Tumeur ethmoïdal et ostéomalacie oncogène : cas clinique et revue de la littérature

Tumeur ethmoïdal et ostéomalacie oncogène : cas clinique et revue de la littérature

Annales françaises d’oto-rhino-laryngologie et de pathologie cervico-faciale 135 (2018) 359–363 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedir...

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Annales françaises d’oto-rhino-laryngologie et de pathologie cervico-faciale 135 (2018) 359–363

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ScienceDirect www.sciencedirect.com

Cas clinique

Tumeur ethmoïdal et ostéomalacie oncogène : cas clinique et revue de la littérature夽 A. Villepelet a,∗ , O. Casiraghi b , S. Temam c , A. Moya-Plana c a Service d’ORL et de chirurgie cervico-faciale, hôpital Tenon, Assistance publique–Hôpitaux de Paris, université Paris Sorbonne, 4, rue de la Chine, 75020 Paris, France b Département d’anatomopathologie, Gustave Roussy Cancer Campus, université Paris-Saclay, 114, rue Edouard-Vaillant, 94800 Villejuif, France c Département de cancérologie cervico-faciale, Gustave Roussy Cancer Campus, université Paris-Saclay, 114, rue Edouard-Vaillant, 94800 Villejuif, France

i n f o

a r t i c l e

Mots clés : Ostéomalacie oncogène Tumeur mésenchymateuse phosphaturiante FGF-23

r é s u m é Introduction. – L’ostéomalacie oncogène est une pathologie très rare. Elle est causée le plus souvent par une tumeur mésenchymateuse phosphaturiante variante « tissu conjonctif mixte », sécrétant l’hormone FGF-23. Objectif. – Présenter le cas d’une tumeur ethmoïdale associée à une ostéomalacie oncogène et discuter la prise en charge en s’appuyant sur une revue de la littérature. Résumé du cas clinique. – Chez une patiente de 41 ans présentant des fractures multiples avec une impotence fonctionnelle majeure, le diagnostic d’ostéoporose précoce avait été posé. En raison d’une obstruction nasale concomitante, un scanner puis une IRM ont montré une lésion ethmoïdale droite venant au contact de la dure-mère et de la péri-orbite sans les envahir. Une exérèse par voie endoscopique avec reconstruction du défect basicrânien par lambeau naso-septal a été effectuée. Dans les suites on notait une disparition des symptômes rhinologiques et rhumatologiques. L’examen histologique a conclu à une tumeur mésenchymateuse phosphaturiante. Discussion. – Il existe à ce jour douze autres cas rapportés de tumeurs ethmoïdales mésenchymateuses associées à une ostéomalacie oncogène. Le dosage du FGF-23 et l’IRM corps entier en séquence STIR sont utiles pour le diagnostic. Dans la majorité des cas, l’évolution est très favorable après un traitement chirurgical. ´ ´ es. © 2018 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserv

1. Introduction L’ostéomalacie oncogène est une pathologie très rare, résultant d’un défaut de minéralisation. Elle est causée par une tumeur, le plus souvent bénigne et mésenchymateuse, sécrétant l’hormone Fibroblast Growth Factor 23 (FGF-23). Cette hormone empêche la réabsorption de phosphate par l’inactivation de la pompe à sodiumphosphate du tubule rénal proximal [1]. Cela entraîne une fuite rénale de phosphate, associée à un relargage compensatoire de phosphate par les os, qui se déminéralisent et s’affaiblissent. Ainsi, les symptômes de l’ostéomalacie tels que douleurs osseuses, fai-

DOI de l’article original : https://doi.org/10.1016/j.anorl.2018.07.001. 夽 Ne pas utiliser pour citation la référence franc¸aise de cet article mais celle de l’article original paru dans European Annals of Otorhinolaryngology Head and Neck Diseases en utilisant le DOI ci-dessus. ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (A. Villepelet). https://doi.org/10.1016/j.aforl.2018.01.007 ´ ´ 1879-7261/© 2018 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserv es.

blesse musculaire, difficultés à la marche ou fractures secondaires à des traumatismes minimes, sont aspécifiques [1,2]. L’ostéomalacie oncogène affecte généralement les patients âgés d’une quarantaine d’années, avec un sexe ratio équilibré [3]. La localisation de la tumeur primitive, le plus souvent une tumeur mésenchymateuse phosphaturiante variante « tissu conjonctif mixte » (anciennement hémangiopéricytome), est cervico-faciale dans 27 % des cas [1], avec une prédominance sinusienne et mandibulaire [3]. Le traitement de référence est une exérèse chirurgicale avec des marges suffisantes [1,2]. L’objectif de notre étude est de présenter le cas d’une tumeur ethmoïdale associée à une ostéomalacie oncogène et de discuter la prise en charge en s’appuyant sur une revue de la littérature.

2. Observation Chez une patiente de 41 ans, le diagnostic d’ostéoporose précoce a été fait dans un contexte de micro-fractures multiples de l’ischion et de la tête fémorale, avec une impotence fonctionnelle

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Fig. 1. A et B. IRM pré-thérapeutique de la tumeur éthmoïdale en coupes coronale (Fig. 1A) et sagittale (Fig. 1B), montrant son extension au contact de la dure-mère et de la lame papyracée et l’absence d’extension controlatérale.

majeure et des douleurs nécessitant des antalgiques de palier 3. En raison d’une obstruction nasale concomitante, un scanner du massif facial avec injection a été effectué et a montré une masse obstructive, polypoïde et hypervascularisée de la fosse nasale droite et de l’ethmoïde, avec une lyse de la lame papyracée et du toit ethmoïdal. Il existait une extension dans le récessus frontal homolatéral avec un envahissement modéré du sinus frontal. Une IRM des sinus avec injection a précisé l’extension tumorale endocrânienne, venant au contact de la dure-mère sans l’envahir. Au niveau orbitaire, la tumeur était au contact de la péri-orbite, sans extension intra-orbitaire. Il n’y avait pas d’extension en controlatéral (Fig. 1A et B).

Cliniquement, les examens neurologique et ophtalmologique étaient sans particularité. Il n’y avait pas d’adénopathies cervicales. La nasofibroscopie montrait une lésion charnue ne saignant pas au contact, refoulant médialement le cornet moyen et s’étendant jusqu’au plancher de la fosse nasale droite sans effet de masse sur la cloison (Fig. 2). L’analyse anatomopathologique d’une biopsie sous anesthésie locale n’a pas permis de conclure entre un glomangiopéricytome, un granulome central à cellules géantes et une tumeur brune d’hyperparathyroïdie. En réunion du GEPSO (Groupe d’étude en pathologies stomatologiques et ORL), l’hypothèse évoquée était celle d’une tumeur mésenchymateuse phosphaturiante, responsable d’une ostéomalacie. Le

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Fig. 2. Nasofibroscopie initiale montrant un polype atone, de couleur chamois, dans la fosse nasale droite.

Fig. 3. IRM à 9 mois post-opératoire en coupe sagittale montrant une absence de récidive tumorale et la couverture du défect basicranien par le lambeau naso-septal.

bilan phosphocalcique (calcium, vitamine D et PTH) était normal. L’ostéodensitométrie montrait une ostéoporose majeure avec un T score à −4,5 DS. Un scanner thoraco-abdomino-pelvien objectivait des fractures costales bilatérales, une fracture du pilier antérieur du cotyle gauche et de la branche ischio-pubienne gauche sans anomalies métaboliques suspectes de malignité au PET scanner. Le traitement décidé en réunion de concertation pluridisciplinaire était une exérèse chirurgicale par voie endonasale endoscopique, en double équipe ORL et neurochirurgicale. En peropératoire, une lyse majeure du toit ethmoïdal avec exposition dure-mérienne était observée, sans brèche ni écoulement de LCR. La muqueuse septale et la fente olfactive homolatérale étaient saines. Après debulking de la tumeur, une sinusotomie frontale de type Draf IIB droit et une sphénoïdotomie homolatérale (retrouvant un sphénoïde sain) étaient effectués afin d’obtenir des limites de résection antérieures et postérieures saines. Au niveau méningé, du fait de l’absence d’envahissement dure-mérien, la tumeur pouvait être clivée sans difficulté. Pour reconstruire

le défect basicranien, un lambeau naso-septal homolatéral pédiculé sur la branche septale de l’artère sphéno-palatine droite était réalisé. Les suites ont été simples avec une sortie à J5 postopératoire. Une amélioration précoce puis une disparition totale de la symptomatologie rhumatologique ont été observées au décours de la chirurgie. L’examen histologique, d’interprétation difficile, mettait en évidence une tumeur « à petites cellules bleues » fusiformes et ovoïdes, avec un contingent à cellules géantes, sans signe histologique de malignité. L’hypothèse retenue était celle d’une « tumeur mésenchymateuse phosphaturiante » responsable d’une ostéomalacie paranéoplasique. Le dosage sérique de FGR-23 fait à J5 post-opératoire était de 48 pg/mL pour une normale entre 10 et 50 pg/mL. À 9 mois post-opératoire, la patiente était asymptomatique. La cicatrisation locale endonasale était acquise et l’IRM de contrôle satisfaisante (Fig. 3). L’ostéodensitométrie de contrôle était normalisée avec un T score à −0,5 DS.

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Tableau 1 Revue de la littérature des tumeurs ethmoïdales entraînant une ostéomalacie oncogène. Auteur

Sexe (F : féminin ; M : masculin)

Âge au diagnostic (années)

Symptômes rhinosinusiens

Symptômes extra rhinosinusiens

Imagerie sinusienne effectuée

Histologie

Traitement

Résultats

Seshadri et al. (1985) [6] GonzalezCompta et al. (1998) [3] Sandhu and Martuza (2000) [7] Ungari et al. (2004) [8] Beech et al. (2007) [1] Kenealy et al. (2007) [5]

F

40

Non renseignés

Non renseignée

Hémangiopéricytome

69

Exérèse chirurgicale Décédé avant le traitement

Guérison

F

Non renseignés Aucun

M

46

M

Aucun

Faiblesse scanner généralisée, hémiparésie Fractures multiples scanner

Tumeur mésenchymateuse sans précision Hémangiopéricytome

24

Aucun

Fractures multiples IRM

Hémangiopéricytome

M

42

Aucun

IRM

Hémangiopéricytome

F

79

Aucun

Faiblesse généralisée Fracture du col du fémur

Scanner et IRM

Kenealy et al. (2007) [5]

F

40

Faiblesse généralisée

Clunie et al. (2000) [9]

F

60

Aucun

Douleurs diffuses, faiblesse généralisée et difficultés à la marche

Octréoscanner marqué à l’Indium111 , Scanner et IRM scanner

Tumeur mésenchymateuse sans précision Hémangiopéricytome

Folpe et al. (2004) [10]

M

46

Non renseigné

Symptômes d’ostéomalacie sans précision

Folpe et al. (2004) [10]

M

21

Non renseigné

Guglielmi et al. M (2011) [4]

22

Aucun

Symptômes d’ostéomalacie sans précision Faiblesse généralisée, fractures atraumatiques

Gresham et al. (2017) [2]

M

42

Notre cas (2017)

F

41

Congestion intermittente, hyposmie, vision trouble matinale intermittente Obstruction nasale

Faiblesse généralisée et multiples fractures spontanées

Exérèse chirurgicale Exérèse chirurgicale Exérèse chirurgicale

Guérison

Exérèse chirurgicale

Guérison

Hémangiopéricytome

Exérèse chirurgicale

Non renseigné

Variante d’ hémangiopéricytome

Exérèse chirurgicale

Non renseigné

Variante Exérèse d’hémangiopéricytome chirurgicale

Amélioration symptomatique pendant 4 ans : persistance de symptômes musculosquelettiques occasionnels mais normalisation biologique Reprise chirurgicale à 1 an pour récidive puis guérison Guérison

Scanner et IRM

Variante Exérèse d’hémangiopéricytome chirurgicale (une reprise pour résection incomplète) Exérèse Octréoscanner et Glomangiome IRM chirurgicale

Fractures multiples Scanner, IRM Et TEP-scanner

3. Discussion Au sein du groupe polymorphe des tumeurs mésenchymateuses phosphaturiantes, la forme la plus commune est la variante « tissu conjonctif mixte », caractérisée notamment par des cellules fusiformes, des contingents de cellules géantes et des microkystes [4]. Ces tumeurs entraînent rarement une ostéomalacie oncogène. Le dosage du FGF-23 est utile pour le diagnostic et le suivi de l’ostéomalacie oncogène. Le bilan d’imagerie standard devant ce syndrome est une IRM du corps entier en séquence STIR (séquence basée sur la technique d’inversion-récupération) [2]. Une imagerie des sinus paranasaux est pertinente si l’examen clinique et l’IRM du corps entier sont négatifs [5]. En effet, un quart de ces tumeurs a une localisation ORL avec une prédominance sinusienne et mandibulaire [1].

Exérèse chirurgicale

Décédé d’une hémorragie cérébrale Guérison

Tumeur mésenchymateuse sans précision

Exérèse chirurgicale

Guérison Guérison

Guérison

Guérison

Guérison

Il existe à ce jour douze autres cas rapportés de tumeurs ethmoïdales mésenchymateuses associées à une ostéomalacie oncogène (Tableau 1). L’évolution est très favorable après le traitement chirurgical, avec une guérison pour 12 des 13 patients pour lesquelles ces données étaient renseignées [1–10]. Notre patiente est le deuxième cas rapporté pour lequel une chirurgie endoscopique endonasale avec plastie de la base du crâne par lambeau naso-septa a permis une évolution favorable [2].

4. Conclusion L’ostéomalacie oncogène est un syndrome paranéoplasique rare. La localisation et la résection de la tumeur sous-jacente sont un enjeu majeur, afin d’en permettre la guérison.

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Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts. Références [1] Beech TJ, Rokade A, Gittoes N, et al. A haemangiopericytoma of the ethmoid sinus causing oncogenic osteomalacia: a case report and review of the literature. Int J Oral Maxillofac Surg 2007;36:956–8. [2] Gresham MS, Shen S, Zhang YJ, et al. Anterior skull base glomangioma-induced osteomalacia. J Neurol Surg Rep 2017;78:e9–11. ˜ [3] Gonzalez-Compta X, Manós-Pujol M, Foglia-Fernandez M, et al. Oncogenic osteomalacia: case report and review of head and neck associated tumours. J Laryngol Otol 1998;112:389–92. [4] Guglielmi G, Bisceglia M, Scillitani A, et al. Oncogenic osteomalacia due to phosphaturic mesenchymal tumor of the craniofacial sinuses. Clin Cases Miner Bone Metab 2011;8:45–9.

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[5] Kenealy H, Holdaway I, Grey A. Occult nasal sinus tumours causing oncogenic osteomalacia. Eur J Intern Med 2008;19:516–9. [6] Seshadri MS, Cornish CJ, Mason RS, et al. Parathyroid hormone-like bioactivity in tumours from patients with oncogenic osteomalacia. Clin Endocrinol (Oxf) 1985;23:689–97. [7] Sandhu FA, Martuza RL. Craniofacial hemangiopericytoma associated with oncogenic osteomalacia: case report. J Neurooncol 2000;46:241–7. [8] Ungari C, Rocchi G, Rinna C, et al. Hypophosphaturic mesenchymal tumor of the ethmoid associated with oncogenic osteomalacia. J Craniofac Surg 2004;15:523–7. [9] Clunie GP, Fox PE, Stamp TC. Four cases of acquired hypophosphataemic (oncogenic) osteomalacia. Problems of diagnosis, treatment and long-term management. Rheumatol Oxf Engl 2000;39:1415–21. [10] Folpe AL, Fanburg-Smith JC, Billings SD, et al. Most osteomalacia-associated mesenchymal tumors are a single histopathologic entity: an analysis of 32 cases and a comprehensive review of the literature. Am J Surg Pathol 2004;28:1–30.