médecine et nutrition médecine et nutrition
TRAITEMENT DIÉTÉTIQUE ET NUTRITIONNEL DES RÉSECTIONS INTESTINALES
B. MESSING, Francisca JOLY, A. M. BADRAN, Sophie PENVEN ROUSSEAU
Chez l’adulte, dans 85 % des cas, les résections de l’intestin grêle sont des résections courtes, inférieures à 2 m, et dans cette circonstance c’est la longueur de l’intestin grêle distal réséqué ; i.e., l’iléon, qui conditionne le type de diarrhée observé [1, 2]. En effet, si une résection d’1 m de grêle proximal (jéjunum) n’entraîne aucune diarrhée, la même longueur d’iléon réséqué entraîne une diarrhée hydroélectrolytique avec malabsorption lipidique importante (stéatorrhée > à 20 g/J). Une résection d’iléon terminal, comprise entre 0,2 m et 1 m se traduit par une diarrhée hydroélectrolytique avec stéatorrhée plus faible, comprise entre 7 et 19 g/J. Il est donc important que le chirurgien indique la longueur d’iléon terminal réséqué et cette donnée, en présence d’un intestin pathologique ayant motivé la résection (Maladie de Crohn, intestin radique…), doit être corroboré par le compte rendu anatomopathologique. En cas de discordance possible, la plus grande longueur réséquée doit être prise en compte.
Définitions : résection intestinale et syndrome de grêle court Un syndrome de grêle court (SGC) est habituellement observé après résection étendue (≥ à 2 m) ou massive (entérectomie subtotale) de l’intestin grêle [1, 3]. Il est observé après 15 % des résections chirurgicales du grêle. Son incidence est estimée à 2 patients adultes par million et par an [1, 4]. La longueur de l’intestin grêle normal étant comprise entre 3-6 m, dont 2 m de jéjunum et 2 m d’Iléon, le SGC est au mieux défini par la mesure de l’intestin restant plutôt que par l’étendue de la résection [1, 4, 5]. Il y a grêle court quand la longueur postduodénale restante est inférieure ou égale à 150-200 cm, c’est-à-dire moins de la moitié de la longueur normale de l’intestin grêle chez l’adulte [1]. Ainsi, tout SGC comporte implicitement le plus souvent une résection iléale, mais si plus d’1 m d’iléon terminal est laissé en place, ce qui en pratique clinique est rare, aucune diarrhée n’est observée. Correspondance : B. Messing, Service d’hépato-gastroentérologie et d’assistance nutritive, Hôpital Lariboisière, 2, rue Amboise Paré, 75475 Paris Cedex 10. Cah. Nutr. Diét., 39, 5, 2004
Il est nécessaire de caractériser le SGC non seulement par la longueur et le site de l’intestin grêle restant, mais aussi par la présence de tout ou partie du colon restant en continuité. Ceci est au mieux précisé par les trois principaux types d’anastomoses après rétablissement de la continuité digestive, que sont l’entérostomie terminale (type I), l’anastomose jéjuno-colique (type II) ou l’anastomose jéjuno-iléocolique (type III) [4, 6]. Ces trois types anatomiques principaux de grêle court permettent de préciser : (a) longueurs et sites d’intestin grêle restant (jéjunum dans le type I et II ou jéjunum + iléon dans le type III) et (b) tout (type III) ou partie (type II) du côlon en continuité. Pour déterminer la longueur colon restant, on le divise en 7 parties égales (14 %) et il est alors exprimée en % du total [5].
Clinique du syndrome de grêle court Le SGC se traduit cliniquement par une diarrhée hydroélectrolytique avec syndrome de malabsorption dont les conséquences cliniques protéiformes, de vitesse d’apparition variables, sont schématiquement de quatre ordres : 319
médecine et nutrition (a) une déshydratation (H2O, Na, K), (b) un déficit minéral (Ca, Mg), (c) une dénutrition protéino-énergétique, et (d) un déficit en micronutriments (vitamines K, D, E, B12… et oligoéléments (Se, Zn…) [7]. La sévérité du syndrome de malabsorption après résection intestinale dépend de l’étendue de la résection, du site de la résection ainsi que de l’intégrité (caractère sain ou pathologique) de l’intestin restant. Les facteurs spécifiques de l’intensité du syndrome de malabsorption après constitution du grêle court sont l’accélération de la vidange gastrique, en particulier pour les liquides notamment dans le type I, la réduction du temps de transit intestinal (composante motrice notamment après résection iléale), l’hypersécrétion gastrique acide notamment en période post opératoire et dans le type I, ainsi que la perte des fonctions spécifiques d’absorption iléale (vitamine B12 et sels biliaires). Dans les types II et III l’absorption de l’eau, des minéraux et des macro-nutriments (bilan énergétique) est significativement plus grande que dans le type I [7, 6, 4, 8]. Le syndrome de malabsorption du SGC s’accompagne de déficits en minéraux, magnésium, calcium, potassium et en micronutriments tels que vitamines D, K, E, B1, B12 et zinc qui, d’une part, entraînent une malnutrition et aggravent la vitesse de survenue de la dénutrition (fig. 1) et, d’autre part, réduisent l’absorption optimale du grêle [9].
Conséquences de la résection intestinale Quelques aspects essentiels de la physiologie intestinale seront revus de façon à comprendre les principaux effets des résections intestinales. Fonctions gastriques La vidange gastrique est essentielle pour la distribution des nutriments, i.e., vidange liquide plus rapide que celle des solides, liquides non isotoniques plus rapide que les isotoniques, liquide acalorique plus rapide que les liquides caloriques. La vidange gastrique se ralentit lorsque le chyme pénètre dans la partie distale du grêle (phénomène appelé « ileal brake »). Après résection intestinale étendue, la conservation d’une partie du colon ralentit la vidange gastrique précoce des liquides [8, 10]. La vidange gastrique est accélérée dans le SGC de type I par rapport aux
INSUFFISANCE ORALE
INSUFFISANCE INTESTINALE
Réduction (non) volontaire de la prise alimentaire en dessous de la quantité minimale nécessaire au maintient du poids et de l'activité habituelle
Réduction de la fonction du contenu intestinal en dessous de la quantité minimale nécessaire à l’absorption des nutriments
BILANS NÉGATIFS
AUGMENTATION DE LA DÉPENSE ÉNERGÉTIQUE
PROTÉINES GLUCIDES LIPIDES ET MINÉRAUX
AUGMENTATION DES PERTES LIQUIDIENNES ET MINÉRALES
Figure 1. Insuffisance orale et intestinale, définition et conséquences. 320
types II et III [10]. Le neuropeptide impliqué dans ce frein gastrique est le YY produit par les cellules L de l’iléon et du colon [10]. Chez des patients ayant une jéjunostomie terminale, nous avons constaté que l’absorption jéjunale des protéines « solides » (caséine) est ainsi meilleure que celle des protéines « liquides » (lactoglobulines), ce qui concorde avec le fait que la vidange gastrique est plus lente pour les solides que pour les liquides [11]. Après résection intestinale étendue, il y a une hypergastrinémie qui s’accompagne, notamment en postopératoire, d’une hypersécrétion gastrique acide provoquant initialement une diarrhée profuse « volumogénique » avec augmentation des pertes hydroélectrolytiques et, secondairement, un ulcère gastroduodénal était observé dans 5 à 20 % des cas [2, 7]. Fonctions intestinales L’absorption optimale des nutriments requiert un taux de contact suffisant entre ceux-ci et les villosités intestinales. Il est ainsi intéressant de constater que, chez l’homme, la propulsion est 3 fois plus lente au niveau iléal qu’au niveau jéjunal même après résection de la valvule iléocæcale [3]. La perfusion de lipides dans le duodénum chez le chien et dans l’iléon chez l’homme [9] freine le transit intestinal d’amont. Le temps de transit du grêle (tête de la colonne) est plus rapide pour les liquides chez des patients avec grêle court avec et sans côlon, ainsi que pour les solides chez les patients sans côlon, par rapport à des contrôles sains [2, 9]. Le SGC s’accompagne également d’un intervalle de temps plus court entre les complexes moteurs migrants, lesquels ont leur propre composante sécrétoire [2, 9]. Environ 50 % des 18 000 à 20 000 ml d’eau extracellulaire corporelle entrent et se renouvellent chaque jour au niveau de l’intestin grêle. La réabsorption des liquides est quasi complète à la partie terminale de l’iléon puisque 600 ml environ entrent dans le côlon chaque jour. Les liquides sont absorbés soit à la partie proximale du grêle, soit de façon plus distale, en fonction de l’osmolarité des repas [3, 12]. Les mouvements d’eau suivent le transport actif des ions (essentiellement le sodium) et des nutriments (essentiellement le glucose, les oligo-peptides et les acides aminés). Le transport d’eau et de sodium du plasma vers la lumière intestinale peut être augmenté soit par les petites molécules à fort pouvoir osmotique (comme le lactose) [13] soit par la présence de liquides hypotoniques [3, 12] car le milieu intraluminal tend à être isotonique par rapport au plasma. Ce transport prédomine au niveau jéjunal par rapport au niveau iléal, car les jonctions intercellulaires y sont plus lâches. La présence d’eau au niveau intraluminal est ainsi la conséquence de deux mouvements opposés que sont, d’une part, le transport actif de glucose couplé au sodium, d’acides aminés couplés au sodium et, d’autre part, le mouvement de diffusion hydroélectrolytique dans le sens plasma lumière. On a estimé l’efficacité de l’absorption d’eau à 44 % et 70 % respectivement aux niveaux jéjunal et iléal, ces chiffres étant respectivement de 13 % et 72 % pour le sodium [2, 12]. En cas de résection iléale, la capacité d’absorption du chlorure de sodium est diminuée, particulièrement s’il existe un gradient de concentration entre la lumière et le plasma [2, 12]. Ainsi, l’iléon joue-t-il un rôle majeur dans l’absorption de l’eau et des électrolytes, et son absence ne peut être que partiellement compensé par la conservation du côlon au cours du syndrome de grêle court [2]. Cah. Nutr. Diét., 39, 5, 2004
médecine et nutrition Fonctions spécifiques de l’iléon : résection iléale étendue, ≥ à 1 m La vitamine B12 et les sels biliaires ne sont absorbés activement qu’au niveau de la partie terminale de l’iléon (1 m). La concentration de sels biliaires ne peut atteindre sa concentration micellaire critique intraduodénale après un repas lipidique que si ceux-ci recirculent par le cycle entéro-hépatique (2 cycles par repas). Ainsi, la malabsorption des lipides, responsable d’une stéatorrhée importante (> à 20 g/J) et d’une malabsorption des vitamines liposolubles (A, D, E, K), est une conséquence inéluctable des résections iléales atteignant ou dépassant 100 cm [9]. La carence en vitamine A (rétinol) est estimée à 7 % et 20 % respectivement des patients SGC sans et avec NPAD ; celle en vitamine E (alpha tocophérol) est estimée à 64 % des patients, ce indépendamment de leur dépendance à la NPAD [14], et celle de vitamine D est estimée à 38 % des patients ayant un SGC [15]. Dans cette dernière étude, la carence en vitamine D, était associée à une augmentation significative des marqueurs de résorption osseuse et à une baisse significative du contenu minéral osseux calcique du rachis lombaire et du col fémoral [15]. Des chiffres bas d’acides gras essentiels (AGE) sont retrouvés chez 1/3 des patients avec stéatorrhée importante (25 à 50 % des ingesta lipidiques) et chez 2/3 des patients avec stéatorrhée massive (> à 50 % des ingesta lipidiques) [16] ; Ils n’ont pas chez l’adulte de traduction clinique, notamment cutanée, évidente [14]. Conséquences coliques de la résection iléale étendue La rupture du cycle entérohépatique laisse arriver au côlon une quantité importante de lipides malabsorbés au niveau du grêle : ces acides gras à chaînes longues (≥ à C14), accélèrent le transit colique [2, 3] et réduisent la capacité de réabsorption colique d’eau et de sodium par un effet de détersion de l’épithélium colique. Ils expliquent la part sécrétoire colique de la diarrhée des résections iléales ≥ à 100 cm. De plus ces acides gras chélatent du calcium et du magnésium, aggravant leur bilan digestif négatif. L’oxalate alimentaire, ainsi libre dans la lumière intestinale, est absorbé par la muqueuse colique sous forme d’oxalate de sodium, largement diffusible. Ainsi 4/ 5 des patients avec SGC et tout ou partie du colon en continuité, présentent une hyperoxalurie, qui en présence d’urines acides, peut précipiter sous forme d’oxalate de calcium, entraînant la formation d’une lithiase oxalique (cf. infra). Résection iléale courte, < à 1 m La synthèse hépatique des sels biliaires est augmentée et compense leurs pertes digestives accrues. Le pool des sels biliaires est ainsi presque suffisant pour entraîner la solubilisation micellaire critique des lipides dans la lumière intestinale : ainsi l’absorption des lipides est peu compromise et la stéatorrhée, comprise entre 7 et 19 g/J, n’entraîne pas de déficit des vitamines liposolubles [14]. Conséquences coliques de la résection iléale courte Les sels biliaires malabsorbés, notamment déhydroxylés par la flore colique, exercent un effet laxatif sur l’épithélium colique et il est observé une diarrhée hydroélectrolytique sécrétoire, de 500 à 1000 ml/J Cette diarrhée est efficacement traitée par les chélateurs des sels biliaires (colestyramine) [7]. Cah. Nutr. Diét., 39, 5, 2004
Résection iléale et vitamine B12 Une résection iléale ≥ à 60 cm entraîne constamment une malabsorption de la vitamine B12, les accepteurs du facteur intrinsèque lié à la B12 et assurant son transport actif au niveau iléal étant absents. Pour des longueurs de résection inférieure, une malabsorption fluctuante de la B12 est possible [2]. L’influence négative d’une contamination chronique bactérienne du grêle sur l’absorption de la vitamine B12 doit être ici indiquée comme possible facteur confondant. Adaptation colique Le côlon absorbe très efficacement l’eau et le sodium jusqu’à 95 % d’une perfusion cæcale à débit constant de 6 000 ml/24 h [17]. Cette absorption est réduite si des TCL malabsorbés exercent un effet sécrétoire colique. La flore colique métabolise les glucides malabsorbés en acides gras à chaîne courte (AGCC) (C2 : acétate, C3 : propionate, C4 : butyrate) ; l’adaptation en quelques semaines de la flore colique bactérienne augmente la production et l’absorption des AGCC [18]. Ceux ci, d’une part, augmentent l’absorption d’eau, de sodium et de potassium, avec un effet trophique muqueux colique butyrate médié, démontrés chez l’animal et, d’autre part, permettent une récupération énergétique notable, acétate médiée [19]. De fait, après rétablissement de la continuité colique, une diminution du débit survient dans les semaines qui suivent la reprise de l’alimentation. La récupération énergétique, dans les SGC les plus courts, a été estimée comme pouvant atteindre chez l’homme 1 000 Kcal/j [20]. Après rétablissement de la continuité grêlo-colique, ou perfusion par la stomie d’aval, l’amélioration de l’absorption d’amont concerne les glucides, les TCL et les protéines : elle est secondaire au ralentissement de la vidange gastrique et à une réduction de l’hyper sécrétion gastrique acide. De plus l’iléon distal et le colon sont les sites de production d’hormones retro inhibant la sécrétion gastrique (PYY…) et régulant positivement la trophicité intestinale (GLP2) [9, 10]. L’hyperfermentation bactérienne colique du SGC doit être respectée au prix de flatulences parfois douloureuses ; les antibiotiques à large spectre détruisant la flore colique majorent la diarrhée pendant plusieurs semaines en réduisant la production colique des AGCC. Adaptation grêlique L’adaptation intestinale fonctionnelle du grêle qui dépend de la présence des aliments dans la lumière digestive, a été démontré au cours du SGC : en comparaison à des contrôles, a été mis en évidence une augmentation de l’absorption des nutriments tels qu’acides aminés, glucose et sodium [21], calcium, cholestérol et vitamine B12 [22]. Chez l’homme sa traduction clinique reste cependant difficile à mettre en évidence [2] ; elle se développe respectivement chez l’adulte et l’enfant sur une durée de 2 et 4 ans. Nous avons observé, en présence d’une hyperphagie [23], une augmentation de l’absorption protéique corrélée à la longueur de l’intestin grêle restant (notion de masse entérocytaire suffisante). Cette adaptation peut être masqué par un processus « hypo »-adaptatif secondaire, soit à la privation de la nutrition intraluminale, soit à une malnutrition systémique [3]. 321
médecine et nutrition Bilans digestifs De nombreuses études de bilan ont été publiées chez les patients souffrant de SGC [6, 23, 24]. La non-autonomie orale, c’est-à-dire la dépendance à la nutrition parentérale, se traduit soit un bilan hydroélectrolytique négatif, soit un bilan énergétique négatif, les deux pouvant être associés [5, 6]. En cas de grêle restant inférieur à 200 cm, on observe un bilan hydroélectrolytique négatif chez 13 % et 33 % des patients avec (n = 31) ou sans (n = 40) côlon restant respectivement [8]. Le bilan hydroélectrolytique se négative en général rapidement (quelques heures à quelques jours) et nécessite un traitement urgent. Un bilan énergétique négatif isolé est de diagnostic plus difficile et la dénutrition qui en résulte est de survenue plus lente (quelques semaines à quelques mois) ; cette dernière peut être masqué par une masse grasse préexistante notable et peut être aggravée ou accélérée par toute carence associée ; i.e., une carence magnésienne entraîne une chute importante du potassium échangeable corporel. La mesure du poids et de la composition corporelle (plis cutanés, impédancemétrie ou DEXA) est conseillée lors des changements du support nutritionnel.
Bilan hydroélectrolytique Les pertes hydroélectrolytiques digestives (stomie, diarrhée) doivent être quantifiées au cours du syndrome de grêle court : elles peuvent être soit normales (< 300 g/j) soit atteindre 9 000 ml/j avec 600 mmol/j de pertes sodées (duodénostomie). Les pertes électrolytiques d’une entérostomie ont une concentration ionique proche de celle du plasma [24], et le pourcentage de côlon réséqué est positivement corrélé à la concentration de chlorure de sodium et négativement corrélé à la concentration de potassium [3] (tableau I). Le risque de déplétion potassique est majoré chez les patients ayant une entérostomie située à moins de 50 cm de l’angle de Treitz [24]. La déplétion de potassium est alors secondaire à l’hyperaldostéronisme par déplétion hydrosodée, et s’accompagne d’une alcalose métabolique avec augmentation des pertes potassiques urinaires [25]. Le bilan net digestif hydrosodé est négatif lorsque la longueur de grêle restant est inférieur à 1 m et se positive pour une entérostomie située à plus d’1 m de l’angle de Treitz avec les mesures diététiques hydriques ad hoc [24]. Si le côlon est conservé, les pertes fécales de potassium s’accompagnent de pertes de bicarbonate et d’une acidose métabolique pas toujours compensée par une hyperabsorption d’acétate qui, parvenant au plasma, génère une quantité équimolaire de bicarbonate. Bilan magnésien Le déficit en magnésium est fréquent dans le SGC [1]. Il entraîne en quelques semaines une déplétion du pool potassique intracellulaire de l’ordre de 25 % et, inconstamment, une augmentation de l’eau extracellulaire et œdèmes ; en effet le Mg est le cofacteur de la pompe NaK ATPase dépendante [26, 27]. L’hypomagnésémie est responsable d’une hypocalcémie réfractaire aux sels de calcium et à la vitamine D (cholécalciférol et 25OH-Cholécalciférol) par hypoparathyroidisme [28] et déficit de 322
Tableau I. Volume et constituants ioniques à différents niveaux de l’intestin.
Volume : l/j Na+ Cl– K+ HCO3–
Jéjunum proximal
Grêle moyen
Iléon distal
Côlon* 50 %
Côlon* 100 %
6,0-4,0
3,0-1,5
1,0-0,5
2,0-1,0
1,0-0,5
80-00 80-100 510 10-20
100-120 70-90 5-10 20-40
100-120 70-100 5-10 20-40
50-70 30-50 30-70 30-60
20-40 10-30 70-90 50-90
* 50 % ou 100 % du côlon restant avec résection de l’iléon distal ≥ à 100 cm. Les concentrations ioniques sont indiquées en mOsm/l. Données adaptées de contrôles et de patients souffrant de syndrome de grêle court [2, 3, 12].
l’activité de la 1-α hydroxylase rénale. L’hypomagnésémie nécessite le recours aux métabolites actifs (1-α) de la vitamine D pour corriger l’hypocalcémie [7, 9, 28]. Bilan énergétique On l’exprime sous forme de bilan net (entrées – sorties) ou en % des ingesta (entrées – sorties/sorties) [6, 23, 24]. Ce bilan net peut être négatif ou normal (tableau II). Les pertes endogènes, notamment protéiques, peuvent expliquer le bilan négatif des entérostomies proximales [24]. Chez les patients avec SGC de type II [23] l’absorption des glucides, significativement supérieure à celle des lipides et des protéines, a fait évoquer une récupération énergétique colique des glucides [23].
Insuffisance intestinale et NPAD La NPAD est le traitement de référence de l’insuffisance intestinale transitoire ou permanente secondaire au syndrome de grêle court [4, 29]. La NPAD est à l’insuffisance Tableau II. Bilan digestif net de patients souffrant de syndrome de grêle court. Entérostomiea terminale
Anastomoseb jéjuno(iléo)colique
Ingesta : kcal/j 2 500 (900 – 4 800) 3 100 (1 700 – 4 500) Pertes fécales : 1 400 (550 – 2 700) 970 (340 – 1 600) kcal/j Coefficients 44 (– 10 – 75) 67 (41 – 85) d’absorption : en % Absorption nette : 1 100 (– 200 – 2 130 (750 – 3 500) kcal/j 2 800) Absorption 0,80 (– 0,2 – 2,0) 1,50 (0,55 – 3,3) nette : % de la DER* a Type I (n = 15) et b Type II et III (n = 10) : données calculées respectivement à partir des références 23 et 24. En a : longueur de grêle restant de 90 (25140) cm de jéjunum et en b de 75 (0 – 200) cm. En b, longueur de l’iléon restant de 15 (10-30) cm dans 4 cas et absent dans les 6 autres cas, pourcentage de côlon restant : 67 (0-100) %. * DER = dépense énergétique de repos ; DER × 1,3 permet d’estimer les DE totales de sujets sédentaires. Les pertes énergétiques urinaires ont été mesurées chez les patients b sans nutrition parentérale à 300 kcal/j, valeur qui doit être ajoutée au bilan digestif net pour calculer les pertes énergétiques totales [23].
Cah. Nutr. Diét., 39, 5, 2004
médecine et nutrition intestinale ce que la dialyse est à l’insuffisance rénale. Pour les types anastomotiques I, II et III, des longueurs de grêle postduodénal restants permettant d’observer le sevrage de la NPAD dans un délai ≤ à 2 ans sont respectivement chez l’adulte > à 100 cm, > à 65 et 30 cm [4]. Les longueurs de grêle pour les types anastomotiques II et III, inférieures à celle du type I, attestent de l’effet d’épargne énergétique soit colique pour le type II, soit iléo-colique pour le type III [2, 4]. La NPAD, complémentaire de l’absorbé oral, doit être menée avec un niveau minimal recherché par paliers toutes des 3 à 4 semaines [4]. L’évaluation des ingesta (3e, 6e, 12e et 24e mois) permet de noter l’existence ou non d’une hyperphagie, laquelle doit être encouragée car facteur principal d’autonomie orale et d’adaptation intestinale [2, 23, 30].
Traitement médicamenteux de la diarrhée Ils ne sera pas abordé dans cette revue [1, 2, 3, 7, 9].
Optimisation de la nutrition orale Nous détaillerons l’optimisation de la diététique par voie orale-entérale en fonction de l’histoire naturelle du SGC classiquement scindée en trois périodes [1] : (a) période postopératoire d’une durée de 2 à 4 semaines ; (b) période adaptative d’une durée de 2 ans environ (cf. supra) et (c) période de stabilisation, dite séquellaire, où les traitements gastroentérologiques et nutritionnels, instaurés en deuxième période, doivent être poursuivis [7, 31-35].
souvent longue et difficile à obtenir en cas de grêle restant ≤ à 1 m [1-9] ; il semble raisonnable de proposer dans cette circonstance une gastrostomie d’alimentation placée en per-opératoire. Cette recommandation repose sur les résultats obtenus dans une série de 62 patients où l’utilisation précoce de la nutrition entérale à débit constant (NEDC), a fait apparaître une autonomie entérale-orale précoce, la nutrition parentérale ayant pu être arrêtée après une durée moyenne de 87 jours [36]. L’utilisation de diètes semi-élémentaires par rapport aux diètes polymériques soit n’offre pas d’avantage [37], soit réduit d’environ 25 % la malabsorption des jéjunostomies à haut débit [38]. Période adaptative Hyperphagie Les conseils diététiques (tableau III) doivent veiller à ne pas empêcher une alimentation hypercalorique et hyperprotéique qui, visant à compenser la malabsorption, est un objectif prioritaire [23, 30]. Il semble que, dans les limites de l’hyperphagie observée (environ 2,5 fois la DER), il n’y a ait pas de réduction du coefficient d’absorption des macronutriments. En d’autres termes, plus l’alimentation est hypercalorique, plus le bilan net digestif est positif [23, 31, 32, 39, 40]. SGC de type I. Solutions orales de réhydratation (SOR) La méthode des bilans a permis de séparer en deux groupes distincts les patients avec entérostomie, d’une part, les « sécréteurs » dépendants de la NPAD et, d’autre part, les « absorbeurs » pouvant en être sevrés (tableau II). Les sécréteurs ont des pertes intestinales dépassant les entrées orales ; ils tendent à avoir une longueur intestinale < à 100 cm, à absorber moins de 35 % de leur ingesta éner-
Période postopératoire Le débit de selles ou de stomie avec pertes digestives d’eau et d’électrolytes est souvent important et majoré par l’hypersécrétion gastrique acide. Compenser les pertes hydroélectrolytiques (sodium, potassium, magnésium) est primordial et requiert un monitorage précis, comportant la mesure du poids, le bilan des entrées et des sorties et le dosage des électrolytes sériques et urinaires. La réanimation hydroélectrolytique et le recours à la nutrition parentérale postopératoire réduisent la perte de masse maigre, évitent la perte de poids sévère et améliorent la survie à long terme [4]. L’administration intraveineuse d’un anti-H2 ou d’un inhibiteur de la pompe à protons est recommandée jusqu’à la reprise de l’alimentation car elle réduit l’HGA et le débit de selles ou de stomie [2, 7]. La reprise de l’alimentation orale, progressive, majore le volume de la diarrhée basale par deux à trois (stimulation des sécrétions digestives) : c’est donc une période critique où les apports intraveineux doivent être ajustées bi-quotidiennement sous peine de voir s’installer en quelques heures une déshydratation, une hypokalièmie ou une hypomagnésémie profondes [7, 34]. Les boissons sont un des éléments clefs de la prescription diététique (cf. infra). Les perfusions sont réduites au prorata du bilan net (entrées-sorties) digestif. Après stabilisation du bilan hydroélectrolytique et reprise du transit, la priorité est l’optimisation de la diète par voie entérale-orale, et le maintien ou la correction de l’état nutritionnel, tous deux permettant de promouvoir l’adaptation intestinale (cf. supra). L’autonomisation par la seule voie orale étant Cah. Nutr. Diét., 39, 5, 2004
Conseils
a
Tableau III. diététiques dans le syndrome de grêle courtb.
Type I anastomotique Entérostomie
II Jéjuno-colique
III Jéjunoiléocolique
Repas fraction+ = = nés Boissons = = Sucrée-saléed +++ Salée seule = + ++ Lait =/– – –/≤ 400 ml/je – – / ≤ 400 ml/j e –– ≤ 750 ml/j e Boissons ≤ 1000 ml/j e hypotoniques Repas riches + +++ +/= en glucides Repas riches ++ –/= –/= en lipides TCM Régime hypercaloriquef
– +++
+ ++
+/– +
a
+++ impératif, ++ recommandé, + utile, = indifférent, – néfaste, – – interdit.b définis par une longueur de grêle restant ≤ à 150-200 cm.c toute entérostomie, quelle que soit la longueur de grêle restant (0-300) cm, peut bénéficier des conseils indiqués lorsque le débit des 24 h dépasse 600 ml.d solution de réhydratation type OMS en g/l : NaCl 3,5 ; NaHCO3 2,5 ; KCl 2,5 ; glucose 20 g, eau 1 000 ml.e à la condition d’ingérer 1 g de NaCl pour 200 ml de boissons.f ou hyperphagie compensatrice à la malabsorption, qui doit être encouragée pour compenser la malabsorption plus ou moins sévère du syndrome de grêle court.
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médecine et nutrition gétiques oraux et à être en bilan hydrosodé négatif pouvant dépasser 400 mmol de Na/j ; ils nécessitent donc des perfusions liquidiennes intraveineuses pour assurer leur homéostasie hydroélectrolytique [24]. Chez les absorbeurs, les entrées orales dépassent les pertes intestinales, le bilan net d’absorption hydrique est positif grâce aux solutions orales de réhydratation (SOR), bien que ces patients puissent perdre jusqu’à 200 mmol de Na par jour. L’efficacité des SOR (glucose ou polymères de glucose/électrolytes dont 90 mmol de Na/L), indispensable chez tout patient ayant un SGC de type I, repose sur le transport couplé glucose-Na, qui réduit significativement les pertes entérostomiales par rapport à tout autre type de boissons y compris les boissons salées – ou gélules de NaCl – de concentration équivalente sans glucose (– 35 %) [41]. Les SOR sans bicarbonate de sodium et sans sels de potassium, plus palatables, ne diminuent pas l’absorption de sodium [41]. Des essais comparatifs avec de faibles effectifs n’ont pas montré d’avantage en faveur des SOR à base de polymères de glucose par rapport à celles à base de glucose. Plus le segment d’intestin post duodénal qui permet d’obtenir l’équilibre isoosmotique est court, plus la concentration en ClNa/L doit être forte, i.e., 136 mmol si < 100 cm, 90 mmol entre 100 et 200 cm, 60 mmol si > 200 cm [12, 41]. Les SOR, administrées par petites quantités réparties au cours de la journée, jusqu’à un volume de 2 litres, ont comme seul inconvénient une saveur sucrée salée souvent jugée, par les occidentaux, désagréable. Pour augmenter la compliance à ce traitement il faut, d’une part, expliquer au patient son grand intérêt thérapeutique, d’autre part, lui conseiller de boire ces SOR à 4 °C en améliorant leur flaveur avec de petites quantités de sirop de fruit [9]. Il est important de préciser que l’utilisation de SOR et de médicaments réduisant le débit intestinal (IPP, octréotide, ralentisseurs du transit), ne permettent pas de convertir les sécréteurs en absorbeurs [24]. Quand les pertes stomiales sont comprises entre 2 et 3 L/J, l’équilibre des patients reste précaire et un stress intercurrent est susceptible de les rendre transitoirement dépendants de suppléments intraveineux hydrosodés [9]. SGC de Type I. Autres boissons La prise de toute boisson hypotonique, i.e., eaux minérales, dont la concentration s’éloigne de l’osmolarité plasmatique, entraîne une diarrhée sécrétoire par augmentation du flux plasma lumière visant à rétablir cette isoosmolarité intraluminale : ainsi les boissons hypotoniques (eau, thé, café) majorent le débit d’entérostomie et négativent le bilan hydrosodé [5] ; il a été montré que le segment de jéjunum post duodénal était de l’ordre de 1 m pour arriver à une concentration de l’ordre de 90 mmol de Na/L [9]. Ainsi la prise de boissons hypotoniques doit elle être réduite à moins de 600 ml/J [9] ou être précédée de la prise de gélules de sel (tableau III). Le lactose du lait (20 g ; i.e., 400 ml de lait) est moins bien absorbé (50 %) qu’une quantité équivalente prise sous forme de yaourt (70 %), avec une augmentation modérée du débit de stomie par effet osmotique [13, 42] ; malgré cette tolérance satisfaisante, certains auteurs proscrivent le lait, car l’augmentation du débit peut être majeure chez les hypolactasiques [7]. Les sodas, de teneur élevée en sucrose, entraînent une diarrhée osmotique au prorata de leur charge osmotique : cet effet négatif peut être contrecarré efficacement en faisant ingérer aux patients des gélules de ClNa. La prise de sel conseillé par jour est de l’ordre de 324
60 à 136 mmol/L de boisson selon la longueur de grêle restant (cf. supra). La prise de gélules de sel peut parfois entraîner des nausées ou des vomissements [9]. SGC de type I. Type et mode d’alimentation Une alimentation liquide quelle qu’en soit le type (semi élémentaire avec TCM vs polymèrique) n’entraîne pas une absorption supérieure à une alimentation solide (avec pourcentage variable de fibres et de lipides TCL) [37]. La prise de boissons pendant ou en dehors des repas ne modifie pas le débit de stomie : ainsi le contrôle des apports liquidiens – à apport sodé adéquat – pendant les repas, contrairement à ce qui est parfois préconisé, est inutile chez le patient stable en alimentation orale [40]. Les repas fréquents et peu copieux semblent cependant mieux tolérés que de volumineux repas [5]. Les laitages sont conseillés (apport de calcium et de protéines) sous forme solide ou semi solide [11, 13]. Si l’on tient compte de l’accélération de la vidange gastrique des liquides au cours du SGC de type I, une alimentation « solide » pourrait être mieux absorbé qu’une alimentation « liquide » [11]. Néanmoins, il peut y avoir indication à poursuivre une nutrition entérale à la période adaptative du SGC, notamment lorsque l’alimentation spontanée est notoirement insuffisante : personnellement nous avons observé dans les types I et II de SGC, une amélioration significative importante (+ 25 %) de l’absorption nette en NEDC par rapport à une alimentation orale standard isocalorique. Chez les patients avec jéjunostomie à haut débit, l’apport lipidique (TCL) ne doit pas être restreint. Les lipides alimentaires usuels animaux ou végétaux constituent une bonne source d’énergie qui n’augmente pas la charge osmotique, ce qui permet de ne pas alourdir le vécu social par l’augmentation du débit de stomie [31, 43]. L’augmentation des apports de lipides s’accompagne d’un pourcentage d’absorption identique, ce qui augmente donc le degré d’autonomie énergétique oral, et éventuellement l’apport en acides gras essentiels [31, 43]. La perte d’ions divalents, accompagnant l’augmentation de la stéatorrhée est [43] ou n’est pas retrouvé [37, 39]. L’intérêt théorique des TCM – absorption indépendante des sels biliaires – est réel, et effectivement leur introduction dans l’alimentation (MCT 30 % + LCT 30 %) s’accompagne d’un pourcentage d’absorption augmenté par rapport à un apport lipidique de TCL 60 % ; cependant cet effet positif est contrebalancé par un effet négatif qui est l’augmentation du débit de stomie dépendant de la charge osmotique lié aux TCM (C8 à C12) et, in fine, l’absorption nette globale des macronutriments est inchangée du fait de pertes accrues en protéines et en glucides [32]. SGC de type II et III. Type et mode d’alimentation Quand la continuité colique est conservée, les lipides peuvent être moins bien tolérés car ils augmentent la diarrhée et la perte des cations divalents et facilitent l’absorption d’oxalate. Il faut donc adapter l’apport de lipides de façon à éviter une diarrhée par trop importante, et encourager l’apport de glucides complexes [1, 44]. Ainsi, une alimentation riche en glucides complexes et relativement pauvre en lipides peut à la fois réduire le débit de selles et épargner des calories via l’absorption colique des acides gras à chaîne courte [19, 20, 44]. Le bénéfice de ce type de régime a cependant été observé avec des apports respectifs comparatifs caricaturaux et non usuels de glucides et de lipides (60 % et 20 % et réciproquement) [44]. CerCah. Nutr. Diét., 39, 5, 2004
médecine et nutrition tains patients restreignent d’eux mêmes l’apport de lipides s’ils observent une augmentation évidente de leur diarrhée. Si le bilan énergétique menace d’être négatif, par insuffisance d’apports caloriques totaux, l’introduction orale des TCM est justifié car, d’une part ils ne majorent pas la diarrhée et, d’autre part, les TCM hydrosolubles malabsorbés dans le grêle sont absorbés par le colon par diffusion facilitée [32] ; dans cette étude le gain d’absorption lipidique et total, secondaire au remplacement de la moitié des TCL (60 %) par des TCM (30 % TCM + 30 % TCL), était respectivement de 35 % (de 23 % à 58 %) et de 12 % (de 46 % à 58 %) [32]. Il faut surtout encourager l’hyperphagie et, dans cette circonstance, nous avons noté que le rapport protides, glucides et lipides (TCL uniquement) de l’alimentation libre spontané était respectivement de 23 %, 46 % et 31 %, leur absorption respective étant de 61 ± 19 %, 79 ± 15 % et 52 ± 16 % et l’absorption totale de 67 ± 12 % [23]. Supplémentation en minéraux L’hypokaliémie est secondaire soit au déficit hydrosodé, soit au déficit magnésique. L’hypocalcémie est secondaire au déficit magnésique et/ou vitaminique D. Le traitement de cette hypocalcémie repose sur le traitement par les métabolites actifs de la vitamine D (1-α ou 1,25) et des suppléments magnésiques [7, 33]. On peut rencontrer des difficultés lors de la supplémentation en magnésium car les sels de magnésium ont un effet laxatif que l’on observe à différentes doses chez différents individus. En pratique, le magnésium oral peut être donné sous forme de gluconate ou de pyroglutamate jusqu’à une dose de 20 à 30 mmol/j [7]. Les sels organiques de magnésium sont plus efficacement absorbés lorsqu’ils sont ajoutés à une SOR que lorsqu’ils sont pris isolément [7]. En cas d’échec, il faut recourir à la voie parentérale. Supplémentation en micronutriments La malabsorption lipidique après résection iléale ≥ à 1 m s’accompagne d’une malabsorption des vitamines liposolubles (A, D, E, K) dont la supplémentation doit être systématique [14, 33] ; La supplémentation parentérale de vitamine B12 (1 000 μg/3 mois) après résection de l’ileon terminal iléale ≥ à 60 cm est indiquée de façon indéfinie. Personnellement nous recommandons de faire précéder de 24 h à 48 h toute IM, ou toute série d’IM, de la prise orale – au cours du petit déjeuner – de 2 fois 10 mg de vitamine K1, pour éviter l’hématome secondaire à l’IM du fait d’un TP < à 70 %. Pour les patients nécessitant un traitement anticoagulant à dose efficace, nous recommandons l’administration de vitamine B12 par vois sous cutanée à raison de 1 000 μg/mois : avec cette posologie nous n’avons observé, dans notre pratique aucun déficit biologique ou clinique en vitamine B12. Une diarrhée ≥ 1 000 ml/j nécessite des suppléments oraux de zinc (22 mg de Zn élément/j) sous forme de gluconate ou pyroglutamate et non de sulfate car ce dernier, inabsorbable, est laxatif [7].
Traitement diététique des complications de la résection intestinale Il concerne la lithiase rénale et l’encéphalopathie D-lactique. La lithiase rénale, secondaire à l’hyperoxalurie, est observée jusqu’à 25 % des patients avec SGC ayant une Cah. Nutr. Diét., 39, 5, 2004
stéatorrhée importante et tout ou partie du colon en continuité [8]. Son traitement préventif repose sur l’obtention d’une diurèse suffisante, la mise en place d’un régime pauvre en oxalate, la prescription de sels de calcium (2 à 3 g/j) avant les repas. Ces mesures, dans notre expérience, réduisent cette complication à moins de 5 % des cas. Si ces mesures sont inefficaces, les sels de citrate per os, voire la réduction des lipides alimentaires, sont alors indiqués [7]. L’encéphalopathie D-lactique est secondaire à la production de D Lactate par la flore bactérienne colique. le D lactate, n’ayant que peu ou pas de métabolisme systémique, joue le rôle d’un faux neurotransmetteur cérébral et entraîne un tableau de pseudo ébriété avec signes cérébelleux. Cette complication assez rare (moins de 5 % des patients) ne s’accompagne pas toujours d’acidose puisque quelques mmol de D Lactate suffisent à provoquer cette encéphalopathie ; elle pourrait être facilitée par l’ingestion une grande quantité de laitages (augmentation possible de la quantité de lactobacilles), par un déficit en B1 et par l’utilisation d’antibiotiques qui, prescrits pour d’autres motifs, modifient la flore bactérienne colique [35, 45]. Lors d’acidose, le traitement urgent repose sur le jeûne, la réhydratation et l’administration de bicarbonate IV ; en présence de troubles du comportement, le traitement repose sur la restriction des glucides associée au métronidazole [7].
Résumé Il faut distinguer les résections intestinales courtes (< à 1 m ; 85 % des cas) où doit être précisé la longueur de grêle ôtée, notamment iléale, des résections étendues (> à 2 m ; 15 % des cas), qui entraînent un syndrome de grêle court (SGC). L’évaluation anatomique du SGC comprend : (a) la longueur et le site, jéjunal et/ou iléal, de grêle post duodénal restant ; (b) le type d’anastomose intestinale – entérostomie terminale (type I) – anastomose jéjuno-colique (type II) ou – anastomose jéjuno-iléocolique (type III), et (c) la mesure du pourcentage de côlon restant en continuité. Toutes ces données conditionnent la clinique du SGC. La résection iléale entraîne, si ≥ à 60 cm un déficit en B12 et, si ≥ à 1 m une malabsorption lipidique notable (stéatorrhée > à 20 g/J) avec déficit en vitamines liposolubles (D > K > E > A). Leur supplémentation – B12 par voie IM et vitamines liposolubles par voie orale – doit être systématique. Le SGC de type I se traduit par une diarrhée hydroélectrolytique (H20 et Na), profuse en post opératoire, et dont les règles diététiques hydriques sont strictes. Le SGC entraîne un syndrome de malabsorption responsable d’une dénutrition protéino-énergétique, laquelle doit être traitée par une hyperalimentation orale libre, hyperlipidique pour le type I, hypergluciqique pour les type II et III. La présence d’un colon en continuité (SGC types II et III)l réduit les pertes hydroélectrolytiques et, par le biais de l’hyperfermentation bactérienne des glucides, augmente la production des acides gras à chaîne courte : leur absorption entraîne une importante récupération énergétique ; par contre, la lithiase oxalique rénale (25 % des cas) doit faire l’objet d’une prévention primaire par régime sans oxalate et calcithérapie orale et une encéphalopathie D lactique survient chez 2 % des patients. Le SGC entraîne une hypomagnésémie sévère quasi constante qui induit une hypocalcémie vitamine D 325
médecine et nutrition résistante, et une hypokaliémie résistante aux sels de potassium. Mots-clés : Résection iléale – Syndrome de grêle court – Diététique – Traitement médical.
Abstract Intestinal resections have a wide clinical spectrum where the length of simple iléal resection may lead to Vitamine B12 deficiency (resected terminal ileum ≥ 60 cm), cholerrheic diarrhea (resection < 100 cm, steathorrhea < 20 g/d,) or malabsorptive diarrhea (steatorrhea > 20 g/d with deficit of liposoluble vitamins (D > K > E > A) if resection is more than 100 cm of terminal ileum. In case of extensive resection of the small bowel (≥ 2 m with less than 2 m of remnant post duodenal small bowel) ± partial or total colonic resection, short bowel syndrome (SBS) may follows depending of the site (ileum more critical than jejunum) and the length of the remnant bowel. Severe malabsorptive diarrhea (between 30% and 80% of ingesta) follows with malnutrition, increased hydro-mineral losses and micronutrient deficits. A remaining colon spares hydromineral losses and carbohydrate energy malabsorption through colonic hyperfermentation and absorption of short chain fatty acids but is associated with enteric oxalic renal lithiasis (25% of cases) and D lactate encephalopathy (2% of cases). Dietetic, along with supplements (either IM : B12, or oral : Ca, Mg, Vitamine D metabolites, vitamine E), are necessary treatments of small bowel resections. Hyperphagia of solid foods should be encouraged with no futile restriction (Lipids when no colon is left in continuity, complex carbohydtates when colon is present and in continuity) whereas liquid dietetic rules have to be firmly implemented according also to the type of bowel resection. Oral autonomy may then be observed despite very SBS. This review based upon the physiopathology of intestinal resections, indicates dietetic and nutritional recommanded guidelines. Key-words: Ileal resection – Short bowel syndrome – Dietary and medical management.
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