Une décision de justice pas à pas. Décès suite à un accouchement : condamnation pénale de l’obstétricien et de l’anesthésiste

Une décision de justice pas à pas. Décès suite à un accouchement : condamnation pénale de l’obstétricien et de l’anesthésiste

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Droit Déontologie & Soin 12 (2012) 309–313 Chronique Une décision de justice pas à pas. Décès suite à...

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Droit Déontologie & Soin 12 (2012) 309–313

Chronique

Une décision de justice pas à pas. Décès suite à un accouchement : condamnation pénale de l’obstétricien et de l’anesthésiste Marion Mourand (avocat à la cour) 1 Cabinet Mourand, 15, rue de la Présentation, 75011 Paris, France Disponible sur Internet le 12 juin 2012

Résumé Un obstétricien ne peut abandonner la surveillance à son confère anesthésiste, surtout quand la technique qu’il a utilisée présente un risque connu des seuls spécialistes. © 2012 Publié par Elsevier Masson SAS.

Du fait d’une dystocie des épaules, un obstétricien a procédé par une manœuvre de Jacquemier, choix technique qui n’est pas critiqué. Mais cette manœuvre comportait un risque accru d’hémorragie interne, connu des spécialistes obstétriciens. La jeune mère est laissée à la surveillance de l’anesthésiste, qui ne réagit pas tandis que son état s’aggrave. La transfusion et l’acte opératoire nécessaires pour traiter l’hémorragie est envisagé trop tardivement et la patiente décède. L’anesthésiste est condamné pour son absence de réaction devant une situation qu’il ne maitrisait plus et l’obstétricien pour avoir laissé la surveillance à son confère sans l’aviser du risque d’hémorragie, que celui-ci semblait ignorer (Cour de cassation, chambre criminelle, 7 février 2012, no 11-80820). 1. Le droit applicable L’article 221-6 du Code pénal réprime le fait de causer la mort d’autrui, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l’article 121-3 du même Code, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement.

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Adresse e-mail : [email protected] http://www.avocat-mourand.fr.

1629-6583/$ – see front matter © 2012 Publié par Elsevier Masson SAS. http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2012.04.004

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Ce délit d’homicide involontaire est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende, ces peines étant portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende en cas de violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement. L’article 121-3 du Code pénal précise que la faute du prévenu s’apprécie in concreto, au regard des diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait. Ce même texte exige, lorsque les personnes physiques n’ont pas directement causé le dommage, mais ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, la preuve d’une faute d’un degré de gravité supérieur, à savoir une violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, ou une faute caractérisée exposant autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer. 2. Les faits Pour procéder à l’accouchement d’une parturiente, le Docteur Y, médecin obstétricien, a dû pratiquer une manœuvre de Jacquemier, du fait de la dystocie des épaules du fœtus, évènement rare mais connu des obstétriciens qui se caractérise par l’enclavement des épaules, bloquées dans ou vers l’excavation pelvienne. À l’issue de l’accouchement, la surveillance de la patiente a été confiée à la sage-femme et au Docteur A, médecin anesthésiste, tandis que l’obstétricien s’est absenté pour prendre en charge une urgence pédiatrique. La parturiente récupérait mal, mais le tableau diagnostiqué était celui d’une hypotension, et la possibilité d’une hémorragie interne manifeste de la délivrance n’a pas été envisagée par l’anesthésiste. Le Docteur A a simplement songé à un retard de compensation d’une hémorragie passée induite soit par l’accouchement, soit par l’épisiotomie, soit par le retard à la délivrance chez une patiente ayant un taux initial d’hémoglobine abaissé. Il a alors entrepris un traitement symptomatique classique : restauration volémique et vasoconstricteurs. Alors que la situation n’évoluait guère, le médecin anesthésiste n’a pas contacté son confrère obstétricien, malgré le caractère inexplicable des troubles persistants et l’absence de réponse thérapeutique. Il a fallu l’apparition d’un nouveau symptôme, en l’occurrence la survenue de douleurs dans les épaules, associée à l’hypotension artérielle persistante malgré le traitement par perfusions administré, pour qu’il évoque, à 22 heures 30, le bon diagnostic. Une numération sanguine réalisée, à 21 heures 40, a d’ailleurs, montré une anémie majeure constitutive d’une urgence vitale, rendant nécessaire une laparotomie pour réaliser une hémostase. Cette intervention a été programmée en urgence pour 23 heures 30, mais le décès de la parturiente est intervenu juste avant. 3. L’accusation du procureur C’est le délit d’homicide involontaire qui est reproché au Docteur Y, médecin obstétricien, et au Docteur A, médecin anesthésiste. Le procureur a retenu comme charges :

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• la faute de surveillance qui avait retardé la décision de transfusion sanguine et d’intervention chirurgicale laquelle aurait pu empêcher le décès de la victime, mettant en cause l’équipe médicale, qui aurait dû être alertée par l’hypotension persistante d’une patiente venant d’accoucher ; • le fait pour le Docteur Y, au regard de la manœuvre tout à fait inhabituelle pratiquée par lui et comportant un risque accru d’hémorragie interne, de ne pas être resté à proximité d’une patiente dont l’état nécessitait une surveillance spécifique et des mesures de réanimation qui n’ont été en l’occurrence effectuées que par la sage-femme ; • le fait pour le Docteur A, de n’avoir pas mis en place, en présence de signes pouvant laisser craindre une hémorragie interne manifeste et devant la persistance de signes de choc maternel, un traitement médical plus intense et de s’être abstenu de faire appel au Docteur Y... beaucoup plus tôt, ne serait-ce que pour conférer avec lui de l’état inexplicable de la patiente. 4. Le Tribunal correctionnel Le Tribunal correctionnel a retenu la responsabilité pénale des Docteurs Y et A, partant du constat que la surveillance de la parturiente incombait à l’ensemble de l’équipe médicale et relevant la persistance d’une hypotension malgré les perfusions effectuées. Les principaux éléments ayant conduit à la condamnation sont : • la numération sanguine de 21 heures 40, qui montrait une anémie majeure constitutive d’une urgence vitale et rendait nécessaire, selon les experts, une laparotomie pour réaliser une hémostase laquelle n’a eu lieu qu’à 23 heures 30, • le recours à la manœuvre de Jacquemier, qui est susceptible d’engendrer des troubles aussi bien fœtaux que maternels (notamment d’hémorragie de la délivrance par déchirure de la filière génitale) et qui rendait nécessaire la présence du Docteur Y, • le défaut de réaction du Docteur A devant l’absence de normalisation de la pression artérielle de la parturiente malgré les perfusions et la persistance de signes d’un état de choc, • le défaut de communication entre les praticiens sur l’état de la patiente alors qu’ils se sont vus à son chevet et que la surveillance leur incombait en tant qu’équipe médicale. Les premiers Juges ont estimé que ces éléments traduisaient un défaut de surveillance de la patiente, cette faute ayant été considérée comme la cause certaine et directe du retard de diagnostic et de traitement idoine. Les deux médecins ont, ainsi, été reconnus coupables d’homicide involontaire, par un jugement dont seul le Docteur Y, médecin obstétricien, a interjeté appel. 5. La Cour d’appel de Reims (2 décembre 2010) Devant la Cour d’appel, la défense du Docteur Y a consisté à soutenir qu’il n’avait commis aucune faute, dès lors que : • il a remis la patiente entre les mains de deux professionnels, la sage-femme et l’anesthésiste, • la patiente ne présentait alors aucun signe d’hémorragie tant externe qu’interne, • il était d’autant moins responsable du décès que c’est lui qui, découvrant l’état de la patiente à 22 heures, a enclenché les mesures préconisées par les experts mais de fac¸on malheureusement trop tardive,

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• il avait dû se rendre disponible pour traiter une urgence pédiatrique.

Cette position n’a pas convaincu la Cour. En premier lieu, la Cour d’appel a interprété la renonciation par l’anesthésiste à la voie de l’appel comme une acceptation de sa responsabilité pénale et une reconnaissance de son retard de diagnostic et de traitement fautif. Cette appréciation de la Cour peut être regardée comme un raccourci un peu rapide, tant il n’est pas rare, en pratique, qu’une personne qui se considère comme injustement condamnée renonce cependant à interjeter appel pour éviter les désagréments d’un nouveau procès et le risque d’aggravation de la peine, si le Ministère Public décidait de former un appel incident. En deuxième lieu, la Cour a rappelé que la faute imputée au Docteur Y, médecin obstétricien, ne tenait pas aux actes pratiqués lors de l’accouchement mais consistait en un défaut de surveillance post-accouchement. En troisième lieu, la Cour a reconnu que, si la surveillance de la patiente relevait bien de la responsabilité de l’équipe médicale en son entier, il n’en convenait pas moins de s’attacher au rôle de chacun selon les prescriptions de l’art médical. S’agissant du défaut de surveillance reproché au Docteur Y, la Cour a, certes, admis, sur la base des rapports d’expertise, qu’aucun signe d’hémorragie n’était apparu au moment où l’obstétricien avait confié la patiente au médecin anesthésiste et à la sage-femme et que c’est ce même obstétricien qui avait finalement enclenché la thérapeutique justifiée par l’hémorragie interne dont la parturiente souffrait. Toutefois, la Cour a tenu compte de plusieurs circonstances pour considérer que le Docteur Y avait commis un défaut de surveillance fautif. Elle a relevé, d’une part, que l’un des principaux risques graves pour une parturiente est celui d’une hémorragie interne car celle-ci demeure invisible, ce risque se trouvant accru en cas de recours aux forceps et en présence d’une manœuvre de Jacquemier. La Cour a noté, d’autre part, que si le dossier médical de la parturiente faisait mention de la dystocie des épaules et de la manœuvre de Jacquemier, le Docteur Y n’avait pas cru devoir alerter son confrère anesthésiste, certes, expérimenté, mais non spécialiste de l’obstétrique, des risques accrus d’une hémorragie interne. Les Juges d’appel ont, par ailleurs, rappelé que ce risque accru d’hémorragie interne aurait dû conduire l’anesthésiste à une surveillance inhabituelle, c’est-à-dire une attention plus marquée aux signes de choc hémorragique. Ils ont estimé, de plus, que cette absence de communication entre l’obstétricien et l’anesthésiste, expliquait l’attitude de l’anesthésiste qui ne s’est pas suffisamment alerté des signes possibles de ce choc hémorragique et qui a attendu l’apparition de douleurs à l’épaule associées à la persistance de l’hypotension artérielle résistante aux traitements, pour qu’il évoque, à 22 heures 30, le bon diagnostic. La Cour reproche, ainsi, au Docteur Y, à tout le moins de ne pas avoir averti son confrère anesthésiste du risque accru d’hémorragie, voire même de ne pas avoir été lui même plus attentif au cas de la parturiente qui l’inquiétait manifestement puisqu’il est revenu de lui-même à son chevet. La Cour a, enfin, rejeté les arguments de défense de Docteur Y, considérant que ce dernier ne justifiait pas avoir dû intervenir en urgence auprès d’un patient de néo-natalité, lequel était pris en charge par un pédiatre, et qu’il aurait pu contourner cette indisponibilité alléguée par une information suffisante du Docteur A.

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Contrairement aux premiers Juges, la Cour a considéré que le Docteur Y n’avait pas causé directement le décès de la patiente mais seulement créé la situation ayant permis la réalisation du dommage ou omis de prendre de prendre les mesures permettant de l’éviter, son attitude ne pouvant être acceptée au regard des diligences normales d’un obstétricien et compte tenu de la nature de sa mission et de ses compétences. S’agissant d’une causalité indirecte, la Cour s’est, également, attachée à vérifier que le défaut de surveillance et de communication imputé au Docteur Y revêtait le degré de gravité suffisant exigé par l’article 121-3 du Code pénal. Sur ce dernier point, la Cour a admis qu’il n’existait, en l’espèce, aucune obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement qui aurait été violée par l’obstétricien. Cependant, elle a estimé que le Docteur Y avait commis une négligence caractérisée en s’abstenant de tenir compte du risque accru d’hémorragie et omettant d’anticiper sa survenue, ne serait-ce qu’en exigeant de la sage femme et de l’anesthésiste qu’ils le tiennent en permanence informé de l’évolution de l’état de santé de la parturiente. C’est ainsi que la Cour a confirmé la décision de culpabilité du Docteur Y et qu’elle a aggravé la peine infligée en première instance en la portant à un an d’emprisonnement assorti en totalité du sursis. 6. Devant la Cour de cassation Le Docteur Y a formé un pourvoi devant la Cour de cassation, formulant trois griefs distincts contre l’arrêt de la Cour d’appel Reims. En premier lieu, le Docteur Y reprochait à la Cour d’appel de s’être contredite, en mettant à sa charge une insuffisance d’information du Docteur A sur l’existence d’un risque hémorragique accru du fait de la manœuvre de Jacquemier, tout en admettant que la réalisation de cette manœuvre particulière avait été mentionnée au dossier de la patiente. En deuxième lieu, le Docteur Y rappelait que le délit d’homicide involontaire suppose l’existence d’un lien de causalité certain et il reprochait à la Cour de s’être bornée à relever qu’il avait créé la situation ayant permis la réalisation du dommage sans rechercher si son attitude avait fait perdre à la parturiente toute chance de survie. En dernier lieu, le Docteur Y a tenté de contester l’existence de tout lien de causalité entre sa faute de surveillance et le décès, faisant valoir que la parturiente avait été placée sous la surveillance de l’anesthésiste et que, même si l’attention de ce dernier avait été particulièrement attirée sur le risque connu d’hémorragie de la délivrance, l’anesthésiste n’aurait pas davantage décelé l’hémorragie présentée. La Cour de cassation a, cependant, rejeté l’ensemble de ces arguments. La Haute Cour, qui ne rejuge pas les faits d’un litige mais vérifie seulement la bonne application du droit a, en effet, considéré que les Juges d’appel n’avaient pas entaché leur décision de contradictions ni d’insuffisance de motifs. L’arrêt de condamnation de la Cour d’appel de Reims est, ainsi, devenu définitif. Déclaration d’intérêts L’auteur n’a pas transmis de déclaration de conflits d’intérêts.