Rev M6d Interne 2002 ; 23 Suppl 2 : 244-6 © 2002 l~ditions scientifiqueset m6dicalesElsevierSAS.Tous droits r6serv6s
Un homme du voyage.., immobilis6 A. C 6 c i l l e 1, L. N a h u m 2, L. M a i s o n n e u v e 1, Y. L a n o e 2, M . E L e P e n n e c 1 1Laboratoire de biologie, hOpital R. Ballanger, 93602 Aulnay-sous-Bois, France ; 2service de neurologie, hOpitaI R. Ballanger, 93602 Aulnay- sous-Bois, France
Expert-consultant: P. Philippe Service de m~decine interne, HSteI-Dieu, CHU, BP 69, 63003 Clermont-Ferrand cedex 1, France
FAITS C L I N I Q U E S Un homme de 44 ans est admis le 16 juillet 2001 pour un d6ficit moteur pattie1 du membre sup6rieur gauche et une par6sie des deux membres inf6rieurs. Cet homme fait pattie des gens du voyage et vit entre Espagne, Roumanie et kalie. Le 13 juin 2001, en Roumanie, il a manifest6 un premier 6pisode de c6phal6es violentes et de vomissements dans un contexte f6brile avec syndrome confusionnel. Apr~s r6gression partielle des sympt6mes est apparu un 6pisode m6ningoenc6phalitique en Italie ayant conduit son hospitalisation du 27 juin au 14 juillet 2001. Le scanner c6r6bral 6tait normal et I'IRM enc6phalique r6v61ait un hypersignal bilatdral non sp6cifique en T2 du noyau caud6 et du putamen. Apr~s des troubles de vigilance d'environ 4 jours (pas de n6cessit6 d'intubation, ni de ventilation), il est constat6 un d6ficit moteur des 4 membres, pr6dominant au membre sup6rieur gauche. Trois PL sont r6alis6es pendant l'hospitalisation. On y a chaque fois retrouv6 un liquide lymphocytaire comprenant 10 ~ 80 6ldments et une hyperprot6inorachie de 0,6 ?~ 1 g/L sans hypoglycorachie. Toutes les recherches microbiologiques effectudes sont rest6es vaines y compris borr61iose, syphilis, rickettsiose, tuberculose, Addnovirus, Herpes, EBV, Coxsackies et VIH. Le patient a 6t6 trait6 empiriquement par Aciclovir ®et Ampicilline ®pendant 14 jours, sans r6gression complete des d6ficits moteurs. La famille l'a fait sortir contre avis m6dical et l'a amend en France pour poursuite de la prise en charge. A son arriv6e darts le service de neurologie, l'examen clinique retrouve une vigilance normale, un d6ficit moteur proximal des deux membres inf6rieurs (3/5) et de la loge ant6ro-externe gauche, un d6ficit moteur quasicomplet du membre sup6rieur gauche avec amyotrophie des petits muscles de la main et attitude en griffe cubitale.
I1 est constat6 une abolition complete des r6flexes ost6otendineux au membre sup6rieur gauche alors qu'ils sont vifs 5 droite et conserv6s aux membres inf6rieurs. I1 se plaint 6galement de myalgies intenses des 4 membres. Aucun trouble sensitif n'est not6. I1 n'existe aucune atteinte des nerfs cr~niens, hormis une hypoacousie droite possiblement ancienne. Une IRM cervicale exclut une compression m6dullaire et I'IRM c6r6brale est ~ pr6sent sans pardcularit6. L'analyse cytologique de la ponction lombaire met en 6vidence 1 hdmatie et 18 616ments nuc166s par mm 3. La biochimie du LCR r6v~le une hyperprot6inorachie isol6e (protides : 3,75 g/L ; glycorachie : 3,9 mmol/L ; chlorures : 123 retool/L). L'61ectrophor~se des prot6ines du LCR montre une hypergammaglobulin6mie.
Plusieurs faits mobilisent I'attention chez cet homme du voyage maintenant immobilise : • [a survenue en deux temps d'un tableau meningoenc6phalitique ; • I'~volution malgr6 un traitement d'~preuve - d e s~curit~ ,, et deux migrations, vers la constitution d'un tableau neurologique un peu ,, anarchique, domin~ par I'atteinte de la corne ant~rieure de la moelle ~pini~re ; • 1'6volution de I'imagerie par IRM qui montre ratteinte transitoire de structures nucl~aires, et 61imine tout phenom~ne compressif ou d6g6n~.ratif cervical ; • I'~volution du LCR qui passe d'une formule de m~ningite lymphocytaire aseptique & une franche dissociation albumino (?) cytologique ; • le terrain : adulte jeune dont la maladie d~bute en Roumanie et qui connaft les conditions de vie particuli~res des gens du voyage : migrations dans des zones & risque sanitaire (contact avec des eaux potentieliement pollu6es, avec des animaux potentiellement transmetteurs de maladies infectieuses) au sein d'une
Communications - communaut6 ,, un peu en marge de la surveillance sanitaire des pays qu'elle frequente ; • la saison : fin du printemps - debut de I'ete. Les meningo-encephalites sent le plus souvent d'origine infectieuse bien que d'autres causes puissent 6tre rencontrees : iatrogenes, neoplasiques, toxiques, maladies systemiques (Behget, Sarcofdose, Lupus, Whipple, Sjegren), mais les renseignements cliniques et biologiques dont nous disposons rendent rapidement caduques ces hypotheses. !2evolution en deux temps est intrigante et peut faire discuter la leptospirose (le terrain et la saison sont propices, mais la clinique et I'evolution reliminent), et certaines viroses. Uencephalite herpetique represente 10 % des encephalites et elle est une des rares accessibles & un traitement antiviral, ce qui justifie I'administration systematique d'un tel traitement, associe & une ampicilline dans I'hypoth~se d'une meningite bact&ienne decapitee ou d'une listeriose (mais pas de notion de prise d'antibiotiques initiale, ni d'immunodepression). Mais, I'IRM n'est pas evocatrice (respect des lobes temporaux), I'enquete microbiologique (PCR faite ?) et I'evolution neurologique ne sont guere compatibles. Cette evolution est en effet remarquable par rapparition de signes typiques de lesions de la come anterieure exclusivement, puisqu'il n'y a pas de trouble sensitif objectif, pas d'atteinte pyramidale. En effet, les reflexes dit ,, vifs ,, au membre superieur droit n'ont aucune valeur diagnostique car ni diffuses ni polycinetiques. La lesion de la racine L5 responsable du deficit de la Ioge antero-externe n'est pas explorable par le rotulien ni par I'achilleen et [es autres motoneurones des membres inferieurs sont sans doute respectes ou ont recuper& I'hypersignal en T2 observe dans les noyaux caudes et les putamens peuvent correspondre & des lesions inflammatoires de la substance grise comme cela a ete decrit au cours d'encephalomyE~lites d'origine enterovirale ou arbovirale (1,2), ces lesions pouvant disparaftre en 2 & 8 semaines. Le LCR est initialement typique d'une meNngite lymphocytaire aseptique mais ensuite, alors que la reaction cellulaire s'estompe, s'installe une hyperproteinorachie importante (3.75 g/L). La glycorachie toujours normale, I'absence d'immunod@ression, la clinique 61iminent a priori les infections fungiques, la tuberculose. 12hypoth~se d'une polyradiculonevrite associee au tableau de meningoencephalomyelite dans le cadre d'une atteinte virale dolt se discuter d'autant qu'il y a eu une tetraparesie mais il n'y a aucun trouble sensitif, I'atteinte est asymetrique, les ROT sont conserves aux membres inferieurs. Une dissociation albuminocytologique a parfois 6te observee dans I'evolution de certaines meningoencephalites virales. Une co-infection virale et bacterienne (en zone d'endemie) peut se discuter : la proteinorachie peut 6tre tr~s elevee au cours de la neurobrucellose, de la maladie de Lyme, mais on ne dispose d'aucune information sur d'eventuels desordres cliniques et ou biologiques associes au tableau neuroIogique qui pourraient orienter vers ces affections. Enfin, I'IRM rachidienne n'est pas totale, pouvant alors ignorer un eventuel blocage du LCR plus bas situe (dans le cas d'une brucellose par exemple). Le contexte clinique, social, epidemiologique et saisonnier (debut d'et6) dolt finalement faire discuter les enteroviroses (polio, coxsackies, echo et enterovirus 71) et les arboviroses (encephalite & tiques centre europeenne, virus West Nile) qui peuvent 6tre responsables d'un tableau tres proche de la poliomyelite anterieure aigu~ (maladie de Heine Medin due aux virus polio) dont les trois derniers cas europeens confirmes I'ont ete en 2001 en Bulgarie... (OMS communique de presse EURO 05/01). Parmi ces affections - polio like ,, certaines peuvent evoluer en deux temps et donner une quadriplegie (poliovirus, encephalite b_tiques) [3, 4], donner un hypersignal en T2 transitoire b_rlRM
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(enterovirus 71, encephalite b. tiques) [1, 2] et se rencontrer dans des foyers tels que rEspagne, I'ltalie, la Roumanie et...la Camargue, en passant par la Lorraine... I'enterovirus 71 touche plutet les jeunes enfants alors que I'encephalite & tiques concerne plus volontiers I'adulte jeune [5]. Le diagnostic le plus probable parait donc etre une meningoencephalite b. tiques centre europeenne (Tick-born encephalitis). II pourra 6tre confirme par la mise en evidence d'lgM specifiques dans le sang ou dans le liquide cephalorachidien par technique Elisa [6].
REFERENCES 1 2 3 4 5 6
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DI~MARCHE DIAGNOSTIQUE Le diagnostic de poliomy61ite anterieure aigu6 est 6voqu6 devmlt une meningo-encdphalite suivie de deficits moteurs de type peripherique du bras gauche. Une 61ectromyographie est pratiquee. Elle met en evidence une perte axonale motrice rdcente et active des muscles des hdmicorps droit et gauche respectant la face sans alteration de la conduction nerveuse distale ni de potentiels sensitifs ; ces resultats confirment une pathologie de la come antdrieure diffuse et d'evolution recente. Une poliomydlite est exclue : la serologie est en faveur d'une immunit6 ancienne. L'hypoth~se d'une arbovirose est 6galement ~voquee compte-tenu de l'histoire clinique et de l'origine geographique du patient. Le diagnostic d'encephalite virale transmise par les tiques (TBE pour Tick borne encephalitis) est effectivement pos6 sur le rdsultat serologique de cette arbovirose revelant une infection recente: IgM TBE : 7,7 (seuil : 1,1) et IgG TBE : 111 U/mL (seuil: 7). L'interrogatoire rel~vera rdtrospectivement des promenades frequentes dans les forats roumaines. DISCUSSION La TBE est une affection virale peu frequente mais sevbre qui sevit principalement en Scandinavie, en Russie, en Europe Centrale et en Europe de l'Est. Des cas iso16s ont 6t6 decrits en Italie, en Grbce et pour la France en Alsace.
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Les Printemps de la m6decine interne
La contamination humaine peut Otre directe, lors de morsures de tiques ou indirecte par consommation de lait de chbvre ou de brebis contamin6es. L'affection est sporadique et le plus souvent estivale. L'6volution clinique est g6n6ralement biphasique: tout d'abord un syndrome pseudo-grippal d'environ une semaine ; puis, aprOs amdlioration clinique, une phase neurologique avec m6ningite, m6ningoencdphalite ou m6ningoencdphalomy61ite. Les paralysies sont rares en Europe mais fr6quentes en Orient off le tableau est globalement plus s6v6re. Le d6c~s est impr6visible et la convalescence est longue. I1 n'existe pas de traitement sp6cifique mais un vaccin est disponible [1, 2]. En fonction du contexte, cette arbovirose doit doric atre prise en consid6ration devant une m6ningite lymphocytaire, surtout s'il existe des signes neurologiques associ6s. Les manifestations my61o-radiculitiques pourraient concerner 5 % des patients atteints de TBE.
r6gress6 dans les 6 semaines mais sans am61ioration parall~le de la paralysie. Le diagnostic diff6rentiel d'une poliomy61ite ant6rieure aigu~, qui s'est pos6 dans notre cas, a d6j~ 6t6 rencontr6, comme le souligne la description de six observations rappelant nne poliomy61ite aigu6 avec une atteinte principalement bulbaire ou touchant pr6f6rentiellement les bras [4]. L'autopsie pratiqu6e darts un cas a r6v616 une inflammation cervicothoracique s6v~re avec des modifications presque exclusivement localis6es dans les cellules et racines de la come ant6rieure, comme typiquement d6crit dans la poliomy61ite antdrieure aigu~.
REFERENCES 1 2
U I R M c6r6brale est le plus souvent normale. Un cas de TBE avec my61ite cervicale a cependant 6t6 rapport6 off I'IRM cervicodorsale montrait une large 16sion hyperdense darts la partie antdrieure du rachis entre C3 et T1 [3]. Les auteurs pr6cisent que cette anomalie, compatible avec une 16sion isol6e de la come ant6rieure, a
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