3quel est votre diagnostic ?
Feuillets de Radiologie 2007, 47, n° 1,57-61 © 2007. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
Un abdomen distendu et météorisé chez une jeune femme Y. Geffroy 1, C. Teriitehau 1, M. Lahutte 1, A. Elkharras 1, F. Minvielle 1, J. Baccialone 1, D. Jeanbourquin 2 1. Service d’Imagerie Médicale, Hôpital d’Instruction des Armées Percy, 101, avenue Henri-Barbusse, 92141 Clamart. 2. Centre médico-chirurgical de la Croix-Rouge Française, Kourou, Guyane. Correspondance : Y. Geffroy, à l’adresse ci-contre. Email :
[email protected]
Observation Une jeune femme de 24 ans se présente aux urgences pour nausées sans vomissement accompagnées de douleurs abdominales diffuses. Celles-ci évoluent depuis 24 heures, initialement attribuées à un repas copieux sans consommation excessive d’alcool. Devant l’inefficacité manifeste d’un traite-
retrouve une patiente apyrétique avec un abdomen distendu, un météorisme majeur et une défense généralisée. Une sonde naso-gastrique rapidement mise en place ramène alors 2,5 litres d’un liquide noirâtre et épais. Devant ce tableau clinique préoccupant une tomodensitométrie abdominopelvienne avec injection de produit de contraste est pratiquée en urgence (fig. 1a, 1b et 1c).
ment symptomatique simple par antispasmodique et une majoration progressive des douleurs, la patiente se rend aux
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urgences. L’interrogatoire ne retient aucun antécédent médical, chirurgical ou psychiatrique notable. L’examen clinique
A
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C
Figure 1. A à C : Tomodensitométrie. Distension gastrique avec absence de rehaussement de la paroi de l’estomac, pneumatose pariétale prédominante sur la grande courbure. Aéroportie dans le tronc porte et dans le réseau porte intra-hépatique. Sonde gastrique en place. C : Plage hypodense mal limitée du processus unciforme du pancréas.
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Un abdomen distendu et météorisé chez une jeune femme
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Résultat Imagerie Les coupes tomodensitométriques réalisées au temps portal montrent une très importante distension hydro-aérique de l’estomac et du duodénum sans obstacle individualisable. Il s’y associe des signes de nécrose pariétale gastrique avec une absence de rehaussement de la paroi de l’estomac, une pneumatose pariétale prédominante sur la grande courbure ainsi qu’une aéroportie dans le tronc porte et surtout dans le réseau porte intra-hépatique (fig. 1a). Le pancréas présente
Figure 2. Nécrose gastrique partielle respectant l’antre.
quant à lui une plage hypodense mal limitée du processus unciforme avec infiltration de la graisse adjacente (fig. 1c), compatible avec une pancréatite focale, associée à un épanchement liquidien dans l’arrière cavité des épiploons. Les prélèvements biologiques confirmeront l’existence d’une pancréatite aiguë avec une lipasémie à quatre fois la normale.
Diagnostic Il s’agit d’une nécrose gastrique sur distension aiguë majeure de l’estomac avec pancréatite concomitante.
Devenir de la patiente La jeune femme a été conduite immédiatement au bloc opé-
Figure 3. Lésion nécrotique de la face postérieure de la tête du pancréas.
ratoire après le scanner où une fibroscopie œsogastrique a confirmé dans un premier temps l’existence d’une nécrose étendue de l’estomac intéressant l’ensemble de la grosse tubérosité et de la grande courbure, remontant jusqu’au cardia et semblant respecter l’antre. L’examen a retrouvé également une duodénite ulcérée non nécrotique et une œsophagite distale sans nécrose œsophagienne. La laparatomie a permis la visualisation directe de la nécrose gastrique (fig. 2) mais également de la lésion pancréatique décelée au scanner (fig. 3).
Les suites opératoires ont été satisfaisantes avec une reprise rapide du transit et une disparition totale de l’aéroportie sur le scanner de contrôle réalisé 4 jours après la chirurgie (fig. 5). L’enquête étiologique de la distension gastrique aiguë de cette jeune patiente est à ce jour négative et l’origine de la pancréatite concomitante inconnue (absence de lithiase vésiculaire à l’échographie réalisée quelques jours après la chirurgie, absence d’argument en faveur d’une pancréatite auto-immune…)
Une exérèse gastrique atypique respectant l’antre et réséquant la grande courbure de l’estomac (fig. 4) a été réalisée.
Discussion
L’analyse anatomopathologique de la pièce opératoire a
La nécrose gastrique est une entité peu fréquente, majoritairement décrite dans le cadre d’une complication d’un volvulus de l’estomac sur une hernie intra-thoracique [1]. De rares cas de nécrose gastrique survenue à l’occasion d’une distension aiguë de l’estomac ont été décrits dans la littérature, le plus souvent dans un contexte de troubles du comportement alimentaire à type d’anorexie, de boulimie ou de polyphagie psychiatrique [1-4].
retrouvé une nécrose de coagulation de toute l’épaisseur de la paroi gastrique sans autre lésion associée susceptible d’expliquer la dilatation gastrique et la survenue de la nécrose. L’analyse biologique et bactériologique du liquide gastrique n’a retrouvé aucun germe ni substance toxique susceptible d’expliquer le tableau clinique.
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Physiopathologie La dilatation gastrique aiguë provient en règle générale d’une distension mécanique de l’estomac d’origine aérique, alimentaire ou autre dans un contexte de polyphagie psychiatrique. À l’instar de notre patiente, de rares observations dans la littérature décrivent des cas de distension gastrique aiguë avec nécrose pariétale sans étiologie retrouvée [1].
Figure 4. Pièce opératoire. Gastrectomie partielle atypique respectant l’antre avec résection de la grande courbure.
Le mécanisme supposé de survenue de la nécrose et de la pneumatose gastrique est le suivant : la dilatation de l’estomac est responsable d’une congestion veineuse avec une réduction du flux sanguin dans la muqueuse et la sousmuqueuse. De petites brèches au sein de la muqueuse gastrique se formeraient alors en raison d’une sensibilité accrue à l’agression du contenu acide de l’estomac avec un passage d’air gastrique par ces brèches dans la sous-muqueuse ou la sous-séreuse [1]. Une nécrose gastrique peut cependant survenir sans dilatation de l’estomac, par exemple à l’occasion d’une ingestion de produits caustiques [5] ou en cas de gangrène gastrique bactérienne [6].
Imagerie Les examens d’imagerie doivent être réalisés sans délai après la mise en place d’une sonde gastrique. Un cliché d’abdomen sans préparation peut mettre en évidence une clarté linéaire soulignant les contours de l’estomac et déceler
Figure 5. Tomodensitométrie réalisée à J4 de l’intervention chirurgicale. Disparition totale de l’aéroportie.
Clinique Les premiers symptômes cliniques d’une dilatation gastrique aiguë ne sont pas spécifiques ; l’existence d’une distension abdominale, de nausées et de vomissements (même si ces derniers ne sont pas systématiquement présents) se rencontrent en effet dans de nombreuses pathologies abdominales de gravité variable. En revanche, la non sédation rapide de ces symptômes par un traitement symptomatique adapté et l’existence d’une douleur épigastrique voire d’une défense doit faire évoquer la possibilité d’une nécrose gastrique, en particulier en cas de trouble psychiatrique du comportement alimentaire : l’existence d’une anorexie, d’une boulimie, d’un retard mental profond [4] ou de syndromes plus rares comme le syndrome de Rett [2] ou de Prader Willi [3] doivent constituer des signaux d’alarme de risque de nécrose gastrique pour le clinicien.
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Figure 6. Topogramme. Distension gastrique majeure avec clarté linéaire soulignant la grande courbure de l’estomac. Formations serpigineuses de tonalité aérique en projection de l’hypochondre droit. Sonde gastrique en place.
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une éventuelle aéroportie associée prenant la forme de lignes serpigineuses de tonalité aérique en projection de l’hypochondre droit (fig. 6). Le scanner abdominal avec injection de produit de contraste est l’examen clé ; il met en évidence la dilatation gastrique (et éventuellement son étiologie), l’existence d’une pneumatose pariétale de l’estomac avec une absence de rehaussement partielle ou totale des parois gastriques et une éventuelle aéroportie associée, considérée comme un signe de gravité signant la nécrose transmurale dans les affections ischémiques aiguës du tube digestif [7].
Thérapeutique Un contexte clinique de dilatation aiguë de l’estomac doit conduire à la mise place sans délai d’une sonde naso-gastrique. Des arguments cliniques et tomodensitométriques de nécrose gastrique imposent la réalisation d’une laparotomie en urgence, le taux de mortalité étant estimé par certains auteurs à 100 % en l’absence de chirurgie (choc septique par perforation gastrique et péritonite) et entre 50 et 65 % après gastrectomie partielle ou totale. La réalisation d’une fibroscopie œsogastrique peropératoire apprécie l’existence d’éventuelles lésions œsophagiennes associées et permet au chirurgien de choisir entre l’exclusion temporaire de l’œsophage ou le rétablissement immédiat de la continuité digestive.
la majorité des cas dans un contexte de troubles du comportement alimentaire. La survie des patients implique une intervention chirurgicale dont la précocité conditionne en partie le pronostic. L’amélioration de la survie des patients passe donc par une prise en charge rapide multidisciplinaire ; des douleurs abdominales diffuses, persistantes, avec une distension abdominale anormale doivent alerter le clinicien, en particulier dans un contexte de polyphagie psychiatrique. Un scanner abdomino-pelvien avec injection de produit de contraste doit alors être réalisé sans délai, après mise en place d’une sonde naso-gastrique. La bonne connaissance des signes radiologiques de nécrose gastrique doit conduire à une laparotomie en urgence pour réalisation d’une gastrectomie partielle ou totale.
Références 1.
2.
3.
4.
5.
Conclusion La nécrose gastrique sur distension aiguë de l’estomac est une entité rare, potentiellement dramatique, qui survient dans
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6. 7.
Gomez MA, Blum L, Scotto B, Besson M, Roger R, Alison D. Nécrose gastrique sur distension aiguë sans contexte psychiatrique. J Radiol 2004; 85: 643-5. Baldassarre E, Capuano G, Valenti G, Maggi P, Conforti A, Prosperi Porta I. A case of massive gastric necrosis in a young girl with Rett Syndrome. Brain Dev 2006; 28: 49-51. Wharton RH, Wang T, Graeme-Cook F, Briggs S, Cole RE. Acute idiopathic gastric dilatation with gastric necrosis individuals with PraderWilli syndrome. Am J Med Genet 1997; 73: 437-41. Turan M, Sen M, Canbay E, Karadayi K, Yildiz E. Gastric necrosis and perforation by acute gastric dilatation: report of a case. Surg Today 2003; 33: 302-4. Ertekin C, Alimoglu O, Akyildiz H, Guloglu R, Taviloglu K. The results of caustic ingestions. Hepatogastroenterology 2004; 51: 1397-400. Dharap SB, Ghag G, Biswas A. Acute necrotizing gastritis. Indian J Gastroenterol 2003; 22: 150-1. Danse E. Imagerie des affections ischémiques aiguës du tube digestif chez l’adulte. EMC (Elsevier SAS, Paris). Radiodiagnostic. Appareil digestif, 33-340-d-10, 2005.
Un abdomen distendu et météorisé chez une jeune femme
3test de formation médicale continue
Qu’avez-vous retenu de cet article ? Testez si vous avez assimilé les points importants de cet article en répondant à ce questionnaire sous forme de QCM. 1. Parmi les étiologies ou les facteurs favorisant la survenue d’une nécrose gastrique, on peut citer : A : Le volvulus de l’estomac sur hernie intrathoracique ; B : Un antécédent de chirurgie anti-reflux ; C : L’existence d’un trouble psychiatrique du comportement alimentaire ; D : L’ingestion de produit caustique. 2. Parmi les affirmations suivantes, indiquez celle(s) qui sont vraie(s) : A : L’ASP et l’échographie sont les premiers examens à réaliser en cas de suspicion de nécrose gastrique sur distension aiguë de l’estomac ;
3. Concernant la prise en charge thérapeutique d’un patient présentant une nécrose gastrique sur distension aiguë de l’estomac : A : Une sonde gastrique doit immédiatement être mise en place dès la suspicion clinique ; B : Une nécrose partielle de la paroi gastrique peut bénéficier d’un traitement conservateur par aspiration et surveillance radiologique ; C : Le taux de survie est d’environ 90 % après gastrectomie partielle ou totale ; D : La fibroscopie peropératoire aide le chirurgien dans le choix de sa technique chirurgicale.
B : Le scanner doit être réalisé sans un second temps afin de guider le chirurgien dans le choix de sa technique opératoire ; C : Une acquisition hélicoïdale au temps artériel est nécessaire afin de bien apprécier l’étendue de la nécrose pariétale gastrique ; D : La présence d’une aéroportie est un signe de gravité signant l’existence d’une nécrose transmurale.
Réponses : p. 68
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