Un ulcère de jambe par artérite radique et radio-dermite

Un ulcère de jambe par artérite radique et radio-dermite

Journal des Maladies Vasculaires (Paris) © Masson, 2006, 31, 1, 34-37 CAS CLINIQUES UN ULCÈRE DE JAMBE PAR ARTÉRITE RADIQUE ET RADIO-DERMITE Revascu...

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Journal des Maladies Vasculaires (Paris) © Masson, 2006, 31, 1, 34-37

CAS CLINIQUES

UN ULCÈRE DE JAMBE PAR ARTÉRITE RADIQUE ET RADIO-DERMITE Revascularisation chirurgicale A. BRANELLEC (1), J.M. BUREAU (1), F. GIGOU (2), E. MATICHARD (3), C. DEBURE (1) (1) Service de Rééducation Vasculaire, Hôpital Broussais-HEGP, 75014 Paris. (2) Service de Chirurgie Vasculaire, Hôpital St Joseph, 75014 Paris. (3) Service de Dermatologie, Hôpital Bichat, 75018 Paris.

RÉSUMÉ :

ABSTRACT:

Un ulcère de jambe par artérite radique et radio-dermite. Revascularisation chirurgicale

Radiation arteritis- and radiodermitis-induced leg ulcer: surgical revascularization

Un patient de 44 ans présente un ulcère cutané de la jambe gauche de localisation sus-malléolaire interne évoluant depuis trois mois. Parmi ses antécédents, il a bénéficié d’une radiothérapie vingt ans auparavant pour un ostéosarcome de la partie supérieure du tibia gauche (81 gy). Outre la radiodermite locale séquellaire, une artériopathie sous-jacente focale est objectivée par l’artériographie avec occlusion franche de l’artère poplitée gauche et du tiers supérieur des trois axes de jambe. Cette artériopathie a un retentissement hémodynamique sévère : index systolique à 0,69 et TcPO2 à 27 mmHg. Deux facteurs étiologiques ont donc été retenus pour cet ulcère rebelle aux traitements médicaux, la radiodermite et l’artériopathie radique sous-jacente. Compte tenu de l’extension en profondeur de cet ulcère très douloureux et de son retentissement majeur sur l’autonomie, une chirurgie de revascularisation a été réalisée (pontage veineux fémoro-péronier) suivie d’une auto-greffe cutanée en pastilles. L’évolution à court terme a été excellente, mais un suivi à long terme est nécessaire. C’est le premier cas rapporté dans la littérature de revascularisation jambière d’une artériopathie radique. (J Mal Vasc 2006 ; 31 : 34-37)

A forty-four-year old man was hospitalized for diagnosis and treatment of a left leg ulcer which did not heal despite good compliance with a three-month medical regimen. Twenty years before he had undergone surgical curettage and radiotherapy (81 gy) for an osteosarcoma of the upper third of the left tibia. He was considered completely cured with regular findings. On examination he had a 5 X 7 cm deep ulcer with raised margins and no signs of infection, localized on the radiodermatitis on the medial aspect of his left leg. Arterial examination confirmed the left arteriopathy with absence of distal pulses; the Ankle Brachial Pressure Index was 0.69 and the foot TcPO2 27 mmHg. Arteriography confirmed the localized left lesions with three distal popliteal and proximal arterial occlusions, all other arteries being strickly normal. Arterial and dermatological radiation leg ulcer was retained as the etiological diagnosis. As the ulcer was very painful, extensive and limited walking distance, surgical revascularisation was undertaken because endoluminal revascularization was impossible. A femoroperoneal saphenous bypass was performed with surgical incisions beyond the radiodermatitis area. Two months after a split skin graft, the ulcer was considered healed and the patency of the by-pass confirmed on duplex examination. This is the first case report of a successful distal bypass performed for radiation arteritis and ulcer healing. Long-term follow up should be reported. (J Mal Vasc 2006; 31: 34-37)

Mots-clés : Radiodermite. Ulcère de jambe. Artérite radique. Chirurgie artérielle.

Un ulcère de jambe doit toujours faire rechercher l’existence d’une artériopathie sous-jacente. Nous décrivons ici le cas d’un patient qui présente un ulcère de Reçu le 13 octobre 2005. Acceptation par le Comité de rédaction le 27 octobre 2005. Tirés à part : C. DEBURE, Service de Rééducation Vasculaire, Hôpital Broussais, 96, rue Didot, 75674 Paris Cedex 14. E-mail : [email protected]

Key-words: Radiation dermatitis. Radiation arteritis. Leg ulcers. Arterial surgery.

jambe en rapport avec une occlusion artérielle isolée survenant vingt ans après une radiothérapie.

CAS CLINIQUE Monsieur F., 44 ans, restaurateur, présente un ulcère sus-malléolaire interne de la jambe gauche évoluant depuis trois mois. Parmi ses antécédents, on retient un ta-

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1 à droite et 0,69 à gauche. La TCPO2 mesurée au dos du pied gauche est à 27 mmHg. L’échographie artérielle met en évidence des axes droits et proximaux gauches sans sténose ni occlusion. En revanche, elle montre à gauche une occlusion de l’artère poplitée basse et des trois axes de jambe à leur origine. L’échographie veineuse retrouve des séquelles pariétales de thrombose saphène interne jambière gauche. L’artériographie confirme l’occlusion de l’artère poplitée gauche et de l’origine des trois axes de jambe avec reprise de la péronière à mi-jambe et des tibiales antérieure et postérieure à la cheville (fig. 1 et 2). Le reste du réseau artériel est normal. La radiographie et le scanner de la jambe gauche retrouvent au tiers supérieur du tibia un aspect séquellaire, inchangé, sans signe de récidive tumorale osseuse locale. Nous sommes donc en présence d’un ulcère dont le développement a été favorisé par deux facteurs : une radiodermite et une artériopathie radique sous-jacente franche très localisée.

bagisme actif, chiffré à 15 paquets/année et une intoxication éthylique chronique. En 1981, à l’âge de 21 ans, un ostéosarcome de l’extrémité supéro-interne du tibia gauche est diagnostiqué par biopsie et traité par curetage chirurgical. Une radiothérapie complémentaire à la dose totale de 81 Gy est réalisée. Le suivi régulier spécialisé jusqu’en 2000 n’a pas mis en évidence de récidive locale de la tumeur. En 2003, une petite ulcération post-traumatique de la jambe gauche cicatrise rapidement. En septembre 2004, une nouvelle ulcération post-traumatique sus-malléolaire interne gauche s’aggrave progressivement. L’intensité de la douleur, l’impotence fonctionnelle, associées à l’œdème local conduisent à une hospitalisation. L’ulcère est creusant, à fond atone, siège sur une zone d’atrophie et de sclérose cutanées, associée à une dermite ocre et une dépilation complète. L’examen vasculaire retrouve tous les pouls au niveau du membre inférieur droit et à gauche uniquement le fémoral et le poplité. L’index systolique est de

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FIG 1. – L’artériographie unifémorale confirme l’occlusion poplitée basse, tandis que les axes sus-jacents (non visibles sur le cliché) sont stric-

tement normaux. Arteriography shows the left distal popliteal occlusion. FIG 2. – Au niveau jambier l’artériographie retrouve une artère tibiale postérieure de bon calibre au tiers inférieur de jambe (siège de l’ulcère),

une péronière reprise à mi-jambe, ces 2 artères se prolongeant jusqu’au pied. On distal angiogram tibial posterior and peroneal leg arteries were opacified only at the third distal portion of the left leg.

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recherche d’une prolifération tumorale n’a pas été réalisée compte tenu de l’aspect et de l’évolution cliniques satisfaisants après revascularisation et greffe cutanée (1).

Malgré deux mois de traitements locaux en hospitalisation, l’ulcère s’aggrave et se creuse (fig. 3). La marche est devenue impossible en raison des douleurs et du flessum antalgique du genou. Un geste chirurgical de revascularisation entre l’artère fémorale superficielle et l’artère péronière gauche est décidé. Après étude du matériel veineux disponible, on choisit d’utiliser la veine saphène crurale homolatérale et la veine céphalique droite compilées. Du fait de la situation de l’ulcère au tiers inférieur de la jambe, l’artère est abordée par voie externe ; la tunnellisation du pontage a été rendue difficile par la sclérose post radique. Un trajet anatomique a été réalisé dans le but d’éviter les compressions extrinsèques et d’assurer une couverture de bonne qualité. Les échographies artérielles réalisées à J4 et J21 confirment la perméabilité du pontage (débit de 220 ml/mn) et l’absence d’anomalie anastomotique. Les suites opératoires sont favorables : les voies d’abord toutes situées en dehors de la zone de radio-dermite cicatrisent rapidement et le pouls tibial postérieur gauche est de nouveau palpable. La TCPO2 sur le dos du pied gauche est mesurée à 45 mmHg. L’ulcère bénéficie d’une greffe cutanée en pastilles permettant à quatre semaines une réduction de sa surface de 75 % (fig. 4). Le patient est ultérieurement suivi à proximité de son domicile en dermatologie pour surveiller la consolidation de la greffe cutanée de l’ulcère siégeant en zone de radio-dermite.

L’artériopathie post-radique est une complication tardive peu fréquente, survenant de 3 à 36 ans après une irradiation. Les rayons X constituent un traumatisme à l’origine de lésions endothéliales non spécifiques évoluant vers l’athérome local (sclérose de l’intima et plaques fibro-lipidiques) ou la sclérose adventitielle, lésions décrites depuis longtemps (2). Des modifications physiopathologiques ont été plus récemment rapportées : ischémie pariétale par occlusion des vasavasorum, et altérations enzymatiques témoins d’un vieillissement vasculaire accéléré (3). Les critères histologiques proposés par certains auteurs sont en fait peu utilisables en raison de la difficulté et du risque des prélèvements histologiques (4). Dans la plupart des publications, les modalités, le rythme des irradiations et les doses délivrées sont imprécis. Il n’y a pas de lien clairement établi entre l’importance de l’irradiation et le risque de survenue de l’artériopathie (5). Deux présentations cliniques artérielles sont possibles : les ruptures, rares, survenant précocement dans les premières semaines après l’irradiation et les sténoses plus tardives (6). Les manifestations cliniques sont chroniques (claudication) ou parfois aiguës (ischémie de membre par embolie), siègent dans les territoires concernés par la localisation des lésions artérielles (aorto-iliaques ou axillo-sous clavières, carotidiennes). Certains auteurs ont souligné le rôle aggravant de co-facteurs tels que le tabac, l’HTA et l’hypercholestérolémie (7). L’imputabilité de la radiothérapie dans la genèse des lésions artérielles est parfois difficile à déterminer devant l’existence d’autres facteurs de risque vasculaire ou tu-

COMMENTAIRES La radio-dermite du patient est tardive associant atrophie cutanée, dyschromie et sclérose du derme d’apparition progressive. Une biopsie cutanée de l’ulcération à la

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FIG 3. – Aspect de l’ulcère après deux mois de traitement médical en hospitalisation : extension en profondeur avec mise à nu du plan tendineux,

absence de tissu de granulation. Leg ulcer at initial stade of hospitalization: notice the presence of bone and the deep tendinous tissue without any granulation tissue. FIG 4. – Aspect de l’ulcère 4 semaines après la revascularisation ; notez le recouvrement complet du fond tendineux par un bon tissu de granula-

tion et l’épidermisation des bords. Four weeks later the ulcer had a satisfactory aspect with complete granulation tissue, 75% reduction surface, no more pain on walking.

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moral. Certains critères non spécifiques sont proposés pour établir le diagnostic d’artérite radique (4) : – le caractère très focal de l’atteinte artérielle ; – la localisation de cette atteinte en regard du champ d’irradiation ; – la présence de lésions cutanées en regard de l’atteinte artérielle ; – l’absence d’atteinte artérielle dans un autre territoire. Dans le cas clinique décrit, tous les critères diagnostiques étaient présents. Dans le cadre d’une artériopathie radique, les choix thérapeutiques sont variables et délicats. Ils dépendent du terrain du patient (stade carcinologique), des symptômes rapportés (ischémie aiguë et/ou critique), de la localisation et de l’aspect des lésions artérielles (sténose ou occlusion) (8, 9). LES REVASCULARISATIONS ENDOLUMINALES Réalisées dès 1982 par angioplastie simple, puis en 1990 en association à l’implantation d’un stent, elles s’adressent aux sténoses ou aux occlusions courtes et sont moins souvent réalisables qu’une revascularisation chirurgicale. Effectivement, compte tenu de l’étendue des occlusions artérielles, notre patient ne pouvait en bénéficier. Dans la série de J.M. Cormier, seulement 8 cas parmi 38 patients porteurs d’atteinte sous-clavière ont pu bénéficier d’une revascularisation endoluminale (10). Dans la série de D. Mellière et al., 5 patients sur 15 atteints d’artérite radique aorto-ilio-fémorale ont été traités par un geste endoluminal sur des lésions courtes localisées avec comme résultats immédiats, 2 complications (dissection justifiant une conversion chirurgicale, embolies distales traitées par thrombolyse), et à moyen terme 4 angioplasties perméables (11). L’utilisation de stent auto expansible a pour avantage de contrôler la sclérose adventitielle en limitant le risque de dissection (12). Ce type de traitement devrait pouvoir à l’avenir bénéficier de l’avancée technologique des nouveaux stents pour limiter les resténoses. LES REVASCULARISATIONS CHIRURGICALES L’indication ne doit être portée qu’au stade d’ischémie sévère et en l’absence de solution endo vasculaire (13). L’étiologie radique impose certaines précautions : préférer du matériel veineux, réaliser les anastomoses à distance des artères irradiées et choisir des voies d’abord à distance des zones cutanées irradiées (9). Tel était le cas de notre patient. Dans la série de J.M. Cormier et al. rapportant 13 cas de revascularisation, 8 patients ont bénéficié d’un pontage veineux dont 7 sont perméables à moyen terme, 5 patients d’un pontage prothétique dont 3 sont occlus (10). Dans la série de D. Mellière et al. concernant 9 artérites radiques aorto-iliaques opérées,

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4 patients ont eu une revascularisation extra-anatomique et 5 patients ont eu une revascularisation anatomique avec comme résultats à long terme 4 décès par choc septique, 2 par métastases (11). Dans 50 % des cas, les échecs sont secondaires à une évolutivité tumorale soit locale soit générale (sepsis, métastases). Dans le cas rapporté ici, le pronostic vital en rapport avec l’âge du malade et le cancer n’est pas engagé ; ceci laisse espérer un résultat satisfaisant à long terme si une double surveillance est réalisée : contrôle de la perméabilité du pontage par échographies régulières, surveillance clinique de la radio-dermite. Il s’agit du premier cas rapporté de revascularisation jambière sur artérite radique. CONCLUSION Ce cas clinique illustre deux étiologies particulières associées d’un ulcère de jambe par radio-dermite et artérite radique dont la prise en charge chirurgicale vasculaire originale a permis une évolution très satisfaisante à court terme. RÉFÉRENCES 1. BONNAFOUX-CLAVÈRE A, CLAVÈRE P, BONNETBLANC JM. Réactions cutanées induites par la radiothérapie. Ann Dermatol Venereol, 2001 ; 128 : 947-50. 2. PIEDBOIS P, BECQUEMIN JP, BLANC I, MAZERON JJ, LANGE F, MELLIERE D, LE BOURGEOIS JP. Arterial occlusive disease after radiotherapy: a report of fourteen cases. Radioth Oncol, 1990 ; 17 : 133-40. 3. VUONG PN, LAGNEAU P. Lésions artérielles dues aux effets biologiques de certains agents physiques, p 586-7. In: Les maladies de la paroi artérielle. Camilleri JP, Berry CL, Fiessinger JN, Bariéty J. Médecines Sciences. Flammarion 1987, Paris. 4. BAKIR R. Artériopathies radiques, p. 128-32. In: les artériopathies. Rouffy J et Natali J. Masson 1991, Paris. 5. BUTLER MJ, LANE RHS, WENSTER JHH. Irradiation injury to large arteries. Br J Surg, 1980 ; 67 : 341-3. 6. BIGOT JM, MATHIEU D, REIZINE D. Artériopathies radiques. Ann Med Int, 1983 ; 134 : 411-5. 7. PHILLIPS GR, PEER RM, UPSON JF, RICOTTA JJ. Late complications of revascularisation for radiation-induced arterial disease. J Vasc Surg, 1992 ; 16 : 924-5. 8. MODRALL J, SADJADI J. Early and late presentations of radiations arteritis. Sem Vasc Surg, 2003 ; 16 : 209-14. 9. MELLIÈRE D, BECQUEMIN JP, BERRAHAL D, DESGRANGES P, CAVILLON A. Management of radiation-occlusive arterial disease: a reassessment. J Cardiovasc Surg, 1997 ; 38 : 261-9. 10. CORMIER F, KORSO F, FICHELLE JM, GAUTIER C, CORMIER JM. Artériopathie radique axillo-sous-clavière. Revascularisation chirurgicale. J Mal Vasc 2001 ; 26: 45-9. 11. MELLIÈRE D, DESGRANGES P, BERRAHAL D, ALLAIRE E, CRON J, D’AUDIFFRET A, BECQUEMIN JP. Artérites radiques aorto-iliofémorales : médiocrité des résultats à long terme après chirurgie conventionnelle. J Mal Vasc, 2000 ; 25 : 332-5. 12. BAERLOCHER MO, RAJAN DK, ING DJ, RUBIN BB. Primary stenting of bilateral radiation-induced external iliac stenoses. J Vasc Surg, 2004 ; 40 : 1028-31. 13. CHUN YS. Radiation arteritis. J Am Coll, 2003 ; 196 : 482.