Une intervention préventive communautaire en périnatalité

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Pratiques psychologiques 17 (2011) 107–117

Dossier

Une intervention préventive communautaire en périnatalité A perinatal mental health promotion intervention J. Tissier 1,∗ , A. Bouchouchi 1 , C. Glaude 1 , A. Legge 1 , S. Désir 1 , T. Greacen 2 , R. Dugravier 3 Xe secteur de psychiatrie infanto-juvénile de Paris, hôpital Bichat, AP–HP, CMP Binet, 64, rue Henri-Binet, 75018 Paris, France Rec¸u le 13 octobre 2010 ; accepté le 24 novembre 2010

Résumé CAPEDP (compétences parentales et attachement dans la petite enfance : diminution des risques liés aux troubles de santé mentale et promotion de la résilience [parenting competencies and attachment in the early childhood: diminution of the health mental problems and promotion of resilience]) est une rechercheaction clinique qui concerne des jeunes mères ayant souhaité être accompagnées dans leur parentalité. Cette recherche est proposée en maternité à des femmes en situation de vulnérabilité psychosociale. Elle répond à des besoins observés par les cliniciens et chercheurs en périnatalité autour des questions de prévention des troubles de santé mentale ou bien de promotion des compétences parentales. La dépression périnatale constitue un obstacle à l’établissement harmonieux du lien mère-bébé essentiel au bon développement de l’enfant. De plus, les parents n’ont parfois pas suffisamment accès aux connaissances importantes pour aider à la croissance de l’enfant ou sont peu étayés par leur famille dans cette période de vie si sensible. Nous présenterons donc dans cet article notre pratique auprès des familles après avoir situé brièvement le cadre théorique de l’intervention. © 2010 Société franc¸aise de psychologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Attachement ; Alliance de travail ; Dépression du post-partum ; Compétences parentales ; Visite à domicile

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Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (J. Tissier). Psychologue. Dixième secteur de psychiatrie infanto-juvénile de Paris. Docteur en psychologie, laboratoire de recherche de l’EPS Maison-Blanche, Paris. Pédopsychiatre – praticien hospitalier. Dixième secteur de psychiatrie infanto-juvénile de Paris.

1269-1763/$ – see front matter © 2010 Société franc¸aise de psychologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

doi:10.1016/j.prps.2010.11.006

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Abstract CAPEDP (compétences parentales et attachement dans la petite enfance : diminution des risques liés aux troubles de santé mentale et promotion de la résilience [parenting competencies and attachment in the early childhood: diminution of the health mental problems and promotion of resilience]) is an action research in perinatal prevention targeting young mothers who accept home-visiting support during pregnancy and up until their first child’s second birthday. Participation is proposed at the maternity hospital to women presenting specific psychosocial vulnerability factors. The study aims to describe and assess the impact of a manualised mental health promotion programme. Particular attention is paid to promoting secure motherchild attachment and preventing maternal depression, a recognised obstacle to a healthy relationship between mother and baby, so essential for the child’s developpement. In other situations, young parents may not have sufficient knowledge or support to develop effective parenting skills in this important and delicate period of the child’s life. The article describes the work done with these families in the light of the theoretical foundations underpinning this approach. © 2010 Société franc¸aise de psychologie. Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Attachment; Working alliance; Maternal depression; Parenting skills; Home visiting

1. Introduction CAPEDP4 (compétences parentales et attachement dans la petite enfance : diminution des risques liés aux troubles de santé mentale et promotion de la résilience) est une recherche-action de prévention en périnatalité actuellement menée en région Île-de-France avec le concours de psychologues du service de pédopsychiatrie de l’hôpital Bichat et du laboratoire de recherche de l’établissement public de santé Maison-Blanche. Il s’agit d’une étude randomisée dont l’objectif est d’évaluer l’efficacité d’un programme d’intervention débutant au cours du septième mois de grossesse et s’interrompant lorsque l’enfant atteint l’âge de deux ans. Cette recherche concerne 440 jeunes femmes primipares, en situation de vulnérabilité psychosociale estimée à partir de critères communs (avoir moins de 26 ans, débuter la recherche avant 26 semaines d’aménorrhée, et un des trois critères suivants à savoir : déclarer élever seule leur enfant, bénéficier de la Couverture maladie universelle (CMU), avoir un niveau d’études inférieur à 12 ans, équivalent au baccalauréat). Les 440 jeunes femmes participantes sont réparties aléatoirement en deux groupes de 220 (Dugravier et al., 2009). Les familles intégrées dans le groupe intervention bénéficient d’un accompagnement à domicile régulier (une visite tous les 15 jours) ; l’impact du programme est évalué à six périodes, comparativement aux familles du groupe témoin qui bénéficient, quant à elles uniquement des six temps d’évaluation ainsi que du système de droit commun. Quatre psychologues-évaluatrices se répartissent les 440 familles et sept psychologues-intervenantes se répartissent les 220 familles du groupe intervention. La recherche CAPEDP s’inscrit dans la continuité de travaux déjà anciens essentiellement anglo-saxons (Davis et Tsiantis, 2005 ; Haddad et al., 2004 ; Olds et al., 1986) mais aussi franc¸ais (Stoléru et Moralès-Huet, 1989) qui ont proposé des modes d’intervention adaptés aux besoins des familles dites « à problèmes multiples » et dont Selma Fraiberg (1980) fut une pionnière. Le principe de l’intervention à domicile repose sur le postulat que certaines familles ressentent une 4 CAPEDP est financé par le Protocole hospitalier de recherche clinique national (PHRC) et l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES).

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grande méfiance vis-à-vis des institutions, n’utilisent les divers services proposés qu’en dernier recours, dans l’urgence, sans demande explicite. Nous nous intéresserons ici aux enjeux de ces visites à domicile dont l’objectif est de favoriser l’équilibre psychique de la mère et de l’enfant en offrant un soutien émotionnel, en contribuant à une meilleure inscription dans les réseaux médicosociaux et en partageant les connaissances actuelles sur le développement du bébé. Ces différents aspects de l’intervention sont adaptés aux besoins de chaque famille. Nous détaillerons d’abord le cadre commun d’intervention des psychologues. Nous aborderons ensuite le travail de lien avec les familles. Puis, nous traiterons les deux objectifs principaux de notre mission de prévention auprès des familles : la prévention des troubles de santé mentale ainsi que la promotion des compétences parentales via les représentations maternelles et la sécurité de l’attachement. 2. Des bases et des outils communs pour les psychologues Les intervenantes à domicile sont toutes psychologues. Outre leur formation initiale et l’approche intégrative de l’intervention avec l’apport de la psychanalyse (Cramer et PalacioEspasa, 1993) ou de la psychologie transculturelle (Stork, 2004), les psychologues ont également bénéficié d’une formation continue concernant divers aspects de la périnatalité et de la petite enfance (les réseaux médicosociaux, la grossesse et ses enjeux, la naissance et le développement de l’enfant) ainsi que sur les grands courants théoriques de la recherche que sont la psychologie communautaire (Saias, 2009), la relation d’aide (Rogers, 1942) et la théorie de l’attachement (Guedeney et Guedeney, 2006). La psychologie communautaire se base sur des concepts clés comme l’approche écologique (Bronfenbrenner, 1979) qui analyse la dynamique des interactions entre les individus et leurs environnements ou l’empowerment (Eisen, 1994 ; Rappaport, 1987) qui correspond à la fac¸on dont l’individu accroît la maîtrise de sa situation personnelle, son estime de soi et sa confiance. La relation d’aide constitue la plus importante technique d’intervention auprès des familles. L’empowerment en est un des constituants principaux (McWhirter, 1991). Elle s’appuie sur les motivations au changement et met en avant le travail sur le vécu émotionnel des situations actuelles difficiles. Quant à la théorie de l’attachement, elle permet de travailler le lien parent-enfant mais aussi la relation entre les parents et l’intervenante psychologue. Parallèlement à ces formations théoriques, un accompagnement du travail de terrain des psychologues a été instauré à travers des réunions et des supervisions individuelles et collectives régulières. Ces temps institutionnels permettent aux intervenantes d’harmoniser leurs pratiques. Ils favorisent également une réflexion et un soutien afin d’assurer continuité, souplesse et créativité dans le travail d’accompagnement des familles. Les intervenantes s’appuient sur un manuel d’intervention élaboré à partir de différents documents de la littérature internationale : les points forts de Brazelton (1992), le guide de la société Marcé (Elliott et Henshaw, 2002), le guide du ministère des Services Sociaux et de Santé au Québec (Desjardins et al., 2005), le guide de Deborah Weatherston et Tableman (2002). Il emprunte la forme du manuel de Mimi Graham. Le manuel de Graham a été construit par le Florida State University Center, 2003 pour des infirmières spécialisées impliquées dans des programmes de prévention précoce à domicile auprès des familles défavorisées. Il traite de la santé des mères, des enfants, et des enjeux éducatifs de la petite enfance en considérant que les premières années de vie apportent les bases importantes pour développer des compétences sociales, intellectuelles et émotionnelles. Ce manuel regroupe les stratégies à disposition des familles afin de promouvoir une évolution familiale harmonieuse, de reconnaître les signes précoces d’éventuels problèmes de santé et de soutenir le développement

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de leur enfant. Il résume alors les points importants tels que soutenir le langage précoce, adapter l’environnement afin de favoriser l’autonomie de l’enfant. Le manuel CAPEDP a été adapté au contexte socioculturel franc¸ais et au réseau sanitaire et social existant. À la différence des programmes de prévention américains, mis en œuvre par des infirmières et puéricultrices, l’intervention en France est effectuée par des psychologues cliniciennes, dont le travail s’attache moins aux comportements de santé, mais concerne davantage l’accompagnement dans l’élaboration et le soutien psychologique, tout en conservant un caractère informatif et de guidance. Le manuel sert tant sur le plan de l’information que des problématiques à aborder avec les familles, mois par mois, selon le déroulement de la grossesse puis le développement de l’enfant. Pour chaque période, des thématiques spécifiques sont abordées : suivi de grossesse, santé mentale de la mère, inscription dans les réseaux sanitaires et sociaux, développement et compétences de l’enfant, promotion des compétences parentales, insertion socioprofessionnelle de la mère, insertion sociale et culturelle de la famille. Ainsi, le manuel apporte tout d’abord des points de repère théoriques sur la maternité, la parentalité et le développement de l’enfant. Il soutient également l’intervention en proposant des pistes de travail sur des thématiques particulières à aborder (Guedeney et Allilaire, 2001 ; Guedeney et Lebovici, 1997). Enfin, il comporte une partie spécifique, à des périodes clés du développement, concernant l’attachement et l’autorité. Le manuel comporte aussi des « Fiches Famille » destinées aux parents pour les informer sur le suivi de la grossesse et le développement de l’enfant (allaitement, jeux, sommeil, langage, sécurité. . .). À ces outils, s’ajoute l’utilisation de documentaires vidéo issus de la télévision, qui traitent de la grossesse ou du développement de l’enfant, à disposition des familles. L’autovidéoscopie est un autre outil de travail qui consiste à filmer des interactions parent(s)bébé visionnées ensuite par les parents et l’intervenante. 3. Créer une alliance de travail : la question du lien Pour travailler au mieux avec les familles, il s’agit, en tout premier lieu, de construire une alliance de travail comme base nécessaire de l’accompagnement de ces jeunes mères à verbaliser et à penser leur future parentalité. Ce lien débute en fin de grossesse entre la mère, parfois le père, et l’intervenante. Il importe de créer une confiance particulière pour permettre la libre discussion autour des affects et représentations que la grossesse et la parentalité génèrent. Une juste distance et une souplesse toutes particulières sont à penser dans l’intervention pour favoriser la construction de ce lien et d’un échange réciproque mais également pour comprendre les éventuelles ruptures momentanées du lien, les rendez-vous manqués, annulés ou reportés (Stoléru et Moralès-Huet, 1989 ; Moralès-Huet, 1996). L’ajustement est parfois nécessaire entre le contenant et le contenu d’une visite ou d’un appel téléphonique pour viser le maintien de la relation. Il nous faut en quelque sorte « tenir bon » quand la discontinuité nous est imposée. Notre cadre de travail (fréquence et lieu) est alors aménagé en fonction de chaque famille (Hok et al., ce numéro). Une orientation vers les intervenants sociaux peut être une première étape indispensable. Si nous gardons toujours en tête l’objectif d’aider les familles à acquérir une autonomie, nous ne nous interdisons pas d’accompagner la famille dans sa demande. Travailler avec la réalité sociale, matérielle et financière des familles, représente une grande partie de l’intervention. Ce qui n’est pas

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facile en tant que psychologue. Comment penser ? Comment se dégager de cette réalité écrasante ? Informer, orienter, accompagner, penser et rêver sont nos outils face à ces situations. La psychologue doit alors disposer de qualités essentielles telles que la fiabilité, la prévisibilité, la disponibilité, la cohérence et la souplesse (Brazelton, 1990 ; Weatherston et Tableman, 2002). Sur la base de ces qualités relationnelles, la psychologue peut exercer son rôle de contenance, de soutien émotionnel, de guidance parentale et d’aide à l’élaboration des difficultés. En effet, tout comme la mère sert de pare-excitation des stimulations extérieures auprès de son bébé, nous remplissons cette fonction auprès des jeunes mères vis-à-vis d’un entourage qui peut parfois être envahissant, avec un désir d’aider, de conseiller. Mais aussi, nous pouvons travailler avec cet entourage directement (en venant à domicile), ce qui amplifie la réorganisation de la place de chacun au sein de la famille (père, grands-parents, tante/oncle). Ce lien de confiance permet également de conseiller les parents sans que la guidance parentale soit vécue comme une critique. Notre postulat partagé avec certains auteurs (Olds et al., 1997) est qu’indirectement, cette relation de confiance entre l’intervenante et la mère se reporte sur la relation mère-bébé. L’intervenante, procurant une sécurité relationnelle à la mère, aide cette dernière à être, à son tour, une base de sécurité pour son enfant. La mère s’approprie les attitudes positives de l’intervenante qu’elle a expérimentées sur elle-même. Ce qui lui offre un modèle d’identification qu’elle peut assimiler et reproduire de fac¸on personnalisée dans sa relation avec son enfant. Raphaëlle Miljkovitch (2006), dans son chapitre sur l’attachement au niveau des représentations, développe les modèles internes opérants et les phénomènes de transmission intergénérationnelle inhérents à ces processus. Les MIO, construits pendant l’enfance à travers les expériences relationnelles accumulées, conduisent à anticiper les réactions des autres. Des biais relationnels peuvent donc surgir via les expériences passées, et cela, d’autant plus quand les situations vécues ont été douloureuses voire traumatiques. Elle précise alors que travailler sur ces modèles internes relationnels permet de prévenir la répétition des interactions dysharmonieuses. Daniel Stern (1995) ajoute, selon les repères théoriques de l’attachement et la notion de « holding » développée par Winnicott, que la maternité nécessite la présence d’une figure d’attachement sécure ; cette dernière étant représentée, dans la situation qui nous concerne, par l’intervenante. Les mères ont besoin d’une sécurité relationnelle qui les soutienne, les conforte dans leur nouveau rôle, et leur donne la confiance qui leur permet la liberté de trouver elle-même leur propre sensibilité maternelle. Le travail du lien s’effectue alors sur quatre niveaux : le lien entre la psychologue et la famille, entre la famille et son environnement, l’histoire familiale de l’attachement et le lien parent(s)-bébé. Nous nous attachons à soutenir le lien réciproque et profitable de la mère avec son entourage et les autres institutions sanitaires et sociales. À ce niveau, nous nous positionnons dans un rôle de médiation. Nous éclaircissons les missions de chaque institution et encourageons la mère à se saisir des services proposés et être demandeuse d’aide si besoin. Nous pouvons également faire le lien directement avec les institutions partenaires. Il s’agit de faciliter l’accès à ces institutions, de réfléchir ensemble le lien créé avec ces dernières et de comment celui-ci est vécu (conflictuel, confiance, méfiance). Un travail plus introspectif consiste à revenir ensemble sur l’histoire familiale de l’attachement. Il aide les parents à se resituer en position de sujet, à opérer une certaine distance par rapport à leur propre enfance, leur éducation et à percevoir le bébé comme un individu avec ses propres besoins distincts des leurs. Enfin, nous soutenons le lien parent(s)-bébé grâce à l’accompagnement des interactions et à la régulation émotionnelle. La fiabilité de ce lien si difficile à mettre en place est indispensable pour que les femmes s’autorisent à dire leurs difficultés, leurs peurs, mais aussi leurs sentiments

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négatifs concernant leur grossesse ou leur enfant. Pouvoir exprimer ces sentiments négatifs est primordial pour l’objectif qui nous intéresse ici : prévenir les dépressions périnatales. 4. Prévenir la dépression maternelle Il n’est pas facile de se dire déprimé quand on devient parent, événement qui devrait être, dans notre culture, ô combien joyeux pour toutes les femmes. Or, la plupart des auteurs s’accordent pour dire que la dépression périnatale, dont l’étiologie est multifactorielle et la prévalence élevée (10 % en population générale) (Guedeney et Jeammet, 2001), a une répercussion négative sur les interactions précoces mère-enfant (Dayan et al., 1999). De plus, il a été montré qu’une meilleure connaissance du fonctionnement du corps, du développement du bébé et du déroulement de l’accouchement constituait un facteur de protection, grâce à l’accentuation du sentiment de maîtrise que ces informations apportent. Ainsi, nous encourageons les mères à utiliser les réseaux médicaux : le suivi de grossesse à l’hôpital, les cours de préparation à l’accouchement. Nous utilisons de plus nos propres outils (fiches famille, documentaires vidéos). Ces outils permettent d’informer la mère, mais aussi d’avoir accès à certaines représentations de la grossesse, individuelles et culturelles, ses aspects affectifs et corporels, ainsi qu’identitaires. Ces représentations tant positives que négatives peuvent être travaillées avec la femme pour aborder l’accouchement ou la grossesse le plus sereinement possible. En filigrane de toutes nos visites, c’est véritablement un travail sur les réaménagements identitaires et identificatoires inhérents à la grossesse qui est à l’œuvre. Même si celui-ci n’est pas forcément exprimé comme tel avec les mères, il est sans cesse présent dans le contenu des visites et pour l’intervenante qui peut alors le verbaliser. En effet, en parlant parfois de sujets tellement matériels, ce sont des questions qui touchent directement aux modifications de la grossesse et à son ambivalence. Un travail est aussi engagé sur les questions que suscitent l’accouchement et les représentations personnelles du bébé réel, imaginaire et fantasmatique. Nous nous attachons à apprécier comment ces représentations sont articulées avec l’arrivée du bébé et la préparation qui en découle. Parfois, le bébé réel à venir est peu présent pour la mère ; nous essayons alors de comprendre ensemble pourquoi (non-représentation de l’arrivée imminente du bébé, manque d’investissement de la grossesse, dépression prénatale. . .). La fac¸on dont la mère s’imagine le retour à la maison par exemple, peut nous amener à des représentations telles que « il va pleurer tout le temps » ou « j’aurais beaucoup de temps pour moi, les bébés dorment tout le temps ». Nous articulons alors une réflexion sur les représentations liées aux expériences du passé avec le travail sur la réalité actuelle des besoins du nourrisson. Pour certaines mères, le retour à la maison et les difficultés des premiers jours entraînent un véritable sentiment de panique. Nous parlons alors de la normalité de l’apprentissage par « essais-erreurs », de l’expertise qu’elle aura de son bébé dès le premier mois et de la PMI toute proche où elle pourra trouver des réponses à ses questions. Nous travaillons également sur l’information et l’explication du baby blues. Cette discussion a pour but tout d’abord de préparer la mère à la possibilité de l’apparition du baby blues, de dédramatiser cet épisode en parlant de son occurrence, de sa résolution, d’anticiper une possible culpabilité liée à sa survenue, mais aussi d’en souligner les aspects qui peuvent être positifs (questionnement sur son rôle de mère, préoccupation maternelle. . .). Parler du baby blues c’est aussi signifier à la mère qu’elle peut exprimer des sentiments négatifs ou de la tristesse. Une des difficultés de l’intervention est de trouver le juste équilibre entre les informations utiles, qui aideront la mère à avoir un plus fort sentiment de contrôle et celles qui ne sont pas

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nécessaires et deviendraient inquiétantes ou envahissantes. L’anticipation ne doit pas devenir angoissante et la prévention ne doit pas devenir une recherche à tout prix de symptômes. Notre intervention périnatale consiste donc à trouver un équilibre entre les objectifs du projet et les demandes et problématiques propres à chaque famille. Ainsi, nous adoptons une approche globale et transversale, dans laquelle, informations, guidance, orientations, et soutien psychologique doivent s’articuler avec souplesse. Ce qui nécessite « une grande plasticité » (Dayan, 2008) pour répondre aux besoins des familles évoluant tout au long de nos rencontres et particulièrement à l’arrivée du bébé. Une des forces de l’intervention concernant la prévention des dépressions est la continuité de l’accompagnement entre la période prénatale et le post-partum (Dayan, 2008). Grâce au cadre et à la sécurité du lien instauré, nous pouvons discuter avec les mères de leur accouchement. Il s’effectue alors un travail de narration, qui parfois nous amène à constater et à entendre le vécu traumatique qu’a pris pour certaines la naissance de leur enfant. Un retour sur les émotions, les souvenirs et l’élaboration de ceux-ci est effectué, en prenant garde que notre intervention autour de l’évènement ne devienne pas à son tour traumatique. Ce récit positif comme négatif autour de l’accouchement nous conduit également à leur première rencontre avec leur bébé. Cet événement revêt une importance particulière parce qu’il correspond à un nouveau rôle et à une nouvelle dynamique conjugale et familiale (Wendland, 2004). Notre présence au domicile et le travail d’observation qui guident notre pratique nous permettent de repérer et d’aborder avec les mères les difficultés qu’elles ne peuvent dire ou transmettre. Parfois, nous pouvons observer et diagnostiquer une dépression post-natale justifiant une prise en charge en centre médicopsychologique. Ce qui représente un véritable enjeu de l’intervention. Comment aider ces femmes à avoir une représentation positive du soin psychique et psychiatrique ? Pour certaines, comment s’autoriser ce soin ? Pour d’autres, comment envisager un lien thérapeutique ? Ces questions sont souvent à travailler avec les mères avant qu’elles puissent prendre un premier rendez-vous avec un professionnel de santé mentale. En parallèle de notre travail autour de la santé psychique de la mère, s’articule le soutien à la parentalité. 5. L’accompagnement des compétences parentales selon une approche écologique Favoriser le développement harmonieux de l’enfant au sein de sa famille consiste à sensibiliser les parents aux compétences précoces de leur bébé et à favoriser ainsi la qualité des échanges parent(s)-bébé. Les jeunes mères primipares que nous rencontrons à domicile n’ont souvent que peu de notions sur le développement du bébé. De nombreuses études ont montré l’intérêt de sensibiliser les jeunes parents aux compétences interactives du nouveau-né ainsi que l’impact positif de cette sensibilisation sur la qualité des interactions (Wendland, 2004). L’intervention à domicile permet une approche globale de l’aide aux familles. En effet, la relation parent(s)-enfant s’inscrit au sein d’autres structures plus larges (famille nucléaire et élargie, communauté et société au sens large). Pour soutenir la parentalité, il est donc nécessaire d’appréhender la famille dans son milieu de vie et de prendre en compte l’environnement social, relationnel, sanitaire, culturel et politique des membres de la famille (Bouchard, 1981 ; Bronfenbrenner, 1986 ; Stoléru et Moralès-Huet, 1989). Nous participons à développer les ressources sociales, médicosociales et communautaires lorsque les familles recherchent de l’aide. Ainsi, l’accompagnement à domicile d’une femme de 22 ans de retour à la maison avec son nouveau-né après son accouchement : madame est seule, dans une situation sociale très précaire,

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sans ressources et contrainte de quitter l’appartement dans lequel elle était hébergée. Elle exprime alors des affects dépressifs et des sentiments de découragement. Un travail de collaboration, avec l’intervenante, a permis la mise en place d’un réseau médicosocial soutenant (assistante sociale, suivi PMI, lieu d’accueil mère-enfant, associations d’aide alimentaire). Aujourd’hui, madame est plus disponible pour son bébé et plus réceptive à ses besoins. Un plaisir partagé entre la mère et son enfant a été observé et valorisé. L’objectif est de réduire le sentiment d’isolement des familles, de renforcer l’autonomie et le sentiment de se sentir réussir (Bandura, 1982) en faveur du développement harmonieux de l’enfant. Nous cherchons à développer les capacités réflexives des parents en effectuant un travail sur leurs représentations afin d’apporter une autre signification aux phénomènes interactifs (LyonsRuth et Spielman, 2004). Nous travaillons ainsi sur les souvenirs conscients positifs comme négatifs et les processus inconscients à l’œuvre dans l’interaction, relatifs par exemple à l’autorité et aux situations passées de vulnérabilité. Ce travail sur les représentations et les émotions soutient la capacité de la dyade parent(s)-bébé à partager des états émotionnels synchrones et à établir des rythmes essentiels au bon développement de l’enfant (Robinson et al., 1997). Augmenter la sensibilité maternelle et paternelle aux signaux du bébé consiste à les aider à découvrir comment le bébé communique merveilleusement avec eux. Nous aidons la mère à reconnaître que son nourrisson émet des indices et des signaux (voix, gestes, expression faciale, mouvements du corps, états émotionnels) et qu’il est un partenaire actif dès sa naissance (Lebovici et Stoléru, 2003). Cette sensibilité parentale est un chemin capital vers une sécurité de l’attachement. Nous soutenons l’attention de la mère sur les comportements spécifiques qui donnent à l’enfant un sentiment de sécurité, de respect et d’amour. L’expérience vicariante constitue également une source supplémentaire influenc¸ant le sentiment de compétence. En effet, nous constatons combien les mères se saisissent de notre propre manière d’interagir avec leur enfant. Pour nous aider dans notre pratique, nous utilisons également la vidéo qui est un outil permettant d’étayer l’élaboration autour des interactions et surtout, de soutenir les compétences d’observation du parent. Ainsi, nous filmons des interactions parent(s)-enfant (repas, change, bain), sur une durée de cinq à dix minutes, puis nous faisons un travail d’autovidéoscopie avec le(s) parent(s). Nous discutons autour de cette vidéo tant sur l’observation du développement de l’enfant, de ses compétences interactives, ses comportements d’attachement que sur le vécu du parent autour de cette vidéo au niveau représentationnel et émotionnel. Notre intervention évolue en fonction de l’âge et des principales acquisitions cognitives, émotionnelles et relationnelles du bébé. Dans les premiers mois, le but de notre intervention est de sensibiliser les mères aux compétences précoces sensorielles et interactionnelles de leur enfant et de travailler les représentations maternelles afin de favoriser l’attachement réciproque mèrebébé. Puis, vient le temps de la découverte, par le bébé, du monde qui l’entoure avec son désir d’autonomie et d’affirmation de soi. Moments clés où nous accompagnons les parents dans la compréhension du désir de l’enfant, de la discipline et de sa sécurité. Nous réfléchissons avec la mère sur son vécu affectif et les remaniements psychiques face aux changements de comportements du bébé entre désir d’autonomie et désir de proximité ainsi que les séparations qui en découlent. Nous aidons à observer que les soins prodigués au bébé enrichissent ses capacités individuelles d’exploration et renforcent sa confiance. La phase de l’indépendance et de l’opposition constitue une période souvent difficile pour les parents. Il s’agit alors de les aider dans leur souhait de poser des limites. Ils font le constat que l’autorité est de plus en plus nécessaire, devant leur enfant grandissant, mais ne savent pas

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toujours comment s’y prendre. En effet, certains parents posent des limites trop sévèrement ou au contraire hésitent à les poser, se rappelant une autorité trop rigide et douloureuse subie dans leur enfance. D’autres ont peur du conflit ou de faire souffrir leur enfant et de perdre son amour : « elle ne m’aime plus » dira une mère d’une petite fille de 15 mois. Notre travail, tout au long de notre accompagnement, vise à soutenir les compétences parentales sur le chemin de l’indépendance de l’enfant à travers le langage, les jeux, les rythmes, les séparations, la sécurité, les limites, l’autorité et l’autodiscipline. 6. Conclusion Accompagner les familles consiste à les aider à se faire confiance dans leurs propres capacités parentales mais aussi en tant qu’individu à part entière d’une société. Dans le cadre de l’intervention, cela passe par la valorisation des compétences parentales et par le respect de leurs propres forces. Une écoute empathique et un soutien à l’élaboration viennent compléter notre travail autour des aspects plus difficiles dans l’interaction parent(s)-bébé ou des difficultés personnelles de la famille. La capacité de création est un terme central dans notre pratique tant au point de vue des familles qui se créent parents, qu’au point de vue relationnel parent(s)-bébé-psychologue qui nécessitent là aussi un haut potentiel créatif pour construire ensemble une relation personnelle et particulière. La créativité est essentielle dans la construction de notre pratique individuelle et collective. Cette dernière étant caractéristique et originale du fait du domicile et des missions transversales de notre activité. Il s’agit constamment de questionner sa fonction et sa place auprès de chaque famille selon ses besoins. Peut-être que rester sans cesse dans un processus créatif, à l’image des familles que nous accompagnons en période périnatale, nous aide à toujours être sensibles et disponibles auprès des femmes devenant mères ? Enfin, nous espérons que chacune de nos approches auprès et avec les familles « engage les femmes à développer des capacités sources de changements positifs au sein des différents domaines de leur vie » (Milgrom, 2001). Ces différents aspects sont illustrés dans les articles de Hok et al., Milliex et al., dans ce numéro. Déclaration d’intérêts L’auteur précise n’avoir aucun conflit d’intérêt dans la rédaction et publication de cet article. Remerciements Les auteurs remercient les 440 familles ayant participé au projet, les intervenantes et évaluatrices à domicile CAPEDP: Anna Dufour, Audrey Hauchecorne, Gaëlle Hoisnard, Virginie Hok, Alexandra Jouve, Céline Ménard, Marion Milliex, Eléonore Pintaux, Elodie Simon-Vernier, Alice Tabareau ; les membres du comité de pilotage CAPEDP: Antoine Guédeney, Florence Tubach, Thomas Saïas; Francine Messeguem et l’équipe du CMP Binet, Sébastien Favriel et l’équipe du laboratoire de recherche de l’EPS Maison-Blanche, Véronique Laniesse et Alexandra Avonde pour leur aide logistique ; Estelle Marcault pour l’implantation et le monitoring de la recherche ; Cécile Jourdain, Pierre Arwidson, Béatrice Lamboy et Gérard Guillemot pour leur soutien et leur aide au développement de la recherche ; Nathalie Fontaine, George Tarabulsy et Michel Boivin pour leur aide au développement des outils de l’intervention et de la recherche ; Gérard Guillemot pour son aide dans l’élaboration des réseaux de terrain; Laure Angladette,

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Drina Candilis, Judith Fine, Alain Haddad, Joana Matos, Anne-Sophie Mintz, Marie-Odile Pérouse de Montclos, Diane Purper-Ouakil, Franc¸oise Soupre, Susana Tereno, Bertrand Welniarz et Jaqueline Wendland pour leur supervision des intervenantes et évaluatrices. Financement et promotion CAPEDP est financé par le Ministère de la santé dans le cadre du Programme hospitalier de recherche clinique national (PHRC AOM 05056) et l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes). Le promoteur de la recherche est la Direction de la recherche clinique et du développement de l’Assistance publique–Hôpitaux de Paris. CAPEDP a rec¸u l’autorisation du comité de protection des personnes Île-de-France IV (2006/37) et de la CNIL (907255). Le numéro de déclaration Clinical Trial est NCT00392847.

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