Ulcère de Marjolin sur ostéite chronique

Ulcère de Marjolin sur ostéite chronique

Revue de chirurgie orthopédique 2007, 93, 63-71 © 2007. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés MÉMOIRE Ulcère de Marjolin sur ostéite chronique ...

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Revue de chirurgie orthopédique 2007, 93, 63-71

© 2007. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

MÉMOIRE

Ulcère de Marjolin sur ostéite chronique Diagnostic et résultats du traitement : 7 cas Marjolin’s ulcer in chronic osteomyelitis: seven cases and a review of the literature T. Bauer, T. David, F. Rimareix, A. Lortat-Jacob Service de Chirurgie Orthopédique et Traumatologique, Hôpital Ambroise-Paré, 9, avenue Charles-de-Gaulle, 92104 Boulogne Cedex.

ABSTRACT Purpose of the study Malignant degeneration of chronic wound inflammation is a rare complication which almost always develops late. Unstable wounds and scar tissue related to chronic osteitis can degenerate after a long period of chronic inflammation. We report seven cases.

Case reports Seven patients presented squamous-cell carcinoma of the skin which had developed on wounds related to deep bone infections. Three patients had chronic bone infections subsequent to posttraumatic osteitis, two after hematogenous osteomyelitis, one after osteitis which developed on a zone of radiation-induced necrosis, and one after a deep burn was complicated by osteitis. The skin lesions developed over a period of 43 years on average before the diagnosis of malignant degeneration was established. Most of the lesions presented as budding malodorous ulcers. The pathological diagnosis was spinocellular squamous-cell carcinoma in five cases and verrucous squamous-cell carcinoma in two. Conservative treatment with wide resection and flap cover was attempted in all seven patients.

Results Treatment failed in four patients and three required amputation. One patient died two years after amputation with local recurrence and metastatic dissemination to the brain.

Discussion The diagnosis of malignant degeneration requires pathological proof. Biopsy material should be obtained whenever there is a modification leading to the development of a fistula or the formation of a scar tissue over a focus of chronic osteitis. Prevention requires adapted treatment of chronic bone infections, avoiding directed wound healing which can lead to fragile unstable scar tissue subject to degeneration. Key words: Squamous-cell carcinoma, chronic osteomyelitis, Marjolin’s ulcer.

Correspondance : T. BAUER, à l’adresse ci-dessus. E-mail : [email protected] Acceptation définitive le : 5 septembre 2006

NDLR : la rédaction a pensé que le rapprochement des deux articles qui suivent et traitent du même sujet était susceptible d’en renforcer l’intérêt. Tous deux s’appuient sur l’expérience d’une équipe confrontée à une pathologie qui peut paraître archaïque mais reste à craindre. La rareté de ces carcinomes compliquant une infection osseuse chronique après des décennies est un risque évident de retard diagnostique et l’affection garde un pronostic redoutable. Les observations de J.-M. Lafosse soulignent le rôle étiologique particulier des traumatismes de jambe source banale d’infection osseuse chronique et de désordres cicatriciels associés. Le travail de T. Bauer rappelle que ce risque de dégénérescence s’attache à toute infection osseuse chronique associée à une ulcération chronique. Les résultats décevants du traitement conservateur font douter de sa place dans ces lésions. Il ressort clairement que le vrai traitement est préventif ; il repose sur l’éradication de l’infection osseuse et la reconstitution d’une couverture de qualité que la cicatrisation dirigée ne peut assurer.

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T. BAUER, T. DAVID, F. RIMAREIX, A. LORTAT-JACOB

RÉSUMÉ Les plaies et cicatrices instables en regard de foyers d’ostéite chronique peuvent se compliquer de dégénérescence maligne après une longue évolution. Sept cas de carcinomes épidermoïdes sur lésions cutanées chroniques en rapport avec des infections osseuses sousjacentes sont rapportés dans cette étude. Les lésions sont survenues sur des infections osseuses chroniques avec 3 cas d’ostéite post-traumatique, 2 cas d’ostéomyélite hématogène, un cas d’ostéite sur radionécrose et un cas de brûlure profonde compliquée d’ostéite. Ces lésions cutanées évoluaient depuis 43 ans en moyenne avant le diagnostic de dégénérescence maligne et se présentaient généralement sous la forme d’ulcérations bourgeonnantes et malodorantes. La variété anatomo-pathologique était un carcinome épidermoïde spino-cellulaire 5 fois et un carcinome épidermoïde verruqueux 2 fois. Dans tous les cas, un traitement conservateur avec excision large et couverture par lambeau a été tenté. Chez 4 patients, ce traitement a échoué et 3 patients ont été amputés. Un patient est décédé 2 ans après amputation, avec une récidive locale et une diffusion métastatique cérébrale. Mots clés : Carcinome épidermoïde, ostéite chronique, ulcère de Marjolin.

INTRODUCTION

MATÉRIEL ET MÉTHODES

Le terme d’ulcère de Marjolin désigne toute dégénérescence maligne d’une lésion cutanée inflammatoire chronique, quelle que soit l’origine de cette lésion et quel que soit le type de cancer qui s’y développe. La description initiale de Marjolin (1) et Da Costa (2) correspondait à des ulcères chroniques d’origine vasculaire et ce n’est qu’en 1963, après la publication de la série de Sedlin et Fleming (3) que cette dénomination a été appliquée également aux transformations néoplasiques survenant sur les sites d’infections osseuses chroniques. Il s’agit d’une prolifération épithéliale malpighienne kératinisante se développant à partir des kératinocytes de l’épiderme ou des muqueuses malpighiennes orificielles buccales, anales ou génitales. Il s’agit dans la grande majorité des cas de carcinomes épidermoïdes. Ces tumeurs malignes à croissance illimitée sont susceptibles d’infiltration, de destruction et de dissémination métastatique, elles mettent en jeu le pronostic vital en l’absence de traitement précoce adéquat [Grosshans (4)]. Les plaies et cicatrices instables en regard de foyers d’ostéite chronique peuvent se compliquer de dégénérescence maligne après une longue évolution [Fitzgerald et al. (5)]. Le mécanisme physiopathologique de cette transformation est inconnu. L’irritation chronique du tissu cutané ou l’exposition des parties molles aux différents facteurs de croissance jouent vraisemblablement un rôle important [Gebhart et al. (6)]. Le diagnostic de l’ulcère de Marjolin sur ostéite chronique est difficile en pratique, car si la dégénérescence d’une plaie chronique est une éventualité bien connue du dermatologue, dans un service d’orthopédie, cette notion n’est pas présente dans les esprits, d’autant que ce diagnostic est rare. L’incidence de cette transformation est très difficile à évaluer, et est estimée entre 0,2 et 1,7 % des ostéites chroniques. Ces épithéliomas représentent 0,05 % de l’ensemble des épithéliomas des membres inférieurs [Sedlin et Fleming (3), Sankaran-Kutty et al. (7), Mabit et al. (8), Mc Grory et al. (9)]. Sept observations d’ulcères de Marjolin sur ostéïte chronique sont rapportées dans ce travail dans le but d’en évaluer l’origine, les problèmes diagnostiques et thérapeutiques, et de les comparer aux données de la littérature.

Sept cas de carcinomes épidermoïdes sur lésions cutanées chroniques en rapport avec des infections osseuses chroniques sous-jacentes ont été observés dans notre service entre 1995 et 2003. Dans la présente série, les critères d’inclusion étaient l’association d’une lésion cutanée chronique en rapport avec un foyer d’infection osseuse chronique et l’histologie positive de carcinome épidermoïde. Les lésions cutanées évoluaient depuis de nombreuses années avant leur cancérisation ce qui exclut de fait la possibilité d’une antériorité du cancer par rapport à son affection supposée causale. Les caractéristiques des 7 cas sont résumées sur les tableaux I et II. Toutes les lésions siégeaient au membre inférieur (5 localisations tibiales, une atteinte malléolaire externe et une atteinte calcanéenne), chez 6 hommes et une femme, d’âge moyen 66 ans (de 52 ans à 82 ans). L’infection osseuse chronique était d’origine post-traumatique trois fois, consécutive à une ostéomyélite hématogène deux fois, à une radionécrose une fois et à une brûlure profonde une fois. Les lésions cutanées évoluaient depuis plusieurs années avant que leur cancérisation ne soit observée (moyenne : 43 ans, médiane : 45 ans, minimum 19 ans, maximum 68 ans). Tous les patients présentaient une ulcération creusante et saignant au contact (fig. 1 et 2). Cette ulcération s’était développée 4 fois sur 7 à partir d’une fistule chronique (cas n° 1, 2, 3 et 7). Ont été le signe d’alarme pour ces lésions cutanées connues de longue date la survenue de douleurs (patients n° 1, 5, 6 et 7) ou d’un caractère malodorant (patients n° 1, 4, 6 et 7). Des adénopathies à la racine de la cuisse ont été retrouvées 2 fois sur 7 (tableau I) et l’analyse histologique a retrouvé une diffusion ganglionnaire maligne dans un cas (patient n° 2). Sur le plan radiographique, 6 patients présentaient des signes d’envahissement osseux avec apparition d’une ostéolyse évolutive en regard de la fistule et des lésions cutanées (patients n° 1, 2, 3, 4, 6 et 7) (fig. 3a, 3b et 4a). La biopsie systématique des lésions a permis de diagnostiquer la dégénérescence maligne 6 fois sur 7. Chez 5 patients, une seule biopsie a suffi pour affirmer le diagnostic et pour un patient (n° 7), le diagnostic n’a été posé qu’après la deuxième biopsie (la première n’avait pas retrouvé de signes de dégénérescence maligne). Chez un

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TABLEAU I. – Caractéristiques cliniques et radiologiques. Patient

1

2

3

4

5

6

7

Sexe

M

M

F

M

M

M

M

Age

52 ans

52 ans

58 ans

82 ans

71 ans

67 ans

78 ans

Lésion initiale

Ostéite Ostéite Ostéite Ostéomyélite Brûlure Ostéite chronique post- chronique postchronique chronique compliquée chronique posttraumatique traumatique sur radionécrose d’ostéite traumatique chronique

Ostéomyélite chronique

Localisation

Tibia droit

Face plantaire du pied droit

Tibia gauche

Tibia gauche

Malléole externe gauche

Tibia gauche

Tibia gauche

Durée d’évolution

19 ans

45 ans

27 ans

68 ans

54 ans

23 ans

67 ans

Symptômes Ulcère creusé cliniques étendu (en gras, (> 10 cm) symptôme ayant bourgeonnant, alerté le patient douloureux, ou le médecin) nauséabond

Ulcère plantaire profond, saignant au contact

Ulcère Ulcère chronique Fistule chronique Ulcère creusé, Ulcération étendu, étendu, étendue, chronique, de plus en plus nauséabond, saignant bourgeonnant, bourgeonnant, productive, nauséabond, atrophie cutanée aux limites au contact, douloureux, douloureux périphérique irrégulières douloureuse nauséabond

Adénopathies

Non

Oui histologie = malin

Non

Non

Non

Non

OUI histologie = bénin

Envahissement osseux

Oui Ostéolyse étendue

Oui Ostéolyse calcanéenne

Oui ostéolyse

Oui

Oui

Non

Oui

Métastases

Non

Oui

Non

Non

Non

Non

Non

patient (n° 4), dont la biopsie préopératoire n’avait pas été contributive, lors de l’intervention il a été réalisé une excision des lésions infectieuses d’ostéomyélite chronique fistulisée, avec exérèse passant près des limites de la zone ulcérée. C’est l’examen anatomopathologique de la pièce d’exérèse qui a montré la présence d’un épithélioma spinocellulaire dont les limites d’exérèse passaient en zone saine, sauf au niveau osseux où il existait un envahissement superficiel nécessitant une reprise chirurgicale avec exérèse itérative sans interruption de la continuité osseuse et comblement par un lambeau gastrocnémien médial associé à un lambeau musculaire de soléaire. L’analyse histologique des pièces d’exérèse a retrouvé 5 cas de carcinome épidermoïde spino-cellulaire différencié et mature et 2 cas de carcinome épidermoïde verruqueux différencié et mature. Un traitement conservateur a été entrepris dans tous les cas ; il reposait sur l’exérèse large des lésions, l’excision des lésions infectieuses (lésions d’ostéite chronique et atteinte des parties molles) et la couverture cutanée. Après exérèse, l’analyse histologique définitive de la pièce de résection permettait de connaître la qualité du geste sur le

plan carcinologique. En cas d’exérèse contaminée, après discussion multidisciplinaire et avec le patient, une nouvelle intervention était indiquée avec reprise de l’exérèse ou amputation. Chez 3 patients (n° 1, 5 et 6), l’excision a nécessité une résection diaphysaire avec stabilisation par fixateur externe, suivie dans 2 cas d’une greffe spongieuse (fig. 4c et 4d) (cas n° 5 et 6) et dans un cas repris pour amputation en raison d’une exérèse contaminée. La couverture cutanée a été assurée par lambeau local fascio-cutané sural postérieur à pédicule distal 5 fois (utilisé seul 2 fois et associé à d’autres lambeaux 3 fois) et par lambeau musculaire local soléaire et gastrocnémien médial une fois. Chez un patient (n° 1), aucun lambeau de couverture n’a été nécessaire. RÉSULTATS

Chez trois patients, ce traitement a permis une exérèse complète sans récidive à 2, 3 et 7 ans de recul (patients n° 5, 6 et 7). Dans 4 cas, le traitement conservateur n’a pu être réalisé correctement ou a échoué : un échec avec exérèse contaminée 2 fois (patients n° 1 et 3) et récidive 2 fois

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TABLEAU II. – Résultat de la série, traitement et évolution. Patient

1

2

Carcinome Carcinome épidermoïde épidermoïde Diagnostic spino-cellulaire spino-cellulaire histologique différencié différencié et mature et mature

3 Carcinome épidermoïde verruqueux différencié et mature

4

Carcinome Carcinome épidermoïde épidermoïde spino-cellulaire spino-cellulaire différencié différencié et mature et mature

résection Excision Résection + excision + diaphysaire + lambeau fascio- comblement + osseuse + fixateur externe cutané sural lambeau libre comblement par postérieur de grand dorsal lambeaux de soléaire et exérèse + lambeau contaminée récidive locale fascio-cutané gastro-cnémien médial. sural postérieur J+18 : J+30 : Traitement Récidive locale exérèse amputation amputation contaminée au quart au tiers inférieur inférieur de la jambe + J + 19 : de la cuisse chimiothérapie amputation au tiers supérieur de la jambe

Evolution

5

Récidives multiples à Récidive Pas de récidive Pas de récidive partir de 3 mois tumorale locale à 10 ans à 4 ans. à 10 mois Décès à 2 ans

7

Carcinome épidermoïde verruqueux différencié et mature

Carcinome épidermoïde spino-cellulaire différencié et mature

résection large résection Résection + + lambeau diaphysaire + Lambeau suprafascio-cutané greffe malléolaire sural postérieur spongieuse + externe + + fixateur fixateur externe lambeau externe + lambeau fascio-cutané J+30 : Plastie fascio-cutané sural postérieur fascio-cutanée sural postérieur à 1 mois. de complément exérèse exérèse exérèse complète complète complète A 10 mois : greffe spongieuse itérative Ablation du fixateur externe à 2 mois Cicatrisation à 4 mois Pas de récidive à 7 ans

(patients n° 2 et 4) ayant nécessité une amputation dans 3 cas. Pour ces 4 patients chez qui le traitement conservateur a échoué, 2 n’ont présenté à ce jour aucune récidive à 4 et 10 ans (patients n° 1 et 3), un patient est décédé (après une récidive locale et générale de son cancer) 2 ans après l’amputation (patient n° 2) et un autre a présenté une récidive locale mais a refusé l’amputation (patient n° 4). Pour le patient n° 2, devant une rechute locale 3 mois après l’amputation, une reprise a été réalisée et a été associée à un curage ganglionnaire inguino-crural. L’examen anatomopathologique a retrouvé un envahissement métastatique ganglionnaire avec rupture capsulaire de deux ganglions sur trois et envahissement de la tranche du moignon par de multiples localisations secondaires. Le traitement a donc été complété par 9 cures de chimiothérapie (Cisplatine et 5-FU), associées à une radiothérapie externe du membre. Au total, 3 patients ont conservé leur membre inférieur sans récidive actuelle, 2 patients ont été amputés et n’ont pas présenté de récidive à ce jour, un patient a présenté une

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Tibia solide à 30 mois Pas de récidive tumorale, ni septique à 3 ans.

Pas de récidive à 2 ans.

rechute locale et a refusé l’amputation et un patient est décédé 2 ans après l’amputation, avec rechute locale et apparition de métastases cérébrales (patient n° 2). DISCUSSION

L’âge de nos patients au diagnostic était de 52 à 82 ans, pour un âge moyen de 66 ans, comparable aux données de la littérature sur le sujet (âge moyen selon les séries entre 59 et 66 ans, avec des extrêmes de 22 et 86 ans) [Gebhart et al. (6), Sankaran-Kutty et al. (7), Mc Grory et al. (9), Look et al. (10)]. Cette moyenne d’âge élevée est expliquée par le long délai d’évolution nécessaire au développement de la dégénérescence des plaies chroniques et des fistules. Tous les patients de la série, atteints d’infection osseuse chronique, présentaient des cicatrices instables sur fistules ou plaies chroniques qui sont des facteurs de risque classiques de dégénérescence maligne [Look et al. (10), Arons et al. (11), Swanbeck et Hillstrom (12), Saglik et al. (13)].

ULCÈRE DE MARJOLIN SUR OSTÉITE CHRONIQUE

FIG. 1. – Patient nq 4. Ulcération compliquée de dégénérescence maligne située sur la face antéro-interne du genou, mesurant 10 cm de longueur sur 7 cm de largeur et 2 cm de profondeur.

L’infection osseuse chronique peut d’ailleurs à elle seule être considérée comme facteur de risque de dégénérescence maligne en cas d’ostéite de type II de Cierny-Mader [Cierny et al. (14)] où l’infection osseuse et la cicatrice instable sont étroitement liées. La durée d’évolution des lésions initiales jusqu’au diagnostic de dégénérescence carcinomateuse est longue, de l’ordre de 30 ans [Gebhart et al. (6), Sankaran-Kutty et al. (7), Mc Grory et al. (9), Look et al. (10), Arons et al. (11)].

a b

FIG. 3. – Patient nq 6. a et b) Aspect d’ostéolyse non spécifique lors d’une dégénérescence maligne sur ostéite chronique.

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FIG. 2. – Patient nq 7. Ulcération bourgeonnante, saignante et malodorante de 10 cm de diamètre à la face antéro-interne des 2 tiers inférieurs de la jambe gauche.

Dans notre série, ce délai moyen était de 43 ans avec des extrêmes allant de 19 et 68 ans. Dans la littérature comme dans notre série, il existe une très nette domination des localisations des ulcères de Marjolin sur ostéite chronique au membre inférieur [Sedlin et Fleming (3), Gebhart et al. (6), Sankaran-Kutty et al. (7), Mc Grory et al. (9)]. La fréquence des formes ulcérantes d’ostéite chronique du tibia explique cette prédominance. Dans leur série, Mc Grory et al. (9) rapportent 50 carcinomes épidermoïdes développés sur ostéite chronique : 44 (88 %) sont situés au niveau des membres inférieurs (dont 27 soit 54 % au niveau du tibia), 3 (6 %) au niveau de la ceinture pelvienne et 3 (6 %) au niveau des membres supérieurs. À partir de nos observations et des principales séries publiées, nous pouvons retenir comme fortement évocateurs de dégénérescence maligne d’une plaie chronique les signes cliniques suivants [Sedlin et Fleming (3), Gebhart et al. (6), Sankaran-Kutty et al. (7), Mc Grory et al. (9), Look et al. (10), Saglik et al. (13), Fishman et Parker (15)] : tendance hémorragique, saignement au contact, modification de la taille, de l’aspect, bourgeonnement, odeur nauséabonde accompagnant généralement une modification de l’aspect de l’écoulement, majoration des douleurs. Le meilleur signe d’appel est en fait toute modification de l’aspect habituel de l’ulcère, en principe bien connu par le patient et par le soignant habituel. Toutefois, lorsque le chirurgien est consulté au stade d’ulcération sur ostéite chronique, l’évolution péjorative récente est une notion difficile à affirmer. Il n’existe pas de signe évocateur de cancérisation sur le bilan d’imagerie (radiographies, tomodensitométrie, IRM). Les images d’ostéolyse étendue peuvent être en rapport

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a b c d

FIG. 4. – Patient nq 6. a) Aspect en TDM de l’extension osseuse du carcinome épidermoïde : tumeur au contact d’un os remanié par l’infection chronique. b) IRM montrant les limites de la tumeur mais précisant mal l’extension osseuse. c) Traitement conservateur : résection diaphysaire et greffe spongieuse. d) Recul 30 mois : consolidation, pas de récidive septique ou tumorale.

avec l’extension tumorale mais sont également fréquemment retrouvées dans les cas d’infections osseuses chroniques (fig. 3a, 3b et 4a). Les remaniements dus à l’infection perturbent l’interprétation des examens d’imagerie et limitent leur intérêt dans le diagnostic et le bilan d’extension locale des cancérisations de fistules ou d’ulcérations chroniques [Cappello et Donick (16)]. La biopsie est le geste essentiel qui permet le diagnostic. Cependant, il existe des faux négatifs avec la biopsie si celle-ci est réalisée sur des berges indemnes de dégénérescence. Un de nos patients (n° 4) avait eu une biopsie fragmentaire sur les berges de la plaie par prélèvements à la curette lors de la consultation. La zone biopsiée était indemne de dégénérescence et ce n’est que l’examen histologique complet de la pièce d’exérèse qui a affirmé le diagnostic. La biopsie doit comporter suffisamment de matériel et doit être réalisée sur toutes les localisations suspectes de la plaie pour augmenter sa productivité [Sankaran-Kutty et al. (7), Mc Grory et al. (9), Look et al. (10), Dereure et al.

(17)]. Il ne faut pas hésiter à renouveler les biopsies, voire réaliser une biopsie large sous anesthésie si, devant une lésion suspecte, aucun signe de dégénérescence n’a été retrouvé. En effet, au sein de ces lésions inflammatoires chroniques, il est parfois difficile pour l’anatomopathologiste de faire le diagnostic formel entre hyperplasie pseudoépithéliomateuse et carcinome épidermoïde [Dereure et al. (17), Wagner et Grande (18)]. Les tumeurs développées à partir d’ostéites chroniques sont généralement des carcinomes épidermoïdes ; ils représentent 94 % des cas de la série de Mc Grory et al. (9). La forme histologique la plus fréquente est le carcinome épidermoïde spino-cellulaire (5 cas sur 7 dans notre série). Chez 2 patients de notre série, il s’agissait d’un carcinome épidermoïde verruqueux, encore appelé « carcinome cuniculatum », qui aurait la particularité de se développer presque exclusivement au niveau du pied et de prendre l’aspect trompeur d’une verrue [Soong et Hughes (19)]. Nous n’avons pas retrouvé ces spécificités dans nos obser-

ULCÈRE DE MARJOLIN SUR OSTÉITE CHRONIQUE

vations. Elles sont peut-être plus propres aux ulcères de Marjolin développés sur ulcères vasculaires. Dans la littérature dermatologique ou cancérologique, le traitement préconisé est l’exérèse large emportant une zone de sécurité de plusieurs centimètres, dont la largeur dépend de la taille de la tumeur et de son évolutivité [Ames et Hickey (20), Barr et Menard (21)]. La radiothérapie, la chimiothérapie et l’immunothérapie ne sont pas efficaces en néo-adjuvant et sont plutôt utilisés en situation palliative dans les formes avec diffusion métastatique [Ryan et al. (22), Ikic et Padovan (23), Edwards et al. (24), Lippman et al. (25), Kirsner et Garland (26), Kirsner et al. (27), Sadat-Ali et Geeranavar (28)]. Le traitement de choix des ulcères de Marjolin sur infection osseuse chronique reste pour de nombreux auteurs l’amputation (dans environ 90 % des cas) [Gebhart et al. (6), Sankaran-Kutty et al. (7), Mc Grory et al. (9), Saglik et al. (13), Cappello et Donick (16), Dereure et al. (17), Sadat-Ali et Geeranavar (28), Berkwits et al. (29), Fleming et al. (30), Lifeso et al. (31), Bartnicke et al. (32), Blidi et al. (33), Smidt et al. (34)]. C’est, dans la littérature, le plus sûr moyen de traiter à la fois le cancer et l’infection. La place du traitement conservateur reste difficile à définir et la question est de savoir si l’on peut éviter l’amputation par une chirurgie d’exérèse large qui préserve la fonction du membre tout en étant carcinologique [Sankaran-Kutty et al. (7), Saglik et al. (13), Ueng et al. (35)]. Les impératifs de la chirurgie carcinologique des tumeurs de l’appareil locomoteur [Enneking (36), Campanacci (37, 38), Hermaneck et al. (39)] s’appliquent à ces lésions au même titre que pour les sarcomes, mais certaines différences sont notables. En effet, la notion de compartiment anatomique est difficile à appliquer à ces lésions pour apprécier l’extension tumorale, ce d’autant plus que la tumeur dans le cas présent est fistulisée. La chirurgie conservatrice semble indiquée pour les formes bien différenciées. En revanche, une forme peu différenciée et agressive peut faire discuter plutôt une chirurgie radicale, éventuellement associée à un traitement adjuvant [Sadat-Ali et Geeranavar (28)]. Un des problèmes est celui de l’étendue de la résection pour atteindre des marges saines. Dans cette série, les marges ont été appréciées selon les critères de Enneking (tableau II). La planification préopératoire des limites de résection des ulcères de Marjolin sur infection osseuse chronique est particulièrement difficile et l’apport de l’imagerie (tomodensitométrie, IRM) est très limité [Cappello et Donick (16)]. L’examen histologique extemporané paraît inutile, voire dangereux, car il est très difficile pour l’anatomopathologiste de faire un diagnostic de certitude au sein de lésions inflammatoires pouvant très bien ressembler à de la tumeur [Dereure et al. (17), Wagner et Grande (18)]. Il paraît plus raisonnable d’attendre l’examen définitif de la pièce d’exérèse, ce qui permet alors d’avoir une discussion collégiale avec l’anatomopathologiste et de prévenir le patient si une nouvelle orientation thérapeutique est décidée. Le curage ganglionnaire n’est pas indispensable en

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cas d’amputation, mais il se justifie en cas d’adénopathies persistantes plus de 3 mois après amputation selon Atlay et al. (40). Pour Sadat-Ali et Geeranavar (28), le curage ganglionnaire serait indiqué en cas de tumeur agressive (invasive, peu différenciée) avant traitement néo-adjuvant par radio-chimiothérapie. Le traitement chirurgical conservateur du carcinome épidermoïde sur infection osseuse chronique présente 3 difficultés techniques : la réalisation d’une exérèse large des lésions, l’excision des lésions infectieuses (lésions d’ostéite chronique et atteinte des parties molles) et la couverture cutanée. Ce traitement repose donc sur la résection large et les principes du traitement chirurgical des infections osseuses sur os continu associant excision, comblement de la cavité de résection et couverture cutanée [Lortat-Jacob (41)]. Lorsque la résection diaphysaire est nécessaire, la stabilisation est obtenue par fixateur externe et une greffe osseuse est associée. L’utilisation des lambeaux permet le comblement et la couverture cutanée de la zone d’excision. Dans notre expérience, au niveau de la moitié inférieure de la jambe, le lambeau fascio-cutané sural postérieur à pédicule distal est très fiable et a été utilisé 5 fois sur 7. Parmi ces 5 cas, 3 lambeaux ont permis une couverture complète avec cicatrisation per primam (patients n° 5, 6 et 7) et dans 2 cas, une amputation a été réalisée dans les suites pour des raisons carcinologiques (patients n° 2 et 3). Ce lambeau fascio-cutané sural postérieur à pédicule distal peut être utilisé seul ou associé à d’autres lambeaux (patients n° 3, 5 et 7). Le lambeau musculaire libre microanastomosé de grand dorsal est réservé aux pertes de substance très étendues. L’amputation conserve une place très importante dans le traitement des ulcères de Marjolin, lésions rarement découvertes à un stade initial peu évolué. Il faut tenir compte de la fonction qui sera restaurée en cas de sauvetage du membre après une chirurgie conservatrice aux suites parfois longues et la mettre en balance avec la fonction que donnerait rapidement un appareillage prothétique sur un moignon de bonne qualité après chirurgie radicale. Par ailleurs, le patient doit être informé qu’un programme chirurgical complexe conservateur avec résection, reconstruction osseuse et gestes plastiques de couverture ne le met pas à l’abri d’une récidive pouvant nécessiter une amputation secondaire (4 cas sur 7 dans notre expérience). Le pronostic global de l’ulcère de Marjolin est évalué dans la littérature à 65 à 75 % de survie à 3 ans [Gebhart et al. (6), Mc Grory et al. (9), Saglik et al. (13), Fleming et al. (30), Grenier et al. (42)]. Il est évidemment meilleur pour les carcinomes épidermoïdes bien différenciés, les plus fréquents, que pour les autres types anatomopathologiques moins différenciés. Pour un même type histologique, le seul élément dont on soit sûr qu’il influence le pronostic est l’existence ou non d’une extension à distance, métastase ganglionnaire ou viscérale, qui fait chuter la survie à 35 à 50 % à 3 ans [Gebhart et al. (6), Mc Grory et al. (9), Fleming et al. (30)]. Aucune étude ne permet de savoir

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T. BAUER, T. DAVID, F. RIMAREIX, A. LORTAT-JACOB

si la survie est améliorée par les traitements adjuvants en phase palliative. La prévention des ulcères de Marjolin développés sur ostéite chronique passe par une prise en charge correcte des infections osseuses. Les techniques de greffe osseuse à ciel ouvert et les cicatrisations dirigées doivent être abandonnées au profit de programmes thérapeutiques incluant d’emblée des gestes de couverture cutanée. D’énormes progrès ont été faits depuis plus de 20 ans dans la connaissance et l’utilisation des lambeaux fascio-cutanés locaux au membre inférieur. Leur utilisation est essentielle dans le traitement d’une ostéite chronique, elle permet une cicatrisation per primam avec des tissus de bonne qualité et évite ainsi les plaies chroniques avec cicatrice instable, fragile, friable qui fait le lit du carcinome épidermoïde.

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ULCÈRE DE MARJOLIN SUR OSTÉITE CHRONIQUE

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