Éditorial
Un choix éclairé, mais autonome Timothy Rowe, MB BS, FRCSC Rédacteur en chef
L
’obtention du consentement éclairé concernant les interventions médicales se fait souvent à la sauvette. En effet, les urgences médicales donnent rarement l’occasion de discuter des ramifications possibles d’une intervention essentielle. Dans des situations pareilles, il se peut qu’on n’ait que le temps de dire au patient (ou à son délégué) quelle mesure doit être mise en œuvre pour lui sauver la vie. Peu de gens diraient qu’il s’agit d’un consentement éclairé en bonne et due forme; toutefois, lorsque la seule possibilité en vue est un désastre ou la mort, il n’y a pas de quoi se plaindre. On considérerait plutôt le consentement éclairé comme étant un consentement obtenu après la tenue d’une consultation de nature « directive » auprès de la patiente; si celle-ci ne permet pas la pratique de l’intervention recommandée, les conséquences de l’inaction seront (du point de vue du fournisseur de soins) considérablement plus graves. Cela étant dit, dans la plupart des cas, le consentement éclairé se doit d’être obtenu de façon « non directive » et c’est là que les choses se brouillent. Il est raisonnable de supposer qu’un médecin ou tout autre fournisseur de soins qui recommande un traitement donné à une patiente le fait uniquement après avoir soupesé les différentes possibilités. Il peut être compliqué d’expliquer le processus d’analyse des options; à cela s’ajoute la nécessité de s’assurer que la patiente est tout aussi consciente des risques et des avantages que la personne qui cherche à obtenir son consentement. Dans ce contexte, il est très tentant d’écourter le processus en mettant l’accent sur l’issue souhaitée et d’abandonner toute tentative d’agir de façon non directive.
Le consentement : Guide à l’intention des médecins du Canada1, publié par l’Association canadienne de protection médicale, offre certains conseils aux médecins qui se sentent à la dérive. Bien qu’utile, ce guide ne fournit pas des conseils approfondis : par exemple, au moment J Obstet Gynaecol Can 2012;34(3):221–222
d’essayer d’expliquer la différence entre un risque et un risque « important », le guide est forcé de conclure que « même les risques qui sont peu fréquents, mais dont la gravité éventuelle est élevée, devraient être divulgués ». « La situation particulière du patient » est reconnue comme étant un facteur majeur au moment de déterminer jusqu’où l’on devrait pousser la discussion. C’est à ce stade-ci que la subjectivité fait son apparition et que la bonne volonté du médecin ou du fournisseur de soins dans sa façon de diriger la prise en charge (c’est-à-dire avoir l’intérêt du patient à cœur) devient essentielle. Nous ne devons pas sous-estimer à quel point il est facile d’orienter le choix de la patiente. Même si nous avons l’impression d’être impartiaux, il est très facile d’orienter subtilement la discussion. Dans la série comique Yes, Prime Minister de la BBC2, Sir Humphrey Appleby, bureaucrate rusé et combinard, a montré comment il est possible de faire en sorte que le public se positionne des deux côtés d’un même argument, et ce, sans faire d’entorse à la logique. Dans ce cas particulier, la question portait sur le retour possible du service militaire national. Lorsque les sondeurs ont demandé aux gens (sans leur laisser le temps de penser) s’ils étaient d’avis qu’il y avait un manque de discipline et de formation dans les écoles, s’ils croyaient que les jeunes apprécieraient d’avoir de la structure et du leadership dans leur vie, et s’ils croyaient que les jeunes savaient relever des défis, la majorité des gens ont répondu « oui » sans hésitation. Et pour ne pas donner l’impression de se contredire, ils ont aussi répondu « oui » à la quatrième question, qui portait sur le retour du service militaire national. Par contre, lorsque l’on a demandé aux participants s’ils étaient préoccupés par les dangers de la guerre, s’ils étaient déçus par la prolifération de l’armement, s’ils voyaient un danger à donner des armes à feu aux jeunes et à leur enseigner à tuer, et s’ils croyaient qu’il était déraisonnable de forcer des gens à prendre les armes contre leur gré, la plupart des participants ont répondu « oui » à chacune des questions, et ce, sans hésitation. Ils se sont ensuite sentis obligés de répondre « oui » lorsqu’on leur a MARCH JOGC MARS 2012 l 221
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demandé s’ils s’opposaient au retour du service national. Par la suite, les décideurs n’ont révélé que les réponses à la dernière question, en fonction de la position qu’ils défendaient par rapport à la question. Cet exemple, qui se voulait un portrait cynique de la bureaucratie gouvernementale, montre comment le contexte dans lequel des questions importantes sont posées peut avoir une influence directe sur les réponses. Demander à une personne présentant une appendicite aiguë la permission d’extraire son appendice est une chose; demander à une femme finalement enceinte après de nombreuses années d’infertilité la permission de pratiquer un examen effractif sur son fœtus est une toute autre affaire. Demander à une femme la permission de pratiquer une intervention « ne s’inscrivant pas dans le cours normal des choses » pendant la grossesse est l’une des négociations les plus complexes à mener dans le domaine de la médecine. La directive clinique de la SOGC intitulée « Dépistage prénatal de l’aneuploïdie fœtale en ce qui concerne les grossesses monofœtales »3, publiée en juin 2011, recommande que l’on offre à toutes les femmes enceintes canadiennes, dans le cadre d’un processus de counseling éclairé et non directif, de subir un dépistage de l’aneuploïdie chez le fœtus. Dans le présent numéro du JOGC, Meredith Vanstone et coll. se demandent, avec raison, s’il est même possible d’offrir un counseling non directif4. Ils soulignent le fait que l’offre (gratuite) d’un dépistage prénatal peut laisser entendre que la patiente devrait accepter la recommandation d’un dépistage prénatal. De manière à assurer le maintien du caractère « non directif » du counseling dans ce contexte difficile, les auteurs proposent un modèle de counseling hybride s’inspirant de deux approches : dans le premier cas, le conseiller ne participe aucunement à la prise de décision relativement au dépistage prénatal; dans le deuxième cas, il prend part au processus de prise de décision tout en reconnaissant l’influence de ses valeurs et
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de son expérience. Dans le modèle proposé, le clinicien consulté prend part au processus de prise de décision sur demande, mais n’offre aucune recommandation. La capacité d’un tel modèle hybride à mener à une amélioration des issues demeure inconnue; les auteurs reconnaissent que cela exigerait vraisemblablement davantage de temps de la part du clinicien. La prise d’une décision nécessitant un consentement éclairé peut aussi être rendue plus compliquée par un problème de langue entre la femme et son conseiller5, préoccupation omniprésente au sein d’une société multiculturelle. De mon point de vue, toutefois, ce modèle hybride est logique. Comme un ami (qui est juge) me l’a fait remarquer, cette approche nous aide à nous rappeler que nous traitons nos patients le mieux lorsque nous les traitons comme si nous traitions nos meilleurs amis et que nous leur offrons tous les renseignements auxquels nous aimerions que nos meilleurs amis aient accès. À partir de là, nous devons avoir confiance en leur jugement. RÉFÉRENCES 1. Evans KG. Le consentement : Guide à l’intention des médecins du Canada. 4e éd. Ottawa, ON : Association canadienne de protection médicale; 2006. Disponible : http://www.cmpa‑cpm.ca/cmpapd04/docs/resource_files/ ml_guides/consent_guide/pdf/com_consent-f.pdf. Consulté le 2 janvier 2012. 2. Lynn J, Jay A. The Complete Yes Prime Minister. BBC Books, Londres;1989:106–7. 3. Chitayat D, Langlois S, Wilson R. Dépistage prénatal de l’aneuploïdie fœtale en ce qui concerne les grossesses monofœtales. J Obstet Gynaecol Can 2011;33:736–53. 4. Vanstone M, Kinsella EA, Nisker J. Information sharing to promote informed choice in prenatal screening in the spirit of the SOGC clinical practice guideline: a proposal for a hybrid model. J Obstet Gynaecol Can 2012;34:269–75. 5. Clark S, Mangram A, Ernest D, Lebron R, Peralta L. The informed consent: a study of the efficacy of informed consents and the associated role of language barriers. J Surg Educ 2011;68:143–7.