Sexologies (2008) 17, 113—114 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
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LETTRE À LA RÉDACTION / LETTER TO THE EDITOR
Trouble du désir et contraception orale ? Oral contraceptives and loss of libido? Nous avons été sollicités par un clinicien à propos des troubles du désir sous contraception ; « Je suis frappé de la fréquence des troubles du désir chez la femme après quelques années de pilules estroprogestatives. Quelles en sont les causes ? Plus de SHBG moins de testo ? Il y a beaucoup de répercussion sur la vie de couple. . . ». La question des conséquences délétères de la contraception orale sur la qualité de la sexualité féminine est souvent à l’origine de prises de positions extrêmes. Des centaines de millions de femmes l’utilisent dans le monde (30 à 40 % en Europe occidentale) et elle est disponible dans beaucoup de pays depuis un tiers de siècle (Fisher et al., 2004). Rien ne permet d’affirmer que la pilule puisse altérer la fonction sexuelle tout au moins sur le plan statistique. Certes, un travail récent (Caruso, 2004) a mis en évidence une diminution significative du désir et de l’activité sexuelle après neuf mois de pilule associant 15 g d’éthinylestradiol à 60 g de gestodène (sans comparaison avec un groupe témoin), mais une étude réalisée sur plus de 1000 patientes n’avait pas retrouvé de différence significative de l’évolution du désir, que les patientes aient une contraception orale ou un dispositif intra-utérin (MartinLoeches et al., 2003). Vous posez la question de l’impact de la pilule sur les troubles du désir sexuel ; dans cette réflexion le métabolisme et le rôle des androgènes sur le désir sexuel féminin sont évoqués et leurs responsabilités étudiées : en raison de la mise au repos des ovaires par les estroprogestatifs (EP) la production ovarienne de testostérone totale est diminuée ; de plus les estroprogestatifs augmentent la SHBG (jusqu’à quatre fois) ; à cause d’une augmentation de cette protéine porteuse, le taux de testostérone libre diminue (Coenen et al., 1996). Dans cette optique, l’effet néfaste des estroprogestatifs semble logique. Ce raisonnement n’est pas vraiment confirmé par les quelques travaux publiés. Certes, les taux de testostérone libre et biodisponible baissent bien sous EP, mais les conséquences sur la libido ne semblent pas évidentes, de plus des
études ont montré qu’une plus grande fréquence de rapports et une augmentation de l’intérêt sexuel sont associés à un taux bas de testostérone chez les femmes prenant la pilule (Bancroft et al., 1991). En outre, deux essais cliniques ont démontré qu’un traitement aux androgènes dans cette situation améliorait la libido autant que ne le faisait le placebo ou un changement de marque de pilule (Bancroft et al., 1980 ; Fucs et Coutinho, 1975). Ces résultats contredisent les idées rec ¸ues qu’une baisse du taux de testostérone (totale ou libre) diminue la libido chez la femme sous pilule et que le traitement aux androgènes pourrait y remédier Enfin, le recours à des pilules contenant des progestatifs dont les effets antiandrogéniques sont reconnus, l’acétate de médroxyprogestérone ou la drospirénone, ne s’accompagne pas, pour le moins, de perturbation de la fonction sexuelle. Au total, rien ne permet d’affirmer aujourd’hui que la pilule puisse altérer la fonction sexuelle par le biais d’un impact sur les androgènes. Il est aujourd’hui plus logique d’expliquer cette altération de la sexualité par des mécanismes psychologiques, sociaux ou conjugaux que par des mécanismes hormonaux. En effet, si les études épidémiologiques n’ont pas prouvé les effets négatifs des pilules estroprogestatives sur la sexualité, elles ont clairement démontré l’impact d’autres facteurs psychosociaux sur la sexualité : l’âge, la multiparité et la (mauvaise) qualité de la relation avec le partenaire (Martin-Loeches, 2003). Dépression, stress et problèmes de la vie quotidienne (travail, transport, charge des enfants, etc.) peuvent aboutir aux troubles du désir chez la femme, avec ou sans pilules estroprogestatives. Ce trouble est donc plus souvent une répercussion de la vie du couple qu’un facteur ayant une répercussion sur la vie du couple. Il faut de toute fac ¸on prendre en considération la plainte de ces patientes. Deux mesures paraissent alors s’imposer : • d’une part, instaurer un dialogue pour tenter d’appréhender les éventuelles raisons cachées de cette mauvaise tolérance de la pilule. Ces raisons sont parfois très simples, comme la « réputation » néfaste de ladite pilule par exemple. Elles peuvent aussi être à l’origine d’une mauvaise tolérance de toute contra-
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114 ception et il est alors fréquent qu’un profond désir de grossesse se heurte à une impossibilité matérielle, conjugale ou autre de mettre le projet à exécution. Elles peuvent enfin traduire une souffrance qui au fond, n’a pas grand chose à voir avec la contraception, qui n’a alors servi qu’à cristalliser une difficulté ou un conflit bien plus complexe ou ancien ; • d’autre part, renégocier le « contrat » contraceptif, à la lumière de cet « effet indésirable », car, quel que soit le contexte psychologique qu’elle sous-tend, l’apparente mauvaise tolérance sexuelle d’une pilule est un des moteurs majeurs des défauts d’observance et des arrêts inopportuns, dont on connaît trop bien les conséquences. La fréquence des troubles du désir chez la femme est effectivement frappante en clinique, mais il ne semble pas y en avoir davantage après quelques années d’EP qu’après quelques années d’une autre contraception ou de rien du tout.
Références Bancroft J, Davidson DW, Warner P, Tyrer G. Androgens and sexual behaviour in women using oral contraceptives. Clin Endocrinology 1980;12:327—40. Bancroft J, Sherwin BB, Alexander GM, Davidson DW, Walker A. Oral contraceptives, androgens, and the sexuality of young women: II the role of androgens. Archives of Sexual Behavior 1991;20:105—20.
Lettre à la rédaction / Letter to the editor Caruso S. Sexual behavior of women taking low-dose oral contraceptive containing 15 g ethinylestradiol/60 g gestodene. Contraception 2004;69(3):237—40. Coenen CM, Thomas CM, Borm GF, Hollanders JM, Rolland R. Changes in androgens during treatment with four low-dose contraceptives. Contraception 1996;53:171—6. Fisher W, Boroditsky R, Morris B. The 2002 Canadian contraception study: part 1. Journal of Obstetrics and Gynaecology Canada 2004;26(6):580—90. Fucs GB, Coutinho EM. Treatment of diminished sexual response associated with the use of oral contraceptives. Reproduccion 1975;2:97—104. Martin-Loeches M, Orti RM, Monfort M, Ortega E, Rius J. A comparative analysis of the modification of sexual desire of users of hormonal contraceptives and intrauterine devices. The European Journal of Contraception and Reproductive Health Care 2003;8:129—34.
H. Asscheman (MD, PhD) ∗ Valeriusstraat 4hs, 1071 MH Amsterdam, Pays-Bas F. Collier (MD) Hôpital Jeanne-de-Flandre, CHRU de Lille, avenue Eugène-Avinéee, 59037 Lille, France ∗
Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (H. Asscheman) 11 octobre 2007 Disponible sur Internet le 1 f´ evrier 2008