La revue de médecine interne 23 (2002) 857–861 www.elsevier.com/locate/revmed
Communication brève
Une vascularite associant une atteinte rénale et pulmonaire au cours d’une maladie de Basedow traitée par le benzylthiouracile Vasculitis with renal and pulmonary involvement in a patient receiving benzylthiouracil for graves’ s disease H. Kaaroud a,*, K. Khiari a, F. Ben Moussa a, S. Barbouch a, E. Boussema b, H. Ben Maïz a a
Service de néphrologie et de médecine interne, hôpital Charles Nicolle, boulevard 9 avril, 1006 BS, Tunis, Tunisie b Service de néphrologie et de médecine interne, hôpital militaire de Tunis, Tunisie Reçu le 4 février 2002; accepté le 9 juillet 2002
Résumé Introduction. – Les vascularites constituent une complication rare des antithyroïdiens de synthèse. Elles ont déjà été décrites avec le propylthiouracile, la carbimazole, le méthimazole. Cet article rapporte le premier cas au cours d’un traitement par benzylthiouracile. À travers cette observation sont discutées les formes de l’atteinte rénale au cours des maladies thyroïdiennes auto-immunes et au cours des vascularites secondaires aux antithyroïdiens de synthèse. Exégèse. – L’observation clinique concerne une patiente âgée de 28 ans traitée pendant 2 ans par le benzylthiouracile pour une maladie de Basedow. Une thyroïdectomie subtotale est réalisée en raison de l’échec du traitement médical. Un mois après l’intervention chirurgicale, survient une vascularite associant une atteinte pulmonaire et une dégradation rapide de la fonction rénale, avec créatininémie à 1000 µmol/l, hématurie et protéinurie de 24 h à 1,44 g. Des anticorps anticytoplasmes des polynucléaires neutrophiles de type myéloperoxidase sont décelés. L’examen histologique de la ponction-biopsie rénale est en faveur d’une glomérulonéphrite extracapillaire pauci-immune avec 75 % de croissants scléreux. La radiographie thoracique met en évidence une infiltration de la base pulmonaire droite en rapport avec une alvéolite lymphocytaire (lavage bronchoalvéolaire fait deux mois après le début du traitement corticoïde). Le traitement par corticoïdes et bolus de cyclophosphamide entraîne une amélioration de la fonction rénale (créatininémie à 186 µmol/l) et une normalisation de la radiographie thoracique. Conclusion. – La possible survenue d’une atteinte rénale induite par les antithyroïdiens de synthèse lors du traitement d’une maladie de Basedow justifie un dépistage systématique d’anomalies urinaires ou de la fonction rénale, afin d’interrompre cette prescription et d’engager rapidement un traitement efficace. © 2002 E´ditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Introduction. – Vasculitis is a rare complication of antithyroid drugs reported with propylthiouracil, carbimazol, methimazol and we discribe the first case with benzylthyouracil. Renal involvement during thyroid auto-immune diseases and during vasculitis as complication of antithyroid drugs will be discussed. Exegesis. – We present a case study of 28-year-old female patient with Graves’ disease diagnosed in 1996 and treated by benzylthiouracil for 2 years. The thyroid function was poorly controlled, so surgical treatment was indicated in May 1998. One month later, she developed vasculitis with pulmonary and renal involvement. Her renal function deteriorated rapidly. On admission, the additional laboratory findings showed hematuria, proteinuria of 1,44 g/day and serum creatinine level at 1000 µmol/l. She had myeloperoxidase-anti neutrophil
* Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (H. Kaaroud). © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. PII: S 0 2 4 8 - 8 6 6 3 ( 0 2 ) 0 0 7 0 4 - X
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cytoplasmic antibody, antithyroglobuline and antimicrosome antibodies. A renal biopsy revealed pauci-immune crescentic glomerulone phritis with 75% sclerous crescents. Chest-X-ray showed unilateral alveolar shadowing and a bronchio-alveolar lavage revealed lymphocytic alveolitis. She was treated with high dose of prednisolone and cyclophosphamide. After a follow-up of 18 months, the serum creatinine level decreased at 186 µmol/l and chest-X-ray returned to normal. Conclusion. – some cases of vasculatis associated with anti-thyroid drug treatment are reported © 2002 E´ ditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. All rights reserved. Mots clés : Vascularite; Antithyroïdiens de synthèse ; Glomérulonéphrite extracapillaire ; Maladie de Basedow Keywords: Vasculitis; Crescentic glomerulonephritis; Antithyroïd drugs Graves’ s disease
1. Introduction Les glomérulonéphrites extracapillaires (GNEC) associées aux vascularites avec des anticorps anticytoplasme des polynucléaires neutrophiles (ANCA) sont actuellement bien connues. Il s’agit le plus souvent de la granulomatose de Wegener et de la polyangéite microscopique. Quelques cas de vascularite avec une GNEC et des ANCA positifs au cours d’un traitement par les antithyroïdiens de synthèse (ATS) ont été décrits. Nous rapportons le cas d’une patiente traitée par le benzylthiouracile (BTU) pour une maladie de Basedow qui développe une vascularite associant une GNEC et une atteinte pulmonaire avec des ANCA positifs.
2. Observation Une patiente de 28 ans a présenté en 1996 une maladie de Basedow traitée pendant 2 ans par le BTU. En mai 1998, devant l’inefficacité du traitement médical, une thyroïdectomie subtotale a été décidée. Nous ne disposons pas du bilan préopératoire, en particulier de l’état de la fonction rénale. Un mois après l’intervention chirurgicale, la patiente présente une altération de l’état général, des arthralgies, une dyspnée et une oligoanurie. Il existe une pâleur cutanéomuqueuse, un état d’anasarque, une exophtalmie bilatérale, une tachycardie à 112 cycles/min et un tremblement à la fin des extrémités. La fonction rénale est altérée avec une créatinine plasmatique à 1000 µmol/l, une clairance à 6 ml/min, une protéinurie de 24 h à 1,4 g et une hématurie +++. La VS est à 140 mm/h, la leucocytose à 13 000/mm3 et l’hémoglobuline à 11 g/dl. La recherche d’AAN est négative, le complément est normal, des p-ANCA sont présents, de type myélopéroxydase (MPO), associés à des anticorps antimicrosomes à 54,9 U/ml (N < 18 U/ml) et des anticorps antithyroglobuline à 217 U/ml (N < 70 U/ml). La TSH est supérieure à 100 µU/ml (N : 0,34–5,6 µU/ml ), sous L-thyroxine (100 µg/j).
À l’échographie, les deux reins sont de taille normale et la radiographie du thorax montre un infiltrat de la base droite de 2 cm de diamètre. Le lavage bronchoalvéolaire fait après le début du traitement corticoïde est en faveur d’une alvéolite lymphocytaire. La ponction-biopsie rénale extrait 27 glomérules dont 20 sont en pains à cacheter et sont le siège de croissants fibreux circonférentiels, avec quelques ruptures de la capsule de Bowman. Les autres glomérules ne présentent ni prolifération endocapillaire ni lésions nécrotiques. Il existe une fibrose interstitielle modérée mais on n’observe pas de lésions vasculaires en immunofluorescence : absence de dépôts d’immunoglobulines et de complément, fixation du sérum antifibrinogène sur les croissants. La malade a eu 3 séances d’hémodialyse, des bolus d’Endoxant (6 bolus mensuels et 3 bolus trimestriels) et une corticothérapie à 1 mg kg–1 j–1 pendant un mois, diminuée progressivement jusqu’à une dose d’entretien de 10 mg/j. Dix-huit mois plus tard, la patiente est en bon état général, la créatinine plasmatique est à 186 µmol/l et il persiste une protéinurie à ++. L’infiltration de la base droite a disparu. Les p-ANCA sont toujours présents.
3. Discussion L’association maladies thyroïdiennes auto-immunes et glomérulonéphrites est connue ; sa prévalence en l’absence de traitement par les ATS varie de 9,8 à 29,8 % [1] et l’expression principale en est la protéinurie. Dans la maladie d’Hashimoto, il s’agit le plus souvent d’une glomérulonéphrite extramembraneuse mais quelques cas de glomérulonéphrite extracapillaire ont été signalés [2]. Généralement, l’affection thyroïdienne précède l’apparition de la glomérulonéphrite mais les 2 affections peuvent être découvertes de façon simultanée [2,3]. Cependant Weetman a signalé que la glomérulonéphrite peut précéder de 2 à 12 ans l’affection thyroïdienne [1].
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Dans la maladie d’Hashimoto, la glomérulonéphrite peut apparaître en dehors de toute thérapeutique alors que dans la maladie de Basedow, l’atteinte glomérulaire est souvent rapportée après le traitement soit par les ATS, soit par l’iode radioactif [2,4]. L’atteinte rénale rentrant dans le cadre d’une vascularite induite par les ATS a été décrite initialement par Dolman et al. en 1993 [5]. Depuis, plusieurs autres cas ont été rapportés à la suite d’un traitement par le prophylthiouracile (PTU), le méthimazole ou le carbimazole [6-9]. Notre cas est le premier qui pourrait être imputé au BTU. L’ensemble de ces ATS appartient à la classe des thionamides. Malgré leur similarité structurale, il n’existe pas de réaction croisée entre les différentes molécules [6]. La recherche systématique des ANCA-MPO après la prise de PTU chez des malades ayant une maladie de Basedow dont les ANCA-MPO étaient négatifs avant le traitement, a révélé un taux de positivité de 4,1 %. Parmi les malades développant des ANCA-MPO, certains restent asymptomatiques [10]. La proportion des malades qui développent des ANCAMPO augmente avec la durée du traitement par le PTU [11]. La recherche des ANCA-MPO chez des malades traités par le PTU ou par le méthimazole a révélé un taux de positivité de 37 % dans le groupe traité par le PTU et nul dans le groupe traité par le méthimazole [12]. Le statut des patients développant des ANCA avec le PTU est encore inconnu et le mécanisme des vascularites induites par les ATS est mal élucidé. Certains auteurs incriminent les métabolites des ATS. En effet, au cours d’un traitement par le PTU, le polynucléaire libère une quantité importante de MPO pouvant se lier à l’un des métabolites pour le transformer en radical libre responsable des lésions vasculaires [13]. Pour d’autres, le radical-thiol des ATS est incriminé dans l’induction des réactions auto-immunes. Ce mécanisme semble différent de celui des vascularites idiopathiques. En effet, chez certains patients ayant développé une vascularite sous ATS, plusieurs anticorps, tels que les anti-MPO, les antiprotéinases et les antileucocytes élastase ont été mis en évidence d’une façon associée, ce qui n’est pas habituel au cours des vascularites idiopathiques [5]. L’éruption cutanée, la fièvre, l’urticaire, les arthralgies qui sont les effets secondaires les plus communs des ATS apparaissent surtout au cours de la première semaine du traitement. Le délai de survenue d’une vascularite au cours d’un traitement par les ATS est plus important, variant de quelques semaines à quelques années et pouvant aller jusqu’à 7 ans. Chez notre patiente, le délai est de 2 ans. La vascularite est apparue 1 mois après l’acte opératoire. Les complications postopératoires au cours de la maladie de Basedow sont essentiellement l’hypoparathyroïdie dans sa
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forme transitoire et la paralysie du nerf récurrent, mais la survenue d’une vascularite comme complication de la thyroïdectomie n’a pas été décrite [14]. L’hypothyroïdie postopératoire n’est plus considérée comme une complication de la chirurgie. Notre patiente est insuffisamment compensée, le tremblement et la tachycardie pourraient être en rapport avec un terrain neurotonique. Les symptômes les plus fréquents sont à type de fièvre, d’arthralgies, de myalgies, de dyspnée et d’altération de l’état général. La vascularite peut toucher d’une façon isolée ou associée plusieurs organes. L’atteinte cutanée semble la plus fréquente, à type de purpura ou d’ulcérations. L’atteinte rénale est retrouvée dans 58 % des cas décrits avec, à l’histologie, le plus souvent une GNEC pauciimmune ou une glomérulonéphrite nécrosante. Deux cas de glomérulonéphrite proliférative mésangiale ont été rapportés [7]. Notre patiente présente une atteinte pulmonaire et rénale. Cette double atteinte a été déjà rapportée chez deux malades traités par le PTU qui ont développé une GNEC pauciimmune et une hémoptysie en rapport avec une hémorragie alvéolaire. Notre patiente n’a pas eu d’hémoptysie et le lavage bronchoalvéolaire n’a pas révélé de sidérophages car il a été fait après la prise des corticoïdes. L’alvéolite lymphocytaire peut se voir au cours des pneumopathies d’hypersensibilité, d’un syndrome sec, de la sarcoïdose et de la tuberculose. Aucune de ces affections n’a été observée chez notre patiente. Reste la fibrose interstitielle débutante, qui pourrait être l’évolution d’une hémorragie alvéolaire sous corticoïdes. Les modalités thérapeutiques de la vascularite induite par les ATS diffèrent selon les auteurs. Dans la majorité des cas, l’arrêt du médicament en cause et/ou le recours aux corticoïdes et aux immunosuppresseurs sont nécessaires. Parmi 16 malades rapportés atteints de vascularite induite par le PTU avec une glomérulonéphrite prouvée histologiquement (Tableau 1), 13 ont reçu des corticoïdes, 6 du cyclophosphamide et 1 a eu des séances de plasmaphérèse. Le PTU a été arrêté chez 13 patients. Chez notre patiente, le recours au traitement par les corticoïdes et les immunosuppresseurs a été justifié par la sévérité des lésions rénales. L’évolution de l’atteinte rénale secondaire au traitement par les ATS est souvent favorable, les cas d’insuffisance rénale grave persistante sont rares [11]. Chez notre patiente, l’arrêt du BTU et le recours aux corticoïdes et aux immunosuppresseurs a entraîné une nette amélioration de la fonction rénale mais les ANCA ont persisté.
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Tableau 1 Caractéristiques cliniques thérapeutiques des patients ayant développé une vascularite avec une atteinte rénale prouvée histologiquement induite par le PTU Patient/sexe/âge Source
Durée traitement PTU (mois)
Symptômes
Histologie
Anti-PR3
Anti-MPO
Anti-LE
Traitement
1/M/8
Vogt et al.
36
GN nécrosante pauci-immune
?
+
+
Arrêt PTU CT CP
2/F/15
Vogt et al.
1
Arthralgies, ulcérations cutanées, IRA Fièvre, arthralgies
?
+
3/M/22
Tanemoto et al. 36
GN nécrosante pauci-immune GNEC pauci-immune
?
+
?
4/F/60
Tanemoto et al. 36
?
+
?
Arrêt PTU
5/F/82
Tanemoto et al. 45
?
+
?
Arrêt PTU
6/F/82
Ito
?
GN nécrosante
?
+
?
Arrêt PTU CT
7/F/52
Kudo
?
GNEC
+
+
?
8/F/54
Toda
84
GNEC
+
+
?
Arrêt PTU CT Arrêt PTU
9/F/34
Hirano
48
?
+
?
10/F/22
Aoki et al.
72
?
+
?
11/M/62
D’Cruz et al.
11
GN nécrosante GN proliférative mésangiale GNEC pauci-immune
?
+
?
GN nécrotique pauci-immune
+
+
+
GNEC pauci-immune
-
+
?
Arrêt PTU EP, CP
GNEC pauci-immune
?
+
?
CT CP
GNEC pau-immune GN proliférative mésangiale
?
+
?
Arrêt PTU
?
+
?
Arrêt PTU CT
12/F/39
Kitahari et al.
60
13/F/30
Harper et al.
?
14/M/68
Saeki et al.
48
15/M/49
Yuasa et al.
?
16/F/36
Yuasa et al.
24
Rash cutané, arthralgies, anémie, néphropathie IRA Anémie, néphropathie Sclérite, néphropathie, méningite Purpura, néphropathie Érythème, arthralgies, fièvre, néphropathie Fièvre, néphropathie, Polyarthralgie néphropathie Arthralgies, néphropathie, hémoptysie Myalgies, protéinurie, sclérite, fièvre Surdité, malaise, néphropathie, hémoptysie Hématurie, protéinurie, IRA Insuffisance rénale IRA
.
GNEC pauci-immune GNEC
Arrêt PTU CT CP Arrêt PTU CT CP
Arrêt PTU CT PTU non arrêté -CT PTU non arrêté CT + CP Arrêt PTU CT
CP : cyclophosphamide ; CT : corticothérapie ; EP : échanges plasmatiques ; GN : glomérulonéphrite ; GNEC : glomérulonéphrite extracapillaire ; IRA : insuffisance rénale aiguë ; PTU : propylthiouracile ; PR3 : protéinase 3 ; MPO : myéloperoxydase ; LE : élastase leucocytaire.
4. Conclusion
Références
La possibilité d’une atteinte rénale induite par les ATS chez les malades atteints de maladie de Basedow peut justifier une surveillance régulière à la recherche d’anomalies urinaires ou d’une altération de la fonction rénale. La survenue d’une vascularite impose l’arrêt du traitement par les ATS et le recours aux corticoïdes et/ou aux immunosuppresseurs qui donnent d’excellents résultats lorsqu’ils sont administrés précocement.
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