissions complètes d’une durée variant de 7 à 14 mois ont été rapportés avec l’aminoglutéthimide, inhibiteur de l’aromatase de première génération dit non sélectif car inhibant également la sécrétion de corticostéroïdes (d’où la nécessité d’une supplémentation), chez des patients dont certains ont été préalablement orchidectomisés [4,7,8]. Concernant les inhibiteurs de l’aromatase de troisième génération, spécifique, et donc sans effet sur l’axe corticotrope, qui ont démontré leur bénéfice dans le cancer du sein métastatique de la femme ménopausée, seule une série de cinq patients traités par anastrozole a été récemment rapportée avec trois cas de stabilisation de la maladie [6]. Nous rapportons le premier cas de réponse complète obtenue grâce à un anti-aromatase de troisième génération. Cette observation souligne donc le bénéfice potentiel de ce type d’hormonothérapie dans le cancer métastatique du sein chez l’homme à la fois en termes d’efficacité et de tolérance, notamment sur le plan sexuel.
[2] [3] [4] [5] [6] [7] [8]
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A. Italiano* R. Largillier Service d’oncologie médicale, centre de lutte contre le cancer Antoine-Lacassagne, 33, avenue de Valombrose, 06189 Nice cedex 2, France Adresse e-mail :
[email protected] (A. Italiano). P.-Y. Marcy Service de radiodiagnostic, centre de lutte contre le cancer Antoine-Lacassagne, 33, avenue de Valombrose, 06189 Nice cedex 2, France C. Foa J.-M. Ferrero M.-T. Hartmann M. Namer Service d’oncologie médicale, centre de lutte contre le cancer Antoine-Lacassagne, 33, avenue de Valombrose, 06189 Nice cedex 2, France Reçu le 8 septembre 2003 ; accepté le 5 décembre 2003 * Auteur correspondant. © 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.revmed.2003.12.006
Toxidermie bulleuse par procuration à la résorcine
Bullous skin eruption to resorcin by proxy Mots clés : Allergie médicamenteuse ; Résorcine ; Éruption bulleuse ; Toxidermie Keywords: Drug hypersensitivity; Resorcinol; Bullous eruption; Skin drug adverse reaction; Drug eruption
Références
1. Introduction
[1]
La résorcine est utilisée dans des préparations médicales ou dans des produits d’hygiène pour ses propriétés tinctoria-
Giordano SH, Buzdar AU, Hortobagyi GN. Breast cancer in men. Ann Intern Med 2002;137:163.
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les, légèrement antiseptiques, antiséborrhéiques et kératolytiques. Différentes spécialités et préparations magistrales dermatologiques en contiennent, notamment les préparations verrucides. Elle est également présente dans certaines préparations antiacnéiques (à noter que l’eau précieuse n’en contient plus maintenant). Elle est utilisée pour des peelings chimiques, est présente dans certains produits et colorants capillaires, et même dans certains marqueurs pour patchtests... Elle est largement utilisée dans l’industrie des colorants, plastiques, des tannages, du caoutchouc et des explosifs. Plusieurs observations de dermite de contact au résorcinol contenu dans des préparations verrucides, antiacnéiques, topique ophtalmique, des marqueurs de patch-tests, sont rapportées dans la littérature [1–4]. À noter également la description d’eczéma de contact aux composants plastiques de montures de lunettes et de chaussures [5]. Nous rapportons l’observation originale d’un homme jeune hospitalisé en urgence dans le contexte d’une dermatose bulleuse généralisée... Il s’agit de la première observation publiée de dermite à la résorcine par procuration.
2. Observation Ce jeune instituteur de 34 ans, n’a pour antécédents qu’un reflux gastro-œsophagien traité par lanzoprazole. Il nous révèle, par ailleurs, un eczéma de contact à l’âge de dix ans lors du traitement d’une verrue plantaire attribué à une allergie de contact au sparadrap. Ce patient est hospitalisé en urgence pour une éruption généralisée prédominant aux membres inférieurs associant des lésions bulleuses et des lésions maculopapuleuses purpuriques par endroits (Fig. 1). Les pieds sont épargnés. Les bulles sont tendues, fermes, prédominant au niveau du creux poplité droit et de la face interne de la cuisse gauche. Il n’y a pas de signe de Nikolski. Il n’y a pas de lésion muqueuse. Le patient rapporte un épisode similaire a minima survenu 15 jours auparavant d’évolution favorable après prise de cétirizine, Célestamine® (bétaméthasone et dexchlorphénaramine). L’examen clinique est par ailleurs normal. L’aspect clinique des bulles, l’absence d’altération de l’état général et de fièvre n’orientent pas vers une pathologie infectieuse, une cause systémique, une maladie bulleuse auto-immune ou un syndrome de Lyell. Le fait que les zones les plus déclives, c’est-à-dire les pieds, soient épargnées est peu compatible avec un purpura vasculaire. L’interrogatoire ne retrouve d’ailleurs aucune prise médicamenteuse, aucune modification de l’alimentation, aucun épisode infectieux ou autre élément permettant d’expliquer la symptomatologie. En revanche, nous sommes intrigués par l’aspect de l’éruption, le lien chronologique entre son apparition, sa récidive et ... les soins de verrue plantaire prescrits à son épouse. Le traitement suivi par cette dernière est une préparation magistrale pharmaceutique à base de résorcine (6 grammes), d’acide salicylique (8 grammes) et de vaseline (10 grammes) sous pansement Hypafix®, traitement qu’elle
Fig. 1. Aspect de l’éruption bulleuse.
avait appliqué une première fois, lors de la première poussée 15 jours avant et qu’elle reprenait la veille de cette nouvelle éruption. Et si l’épisode rapporté dans l’enfance n’était pas lié au sparadrap, mais au produit utilisé pour les soins de sa verrue ? En poursuivant l’interrogatoire, le patient nous révèle que son épouse a l’habitude de glisser ses pieds contre lui pour les réchauffer le soir, dans le lit conjugal ... et que les lésions bulleuses sont précisément localisées aux endroits de contact habituel. Le bilan allergologique est réalisé trois jours plus tard. Compte tenu de la violence de l’éruption, le patch-test au résorcinol 1 % n’est appliqué que 30 minutes : il est positif le lendemain (Fig. 2). Les patch-tests aux autres allergènes de la batterie européenne (EECDRG) révèlent une sensibilisation à +++ au nickel. Les patch-tests à la colophane, aux plastiques et colles sont négatifs. Le bilan biologique montre une neutrophilie modérée à 9,8 G/l spontanément régressive en deux jours, probablement liée à la corticothérapie générale entreprise en urgence avant son hospitalisation. Le syndrome inflammatoire est discret : PCR à 8,7 mg/l se normalisant le lendemain. L’électrophorèse des protéines sériques est normale. Les examens qui nous parviennent après le diagnostic ne révèlent pas de perturbation métabolique hépatique ou rénale. L’examen direct et la mise en culture du liquide de bulle à la recherche d’une
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Fig. 2. Patch-test au résorcinol 1 % après une application de 30 minutes et lecture à 24 heures.
infection virale et bactérienne sont négatifs. Les sérologies VIH, parvovirus B19, coxsackie, picornavirus, herpès virus, varicelle, Chlamydiae sont négatives ou témoins d’infections anciennes guéries. La recherche d’anticorps antinucléaires, anti-membrane basale, anti-peau est négative. La biopsie cutanée montre une infiltration du derme constituée d’éléments mononucléaires avec la participation d’un faible contingent d’éosinophiles à distribution préférentiellement périvasculaire. Il n’y a pas de signe de dégénérescence kératinocytaire de la couche basale mais un œdème dermique très important prébulleux. Il n’est pas mis en évidence de dépôt d’immunoglobulines G, M et A, de C1q et C3 notamment au niveau de la jonction dermoépidermique. Le test d’activation des basophiles est positif pour la résorcine à la concentration de 10–4 alors que le test d’activation des lymphocytes est négatif. Le diagnostic de dermite de contact par procuration au résorcinol est retenu. Les conseils d’éviction du résorcinol ont été donnés au patient qui se souvient alors avoir présenté une éruption similaire en utilisant du Synthol® qui en contient... L’éruption évoluera spontanément vers la guérison en dix jours. 3. Discussion Le résorcinol est une substance découverte en 1866 par Hlasiwetz et Barth dans les produits de la fusion de certaines gomme-résines (de type galbanum, sagapenum) avec de la potasse. Le galbanum est issu de la sève d’une plante d’origine syrienne, Ferula galbaniflua. Il s’agit d’une plante de la famille des apiacées (également connue sous le nom d’ombellifère). Le galbanum figurait déjà, au 3e millénaire avant notre ère, sur les tablettes sumériennes de Nippur (qui sont les vestiges les plus anciens d’une pharmacopée). Le galbanum est utilisé dans la fabrication de certains parfums. Le résorcinol est utilisé dans des préparations médicales ou dans des produits d’hygiène pour ses propriétés tinctoria-
les, légèrement antiseptiques, antiséborrhéiques et kératolytiques. En particulier pour désinfecter les plaies, l’antisepsie de la bouche, des fosses nasales, et dans certaines dermatoses : psoriasis, acné. Autrefois appliqué sur les ulcères variqueux et utilisé per os comme antithermique (utilisation dangereuse en raison de la toxicité de cette substance), le résorcinol est de nos jours principalement utilisé pour les peelings chimiques et les colorations capillaires. Ses utilisations industrielles sont nombreuses. On retrouve le résorcinol dans l’industrie : • des colorants (notamment textiles et coiffures) ; • des tannages ; • des plastiques, du caoutchouc et des pneumatiques. C’est un monomère de base pour la synthèse de résines phénoplastes et intermédiaire de synthèse d’absorbant UV pour verre de lunette. Les phénoplastes sont des résines thermodurcissables résultant d’une réaction entre le formaldéhyde et les phénols ; • des adhésifs (colle pour bois, utilisée notamment dans la construction marine) ; • des explosifs (synthèse de dérivés trinitrés). On peut trouver du résorcinol dans les préparations magistrales pour le traitement des verrues plantaires. Ce sont des préparations associant résorcinol (20–25 %) et acide salicylique, la pâte de Unna. On le retrouve également dans des préparations exfoliatives, les peelings chimiques : solution de Jessner (résorcinol + acide salicylique + acide lactique). L’encre de certains stylos marqueurs utilisés pour repérer les sites des patch-tests ou de radiothérapie (Dermat® marqueur cutané). Il convient d’être vigilant sur sa présence dans certaines spécialités pharmaceutiques telles que : • Anaxeryl® pommade (traitement du psoriasis et des pelades) ; • Galla® pommade (traitement des lésions suintantes de la peau, plaies, brûlures, ulcères variqueux, eczéma, engelures, furoncles, prurit) ; • Lotion® analgésique PCH® (traitement d’appoint des douleurs tendinoligamentaires) ; • Nestosyl® pommade (traitement symptomatique des piqûres d’insectes) ; • Osmotol® solution auriculaire (traitement des otites externes à tympan fermé) ; • Synthol® solution et gel (traitement d’appoint en traumatologie bénigne) ; • on le retrouve également dans certaines colles chirurgicales : (Aérodux 185 et 500®, Sader Marine Colle®) et certaines pâtes dentaires utilisées pour obturer des canaux radiculaires infectés. Plusieurs observations de dermites de contact à la résorcine ont été rapportées ; le caractère parfois systématisé de ces éruptions est souligné. Les enseignements de cette observation sont multiples. Le diagnostic est l’aboutissement d’un examen clinique attentif, d’une maîtrise de la séméiologie dermatologique et
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d’un interrogatoire policier. L’imputabilité de la résorcine est triple bibliographique, séméiologique et chronologique (relation chronologique entre les soins pour verrue de son épouse et son éruption). Le patch-test positif au résorcinol ne fait que confirmer la présomption du clinicien. L’aspect particulier clinique et histologique de l’éruption ne s’apparente pas à un eczéma de contact. L’éruption est constituée de grosses bulles à contenu clair, tendues et résistantes. Il s’y associe des lésions maculopapuleuses voire purpuriques par endroit. Il n’y a pas de processus acantholytique mais une bulle à la jonction dermoépidermique sans nécrose kératinocytaire. Il s’agit d’un aspect anatomopathologique très singulier. Cette observation souligne la nécessité d’un bilan allergologique devant toute lésion suspecte d’allergie. Le caractère peu inquiétant de l’eczéma de contact dans l’enfance lors du traitement verrucide avait conduit le médecin à n’envisager qu’une éviction du sparadrap. Le diagnostic étiologique aurait évité une récidive plus grave, nécessitant une hospitalisation en urgence, un séjour de quatre jours à l’hôpital et un arrêt de travail de 15 jours. L’absence de diagnostic étiologique expose le patient au risque de récidive et le prive de la maîtrise des stratégies d’éviction. Cette observation nous rappelle de ne pas négliger, lors de l’anamnèse, l’entourage du patient pour ne pas occulter une dermite par procuration... Il convient même de s’intéresser aux animaux domestiques car certains produits vétérinaires utilisés pour le traitement des lésions cutanées d’origine traumatique, infectieuse ou métabolique des chiens et des chats en contiennent ...
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complémentaires n’apportant le plus souvent que la confirmation d’une suspicion clinique. Le bilan allergologique est néanmoins essentiel pour authentifier l’allergène en cause et mettre en place les stratégies d’éviction adéquates. Références [1] [2]
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G. Kanny * N. Blanchard M. Morisset V. Nominé D.-A. Moneret-Vautrin Service de médecine interne, immunologie clinique et allergologie, centre hospitalier universitaire de Nancy, hôpital Central, 29, avenue de Lattre-de-Tassigny, 54035 Nancy cedex, France Adresse e-mail :
[email protected] (G. Kanny). Reçu le 30 octobre 2003 ; accepté le 9 janvier 2004 * Auteur correspondant.
4. Conclusion Cette observation illustre l’art d’exercer la médecine dont les fondements reposent sur la séméiologie, les examens
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