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Rev Neurol (Paris) 2005 ; 161 : 6-7, 696-699
Migraine et céphalées Traitement des céphalées trigémino-vasculaires : nouveautés et perspectives N. Fabre Service de Neurologie, Hôpital Rangueil, Toulouse, France.
RÉSUMÉ De grands progrès ont été réalisés ces dernières années dans le traitement des céphalées trigémino-vasculaires. Le traitement de crise de l’algie vasculaire de la face (AVF) repose sur le sumatriptan injectable et l’oxygène. De nouvelles thérapeutiques, non vasoconstrictrices ouvrent l’ère post-triptan, mais sont encore à l’étude. Le traitement de fond de l’AVF repose sur le vérapamil et le lithium. Les anti-épileptiques doivent encore faire la preuve de leur efficacité. Le traitement chirurgical soit sur les voies parasympathiques soit sur le nerf trijumeau, montre par ses taux élevés de récurrences et d’effets indésirables que l’abord « périphérique » s’avère peu efficace. La véritable innovation thérapeutique réside dans le contrôle des crises par la stimulation continue de l’hypothalamus chez un petit nombre de patients réfractaires à tout traitement. Cela doit être démontré à une plus grande échelle et le rapport bénéfice/risque soigneusement évalué. L’indométacine reste toujours le traitement de référence de l’hémicrânie paroxystique. Quant au SUNCT, réputé réfractaire à tout traitement, des cas de succès avec la lamotrigine, le gabapentin et le topiramate ont été rapportés.
Mots-clés : Traitement • Céphalées trigémino-vasculaires • Algie vasculaire de la face • Hémicrânie paroxystique • SUNCT
SUMMARY Treatment of cluster headache. N. Fabre, Rev Neurol (Paris) 2005; 161: 6-7, 696-699
Remarkable therapeutic improvements have come forward recently for trigemino-autonomic cephalalgias. Attack treatment in cluster headache is based on sumatriptan and oxygen. Non-vasoconstrictive treatments are opening a new post-triptan era but are not yet applicable. Prophylactic treatment of cluster headache is based on verapamil and lithium. The efficacy of anti-epileptic drugs in cluster headache remains to be demonstrated. Surgical treatment aimed at the parasympathetic pathways and at the trigeminal nerve demonstrates a high rate of recurrence and adverse events and questions about the relevance of a “peripheral” target in cluster headache. The efficacy of continuous hypothalamic stimulation in patients with intractable headache constitutes a breakthrough, but must be demonstrated at a larger scale and the benefice/risk ratio must be carefully evaluated. Indomethacin still remains the gold standard in paroxysmal hemicrania treatment. Until recently SUNCT was considered an intractable condition. However there are some reports of complete relief with lamotrigine, topiramate and gabapentin.
Keywords: Treatment • Trigemino-autonomic cephalalgia • Cluster headache • SUNCT
On désigne sous le terme de céphalées trigéminovasculaires, l’algie vasculaire de la face (AVF), l’hémicrânie paroxystique et le SUNCT. La 2e version de l’International Classification of Headache Disorders (2004) a défini leurs critères de diagnostic qu’il importe de connaître car malgré leurs similitudes sémiologiques, chacune de ces différentes affections a son traitement propre. Ces dernières années de nouvelles thérapeutiques efficaces ont vu le jour, fondées sur des avancées physiopathogéniques. Il paraît ainsi intéressant d’évaluer ces perspectives thérapeutiques dont certaines sont toutes récentes.
ALGIE VASCULAIRE DE LA FACE Le traitement de l’AVF est maintenant bien établi depuis quelques années, reposant sur une littérature de plus en plus abondante (Fabre, 2000). Néanmoins, ces cinq dernières années permettent d’espérer de nouveaux progrès.
Traitement de crise Le sumatriptan, agoniste HT1B/1D, en faisant céder les crises en quelques minutes (6 mg par voie sous-cutanée) a
Tirés à part : N. FABRE, Service de Neurologie, Hôpital Rangueil, TSA 500 32, 31059 Toulouse Cedex 9, France.
N. FABRE
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Migraine et céphalées • Traitement des céphalées trigémino-vasculaires
transformé la qualité de vie des patients atteints d’AVF, une des affections les plus douloureuses qu’il soit. Plus de dix ans de pratique ont confirmé sa remarquable efficacité ainsi que l’absence d’accoutumance et de tolérance dans son usage au long cours. Toutefois, l’utilisation du sumatriptan se trouve limitée en raison de l’impossibilité de l’utiliser après 65 ans (or il existe des AVF de début tardif ou se poursuivant chez le sujet âgé), de ses contre-indications cardio-vasculaires, de la limitation du nombre d’injection de 2 par jour dans une affection qui peut comporter jusqu’à 8 crises par jour, et de son mode d’injection par voie sous-cutanée, pas toujours commode. Le sumatriptan et la dihydroergotamine en spray nasal, le zolmitriptan par voie orale sont efficaces sur un petit nombre de patients et ont un délai d’action trop long par rapport au sumatriptan en sous-cutané. Le deuxième traitement, utilisé comme traitement de secours ou en cas de contre-indication du sumatriptan, est l’oxygène nasal à 100 p. 100 au débit de 7 litres/minute pendant 15 minutes. Des débits plus élevés (jusqu’à 15 litres/minute) en amélioreraient l’efficacité (Rozen, 2004). L’oxygénothérapie hyperbare, l’application intranasale d’hypochloride de cocaïne ou de lidocaïne dans la fosse sphénopalatine auraient une certaine efficacité. Le principal écueil de l’utilisation du sumatriptan étant son action vasoconstrictrice, des molécules efficaces dénuées d’action vasoconstrictrice seraient particulièrement intéressantes. L’efficacité de l’octréotide, analogue de la somatostatine, vient d’être montrée. Néanmoins, cette efficacité est inférieure à celle obtenue avec le sumatriptan et semble valable uniquement pour les crises qui durent plus de 45 minutes (Matharu et al., 2004). Une nouvelle ère thérapeutique s’ouvrirait alors avec, par exemple, les bloqueurs des récepteurs CGRP dont on a montré récemment l’efficacité dans la migraine. D’autres cibles pourraient être les récepteurs sérotoninergiques 5-HT1F et 5-HT1D, les récepteurs adénosine A1, les nociceptines, les orexines, les récepteurs vanilloïde TRPV1 et les récepteurs anandamide CB1 (Goadsby, 2004).
Traitement de fond
MOYENS
MÉDICAMENTEUX
Le traitement de première intention est le vérapamil à la dose de 240-480 mg/jour. Des doses plus élevées (jusqu’à 1200 mg/j) s’avèrent parfois nécessaires, notamment dans les formes chroniques. Le vérapamil est habituellement bien supporté à condition d’avoir éliminé un trouble de la conduction cardiaque. Une augmentation posologique adaptée à chaque patient et progressive (Blau et Engel, 2004) améliore l’efficacité. Les effets secondaires (constipation, hypotension, hypertrophie gingivale) sont rares. Le lithium reste un traitement de deuxième intention utilisé surtout dans les formes chroniques. Les doses se situent entre 600-1 000 mg/j. Il faut contrôler les taux sériques, se
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méfier des interférences médicamenteuses et surveiller étroitement les nombreux effets indésirables possibles. Les antiépileptiques ayant fait leurs preuves dans la migraine ont été essayés dans l’AVF. L’efficacité du valproate de sodium n’a pas été supérieure au placebo dans un essai en double aveugle. Le gabapentin et le topiramate n’ont pas encore été évalués suivant les recommandations de l’International Headache Society (1995). La mélatonine pourrait être intéressante chez certains patients ne répondant pas aux autres traitements ou présentant des contre-indications. Le méthysergide possédant les mêmes contre-indications que le sumatriptan et ne pouvant lui être associé est rarement utilisé. Les corticoïdes (prednisone, prednisolone et dexaméthasone) à des doses variables s’avèrent efficaces et peuvent être prescrits sur de courtes périodes au début des périodes douloureuses d’AVF épisodiques, le temps que le vérapamil agisse.
MOYENS
CHIRURGICAUX
Le principe des traitements chirurgicaux de l’AVF repose sur l’interruption des voies parasympathiques dont l’activation est responsable des signes dysautonomiques ou bien dirigés vers le nerf trijumeau qui véhicule la douleur de l’AVF. Des techniques non invasives telles que la rhizolyse percutanée rétrogassérienne au glycérol, le bloc du ganglion sphéno-palatin par radiofréquence, la rhizotomie percutanée stéréotaxique par radio-fréquence tendent à remplacer l’abord chirurgical. Toutefois, les procédures chirurgicales sont caractérisées par des taux élevés de récurrence et des effets secondaires potentiellement dangereux tels qu’une perte de la sensibilité de la face, une anesthésie douloureuse, une anesthésie cornéenne. Mais surtout, l’abord « périphérique » du problème semble peu pertinent. L’observation de Matharu et Goadsby (2002) d’un patient qui continua à avoir des crises d’AVF répondant au sumatriptan malgré la section complète de la racine du trijumeau du côté de la douleur met en défaut l’importance des mécanismes périphériques dans la genèse de la douleur et pose la question d’une action plus centrale que périphérique du sumatriptan. L’innovation thérapeutique la plus importante réside dans la stimulation continue à haute fréquence de l’hypothalamus postéro-inférieur ipsilatéral à la douleur. Il s’agit de l’adaptation d’une technique mise au point par Benabid et collaborateurs à Grenoble dans le traitement des mouvements anormaux, procurant un bénéfice clinique identique à celui d’une lésion chirurgicale. Le choix de la cible est le résultat des études montrant une activation de la partie postéro-inférieure de l’hypothalamus ipsilatérale à la douleur durant des crises d’AVF en tomographie de positons et une augmentation de la taille de l’hypothalamus en IRM morphométrique. L’histoire détaillée du premier patient atteint d’AVF chronique réfractaire traité par stimulation hypothalamique a été publiée récemment (Leone et al., 2004a). Ce patient présentait des crises bilatérales se produisant initialement à gauche, accompagnées de poussées hypertensives mena-
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çant la vie. Les crises à gauche disparurent après l’implantation d’une électrode et la stimulation continue de l’hypothalamus postéro-inférieur gauche. Après quatre interventions destructrices sur le trijumeau droit, les crises du côté droit réapparurent. L’implantation d’une électrode du côté droit avec une stimulation continue provoqua une disparition immédiate de la douleur à droite et des crises hypertensives. À plusieurs reprises, à l’insu du patient, le stimulateur était arrêté et dans tous les cas, les crises réapparurent ; elles disparaissaient après remise en marche de la stimulation. Les seuls effets indésirables observés lors de la stimulation bilatérale au long cours ont été un vertige transitoire et une bradycardie. Après un suivi de 42 mois (à gauche) et 31 mois (à droite), le patient n’avait plus présenté de crises et n’avait plus besoin de traitement de fond. Cinq patients ont été traités par stimulation hypothalamique par cette même équipe italienne (Franzini et al., 2003). Tous ces patients n’ont plus eu de crises après 2 à 5 mois de suivi. Deux des cinq patients n’ont aucun traitement, trois requièrent des doses faibles de méthysergide (deux patients) ou de vérapamil (un patient). Aucun effet indésirable ne fut signalé. Enfin, récemment une autre équipe a publié les résultats de la stimulation hypothalamique ventro-postérieure ipsilatérale chez six patients atteints d’AVF chronique réfractaire (Schoenen et al., 2005). Les coordonnées de la cible étaient identiques à celles utilisées par Leone et al. (2004). Après un suivi de 14 mois, les résultats ont été jugés excellents chez trois patients : deux patients n’avaient plus de douleur, un patient présentait moins de trois crises par mois. Ces résultats remarquables, confirmant ceux précédemment publiés doivent cependant être nuancés. Chez un patient, le traitement a dû être interrompu en raison de manifestations végétatives avec attaque de panique, et un autre patient n’a eu que des rémissions transitoires. Mais surtout un patient est décédé des suites d’une hémorragie cérébrale sur le trajet de l’électrode, complication bien connue dans les stimulations profondes pratiquées lors de la maladie de Parkinson. Chez tous les autres patients stimulés, il n’a pas été constaté de modifications des hormones neurohypophysaires ou de la sécrétion de mélatonine. Le mécanisme exact de la stimulation à haute fréquence reste encore hypothétique, mais il semble que cette stimulation continue et régulière se substitue à l’activité pathologique d’un réseau de neurones (McIntyre et al., 2004). Avant que d’autres équipes n’entreprennent cette technique, il importe en vue d’une évaluation scientifique d’uniformiser les critères de sélection et les procédures chirurgicales (Leone et al., 2004b), et notamment le repérage de la cible. Les effets indésirables sont une préoccupation majeure quand on sait que l’hypothalamus est le chef d’orchestre des fonctions endocrines, végétatives et nociceptives. Même si la méthode s’avérait efficace, elle ne concernerait qu’un petit nombre de patients « intraitables » présentant une forme chronique d’AVF (10 p.100 des AVF) en raison de son coût et du risque encouru par le patient. Néanmoins, il s’agit assurément d’une prise en charge révolutionnaire
des céphalées primaires qui va ouvrir une nouvelle voie de recherche.
HÉMICRÂNIE PAROXYSTIQUE L’hémicrânie paroxystique présente beaucoup de similitude avec l’AVF. Elle ne s’en distingue que par des crises plus courtes, plus nombreuses dans la journée et par l’absence de réponse aux traitements de l’AVF. L’hémicrânie paroxystique a pour particularité, et c’est un critère de diagnostic, de répondre de manière remarquable, en quelques heures, à l’indométacine. Ce traitement est prophylactique et doit être poursuivi indéfiniment, toute tentative d’arrêt se soldant habituellement par une reprise des crises. Les autres anti-inflammatoires, aspirine et inhibiteurs de la cyclooxygénase-2 auraient une certaine efficacité, mais ne réduisent pas le risque gastrique. Dans une étude au long cours, Pareja et al. (2001) ont montré que 42 p. 100 des patients pouvaient diminuer de 60 p. 100 la dose initiale d’indométacine avec une dose moyenne d’entretien de 40 mg/j (25-50 mg/j). Un quart de leurs patients présentaient des troubles gastriques, traités par ranitidine et permettant la poursuite du traitement.
SUNCT Le SUNCT (Short lasting Unilateral Neuralgiform pain with Conjonctival injection and Tearing) est une forme très rare de douleurs unilatérales très brèves (de 5 à 240 secondes), avec de multiples crises dans la journée (jusqu’à 200 par jour). La douleur siège dans la région péri-orbitaire et ressemble à une névralgie du V1, mais s’accompagne de signes dysautonomiques. Cette affection est réfractaire à tous les traitements classiques de l’AVF et de la névralgie du trijumeau. Récemment des cas de disparition totale de la douleur ont été rapportés sous gabapentin, lamotrigine et topiramate. Une activation de l’hypothalamus ipsilatéral postérieur ayant été montrée en IRM fonctionnelle lors de crises spontanées, une stimulation de cette région pourrait être proposée à des patients ne répondant à aucun autre traitement.
CONCLUSION Les céphalées trigémino-vasculaires, en dépit de leur condition de maladie orpheline, ont vu ces dernières années des progrès remarquables introduisant une nouvelle ère thérapeutique.
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N. FABRE
© MASSON
Migraine et céphalées • Traitement des céphalées trigémino-vasculaires
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N. FABRE