Revue des Maladies Respiratoires (2010) 27, 751—754
IMAGE ET DIAGNOSTIC
Une masse thoracique calcifiée A calcified thoracic mass L. Herrak a,∗, M. Maidi a, M. Bouchikh a, H. Fennane a, Y. Msougar a, Y. Ouadnouni a, S. Alaziz a, A. Jahid b, N. Mahassini b, A. Benosmane a a b
Service de chirurgie thoracique, CHU Ibn Sina, Rabat, Maroc Service d’anatomie pathologique, CHU Ibn Sina, Rabat, Maroc
Rec ¸u le 8 novembre 2009 ; accepté le 7 mars 2010 Disponible sur Internet le 13 juillet 2010
Observation clinique Il s’agit d’une femme de 39 ans, jamais traitée pour tuberculose pulmonaire et sans notion de contage tuberculeux, sans tares associées mais qui présentait des antécédents de suppurations bronchiques chroniques. Elle présentait depuis une année des douleurs thoraciques gauches diffuses et isolées évoluant dans un contexte de conservation de l’état général. À l’examen clinique, on trouvait un syndrome d’épanchement liquidien à gauche et le reste de l’examen clinique est sans anomalies. La radiographie thoracique objectivait une opacité dense, homogène occupant tout l’hémithorax gauche d’allure rétractile comme en témoignait l’ascension de la coupole diaphragmatique gauche et la déviation trachéale vers le côté gauche (Fig. 1). La fibroscopie bronchique trouvait un bourgeon blanc nacré et lisse obstruant complètement l’orifice de la bronche souche gauche et situé à 1,5 cm de la carène et dont les biopsies multiples avec étude histologique n’étaient pas contributives. La tomodensitométrie thoracique objectivait une masse pulmonaire occupant tout l’hémithorax gauche avec une importante calcification arrivant en contact de l’aorte et une obstruction partielle de la bronche souche gauche associée à un épanchement pleural qui paraît cloisonné (Fig. 2). Le bilan biologique était normal et la spirométrie trouvait un syndrome restrictif pur à 50 % de la valeur théorique.
∗
Auteur correspondant. Appartement 8, immeuble « C », Palmier II, rue Jaafer Essdiq, Agdal, Rabat, Maroc. Adresse e-mail :
[email protected] (L. Herrak).
0761-8425/$ — see front matter © 2010 Publi´ e par Elsevier Masson SAS pour la SPLF. doi:10.1016/j.rmr.2010.05.009
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L. Herrak et al.
Figure 2. Masse pulmonaire calcifiée avec bourgeon endobronchique gauche et épanchement pleural gauche. Figure 1.
Opacité pulmonaire dense et rétractile.
Quel est votre diagnostic ?
Une masse thoracique calcifiée
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Réponse Vue la conservation de l’état général, nous avons opté pour une intervention chirurgicale, une thoracotomie postérolatérale gauche passant par le cinquième espace intercostale était réalisée à visée diagnostique et thérapeutique. En préopératoire il n’y avait pas d’épanchement pleural mais présence d’une cavité intraparenchymateuse remplie d’un liquide mucoïde au niveau du lobe inférieur, et présence d’une masse à surface bosselée et d’allure solide sans adénopathies associées. Nous avons réalisé une pneumonectomie intra-péricardique vue le volume important de la tumeur, à la coupe, on trouvait une lésion charnue très dure et calcifiée et siège de remaniements fibreux et hémorragiques (Fig. 3), la coupe bronchique retrouve bien le bourgeon retrouvé à la fibroscopie bronchique (Fig. 4). L’étude histologique de la pièce opératoire retrouvait une prolifération carcinoïde faite de cellules monomorphes à cytoplasme abondant éosinophile et à noyaux anisocaryo-
Figure 3. Pièce opératoire montrant le lobe inférieur gauche détruit et la masse pulmonaire qui occupe tout le lobe supérieur gauche.
Figure 5.
Tumeur carcinoïde : étude histologique.
Figure 6.
Travées osseuses au sein du stroma tumoral.
tiques et nucléolé, les mitoses étaient rares et estimées à une mitose par dix champs et la nécrose était absente avec une recoupe bronchique indemne (Fig. 5), mais avec présence de travées osseuses orientant vers le diagnostic de tumeur carcinoïde typique avec métaplasie osseuse (Fig. 6). Les suites opératoires étaient simples et la patiente est revue trois mois après, et elle en bon état.
Discussion
Figure 4. tumeur.
Bourgeon endobronchique à la coupe et portion de la
Bien que les tumeurs carcinoïdes bronchiques, typiques et atypiques, fassent partie des tumeurs neuro-endocrines pulmonaires, ils se distinguent des autres tumeurs de ce sous-groupe, mais également des carcinomes bronchiques non à petites cellules, par leur aspect histologique, leur présentation clinique, les options thérapeutiques et par leur pronostic [1,2]. L’image radiologique peut suggérer le diagnostic : masse ou nodule arrondi ou polylobé, de topographie centrale, de contours réguliers avec présence de calcifications totales ou punctiformes qui orientent vers une transformation osseuse de la tumeur [2,3].
754 La métaplasie osseuse est un phénomène rare dans la pathologie tumorale [4,5]. Elle se traduit par la transformation d’un tissu conjonctif non osseux en un tissu osseux [3,4]. Il s’agit d’un phénomène rare mais déjà décrit dans différents organes surtout du tube digestif au sein de tumeurs bénignes ou malignes, primitives ou secondaires. Au niveau bronchique, un cas de tumeur carcinoïde ossifié a été décrit chez un garc ¸on de 13 ans opéré pour le diagnostic de corps étranger et dont la fibroscopie bronchique avec biopsie sont non contributives [5]. Une formation osseuse survenant dans des sites extraosseux a été décrite au cours de nombreuses affections : athérome, tuberculose, lésions bénignes (fibroadénome, méningiome) et lésions malignes (neuroblastomes, carcinomes papillaires de la thyroïde, cancers digestifs surtout coliques, de l’ovaire, adénocarcinomes et tumeurs carcinoïdes de l’estomac) [4]. Les phénomènes de métaplasie osseuse ont été également rapportés dans quelques cas d’adénocarcinome mammaire, rénal, de tumeur endocrine du pancréas et d’hépatoblastome de l’enfant [6]. Dans certains cas, la métaplasie osseuse ne siège pas dans la lésion primitive, mais dans les métastases ganglionnaires [7,8], pulmonaires [9,10] et musculaires de ces tumeurs [11]. Dans tous les cas, il n’existe qu’un seul site de métaplasie osseuse : la tumeur primitive ou les localisations secondaires. Le mécanisme de formation de la métaplasie osseuse n’est pas élucidé et aucun facteur de risque n’a été identifié. Plusieurs hypothèses ont tenté d’expliquer cette particularité histologique. Dukes [12] a évoqué la possibilité d’une calcification dystrophique de la nécrose tissulaire au sein d’une lésion, formant ainsi un nid pour l’ossification métaplasique. Van Patter et Whittick [13] ont noté l’association entre la métaplasie osseuse et une infiltration mucineuse du stroma et ont conclu que les tumeurs malignes mucineuses libèrent une substance inconnue qui stimule la formation d’os en induisant la transformation des fibroblastes en ostéoblastes. Randall et al. [7] ont suggéré que les cellules tumorales surtout des adénocarcinomes coliques expriment au niveau de leur membrane apicale une phosphatase alcaline, commune aux ostéoblastes et aux chondroblastes, qui serait en relation avec la formation de métaplasie osseuse. Cependant, ces hypothèses n’expliquent pas les cas de métaplasie osseuse dans les lésions bénignes et il est probable que le pronostic de ces lésions (avec ou sans métaplasie osseuse) soit également identique [7].
L. Herrak et al.
Conclusion Les tumeurs carcinoïdes bronchiques sont des tumeurs neuro-endocrines de faible malignité. La différenciation histologique entre tumeur carcinoïde typique et atypique est un élément primordial dans la prise en charge de ces tumeurs d’aspect biologique et pronostique différent, leur transformation en métaplasie osseuse reste possible et a été décrite. La chirurgie est le traitement de référence et offre la seule chance de guérison.
Conflit d’intérêt Les auteurs ont déclaré n’avoir aucun conflit d’intérêt.
Références [1] Carette F, Giron J, Fasardet P, Khalil A, Drenatcheff S. Imagerie thoracique de l’adulte : pathologie tumorale du parenchyme pulmonaire. Paris: Masson; 2003, p. 192—193. [2] Zidi A, Douira W, Hantous-Zannad S, Mestiri I, Ben Miled-M’Rad K. Imagerie des tumeurs carcinoïdes bronchiques. Vingt cas. Rev Pneumol Clin 2006;62:380—5. [3] Paillas W, Moro-Sibilot D, Lantuejoul S, Brichon P, Coulomb M, Ferretti G. Imagerie des tumeurs carcinoïdes bronchiques : diagnostic et bilan d’extension loco-régionale. J Radiol 2004;85:1711—9. [4] Nassif T, Zanditenas D, Lazure T, Paterne D, Kuhl E, Buffet C. Métaplasie osseuse d’un adénocarcinome colique. Gastroenterol Clin Biol 2003;27:1035—7. [5] Griese M, Reinhardt D, Reifenhäuser A, Irlich G. Ossifying bronchial carcinoid tumor a cause of chronic recurrent pneumonia. Monatsschr Kinderheilkd 1987;135:511—3. [6] Pai SA, Bhasin SD, Krishnamurthy SC. Heterotopic ossification in colorectal adenocarcinoma. Indian J Pathol Microbiol 1993;36:304—7. [7] Randall JC, Morris DC, Tomita T, Anderson HC. Heterotopic ossification: a case report and immunohistochemical observations. Hum Pathol 1989;20:86—8. [8] Caluori D, Gallo P. Case report of heterotopic bone formation in metastatic carcinoma of the colon. Tumori 1979;65:345—51. [9] Velenska Z, Povysil C, Skacel Z. Heterotopic ossification in endobronchial metastases of rectal adenocarcinoma. Cesk Patol 1993;29:30—1. [10] Rhone DP, Horowitz RN. Heterotopic ossification in the pulmonary metastases of gastric adenocarcinoma: report of a case and review of the literature. Cancer 1976;38:1773—80. [11] Yoshikawa H, Kameyama M, Ueda T, Kudawara I, Nakanishi K. Ossifying intramuscular metastasis from colon cancer: report of a case. Dis Colon Rectum 1999;42:1225—7. [12] Dukes CE. Ossification in rectal cancer. Proc R Soc Med 1939;32:1489—94. [13] Van Patter HT, Whittick JW. Heterotopic ossification in intestinal neoplasms. Am J Pathol 1955;21:73—91.