Trachéotomie en réanimation : pronostic et rôle d’une insuffisance respiratoire chronique

Trachéotomie en réanimation : pronostic et rôle d’une insuffisance respiratoire chronique

Article original Trachéotomie en réanimation : pronostic et rôle d’une insuffisance respiratoire chronique C. Cracco1, A. Demoule1,2, A. Harb1, 3, N...

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Trachéotomie en réanimation : pronostic et rôle d’une insuffisance respiratoire chronique C. Cracco1, A. Demoule1,2, A. Harb1, 3, N. Taright4, Y. Lefort1, 5, J.-P. Derenne1, 2, T. Similowski1, 2

Résumé Introduction De nombreuses inconnues demeurent quant à la place de la trachéotomie en réanimation. Les réticences à la réalisation d’une trachéotomie sont nombreuses, surtout quand préexiste une insuffisance respiratoire chronique (IRC), mais certaines données suggèrent des bénéfices. Cette étude a pour objectifs d’évaluer l’impact de la trachéotomie sur la mortalité en réanimation et à l’hôpital, et d’analyser et le rôle d’une IRC préalable. Matériel et méthodes Étude rétrospective cas-témoins, à partir d’une base de données prospective et exhaustive « MSI », sur 6 ans. Sur 2 901 malades admis pendant une période de 5 ans, 882 patients intubés et ventilés ont été identifiés. 127 patients trachéotomisés (T+) ont été comparés à 755 patients non trachéotomisés (T-), et avec un sous-groupe « T-app » apparié à T+ pour la sévérité à l’admission (IGS2).

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Service de Pneumologie et Réanimation, Groupe Hospitalier Pitié-Salpêtrière, Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, Paris, France. 2 Unité Propre de Recherche de l’Enseignement Supérieur EA2397 Université Paris VI Pierre et Marie Curie, Paris, France. 3 Réanimation Polyvalente, Institut Gustave Roussy, Villejuif, France. 4 Département MSI,Groupe Hospitalier Pitié-Salpêtrière, Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, Paris, France. 5 Réanimation Polyvalente, Centre Hospitalier Général de Saintes, Saintes, France. Soutiens : Étude financée en partie par l’Association pour le Développement et la Recherche en Pneumologie, Paris, France, et par une bourse de recherche de l’ANTADIR accordée à Christophe Cracco. Correspondance : T. Similowski Service de Pneumologie, Groupe Hospitalier Pitié-Salpêtrière, 47-83 Boulevard de l’Hôpital, 75651 Paris Cedex 13.

Résultats La mortalité en réanimation et à l’hôpital était significativement moindre dans T+ que dans T- (28 vs. 52 % et 42 vs. 59 %), et les durées de séjour supérieures. C’était également le cas après appariement sur la gravité à l’admission (T+ par rapport à Tapp : 28 vs. 49 % et 42 vs. 53 %). Une IRC préalable n’influençait pas le devenir des patients trachéotomisés, qu’il s’agisse d’une insuffisance respiratoire obstructive, restrictive « pulmonaire », ou neuromusculaire. Conclusions Une trachéotomie peut, dans certaines populations de patients ventilés artificiellement et dans certains contextes de soins, être associée à une réduction de la mortalité hospitalière. Mots-clés : Trachéotomie • Insuffisance respiratoire aiguë • Insuffisance respiratoire chronique • Ventilation mécanique • Réanimation.

[email protected] Réception version princeps à la Revue : 11.08.2004. Retour aux auteurs pour révision : 08.09.2004. Réception 1ère version revisée : 30.05.2005. Acceptation définitive : 07.06.2005.

Rev Mal Respir 2005 ; 22 : 751-7 Doi : 10.1019/200530070

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C. Cracco et coll.

Introduction Tracheostomy in intensive care : impact on prognosis and the influence of underlying chronic respiratory insufficiency.

C. Cracco, A. Demoule, A. Harb, N. Taright, Y. Lefort, J.-P. Derenne, T. Similowski

Summary Introduction Numerous uncertainties remain concerning the place of tracheostomy in intensive care. Reluctance to perform tracheostomy is common, particularly in the presence of preexisting chronic respiratory insufficiency (CRI), but some data suggest there may be benefits. The objective of this study was to evaluate the influence of tracheostomy on mortality in both intensive care and hospital, and to study the role of pre-existing CRI. Material and methods In a retrospective study of the records of 2901 patients admitted over a period of 5 years 882 were identified who had been intubated and ventilated. 127 patients who had had tracheostomies (T+) were compared with 755 who had not (T-), and with a sub-group of T- patients (T-app) matched for severity on admission (SAPSII). Results ICU and hospital mortality were significantly less in the T+ than the T-patients (28 vs 52 % and 42 vs 59 %) and the duration of stay was longer. This was equally true when matched for severity on admission when T+ were compared with T app (28 vs 49% and 42 vs 59%). Pre-existing CRI did not influence the outcomes of the tracheostomised patients, regardless of whether the CRI was obstructive, restrictive or neuro-muscular. Conclusions Tracheostomy can, in certain groups of artificially ventilated patients and in certain care settings, be associated with a reduction in hospital mortality. Key-words: Tracheostomy • Acute respiratory insufficiency • Chronic respiratory insufficiency • Mechanical mventilation • Intensive care.

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La trachéotomie est l’une des plus anciennes pratiques médicales. Elle a été l’une des pierres angulaires de l’avènement de la réanimation moderne [1]. Elle suscite encore toutefois de nombreux débats [2, 3]. Il est actuellement commun, en réanimation, de réserver la trachéotomie à des ventilations mécaniques prolongées ou des sevrages particulièrement difficiles, sans pour autant la décider dans la totalité de ces cas. Ainsi, une enquête réalisée au sein de 152 unités de réanimation françaises a-t-elle montré que 95 % des « répondants » considèrent que la ventilation mécanique prolongée est une indication de trachéotomie [4]. Dans l’étude internationale d’Esteban et coll. [5] sur l’utilisation de la ventilation mécanique en général, 25 % des patients ventilés mécaniquement l’étaient via une trachéotomie, réalisée plus de 11 jours après la mise en route de la ventilation mécanique. Cette situation pourrait se modifier avec la ré-émergence du concept de trachéotomie précoce [3, 6-10] et la publication de résultats positifs de cette approche (mortalité et morbidité moindres dans l’étude prospective de Rumbak et coll. [9] ; morbidité moindre dans l’étude rétrospective de Moller et coll. [10] ; une analyse préliminaire des résultats de l’étude internationale d’Esteban et coll. [11] avait conclu à un impact très négatif de la trachéotomie (sans notion de son délai de réalisation) sur le pronostic général en réanimation. Ce résultat n’a pas été confirmé lors de la publication définitive de l’enquête [12]. Au contraire, la trachéotomie y apparaît comme un facteur significatif de réduction la mortalité (cf. tableau 4 dans la référence [12]). Dans un travail ultérieur, Frutos-Vivar et coll. [13] montrent que la trachéotomie diminue la mortalité en réanimation mais pas la mortalité hospitalière. Une insuffisance respiratoire chronique préalable à l’admission en réanimation fait souvent hésiter à réaliser une trachéotomie a fortiori précocement. On considère, en effet, que ce geste est alors associé à un pronostic vital défavorable ou à un risque de dépendance ventilatoire permanente. Ces craintes sont particulièrement vives dans le cas de l’insuffisance respiratoire chronique obstructive. Aucune étude n’a évalueé l’impact de la culture « insuffisance respiratoire chronique » de l’équipe médicale et des structures de prise en charge en aval de la réanimation sur le devenir des patients chez lesquels une trachéotomie a été réalisée pendant le séjour en réanimation. L’étude rapportée ici vise à décrire, au sein d’une unité de réanimation au sein d’un service de pneumologie à forte valence « handicap respiratoire » et disposant d’une filière de soins « insuffisance respiratoire chronique » complète, l’impact pronostique d’une trachéotomie de façon générale et plus particulièrement cet impact sur un terrain d’insuffisance respiratoire chronique.

Trachéotomie en réanimation : pronostic et rôle d’une IRC

Matériels et Méthodes Cadre Il s’agit d’une étude rétrospective cas-témoins sur base de données. La base de données utilisée est la base « MSI » du service concerné, régulièrement déclarée à la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés. L’étude porte sur l’ensemble des séjours enregistrés entre le 1er août 1995 et le 25 septembre 2001 au sein d’une unité de réanimation de 10 lits appartenant à un service de pneumologie comportant 63 lits d’hospitalisation. Sur la durée de l’étude, la technique de la trachéotomie au sein de l’unité n’a pas varié, consistant exclusivement en une approche chirurgicale, réalisée par un chirurgien maxillo-facial au lit du malade dans la plupart des cas (et exceptionnellement au bloc opératoire en cas d’abord difficile). Identification des patients et définition des groupes Sur la période concernée, 2 901 séjours ont été enregistrés. Parmi ces séjours, 882 étaient associés aux codes « intubation trachéale » et « ventilation mécanique ». Le groupe index (patients trachéotomisés en cours de séjour, groupe T+, n = 127) a été constitué à partir de cette population, en sélectionnant ceux des séjours comprenant de plus le code « trachéotomie ». Ce groupe a été comparé à la population des patients ventilés sur intubation mais non trachéotomisés. Le groupe T+ a également été comparé à un groupe apparié « T-app » constitué de 127 patients extraits du groupe T- et appariés sur l’index de gravité simplifié à l’admission IGS2- [14]. Pour cet appariement, un sujet témoin était retenu s’il était le seul à avoir la même valeur d’IGS2 que le cas index correspondant ; en présence de deux témoins potentiels, celui du même sexe que le cas index était retenu, ou celui d’âge le plus proche en cas d’identité de sexe entre les deux candidats ; en présence de plus d’un témoin potentiel, le patient du même sexe et de l’âge le plus proche du sujet index était retenu.

tion continue dont la normalité n’était pas vérifiée ont été comparées à l’aide du test U de Mann-Whitney ou du test de Kruskal et Wallis. Les variables discontinues ont été comparées à l’aide du test du Khi-carré. Les différences étaient considérées significatives lorsque la probabilité « p » d’un risque d’erreur de première espèce était inférieure à 5 %.

Résultats Caractéristiques des patients Le tableau I décrit et compare les caractéristiques des 127 patients du groupe T+ et des 755 patients du groupe T-. La disproportion de la représentation masculine était significativement plus grande dans le groupe T+, constitué de patients plus jeunes (58 +/- 17 ans vs. 62 +/- 17 ans, p < 0,001) et ayant un score IGS2 significativement inférieur (46 +/- 18 vs. 60 +/- 24, p < 0, 001). La répartition des patients dans les trois classes du score de McCabe [15] n’était pas significativement différente. Comparaisons pronostiques avant appariement (tableau I) La mortalité hospitalière des patients T+ était plus faible que celle des patients T- (42 vs. 59 %, p < 0,001), confirmant la tendance notée pour la mortalité en réanimation (28 vs. 52 %, p < 0,001). La durée de séjour en réanimation et à l’hôpital était plus longue pour les patients T+ que pour les patients T- (34 +/- 23 vs. 7 +/- 9 jours, p < 0,001 et 79 +/- 79 vs. 28 +/- 34 jours, p < 0,001, respectivement). Le rapport survie observée sur survie prédite (à partir de l’IGS2) était de 1,39 pour le groupe T+ et de 1,09 pour le groupe T-.

Tableau I.

Caractéristiques démographiques et devenir des patients trachéotomisés T+ et non trachéotomisés T- en fonction du sexe. T+, n = 127

T-, n = 755

p

Sexe

37F/90H

298F/457H

< 0,05

Age (années)

58 +/- 17

62 +/- 17

< 0,05

IGS II

46 +/- 18

60 +/- 24

< 0,001

Critères de jugement La mortalité hospitalière, la mortalité en réanimation, la durée de séjour en réanimation, et la durée de séjour à l’hôpital ont été analysées, ainsi que la destination des patients à leur sortie de l’hôpital. Ces critères ont été évalués globalement, puis en fonction de la présence dans les codes diagnostiques de l’item « insuffisance respiratoire chronique » (IR + ou IR-), puis selon la nature de celle-ci (obstructive, restrictive, ou mixte). Statistiques Les variables numériques sont décrites par leur moyenne et leur écart-type. Les variables à distribution continue dont la normalité était vérifiée ont été comparées à l’aide du test t de Student ou d’une analyse de variance. Les variables à distribu-

McCabe Décès en réanimation (%) Décès à l’hôpital (%)

A 20 % B 45 % A 16 % B 44 % C 35 % C 40 % 28 %

NS

52 %

< 0,001

42 %

59 %

< 0,001

Durée de séjour en réanimation (jours)

34 +/- 23

7 +/- 9

< 0,001

Durée de séjour à l’hôpital (jours)

79 +/- 79

28 +/- 34

< 0,001

(F : femme ; H : homme) ; IGS2, Index de Gravité Simplifié à l’admission en réanimation [14] ; McCabe, score d’espérance de vie lié à une pathologie sous-jacente [15]. p : seuil de signification du test statistique ; NS : non significatif ; tests t de Student et du Chi2.

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C. Cracco et coll.

Tableau II.

Caractéristiques démographiques et devenir des patients trachéotomisés (T+) ou non trachéotomisés appariés pour l’index de gravité simplifié IGS II (T-app). T+, n = 127

T-, n = 127

Sexe

37F/90H

26F/101H

NS

Age (années)

58 +/- 17

59+/-20

NS

IGS II

46 +/- 18

47+/-17

NS

McCabe

p

A 20 % A 12 % B 4 5% C 3 5% B 41 % C 47 %

NS

Décès en réanimation (%)

28 %

49 %

< 0,05

Décès à l’hôpital (%)

42%

53 %

< 0,001

Durée de séjour en réanimation (jours)

34 +/- 23

10 +/- 10

< 0,001

Durée de séjour à l’hôpital (jours)

79 +/- 79

30 +/- 29

< 0,001

(F : femme ; H : homme) ; IGS2, Index de Gravité Simplifié à l’admission en réanimation [14] ; McCabe, score d’espérance de vie lié à une pathologie sousjacente [15]. p : seuil de signification statistique ; tests t de Student et du Chi2.

Comparaisons pronostiques après appariement (tableau II) Après appariement pour la gravité à l’admission, la mortalité hospitalière restait inférieure en cas de trachéotomie

(42 vs. 53 %, p < 0,001), de même que la mortalité en réanimation (28 vs. 49 %, p < 0,05). Concernant les durées de séjour, le même profil qu’avant appariement était noté. Influence d’une insuffisance respiratoire chronique préalable sur le devenir des patients trachéotomisés en réanimation (tableaux III et IV) Au sein du groupe T+, aucun code diagnostique « insuffisance respiratoire » n’était relevé dans 57 cas (IR-). Chez les 70 autres patients, le code « insuffisance respiratoire chronique obstructive – IRCO – » était relevé 25 fois, le code « insuffisance respiratoire chronique restrictive – IRCR – » 10 fois, et l’association d’un code « insuffisance respiratoire restrictive » avec un code identifiant une pathologie neuromusculaire – IRCN, pour « Neuromusculaire » –, 35 fois. Ces 4 groupes étaient homogènes à l’exception d’une proportion plus élevée de femmes dans le groupe IRCR (60 %, p < 0,05) et d’un âge plus jeune dans le groupe IRCN. En termes pronostiques, aucune différence significative n’était relevée, mais le relativement faible effectif de chaque groupe invite à noter les tendances à une moindre mortalité hospitalière des patients IRCN et à une plus grande mortalité hospitalière des patients IRCR. Le retour à domicile n’a été possible, depuis le secteur d’hospitalisation conventionnel du service de Pneumologie utilisé comme aval de l’unité de réanimation, que pour 13 patients IR- sur 30 survivants, 14 patients IRCN sur 27 survivants, aucun Tableau IV.

Tableau III.

Influence d’une pathologie respiratoire chronique préexistante au sein de la population trachéotomisée.

Sexe

IR-

IRCO

IRCR

IRCN

p

18F/39H

2F/23H

6F/4H

11F/24H

< 0,05

Age (année)

59 +/- 16 66 +/- 10

IGS II

49 +/- 17 43 +/- 16 43 +/- 22

McCabe

A 25 B 51 A 10 B 69 A 21 B 56 A 24 B 51 C 24 C 21 C 23 C 25

Mortalité en réanimation (%)

30 %

Mortalité à l’hôpital (%)

47 %

32 %

48 %

62 +/- 17

50 %

60 %

50 +/- 18 < 0,005 43 +/ 20

20 %

23 %

Durée de séjour en réanimation (jours)

30 +/- 22 41 +/- 31 28 +/- 16

26 +/ 20

Durée de séjour à l’hôpital

70 +/- 47 80 +/- 64 51 +/- 38 101 +/- 124

NS NS NS

NS NS

Mode de sortie

IR-, n = 57

IRCO, n = 25

IRCR, n = 10

IRCN, n = 35

court séjour de l’hôpital

2 (4 %)

0 (0 %)

0 (0 %)

2 (6 %)

autre établissement (sans précision)

2 (4 %)

0 (0 %)

1 (10 %)

3 (9 %)

autre établissement (court séjour)

5 (9 %)

6 (24 %)

1 (10 %)

5 (14 %)

autre établissement (moyen séjour)

6 (11 %)

4 (16 %)

1 (10 %)

2 (6 %)

autre établissement (long séjour)

2 (4 %)

3 (12 %)

0 (0 %)

1 (3 %)

13 (23 %)

0 (0 %)

1 (10 %)

14 (40 %)

survivants

30 (53%)

13 (52 %)

4 (40%)

27 (77%)

décès

27 (47 %)

12 (48 %)

6 (60%)

8 (23 %)

retour à domicile NS

(F : femme ; H : homme) ; IGS2, Index de Gravité Simplifié à l’admission en réanimation [14] ; McCabe, score d’espérance de vie lié à une pathologie sous-jacente [15] (en %). p : seuil de signification du test statistique ; NS : non significatif ; tests de Mann & Whitney, de Kruskal Wallis et du Chi2.

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Devenir des patients trachéotomisés en réanimation, à leur sortie du service de Pneumologie.

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Les résultats sont exprimés en nombre de patients et en pourcentage (entre parenthèses) ; IR- : absence d’insuffisance respiratoire chronique préalable à l’admission en réanimation, IRCN : insuffisance respiratoire chronique restrictive d’origine neuro-musculaire, IRCO : insuffisance respiratoire chronique obstructive, IRCR : insuffisance respiratoire chronique restrictive par atteinte de l’effecteur thoraco-pulmonaire.

Trachéotomie en réanimation : pronostic et rôle d’une IRC

des patients IRCO sur les 13 survivants et 1 patient IRCR sur les 4 survivants.

Discussion Cette étude suggère que dans la population considérée, la réalisation d’une trachéotomie au cours de la prise en charge d’une défaillance respiratoire aiguë est associée à une moindre mortalité en réanimation et à une moindre mortalité hospitalière, indépendamment d’une insuffisance respiratoire préalable. Forces et faiblesses de l’étude La force principale de l’étude est la taille de la cohorte de patients trachéotomisés en réanimation qu’elle considère qui en fait l’une des plus larges sur le sujet (127 patients, contre, par exemple, 105 dans l’enquête de l’International Mechanical Ventilation Study Group [12], 60 dans l’étude prospective de Rumbak et coll. [9], 546 dans l’enquête de Frutos-Vivar et coll. [13] menée sur 361 unités de réanimation). Cependant, il s’agit d’une étude rétrospective et monocentrique. À ce titre, elle n’est certainement pas exempte de biais. Ainsi, les patients du groupe T+ étaient significativement plus jeunes que ceux du groupe T- et la gravité de leur état à l’admission était significativement moindre (tableau I). Il est assez probable que les médecins en charge des patients aient partagé une vision favorable de la trachéotomie, comme en témoigne le fait que 14 % (127/882) des patients ventilés mécaniquement après intubation dans notre unité ont été trachéotomisés (vs. 2 % dans l’enquête d’Esteban et coll. [12] et 10 % dans celle de Frutos-Vivar et coll. [13]. Il est également très probable que ces médecins aient retenu comme candidats à la trachéotomie des patients chez lesquels ils estimaient que les chances de survie étaient les meilleures (l’identité de répartition en classes de McCabe dans les groupes T+ et T- plaide contre un rôle majeur de ce biais de censure ; le score de McCabe est cependant très fruste). À eux seuls, ces biais peuvent suffire à expliquer les résultats de l’étude. L’étude a d’autres limites. L’identification des diagnostics reposait sur le codage effectué à la sortie des patients, approche connue pour son imprécision. Le délai de trachéotomie n’est pas disponible, ce qui implique qu’il n’est pas possible d’exclure le recours à une trachéotomie tardive pour sevrage difficile comme explication des durées de séjours et de ventilation supérieures en cas de trachéotomie. Enfin, il n’a pas été possible sur la population disponible de constituer le groupe T-app par un appariement multi-critères. Nous avons choisi pour l’appariement l’IGS2 en raison de son poids considérable sur le pronostic et du fait que ce score inclue l’âge, puis essayé d’homogénéiser les groupes par l’utilisation de critères secondaires en cas d’ex-aequo sur l’IGS2 (cf. méthodes).

Trachéotomie et mortalité La mortalité en réanimation des patients trachéotomisés en cours de séjour était significativement plus faible que celle des patients non trachéotomisés (28 % vs. 52 %) ce qui correspond aux résultats de l’enquête d’Esteban et coll [12]. (mortalité en cours de séjour des patients trachéotomisés 20 %, avec un odd ratio « protecteur » de 0,45, statistiquement significatif en analyse multivariée et de l’enquête de Frutos-Vivar et coll. (trachéotomie facteur indépendant de survie avec un odd ratio de 2,22 en analyse multivariée [13]. Par contre, à la différence des observations précédentes [13], le bénéfice restait significatif au regard de la mortalité hospitalière (42 vs. 59 %) dans notre étude, ce qui permet d’écarter le rôle d’un biais de type « sortie de réanimation avec décision de limitation thérapeutique » dans la différence de mortalité observée en réanimation. Le tableau I suggère que la sous-mortalité dans le groupe T+ procède en grande partie des « avantages » de cette population quant à l’âge et à la gravité à l’admission. D’autre part, le groupe T+ comprend près de 50 % de patients porteurs d’une insuffisance respiratoire chronique préalable chez lesquels la mortalité en réanimation tend à être plus faible que dans une population de réanimation « tout venant ». Pour ces raisons, et parce que la survie observée dans le groupe T+ était supérieure à la survie prédite (1,39, contre1,09 dans le groupe T-), la comparaison entre le groupe T+ et le groupe T-app est particulièrement importante. Cette comparaison retrouve la moindre mortalité des patients trachéotomisés, que ce soit en réanimation ou à l’hôpital. La gravité de l’état initial n’est donc pas un facteur explicatif de nos résultats. D’autres facteurs, nombreux, peuvent être évoqués, et en l’absence d’appariement sur des critères multiples (comme les scores de McCabe, de Knaus, ou la cause de la détresse respiratoire), il n’est pas possible d’aller beaucoup plus loin. Il est cependant possible que l’orientation particulière des équipes de réanimation et de pneumologie du service vers la prise en charge du handicap respiratoire joue un rôle explicatif de la discordance entre notre étude et la littérature quant à la mortalité hospitalière des patients trachéomisés en réanimation. Trachéotomie et durée de séjour Les durées de séjour étaient plus longues en cas de trachéotomie. La meilleure survie est un déterminant « mécanique » de cet allongement. À cet égard, l’exclusion des malades décédés des calculs avait pour conséquence d’amplifier les différences constatées. Concernant la durée du séjour en réanimation, la possibilité d’un biais lié à l’indication « trachéotomie pour sevrage difficile » a été évoquée plus haut. Les difficultés à trouver une structure d’aval pour des patients trachéotomisés sont probablement aussi largement en cause. Ce point devrait faire l’objet d’études spécifiques, dans le but de mieux cerner les ressources nécessaires. Concernant la durée de séjour à l’hôpital, la typologie des patients du groupe T+ est certainement un facteur explicatif, avec la © 2005 SPLF, tous droits réservés

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C. Cracco et coll.

nécessité d’un apprentissage de la ventilation à domicile pour certains, les difficultés d’organisation du retour à domicile pour tous, et la pauvreté des ressources pour la prise en charge hors de l’hospitalisation « aiguë » pour les plus dépendants.

res restrictifs « respiratoires » et les insuffisants respiratoires obstructifs a constamment donné lieu à des difficultés et été source de délais majeurs.

Impact d’une insuffisance respiratoire chronique sous-jacente

Conclusions et perspectives

Le tableau III montre que les mortalités en réanimation et à l’hôpital des patients souffrant d’une insuffisance respiratoire chronique ne sont pas différentes de celles des patients sans insuffisance respiratoire préalable à l’admission et qu’il n’y a pas de différence statistique entre les catégories d’insuffisance respiratoire. La petite taille des sous-groupes en cause impose néanmoins la prudence quant à ces conclusions. Il ne semble pas y avoir d’études publiées auxquelles comparer ces résultats, qui ne justifient pas la réticence usuelle à pratiquer une trachéotomie en cours de séjour en réanimation chez un insuffisant respiratoire chronique, au moins au regard de la mortalité à court terme. Au regard de la mortalité à plus long terme, l’étude de Muir et coll. [16], montrait chez 259 patients insuffisants respiratoires chroniques obstructifs trachéotomisés et ventilés mécaniquement à domicile une survie à 5 ans de 40 % et à 10 ans de 22 %. La présence et la nature d’une insuffisance respiratoire préalable, n’avaient pas d’influence sur les durées de séjour. Ceci souligne probablement le fait que les patients trachéotomisés en raison d’une agression pulmonaire aiguë sur poumons antérieurement sains qui survivent à l’épisode initial ont généralement une récupération très prolongée, et parfois incomplète [17], et se comportent donc transitoirement comme des handicapés respiratoires. Chez ces patients, particulièrement en cas de défaillance polyviscérale, la fréquence des polyneuropathies de réanimation peut également expliquer en partie la prolongation du séjour [18]. Modalités de sortie de l’hôpital Qu’il s’agisse d’insuffisants respiratoires chroniques ou de patients ayant souffert d’une agression pulmonaire aiguë « primitive » en voie de récupération, une explication possible des durées de séjours plus longues en cas de trachéotomie est la difficulté à trouver des structures d’aval pour les patients trachéotomisés (aval de la réanimation comme aval de la structure de sortie de réanimation). Dans notre série, 43 % des patients sans insuffisance respiratoire préalable ont pu regagner leur domicile directement après un séjour en salle de pneumologie, les autres devant séjourner dans une structure intermédiaire soit pour des raisons médicales, soit pour des raisons socio-familiales. Une proportion comparable (50 %) des patients insuffisants respiratoires « neuromusculaires » à également pu regagner directement le domicile, probablement en raison d’une implication particulière du service dans la prise en charge des complications respiratoires des maladies neurologiques. Par contre, le recours à des structures intermédiaires en aval de la salle de pneumologie pour les insuffisants respiratoi756

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Très peu de données objectives justifient les réticences couramment rencontrées à la pratique de la trachéotomie au cours d’un séjour en réanimation. Malgré des limitations et biais importants qui doivent être pris en compte (caractère rétrospectif et monocentrique de l’étude, biais d’opinion très probable des praticiens, biais de sélection des malades « avec avenir », biais de recrutement liés à une orientation « handicap respiratoire » du service, biais de contexte lié à une filière établie de prise en charge à domicile de l’insuffisance respiratoire), notre étude suggère que dans certains contextes les malades trachéotomisés au cours d’une ventilation mécanique pour défaillance respiratoire aiguë peuvent avoir une mortalité inférieure à celle des malades non trachéotomisés. Au sein d’une population de patients insuffisants respiratoires chroniques trachéotomisés, la trachéotomie n’est pas associée à une surmortalité en réanimation ou à l’hôpital. Conjugué aux données de survie à long terme [16], ce résultat indique qu’il n’y a pas de raison pour les médecins prenant en charge des patients ventilés pour une certaine durée de censurer a priori la décision d’une trachéotomie. Au-delà de la mortalité à court terme, il est évident que la décision de trachéotomie doit également considérer le pronostic à moyen terme, les projets thérapeutiques, et les projets de vie [19]. Ses tenants et aboutissants dépendent beaucoup de la maladie de fond et de son histoire naturelle, et il paraît raisonnable de ne défendre aucune attitude systématique. La discussion doit s’inscrire dans une dynamique collégiale, avec la participation de la famille et du patient lorsque c’est possible. À cet égard, l’existence d’une filière de soins revêt une importance considérable [19]. Le fait que l’unité de réanimation au sein de laquelle nos résultats ont été recueillis fasse partie d’une telle filière (avec la possibilité de prendre en charge des malades trachéotomisés voire ventilés de façon intermittente dans un secteur d’hospitalisation traditionnelle) les explique probablement en grande partie. Il est en effet indéniable en pratique que l’intégration d’une unité de réanimation dans un service de pneumologie permet une souplesse de gestion et une communauté de culture entre « l’aigu » et son aval qui ne sont pas toujours disponibles dans le cas des unités de réanimation « autonomes ». Ce point devrait cependant également être l’objet de travaux spécifiquement conçus pour l’objectiver, mais l’expérience des « centres de sevrage » existant dans divers pays [20-22] va dans ce sens. Identifier a priori les patients les plus susceptibles de bénéficier d’une telle filière est également un enjeu important. Enfin, il faut souligner les faibles niveaux de preuve disponibles quant à la trachéotomie en réanimation, et l’exis-

Trachéotomie en réanimation : pronostic et rôle d’une IRC

tence de données (dont la présente étude) ne permettant pas d’exclure qu’elle amène des bénéfices. Le fait que la prise en charge d’aval de ces patients soit difficile faute des ressources médicales et socio-économiques adéquates ne doit pas donc pas avoir une influence excessive sur la décision médicale à un instant donné. Accumuler les données dans ce domaine doit permettre d’étayer des demandes de ressources pour la prise en charge « post-aiguë » des patients concernés.

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