Un cas mortel de morsure de vipère chez un adulte en France

Un cas mortel de morsure de vipère chez un adulte en France

COMMUNICATION BREVE Un cas mortel d e morsure d e vip chez un a d u l t e en France re I~. BURES*, F. M,~LIN*, I~. FOURNIER**, M. CAPILLON**, R. R...

253KB Sizes 2 Downloads 154 Views

COMMUNICATION

BREVE

Un cas mortel d e morsure d e vip chez un a d u l t e en France

re

I~. BURES*, F. M,~LIN*, I~. FOURNIER**, M. CAPILLON**, R. ROBERT*

R~sum~-- Les morsures de vip~res sont consid~r~es en France comme b~nignes.

Nous rapportons I'observation d'une envenimation importante survenant chez une femme jeune sansantecedent, cond uisant au d~c~s dans u n tableau d'hypox~mie r~fractaire avec collapsus. Cette observation pourrait faire rediscuter I'int~r~t de la s~roth~rapie antivenimeuse dans les formes graves ~ condition que la bonne tolerance des nouvelles preparations antivenimeuses soit confirm~e. Mots-cl~s : MORSURE DE VlP/ZRE - - ENVENIMATION MORTELLE - - SERUM ANTIVENIMEUX. Rev M e d Interne 1993 ; 14 : 174-176.

INTRODUCTION L'incidence des morsures de vip~re est estimOe ~ 500000 par an tous pays confondus, dont 10 p.cent sont mortelles. En France, elles sont consid~r~es comme peu s~v?~res.Cependant les statistiques de ['INSERM r~pertorient 21 d~c~s entre 1982 et 1989, contrastant avec I'absence de cas morte[ publi~ chez I'adulte notre connaissance. Nous rapportons ici I'observation d'un cas mortel.

OBSERVATION Une femme-de 43 ans, sans antecedent, est mordue par une vip~re ~a la face interne du pied gauche. Un quart d'heure plus tard, elle pr~sente des douleurs abdominales, des vomissements, un malaise et une urticaire. Une heure apr~s sa morsure, elle est hospitalisOe en r~animation. A I'arriv~e, il existe un ~tat de choc et elle pr~sente une diarrh(~e et des vomissements. Localement il existe un oed?~me de la face dorsale du pied gauche et des ecchymoses. On distingue nettement les points de morsure. On constate enfin un oed~me de la langue et une urticaire de la face. Le traitement initial comporte : Calciparine* autour de ]a morsure, un bolus de 120 mg de Solum(~drol*, 0,25 mg d'Adr~naline* et 50 mg d'H(~parine* en intra-veineuse directe. Une antibioth~rapie par P~nicilline G* et Flagyl* est d~butOe ; les vaccinations sont h jours. Apr~s une amelioration transitoire, les troubles h6modynamiques r~apparaissent n6cessitant un remplissage vasculaire et de nouvelles injections d'Adr~naline*. Les

* Service de ROanimation MOdicale ; 86000 POITIERS. ** Service d'AnesthOsie-ROanimation ; 86100 CHA TELLERAULT.

Correspondance : Dr I~. BURES i Service de R~animation MOdica[e ; CHRU ; 86021 POITIERS COdex. T~I. : 49.44.43.67.

174

P~.BURES et coll.

signes g~n6raux s'amendent mais I'oed~me s'~tend vers les Iombes puis la face ant~rieure du thorax avec formation d'un h~matome. A J2 I'aggravation se poursuit avec apparition d'une insuffisance r(~nale aiguO oligoanurique (cr~atinin~mie 5, 266 ~mol/I) et de troubles de coagulation : TP = 25 %, Facteur V = 60 %, fibrine = 0,6 g/I, plaquettes = 100000/mm 3. II existe une h~molyse avec haptoglobine < 0,1 g/I. Malgr6 le traitement symptomatique comportant un remplissage vasculaire important (4000 ml/j dont la moiti~ en solut~ macromol~culaire), I'~tat h(~modynamique reste instable, les troubles de coagulation et I'insuffisance rOnale aigue se majorent. La malade est transferee J4 dans notre service. A I'arriv~e, la malade est polyn61"que, sa voix est nasonn~e. L'ced?~me est majeur d~passant [e thorax, atteignant le cou. Sur [a radio de thorax on observe des opacit~s r(~ticulo-nodulaires diffuses. La malade est intub~e et ventil~e artificiellement. Malgr~ cela, les gaz du sang montrent une PaO2 A 8KPa sous 60 p.cent de FIO2. La kaliOmie est ~a5 mmol/ I e t les CPK ~a 15000 UI/I. Les troubles de I'h~mostase nous font poursuivre I'H~parine h dose isocoagulante (40 mg 2 fois 6 heures d'intervalle). Au cath~t~risme droit les pressions sont mod~r~ment ~lev6es (pressions moyennes : oreillette droite = 10 mmHg ; art~re pulmonaire = 20 mmHg ; capillaire 16 mmHg ; art&ielle 25 mmHg), la fr~quence cardiaque est ~a95/ran et le d~bit cardiaque est conserv~ ~ 5 I/min. Apr~s remplissage par 100 ml de s~rum albumine ~ 20 p.cent, la pression art6rielle pulmonaire moyenne ~tait A 29 mmHg sans am61ioration de la pression art~rielle moyenne. Une h~mofiltration veinoveineuse est d~butee. Mais I'~volution se fair en quelques

Regu ]e 21-4-1992 Renvoi pour correction le 11-6-1992 Acceptation d6finitive le 11 9-1992

La Revue de M~decine Interne Mars

heures vers le d(~c?~s dans un tableau d ' h y p o x 6 m i e r6fractaire associ6e ~ un collapsus r6sistant ~a de fortes doses d'Adr~naline* et de Dopamine*. La dOtermination de la venin6mie le jour de son admission (m6thode ELISA, Institut Pasteur, France) montrait un taux tr~s ~lev6 de venin sup6rieur 100 ng/ml.

DISCUSSION Dans la r~gion Poitou-Charentes, les seu Is reptiles responsables d'envenimation sont ]es viperidae berus (V. Berus) et viperidae aspis (V. Aspis)(1 ). El les surviennent entre avril et septembre avec un pic les mois d'~t~. II est difficile de pr~ciser la fr~quence des morsures de vip~re en France. On estime le nombre des morsures 300 par an avec une fr~quence de 3/100000 habitants (1). Si 80 % sont asymptomatiques en dehors d'un ced~me Iocalis~, 10 ~20 p.cent peuvent se compliquer d'envenimation (2). En France 21 cas mortels ont (~t6 recens(~s par I'INSERM entre 1982 et 1989. Ceci contraste avec I'absence de cas pu bli~s, ~anotre con naissance, chez I'adulte ces 20 derni&es ann~es. Dans les formes habituelles la symptomatologie est r~duite aux signes Iocaux qui apparaissent en quelques minutes. Deux traces de crochet sont visibles, s~par~es de 6 h 10 mm. Un oed~me douloureux s'installe rapidement pouvant remonter jusqu'~ la racine du membre. L'apparition d'ad~nopathies pouvant Ovolue r vers la suppuration ou I'abc6dation est possible ainsi que la n~crose de la zone mordue (1,2). Dans les formes plus s~v?~res, il existe des signes g6n6raux et digestifs. II s'agit de douleurs abdominales, parfois pseudo-chirurgicales, et d'une diarrh~e profuse associ~e ~ades vomissements. IIs peuvent ~tre responsables de troubles ioniques et d'hypovol~mie (1,3). Les signes cardiovasculaires sont dominos par I'hypotension pouvant aller jusqu'au collapsus. II peut s'agir d'une r~action vagale initiale, d'un choc anaphylactique avec urticaire ou encore d'un choc hypovol(~mique dfi aux pertes digestives et ~ la fuite capillaire (1). Apr~s envenimation par V. Berus, ont ~t(~ d~crits des troubles de conduction et d'authentiques infartus (1,4,5). Le syndrome ced6mateux est quasi constant, il est prOcoce, douloureux rapidement extensif, tendu, ne prenant pas le godet (1). La peau est livide et froide. II d~bute au niveau de la morsure pouvant s'(~tendre rapidement ~ tout le membre, I'abdomen, le pOrin~, r~alisant au maximum un v~ritable anasarque avec 6~panchement des s~reuses. Paradoxalement les complications vasculo-nerveuses ~ type de compression sont exceptionnelles. L'insuffisance rOnale est le plus souvent la consequence de I'hypovol~mie mais peut 6galement ~tre due la CIVID (6,7). En 1976 Reid (8) a r~pertori~ des signes de gravit~ gles morsures survenant dans d'autres pays : hypotension art6rielle persistante malgr~ un remplissage, leucocytose sup&ieure 20000, pH < 7,20, modifications ~lectrocardiographiques, augmentation de [a cr~atinin~mie ou des CPK sanguines, troubles de coagulation d6butant moins de deux heures apr?~sla morsure. Ces crit?~res peuvent Otre appliques aux morsures de vip~res graves en France. On peut rajouter la rapiditO d'installation et I'intensit~ de I'oed~me. En France des formes compliqu~es d'insuffisance r~nale ou d'oed~me pulmonaire ont 6t~ rapport6es (1,2,6). Chez I'enfant la morsure est plus grave et peut conduire au d(~c~s. Celui-ci survient autour du 3~e jour par oed?~me pulmonaire I~sionnel avec hypox6mie rOfractaire (9). Dans notre observation, le d~c~s est li~ d'une part h I'oedOme pulmonaire d~ aux troubles de perm~abilit~ capillaire, major~ par un remplis-

1993 - Tome X I V Num£ro 3

sage important, d'autre part ~ des troubles h6modynamiques dont le mOcanisme prOcis ~ J4 est difficile ~ affirmer. Le traitement symptomatique comporte I'immobilisation du membre mordu afin de diminuer la douleur et la diffusion du venin, la prescription d'antalgiques, d'antibiotiques, et de la vaccination antit6tanique. Le choc anaphylactique, n~cessite I'administration d'Adr~naline*. La pr6sence d'une insuffisance r(~nale fonctionnelle n6cessite un remplissage souvent abondant. L'H@arine* a ~t~ consid&~e comme traitement de choix des morsures de serpent (2). EIle est actuellement discut~e dans ses modalit~s et dans ses indications (10). Dans un essai contr61~ r(~alis~ en Birmanie on note une fr~quence 61ev6e de complications h~morragiques dans le groupe trait~ par H~parine* (11). D'autres estiment que I'h6parinoth~rapie n'a aucune influence sur I'~volution de I'oed~me et des ecchymoses (3). Enfin la corticoth&apie a 6t6 abandonn~e par la plupart des auteurs. La s~roth~rapie anti-venimeuse (SAV) n'est pas discut~e dans les pays o~ les morsures de serpent sont source de mortalit~ i mportante malgrO les complications qu'el le peut entra~ner (12,13). En Europe, elle a ~tO abandonnOe chez I'adulte h la suite d'accidents anaphylactiques mortels et la plupart des auteurs la consid?~rent comme plus dangereuse que la morsure (3,13). Dans les pays o~ la s(~roth6rapie est pratiqu6e la fr~quence des allergies est de 3,7 p.cent. Un cas mortel a ~t~ signa]~ dans une ~tude portant sur 1000 malades entre 1932 et 1977 (14). L'utilisation de la s(~roth@apie pourrait cependant ~tre r~valu~e avec les nouvelles preparations moins allergisantes actuellement commercial isOes. En France o~ 180000 doses environ de SAV sont d istribu6es chaque annie (1), aucun accident mortel n'a ~t~ r6pertori~. Cependant, la fr~quence des accidents allergiques est difficile 6valuer car routes les doses ne sont pas utilisOes et les r~actions secondai res ne sont pas forc~ment signalOes. Cederholm et Lennmarken rapportent I'utilisation de la s@oth6rapie chez trois enfants atopiques sans effet secondaire (15). Chez I'enfant, le SAV administr~ par voie veineuse est actuellement pr6conis(~ en cas d'envenimation grave. Enfin Persson et Irestedt pr~conisent I'utilisation du SAV en cas d'envenimation grave ce qui permet de plus une r~duction s i g n i f i c a t i v e de la dur~e d'hospitalisation (16). En conclusion, la fr~quence r6elle des formes graves et mortelles de morsures de vip?~re en France est difficile h pr~ciser. L'observation de 1'6volution mortelle rapport(~e ici pourrait amener ~ rediscuter la place de la s@oth~rapie anti-venimeuse dans les formes s~v&es, ~ condition de confirmer la bonne tolOrance et I'efficacit~ des nouvelles pr6parations.

Summary- - A fatal case of vipere bite in adult in France. Vipera bites in France are supposed to be benign. We report here, the case of a snake bite with fatal outcome due to hypoxemia and shock, occuring in a young woman without previous disease. This case could lead to revaluate the indication of antivenimous serotherapy in the severe envenomations. However the tolerance of the new serums has to be confirmed.

Keywords : SNAKE BITE-- FATAL ENVENOMATION - ANTIVENIMOUS SEROTHERAPY.

Un cas mortel de morsure de vipOre chez un adulte en France

175

BIBLIOGRAPHIE 1. BedockB, Blanc PL, Lassonnery-JayS. Morsures de vipEres en France, prise en charge et traitement des formes graves. R~animation M6decine d'Urgence, Paris, Expansion Scientifique 1989 ; 8-23. 2. Bismuth Cp Gamier R. L'h~parinisation ]ors des morsures de vipEres. Concours Med 1984 ; 14 : 4081-3. 3. Blettery B, Coppeaux M, Viro] C, Aube H, Chagne F. Les morsures de vipEres : 6rude ~pid6miologique et th&apeutique, ~tude r6trospective sur 6 ans. Concours Med 1984 ; 14 : 1243-5. 4. Nayak KC, Jain AK, Sharda DP, Mishra SN. Profile of cardiac complications of snake bite. Indian Heart J 1990 ; 3 : 185-8. 5. Moore QS. Second degree heart block associated with envonomation by vipera berus. Arch Emerg Med 1988 ; 5 : 116-8. 6. Sainty JM, Durand-Gasselin R, Jean PH, Van Graver P. Deux cas d'insuffisance r6na]e aigu~ apr~,s morsure de vip&e aspic. ] Tox Clin Exp 1987 ; 5 : 347-55. 7. Cohen II, Harrington JT, Kassirer IP, Madias NE. Snake bite induced acute renal failure in India. Kidney Int 1989 ; 35 : 891-907. 8. Reid HA. Adder bites in Britain. Brit Med J 1976 ; 2 : 153-6.

176

E. BURES et coll.

9.

Lachaux A, Florety D, Hartemann E, BerthierC, Armand JP. Les formes mortel[es d'envenimation par les vip~res en France. Apropos de 3 cas p6diatriques. JRUN 1990 ; 4 : 249-51.

10. Myint-Lwin, Tin-Nu-gwe, Myinl-Aye-Mu, Than-Than, Thein-Than, Tun-Pe. Heparin therapy in Russel's viper bite with impending DIC. Southeast Asian ] Trop Med Pub Health 1989 ; 2 : 271-6.

11. Myint-lwin, Warrel DA, Phillips RE, Tin-Nu-gwe, Tun-Pe, Maug-Maug-Lay. Bite in Russel's viper in Burma : haemostatioc, vascular and renal distrubances and response to traetment. Lancet 1985 ; 2 : 1259-64. 12. Reid HA. Antivenom reaction and efficacity. Lancet 1980 ; 2 : 1024-5.

13. Claud B, Chagne A, Tourret J. Les morsures de vip&es. Apropos de 50 cas. Cahiers d'Anesth~sie 1989 ; 4 : 259-64. 14. Gilon D, Shaler O, Benbassat J. Treatment of envenomation by ecchis coloratus : a decision tree. Toxicon 1989 ; 10 : 1105-12.

15. Cederho]m I, Lennmarken C. Vipera berus bites in children. Experience of early antivenom treatment. Acta Ped Scand 1987 ; 76 : 682-4. 16. Person H, Irestedt B. A study of 136 cases of adder bite treated in Swedish hospital during one year. Acta Med Scand 1981 ; 210 : 4133-9.

La Revue de M~decine Interne Mars