Annales Me´dico-Psychologiques 177 (2019) 576–581
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Communication
Une clinique de l’apotemnophilie From Apotemnophilia to Body Integrity and identity disorder: A case report and literature Anne-Emmanuelle Jacques a,*, Sophie Annette a, Anaı¨s David a, Marianne Daudin b a b
Service de psychiatrie, hoˆpital d’instruction des arme´es Percy, 1, rue du lieutenant Raoul-Batany, 92190 Clamart, France Service de psychiatrie, hoˆpital d’instruction des arme´es Desgenettes, 108, boulevard Pinel, 69003 Lyon, France
I N F O A R T I C L E
R E´ S U M E´
Historique de l’article : Disponible sur Internet le 25 mai 2019
Introduction. – Le terme d’apotemnophilie a e´te´ utilise´ pour la premie`re fois par Money, en 1977, pour de´signer les patients ayant un de´sir d’amputation d’un membre sain. Cas clinique. – Nous pre´sentons le cas d’une femme de trente-deux ans, militaire, hospitalise´e en neurologie pour effectuer le bilan d’un syndrome douloureux chronique. Les troubles ont de´bute´ a` la faveur d’un traumatisme du genou complique´ de douleurs chroniques a` l’origine de multiples plaintes. De`s le premier contact, nous sommes interpelle´s par son de´sir d’amputation de son membre infe´rieur. Discussion. – Une revue de la litte´rature met en e´vidence des positions controverse´es quant a` la place nosographique de l’apotemnophilie : initialement classe´ au sein des paraphilies, le de´sir d’amputation d’un membre sain a e´te´ dans un deuxie`me temps identifie´ par certains comme un trouble de l’identite´ et de l’inte´grite´ corporelle, puis e´tudie´ comme un trouble neurologique. La clinique de notre patiente a permis d’e´largir notre re´flexion diagnostique a` d’autres entite´s cliniques telles qu’un trouble de´pressif avec caracte´ristiques me´lancoliques et psychotiques, une hypocondrie de´lirante, une obsession d’une dysmorphie corporelle. Conclusion. – Au-dela` des controverses, le risque principal auquel sont expose´s ces patients est celui d’une mauvaise rencontre a` l’origine d’une re´ponse the´rapeutique univoque par un geste chirurgical mutilatoire. L’enjeu the´rapeutique est de cre´er les conditions d’accueil de cette plainte et d’entendre la revendication identitaire qu’elle porte. L’approche pluridisciplinaire associant psychiatre, psychologue clinicien et, le cas e´che´ant, chirurgien doit permettre d’e´viter le nomadisme me´dical et d’apaiser par l’e´coute des diffe´rents acteurs la souffrance identitaire ici a` l’œuvre.
C 2019 Publie ´ par Elsevier Masson SAS.
Mots cle´s : Amputation Apotemnophilie Cas clinique De´pression De´sir Douleur chronique Image du corps Psychiatrie militaire Revue de litte´rature Souffrance psychique
Keywords: Amputation Apotemnophilia Body image Chronic Pain Clinical case Depression Desire Literature review Military psychiatry Psychic suffering
A B S T R A C T
Introduction. – The term of apotemnophily was used for the first time by Money in 1977 to name patients who desire an amputation of a healthy limb. Case. – We present a case report of a thirty-two years old military woman, who was hospitalized in a neurology service because of a chronic pain syndrome. The disorders began with a knee trauma complicated by chronic pain causing multiple complaints. At first sight, we are challenged by her desire to amputate her lower limb. Discussion. – A literature review highlights controversial positions regarding the nosographic place of apotemnophily: initially classified within paraphilias, the desire to amputation of a healthy limb was later identified by some authors as a body integrity and identity disorders and then studied as a neurological disorder. The clinic of our patient open minded our diagnostic reasoning to other clinical entities such as a depressive disorder with melancholic and psychotic characteristics, an illness anxiety disorder, a body dysmorphic disorder.
* Auteur correspondant. 20, place Dupleix, 75015 Paris, France. Adresse e-mail :
[email protected] (A.-E. Jacques). https://doi.org/10.1016/j.amp.2019.04.005 C 2019 Publie ´ par Elsevier Masson SAS. 0003-4487/
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Conclusion. – Beyond the controversies, the main risk for these patients is to meet a doctor who decides to treat them with a mutilatory surgical gesture. The therapeutic challenge is to create the conditions of reception of this complaint and to hear the identity claim that it carries. The multidisciplinary approach associating psychiatrist, clinical psychologist and sometimes surgeons when it’s appropriate, must prevent medical nomadism and must try to relieve the patient from the suffering of identity.
C 2019 Published by Elsevier Masson SAS.
1. Introduction Le de´sir d’amputation d’un membre sain est une situation rare, peu explore´e dans la litte´rature me´dicale. Les premiers auteurs a` discuter ce trouble, Money, Jobaris et Furth en 1977, propose`rent de le de´nommer apotemnophilie [23]. E´tymologiquement, ce terme vient du grec Apo ( ) signifiant « loin de », avec la notion d’extre´mite´, Temno ( ) signifiant couper et Philie ( ) signifiant aimer. Il de´signe donc litte´ralement « l’amour de l’amputation ». Ce terme est alors inte´gre´ dans les troubles de type paraphilies. La terminologie a e´volue´ au cours des dernie`res de´cennies pour prendre le nom de trouble de l’identite´ et de l’inte´grite´ corporelle [18]. Cette nouvelle terminologie s’appuie sur des conside´rations renvoyant notamment au fait qu’en plus ou a` la place d’une proble´matique sexuelle, beaucoup d’apotemnophiles expriment des pre´occupations identitaires relatives a` leur image corporelle 16-18 [16–18]. Ce trouble est donc connu sous des noms diffe´rents au fil du temps, correspondant a` la manie`re dont il est perc¸u et compris a` diffe´rents moments de son histoire. Ce cas rend compte de la clinique pre´sente´e par une patiente dont le de´sir d’amputation de jambe interpelle. Apre`s une revue de la litte´rature sur l’e´volution du concept de l’apotemnophilie, les auteurs interrogent les modalite´s de prise en charge de cette patiente.
au fil des anne´es avec l’apparition de douleurs diffuses, des lombalgies, des paresthe´sies des deux jambes, une hyperesthe´sie des pieds, des fourmillements des bras, fluctuants dans le temps. Elle multiplie les consultations aux urgences, en demande de soulagement. Son parcours de soins est marque´ par un sentiment de solitude, voire « d’abandon » de la part du corps me´dical face a` ses douleurs chroniques. Elle a le sentiment « qu’on ne la croit pas ». Les bilans comple´mentaires cliniques et paracliniques ne retrouvent pas d’anomalie organique pouvant expliquer la symptomatologie pre´sente´e par la patiente. A` l’aˆge de 31 ans, devant la persistance de ses douleurs, Madame M. commence a` envisager une amputation de cuisse et se renseigne dans ce sens. Elle explique que cette ide´e lui est venue au cours d’un tournoi sportif, les Invictus games, compe´tition re´unissant des militaires blesse´s, pour certains ampute´s dans des circonstances de blessure au combat. Une re´flexion de sa fille de cinq ans « si tu n’as plus de jambe, tu n’auras plus mal » la conforte dans son choix d’amputation et le´gitime sa de´cision a` ses yeux. L’amputation lui permettrait de « courir » a` nouveau et de pouvoir poursuivre ses ambitions sportives. Elle pense e´galement pouvoir eˆtre identifie´e clairement comme ayant un handicap. Apre`s plusieurs entretiens dans le cadre de la psychiatrie de liaison, et devant un tableau clinique de´pressif se´ve`re, une hospitalisation en psychiatrie est propose´e a` la patiente.
2. Cas clinique
2.1. Biographie
Madame M. est une patiente de 32 ans, militaire, hospitalise´e en neurologie pour effectuer le bilan de troubles sensitifs des quatre membres survenant dans un contexte de syndrome douloureux chronique du membre infe´rieur gauche. Nous la rencontrons en psychiatrie de liaison a` la demande des neurologues pour e´valuation et prise en charge d’une symptomatologie de´pressive. Il ne s’agit pas de sa premie`re rencontre avec un psychiatre. Nous retrouvons dans ses ante´ce´dents personnels une hospitalisation en psychiatrie a` l’aˆge de 20 ans pour tentative de suicide (intoxication me´dicamenteuse volontaire). Elle re´alise cet acte dans les suites imme´diates du de´ce`s de sa me`re d’un cancer et explique qu’il s’agissait d’un moyen d’e´chapper a` son pe`re. Les troubles de Madame M. s’inscrivent dans un continuum avec un traumatisme du genou gauche a` 25 ans lors d’une marche d’entraıˆnement : elle entend « le ligament qui se casse » mais continue de marcher. La prise en charge me´dicale ne retient pas d’indication formelle d’ope´ration. Ainsi, Madame M. poursuit les activite´s sportives et les compe´titions ; puis, devant des de´robements re´guliers du genou, elle de´cide se faire ope´rer. Elle a, quelques mois apre`s, une premie`re reprise chirurgicale suite a` un second traumatisme du genou qu’elle n’a pas souhaite´ de´clarer, « par peur d’eˆtre juge´e ». A` 28 ans, au cours d’une se´ance de kine´sithe´rapie, elle entend « l’os se casser ». Elle en fait part a` son me´decin ge´ne´raliste : « il ne m’a pas crue » dit-elle. Elle consulte un chirurgien et une nouvelle intervention chirurgicale est programme´e. Dans les suites, elle pre´sente un e´pisode de´pressif et apparaıˆt une algoneurodystrophie du membre infe´rieur gauche. Cela marque le de´but des douleurs chroniques. Le retentissement des douleurs est tel que la patiente be´ne´ficie d’un an de conge´ longue maladie. Les symptoˆmes douloureux s’aggravent progressivement
Madame M. est la dernie`re fille du couple parental, elle a deux demi-sœurs et un demi-fre`re et a grandi seule avec ses deux parents. Tre`s toˆt dans l’enfance, elle s’investit dans le sport et fait du football. Elle inte`gre l’e´quipe de football fe´minin et joue en niveau national. C’est au travers du sport que Madame M. dit s’eˆtre construite, e´voquant une ve´ritable « e´chappatoire » face a` un pe`re de´crit comme violent physiquement et verbalement, dont elle avait peur. Lorsqu’elle a vingt ans, sa me`re de´ce`de d’un cancer fulgurant. Lorsqu’elle e´voque ce souvenir, elle de´crit l’image d’un corps de´charne´, abıˆme´, avec le sentiment que sa me`re s’est laisse´e mourir, refusant de se battre. Elle s’est engage´e dans l’arme´e de terre a` l’aˆge de 25 ans, en tant que moniteur sport. Elle se de´crit alors comme « aussi forte qu’un homme ». Elle poursuit au sein de l’institution militaire ses activite´s sportives a` haut niveau. Sur le plan affectif, les relations de Madame M. sont instables et marque´es par un questionnement sur son orientation sexuelle avec des relations homo- et he´te´rosexuelles. Elle s’est marie´e a` l’aˆge de 25 ans, avec un militaire de son re´giment, ils ont une fille. Elle demande par la suite le divorce, de´cision prise avec une certaine ambivalence, Madame M. mettant en avant une absence de libido mais aussi le sentiment d’eˆtre un poids pour son mari. 2.2. Examen clinique Madame M. est une patiente de bon contact, sa pre´sentation est masculine (coupe de cheveux et habits sportifs masculins). Lors de son arrive´e dans le service de psychiatrie elle est en fauteuil roulant, apre`s avoir marche´ pendant plusieurs mois avec une canne. Elle se montre tre`s attentive a` certains accessoires de mode
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(bonnet, chaussures. . .). Il en va de meˆme pour les accessoires de re´e´ducation : choix d’une canne stylise´e, fauteuil de sport, orthe`se de genou. . . Elle pre´sente un effondrement de´pressif marque´ par une tristesse de l’humeur, des pleurs pendant les entretiens. L’examen retrouve une anhe´donie, un ralentissement psychomoteur, une asthe´nie, des insomnies, une absence de libido. Elle rapporte des difficulte´s de concentration, ainsi que des troubles de l’attention. Elle de´crit le sentiment que « son corps de´pe´rit », « qu’il n’est plus le sien », sa jambe gauche est perc¸ue comme « morte mais douloureuse ». Elle rapporte des douleurs telles qu’elle a pense´ a` se couper la jambe avec un couteau sans qu’il y ait de passage a` l’acte. Elle a une certitude d’incurabilite´ et pense qu’il n’y a pour elle plus rien a` faire pour sa jambe. Sportive de haut niveau depuis l’adolescence, elle vit tre`s difficilement la perte de ses capacite´s physiques et pre´sente une perte d’estime d’ellemeˆme. Madame M. pre´sente une image du corps tre`s de´pre´cie´e. L’acce`s a` son ressenti et ses e´motions est difficile. Les douleurs sont mal syste´matise´es, non explique´es par une pathologie somatique. Madame M. a la conviction que les neurologues n’ont pas re´alise´ tous les bilans ne´cessaires et qu’elle est atteinte d’une maladie grave, demandant sans cesse la re´alisation de nouveaux examens.
3. Discussion diagnostique et psychopathologique 3.1. Le de´sir d’amputation : trouble de l’identite´ corporelle ? Le de´sir d’amputation de cette patiente est apparu progressivement, au cours d’une pe´riode ou` elle n’e´tait pas particulie`rement de´prime´e, comme une solution a` son handicap, face a` cette jambe douloureuse. D’un point de vue somatique, son membre infe´rieur ne requiert pas d’indication d’amputation. En effet, le membre, bien que multi-ope´re´, n’est pas de´labre´ sur le plan tissulaire ni vasculaire. Et le risque d’une amputation serait celui d’aggraver les troubles douloureux rencontre´s par la patiente. Madame M. a conscience que l’amputation ne sera pas une solution comple`te a` ses douleurs en e´voquant notamment les complications possibles des douleurs du membre fantoˆme. Ne´anmoins, elle estime que cette perspective lui permettrait de renouer avec son « identite´ sportive », et de retrouver un corps « valide » en faisant du sport. Son de´sir est re´fle´chi et ne se veut pas impulsif : elle s’est renseigne´e sur Internet et participe a` des forums de discussion sur le sujet. Plusieurs auteurs ont propose´ des de´finitions de ce trouble, mais aucune classification internationale ne le reconnaıˆt [16– 18]. Furth et Smith ont propose´ des crite`res diagnostiques pour le Trouble de l’identite´ et de l’inte´grite´ corporelle qui ont e´te´ soumis au groupe de re´vision du DSM-5 : A. il doit eˆtre prouve´ que le patient de´sire avec force et constance un handicap identifie´ pre´cise´ment ; B. il doit eˆtre prouve´ un inconfort persistant ou un sentiment d’inade´quation du fait de l’absence de handicap ; C. le diagnostic n’est pas mieux explique´ par un trouble de l’Axe I ou de l’Axe II ; D. le trouble entraıˆne une souffrance significative, ou une alte´ration importante du fonctionnement social, occupationnel, ou autre domaine important [18]. Madame M. ne pre´sente pas tous les crite`res d’un Trouble de l’identite´ et de l’inte´grite´ corporelle. Mais au-dela` du de´sir d’amputation, comme le de´crivent Furth et Smith, ce qui ressort chez cette patiente ayant une demande d’amputation c’est un de´calage entre son corps et la perception qu’elle en a. Examinons les diffe´rents diagnostics qui peuvent e´galement eˆtre discute´s chez cette patiente.
3.2. Trouble de´pressif avec caracte´ristiques me´lancoliques et psychotiques ? Nous questionnons le diagnostic de trouble de´pressif caracte´rise´ avec caracte´ristiques me´lancoliques et psychotiques selon les crite`res du DSM-5 [1]. En effet, Madame M. pre´sente depuis plusieurs mois un e´tat clinique caracte´ristique d’un e´pisode de´pressif avec une rupture avec son e´tat ante´rieur associe´e aux symptoˆmes suivants : tristesse de l’humeur, anhe´donie, troubles du sommeil, fatigue, trouble de la concentration (crite`res A). Les symptoˆmes induisent une souffrance cliniquement significative avec une alte´ration du fonctionnement social, professionnel (crite`re B). Il existe des caracte´ristiques me´lancoliques marque´es par une absence de re´activite´ aux stimuli habituellement agre´ables, un sentiment de culpabilite´, des ide´es d’incurabilite´. Madame M pense eˆtre un poids pour son entourage. A` ses yeux, sa jambe ne peut eˆtre gue´rie, raison pour laquelle elle songe a` l’amputer. Les ide´es d’auto-amputation pourraient eˆtre interpre´te´es comme un e´quivalent suicidaire. 3.3. Syndrome de Cotard ? Certains e´le´ments cliniques diagnostiques ne sont pas sans e´voquer un syndrome de Cotard. Madame M pre´sente une ne´gation d’organe, de´crivant sa jambe comme « morte ». Elle se de´place en fauteuil roulant, comme si son membre e´tait paralyse´. La kine´sithe´rapeute rapporte aussi une limitation de la patiente dans les activite´s de mobilisation de la jambe gauche. Toutefois, nous ne retrouvons pas l’ensemble des crite`res diagnostiques en faveur du syndrome de Cotard. En effet, il n’y a pas de de´lire d’immortalite´ et d’e´normite´, ni d’ide´es de damnation et de possession. Ce syndrome est cependant rarement retrouve´ dans sa forme comple`te telle que le de´crivent Berrios et Luque dans leur revue de la litte´rature [4]. 3.4. Crainte excessive lie´e a` la sante´ ou trouble de´lirant de type somatique ? Il y a e´galement dans la plainte exprime´e par Madame M. une dimension hypocondriaque. En effet, cette patiente pre´sente une anxie´te´ majeure concernant sa sante´. Comme de´fini dans le DSM-5 [1], nous retrouvons une pre´occupation centre´e sur la crainte voire la conviction d’eˆtre atteinte d’une maladie grave (crite`re A) et cette pre´occupation est excessive et disproportionne´e (crite`re B). Bien que les diffe´rents examens comple´mentaires re´alise´s en neurologie n’aient pas retrouve´ d’argument pour une pathologie organique, Madame M. reste en demande d’examens comple´mentaires. Elle est soucieuse de tous signes de maladie (crite`re D) et son discours, a` force d’avoir rencontre´ des me´decins de diffe´rentes spe´cialite´s, est infiltre´ de termes me´dicaux. 3.5. Obsession d’une dysmorphie corporelle ? D’un coˆte´, la jambe est de´nie´e comme si elle n’existait pas et, d’un autre, la jambe est tre`s pre´sente par l’expression de la douleur. Ces deux perceptions questionnent une dimension dysmorphophobique. La confusion entre le Trouble de l’identite´ de l’inte´grite´ corporelle et la dysmorphophobie peut se produire parce que les deux troubles impliquent l’insatisfaction autour d’un aspect de l’apparence corporelle, et peuvent entraıˆner une chirurgie sur soi pour enlever une partie du corps de´teste´e [13]. Chez Madame M., il n’y a pas a` proprement parler d’images de´forme´es de son membre infe´rieur, pas d’imperfection dans son apparence. La jambe est plutoˆt conside´re´e comme non fonctionnelle, en de´saccord avec ses ambitions sportives.
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3.6. Trouble de la personnalite´ borderline ?
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4. Aspects particuliers
de l’inte´grite´ corporelle comme paraphilie ou trouble identitaire font e´cho pour plusieurs auteurs aux meˆmes controverses que celle relative a` la transsexualite´, vue par certains comme relevant de la paraphilie et par d’autres comme un trouble identitaire [11,12,14,15]. Pour certains auteurs [3,11,12] la socie´te´ joue un roˆle majeur dans l’e´mergence de ce trouble car le rapport entre le corps et le « soi » est profonde´ment transforme´ et notre culture banalise les diffe´rentes interventions non ne´cessaires qui sont faites sur le corps. Ils conside`rent que la me´decine, la psychiatrie et la psychologie contemporaines, a` travers le fac¸onnement d’une cate´gorie diagnostique comme le TIIC, fournissent une cate´gorie a` laquelle des personnes peuvent dore´navant s’identifier. Finalement, ce trouble est alors rendu possible pour ces auteurs par l’offre du syste`me me´dical. Mc Geoch et Ramachandran [9,22,25] sont les premiers auteurs a` discuter une origine neurologique a` ce trouble. Pour contrer les termes ante´rieurs, charge´s de the´orie, ils proposent le terme de xenome´lie (du grec xeple´ [ ] signifiant e´tranger et melos [ ] signifiant membre) terme qui de´signe l’e´loignement de ses propres membres. Ils sugge`rent que le de´sir de handicap repre´sente un syndrome focal du lobe parie´tal droit. La neurologie clinique identifie de nombreux syndromes de diverses perceptions errone´es des parties du corps apre`s des dommages sur ce site du cerveau, allant d’une ne´gligence totale du coˆte´ gauche du corps a` des redondances illusoires et a` la perte d’agence et de proprie´te´, a` une aversion ou une haine active des membres du coˆte´ gauche. Plusieurs scientifiques croient en une origine biologique du TIIC, qui re´sulterait de proble`mes neurobiologiques [5]. Cependant les re´sultats des e´tudes ne convergent pas comple`tement et ne retrouvent pas de preuve concluante d’une e´tiologie neurologique pour le TIIC [9]. On ne peut que conclure que certaines diffe´rences neuro-structurales et/ou neurofonctionnelles existent entre les individus qui ont le souhait d’amputer un membre en bonne sante´ et ceux qui n’en ont pas. Les traitements et les prises en charge de´pendent de l’hypothe`se explicative retenue. Dans ce carrefour somatopsychique, comment prendre en charge notre patiente ?
4.1. E´volution du concept de l’apotemnophilie
4.2. Modalite´s de prise en charge
Apre`s l’article de Money en 1977 [23], l’apotemnophilie est peu de´crite jusqu’en 2004 ou` Robert Smith, un chirurgien e´cossais, pratique des ope´rations d’amputations volontaires sur deux patients dans le but de traiter leur apotemnophilie. Cet e´ve´nement a e´te´ le catalyseur d’un inte´reˆt croissant parmi divers scientifiques [14–18]. Cet inte´reˆt pour ce trouble au cours des dernie`res anne´es a e´te´ l’occasion de multiplier les hypothe`ses explicatives de cette « paraphilie ». De`s 2000, Furth et Smith [18], dans le premier livre de´die´ au sujet, proposent l’hypothe`se selon laquelle il pourrait s’agir d’un trouble identitaire non lie´ a` la sexualite´ (Amputee Identity Disorder/AID). L’appellation AID fournie par Furth et Smith est rebaptise´e en 2004 par First [16,17] avec le terme de Body Integrity Identity Disorder (BIID), Trouble de l’identite´ et de l’inte´grite´ corporelle (TIIC). First [17] est le premier a` mener une e´tude quantitative et soutient que la composante sexuelle est pre´sente dans seulement 15 % de son e´chantillon et que pour la majorite´ des individus (73 %), la motivation premie`re de leur besoin est formule´e en termes identitaires. Ce passage du sexuel a` l’identitaire se traduit dans le vocabulaire me´dical et psychiatrique a` travers le remplacement de la cate´gorie d’apotemnophilie par celle du TIIC. Cependant, la sexualite´ est une dimension importante de l’identite´, et vice versa. Comment, dans ce contexte, pre´tendre que ce trouble ne rele`verait que de la sexualite´, sans e´gard a` l’identite´ ou, inversement, de l’identite´, sans lien avec la sexualite´ ? Les de´bats concernant la cate´gorisation du Trouble de l’identite´ et
Quant aux e´tudes, il n’y en a pas eu de publie´e sugge´rant que l’amputation soit un traitement efficace pour la maladie, tre`s peu sur l’efficacite´ de la psychothe´rapie et des traitements me´dicamenteux et aucune sur les traitements alternatifs possibles [17]. La re´alisation d’une amputation d’un membre sain soule`ve de nombreuses questions anthropologiques, me´dicales, e´thiques et juridiques qui ne´cessitent d’eˆtre approfondies [6,8,20,27]. Chez Madame M., le choix qui est fait est celui d’une prise en charge multidisciplinaire au sein de laquelle la prise en charge psychiatrique et psychologique s’inte`gre. A` travers son de´sir d’amputation et ses plaintes somatiques, MadameM. exprime une souffrance psychique. Acce´der a` un de´sir d’amputation ne permettra pas de re´soudre les conflits psychiques. L’amputation ne ferait-elle pas que de´placer le proble`me [3] ? En effet, on voit bien au de´cours de la prise en charge que lorsqu’un symptoˆme est calme´, la plainte se de´cale autour d’un nouveau symptoˆme. La prise en charge est oriente´e vers la prise en compte de l’e´pisode de´pressif et du syndrome douloureux chronique. L’approche du syndrome douloureux chronique rebelle, en particulier lorsque les douleurs sont inexplique´es comme dans cette observation, nous place a` l’interface du ve´cu subjectif. La difficulte´ dans ce type de pathologie est qu’il confronte le praticien a` une sorte d’impasse logique : le patient confronte le me´decin a` son ve´cu subjectif de symptomatologie douloureuse alors que le me´decin confronte le patient aux re´sultats concrets et mesurables
Dans leur article, Levy et Maleval [21] ont propose´ une relecture des cas de Furth et Smith. Ils analysent l’apotemnophilie comme « possible modalite´ d’une supple´ance e´labore´e dans une structure psychotique ». Chez Madame M., nous retrouvons un fonctionnement psychopathologique caracte´ristique du trouble de la personnalite´ borderline [1,19]. L’image du corps, alte´re´e, renvoie a` un questionnement plus profond d’ordre identitaire. L’identite´ sportive s’est e´galement de´lite´e depuis le de´but des douleurs chroniques. Le corps est objectalise´, accessoirise´, comme en te´moigne son rapport tre`s particulier aux accessoires de sport mais aussi de re´e´ducation. L’instabilite´ affective, la perturbation des relations a` autrui infiltrent l’histoire personnelle de Madame M., au-dela` de l’e´pisode actuel. Elle craint des situations d’abandon de la part de son mari qu’elle « quitte avant qu’il ne la quitte », mais aussi du corps me´dical. La relation me´decin malade est d’ailleurs marque´e par la me´fiance, la crainte d’un abandon et la peur d’eˆtre juge´e et de ne pas eˆtre crue par ses the´rapeutes. Durant l’hospitalisation, on repe`re e´galement une labilite´ e´motionnelle ainsi qu’une instabilite´ de l’humeur. Quand nous reprenons la biographie de Madame M., nous retrouvons un climat familial instable sous l’emprise d’un pe`re violent, la me`re e´tant de´crite comme efface´e. Le sport et la compe´tition ont constitue´ des repe`res autours desquelles Madame M. a tente´ de se structurer, trouvant leur prolongement au travers de l’engagement militaire. Le de´ce`s brutal de la me`re, dans des conditions difficiles avec une de´gradation corporelle, marque le de´but de l’instabilite´ avec ce premier geste suicidaire. La description de son membre infe´rieur mort semble faire e´cho a` la me`re morte, de´charne´e. Il est inte´ressant de remarquer que le de´sir d’amputation de Madame M. apparaıˆt lors d’une compe´tition de militaires blesse´s, souvent ampute´s. Nous pouvons faire l’hypothe`se de la recherche et de l’expression d’un nouveau statut, d’une nouvelle identite´, celle de « blesse´ de guerre ».
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des examens comple´mentaires. Cette confrontation renvoie chacun des deux partenaires dos a` dos, e´gaux dans leur ve´cu d’impuissance, d’incompre´hension, et certainement, d’irritation mutuelle. Dans ce bras de fer, le psychiatre est peut eˆtre celui qui peut accueillir cette plainte sans vouloir a` tout prix la faire taire, surtout quand il en a perc¸u, en arrie`re-fond, la dimension de revendication identitaire. Nous avons souhaite´ poursuivre une approche multidisciplinaire associant psychiatre, psychologue, me´decin ge´ne´raliste, neurologue, psychomotricien, ergothe´rapeute, kine´sithe´rapeute. En effet, les prises en charge des troubles douloureux chroniques sont de meilleure qualite´ si elles s’inscrivent avant tout dans le cadre d’une e´troite collaboration entre somaticiens et psychiatres [10]. Sur le plan me´dicamenteux, dans un premier temps, un protocole de prise en charge par Amitriptyline a` vise´e antalgique a e´te´ re´alise´ en neurologie. Puis, compte tenu de la clinique en faveur d’un e´pisode de´pressif, l’Amitriptyline a e´te´ majore´ a` dose antide´pressive. Un traitement antipsychotique par Risperidone a` petite dose a e´te´ mis en place et majore´ a` une posologie de 4 mg, compte tenu d’une tension anxieuse majeure. Malgre´ une e´volution clinique partiellement favorable sur le plan de l’humeur, le de´sir d’amputation de la patiente demeure, meˆme s’il n’est plus ouvertement exprime´.
5. Conclusion La clinique de cette patiente ne s’inte`gre pas comple`tement au TIIC tel qu’il a e´te´ de´crit dans la litte´rature. Mais le tableau clinique pre´sente´ nous a permis de discuter diffe´rents diagnostics. Ce qui ce qui se de´gage de cette histoire clinique est l’expression par la patiente, au travers de son de´sir d’amputation et ses douleurs, d’une proble´matique identitaire. Le risque e´volutif de ce trouble est celui d’une aggravation au fil du temps. C’est aussi celui de ne pas eˆtre « entendu » par la communaute´ me´dicale, a` l’origine d’un e´ventuel nomadisme me´dical. L’intensite´ de la de´tresse physique et psychique peut eˆtre telle qu’elle pousse certains patients a` des interventions chirurgicales de´finitives et irre´parables ou des gestes d’automutilations. Ainsi, de nouveaux efforts pour comprendre ce type de trouble restent utiles. L’approche et la prise en charge se doivent d’eˆtre pluridisciplinaires, inte´grant les the´ories de la psychologie, de la psychiatrie et des neurosciences.
6. Discussion avec l’auditoire Dr D. Tesu-Rollier – Quel e´tait le tableau clinique d’origine pour lequel vous avez rencontre´ la patiente en psychiatrie de liaison ? Pr A. Charles-Nicolas – J’ai l’expe´rience d’une patiente qui a e´te´ blesse´e au membre infe´rieur ; Sa fracture s’est infecte´e et a e´te´ soigne´e. Elle se plaignait de douleurs mais les chirurgiens estimaient que ces douleurs n’e´taient pas justifie´es. Elle a tant insiste´ qu’ils ont fini par l’amputer. Et elle s’en est trouve´e mieux ! Dr J. Garrabe´ – Je ne connais pas la litte´rature de langue anglaise de ce trouble dont vous venez de nous pre´senter une remarquable observation, mais j’ai pense´ a` la description de Paul Guiraud dans la phase de de´but de la de´mence pre´coce du « signe du miroir », c’esta`-dire due au fait que certains jeunes malades ne reconnaissent pas, dans l’image de leur corps que leur renvoie le miroir, certaines parties de leur corps physique. Le « corps psychique » ne correspond pas toujours au corps physique du point de vue de la structure psychopathologique. Dr M. Schweitzer – Il faut fe´liciter les auteurs de cette communication pour cette pre´sentation. Elle renoue avec la tradition de la publication originale de situations cliniques particulie`res telles qu’on les retrouve dans les Annales.
Le psychiatre d’enfant a releve´ les ante´ce´dents que vous avez pre´sente´s et qui me´riteraient d’eˆtre de´veloppe´s. On recherchera la notion de traumatisme dans le de´veloppement, ou d’e´ventuels abus sexuels ou des dysfonctionnements intrafamiliaux. Un bilan psychologique (projectif et cognitif) a-t-il pu eˆtre envisage´ ? Re´ponse du Rapporteur – Dr Anne-Emmanuelle Jacques – Le tableau clinique initial e´tait celui d’un e´tat de´pressif majeur d’intensite´ se´ve`re associe´ a` un syndrome douloureux chronique. La patiente n’exprimait pas d’ide´ations suicidaires e´labore´es et il n’y avait pas de pe´ril imminent d’un passage a` l’acte par automutilation. Ne´anmoins, son questionnement sur son membre infe´rieur interrogeait plusieurs diagnostics diffe´rentiels que nous avons souhaite´ de´velopper dans ce cas clinique. Le parcours de vie vient donner du relief et du sens a` cette pre´sentation clinique. Il nous permet de mieux comprendre la souffrance exprime´e par cette patiente. Notre prise en charge a e´te´ axe´e sur le traitement de l’e´tat de´pressif en associant un traitement me´dicamenteux et une prise en charge en psychothe´rapie d’inspiration analytique avec notre psychologue. La patiente n’avait pas pris de contact avec un chirurgien. Nous pensons que la re´ponse a` apporter dans ce type de pre´sentation clinique se doit d’eˆtre pluridisciplinaire et re´fle´chie, en prenant en compte la singularite´ de chaque patient. Malheureusement, nous n’avons pas pu mettre en œuvre des tests projectifs et cognitifs car l’alliance au soin n’e´tait pas suffisante sur la dure´e.
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