Un dossier : le temps « au présent » du bébé

Un dossier : le temps « au présent » du bébé

Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 53 (2005) 1–2 http://france.elsevier.com/direct/NEUADO/ Éditorial Un dossier : le temps « au prése...

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Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 53 (2005) 1–2 http://france.elsevier.com/direct/NEUADO/

Éditorial

Un dossier : le temps « au présent » du bébé Avec un bébé, chacun sait qu’il faut prendre du temps pour être avec lui, être « en contact » avec lui, le rencontrer, partager une expérience. Mais quel rôle joue le temps pour le bébé ? Comment se repère-t-il dans ses rencontres et dans son histoire ? Comment construit-il ses expériences de la temporalité ? Si le temps est une contrainte imposée du dehors, il est aussi intrinsèque à toute expérience. Il n’y a pas d’expérience subjective, ni même d’expérience perceptive, sensorielle, sans dimension temporelle. Daniel Stern fait même du temps quasiment un sixième sens. Quelle est cette expérience du temps chez le bébé, dont un certain nombre de travaux reconnaît les capacités très précoces de percevoir la temporalité, l’organisation temporelle, les séquences temporelles ? Quelle est l’expérience du temps dans le présent, dans le « moment présent », comme dit Daniel Stern ? Quelles sont les limites de ce moment présent ? On peut décrire différentes figures de la temporalité : • une première est celle de l’alternance présence–absence, avec la rythmicité que peut supposer cette expérience, et qu’elle doit contenir pour atténuer son impact potentiellement désorganisateur. Quel est le temps pendant lequel l’absence est supportable pour le bébé ? À partir de quel temps celle-ci est-elle désorganisatrice ? • Une autre figure du temps à laquelle sera confronté le bébé, ou qu’il va construire, est bien sûr celle de la chronologie, de l’histoire, de son histoire subjective. Comment le bébé se saisit-il du temps, de son temps ? • Une troisième figure de la temporalité concerne l’expérience présente proprement dite. Elle va caractériser le mouvement de l’expérience, la trajectoire de tension dramatique de l’expérience. L’expérience subjective aura une forme, déroulée dans le temps. C’est ce que décrit très bien Daniel Stern, par exemple, avec ses notions de « contour de vitalité », ou bien d’« enveloppe prénarrative », qui rendent compte des plus petites unités d’expérience subjective, des premières formes de pensée ou des premiers éléments cohérents qui vont constituer les processus élaborés de la pensée et de la narration. Comment le bébé se saisit-il de ces moments présents et construit-il ses premières expériences narratives ? Trois étapes ponctueront la réflexion de ce dossier : les premiers articles exploreront la temporalité précoce et les conditions de sa saisie (D. Mellier, A. Ciccone, S. Missonnier) ; les suivants s’attacheront à décrire les formes précoces de psychopathologie de la temporalité, avec leurs implica0222-9617/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.neurenf.2005.01.003

tions préventives et thérapeutiques (A. Guedeney, C. Trevarthen) ; les derniers, enfin, rendront compte des enjeux cliniques de ces perspectives (M. Picco, J. Rochette). 1. Au fondement de la temporalité : intrigue, rythme et anticipation La vie psychique semble jouer le rôle d’un véritable « attracteur » pour le bébé. Selon Daniel Stern le bébé peut entrer dans une véritable intrigue avec son partenaire, et ceci bien avant de parler. Denis Mellier montre ainsi que cette attention à la vie psychique, comme à son corps et au monde qui l’entoure, dépend de cette rencontre avec le temps d’un autre, présent et humain. Avec l’expérience dite de « la spatule » Winnicott avait souligné l’intensité de la rencontre du bébé avec son propre désir. Pour le bébé ce temps « au présent », avec l’autre, conditionnerait l’instauration d’une pensée de l’absence. La rythmicité est devenue un baromètre pertinent pour évaluer la densité de cette rencontre. Albert Ciccone développe particulièrement ce point de vue. La rythmicité garantit le développement de la pensée par l’illusion de continuité qu’elle assure, et qui permet de soutenir les inévitables discontinuités. La discontinuité n’est maturative que sur fond suffisant de continuité. Et la rythmicité des expériences, avec l’anticipation qu’elle permet, assure un fond de continuité et une base de sécurité. Celle-ci se tisse au présent des expériences interactives et intersubjectives, qui contiennent déjà de la discontinuité et de l’absence. Sylvain Missonnier voit dans l’anticipation la possibilité de faire des ponts entre des temps différents, et entre le bébé et ses parents. Cette « virtualité » de l’autre donne un sens nouveau aux processus bien connus des interactions précoces décrits par nos aînés. 2. Retrait et résonance, deux issues opposées La psychopathologie précoce montre que le temps psychique peut s’arrêter, devenir circulaire ou se rigidifier. Comment alors le soin peut-il avoir un sens pour le bébé et sa famille ? Comment les processus de symbolisation précoce peuvent-ils être envisagés ? Si du point de vue externe le retrait constitue une forme évidente, mais polysémique, de la pathologie précoce, le bébé continuerait cependant de rester réceptif aux rythmes de la présence humaine.

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Éditorial / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 53 (2005) 1–2

Antoine Guedeney nous indique comment les comportements de retraits représentent les différentes voies possibles qui s’offrent au bébé pour ne pas rester dans le temps « au présent » avec l’autre. Il a développé une échelle d’évaluation très précieuse pour les soignants (l’ADBB) qui se trouvent « en première ligne » avec les mères et leur nourrisson dans les consultations en PMI. Colwyn Trevarthen montre comment l’enfant autiste, derrière son retrait, reste au fond de lui très réceptif à cette sorte de rythmicité potentielle d’une rencontre avec l’autre. Si son modèle repose sur une conception naturaliste de la psyché, ses recherches montrent clairement l’existence d’une intersubjectivité primaire, condition même de tout ce travail psychique au temps présent de l’autre.

3. La clinique périnatale face à l’inconnu La période périnatale est particulièrement intéressante pour explorer la valeur des processus de pensée. Michel Picco montre que la femme enceinte recourt à la pensée pour se maintenir présente face au surgissement de l’inconnu et à la violence potentielle de la naissance. Dans le post-partum, ce même travail devra se poursuivre pour que le temps de la mère puisse se mailler à celui de son bébé. Joëlle Rochette montre la complexité de cette mise en rythme des attentions. Le temps du socius est ici appelé à la rescousse, et nos institutions interrogées dans leur fonction d’assurer, par leur pérennité, la possibilité d’un temps « au présent » pour le bébé. Cette perspective permet d’envisager sous un jour nouveau nos dispositifs de soins. Ceux-ci tirent en partie leur valeur symbolisante de cette fonction d’arrière-

fond, toujours là, limitée mais constante, et nécessaire à toute voix, à toute mise en rythme. Ce dossier n’a pas la prétention d’apporter une réponse exhaustive aux questions posées, il témoigne seulement d’une nette inflexion de la clinique et de nos repères théoriques. La temporalité propre à la vie psychique du bébé se met au travail « en rythme » grâce à la présence de la vie psychique d’un autre et de plus d’un autre. Cette perspective fait écho aux efforts pour maintenir vivante la temporalité psychique dans tout travail d’accueil, d’accompagnement ou de soin avec des enfants ou des adultes. Les souffrances les plus primitives qui font appel aux niveaux les plus archaïques de la psyché mettent souvent en échec nos dispositifs et notre disponibilité psychique. Le temps « au présent » est l’un des endroits privilégiés d’élaboration de ces souffrances. La résonance ou la sympathie (au sens étymologique employé par C. Trevarthen) voire la compassion constitue un mode ou un état de relation préalable à toute « utilisation » de l’objet, au sens de Winnicott, préalable à toute entrée dans un monde relationnel où l’autre est perçu et investi dans son altérité. A. Ciccone D. Mellier Centre de recherches en psychopathologie et psychologie clinique, université Lumière, Lyon-II, CP 11, 69676 Bron cedex, France Adresses e-mail : [email protected] (A. Ciccone). [email protected] (D. Mellier).