Uvéite bilatérale induite par la rifabutine : à propos d’un cas

Uvéite bilatérale induite par la rifabutine : à propos d’un cas

Journal français d’ophtalmologie (2014) 37, e115—e117 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com LETTRE À L’ÉDITEUR Uvéite bilatér...

487KB Sizes 7 Downloads 137 Views

Journal français d’ophtalmologie (2014) 37, e115—e117

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com

LETTRE À L’ÉDITEUR Uvéite bilatérale induite par la rifabutine : à propos d’un cas Rifabutin-associated bilateral uveitis: A case report Introduction La rifabutine est un antibiotique prescrit dans les infections à mycobactéries. Elle est connue pour être responsable d’uvéites antérieures bilatérales surtout chez les patients immunodéprimés [1]. Ces uvéites médicamenteuses sont rares et restent un diagnostic d’élimination. Le cas proposé est celui d’une femme âgée, présentant une uvéite bilatérale sévère dans les suites d’un traitement par rifabutine lors d’une infection bronchopulmonaire à Mycobacterium avium. Observation ¸ue aux urgences le Madame C., âgée de 85 ans, a été rec 6 février 2013 pour une uvéite antérieure gauche, hypertensive, non granulomateuse, non synéchiante, associée à un hypopion. Il s’agissait d’un premier épisode évoluant depuis cinq jours traité par corticoïdes topiques, cycloplégique et hypotonisant. Elle présentait une baisse d’acuité visuelle à gauche inférieure à 1/20. De ce côté, l’examen du fond d’œil mettait en évidence une hyalite postérieure à deux croix, sans atteinte rétinienne ou choroïdienne mais rendant impossible la réalisation de la tomographie par cohérence optique (Fig. 1). À droite, l’examen ophtalmologique était sans particularité et l’acuité visuelle mesurée à 7/10 Parinaud 2. Les yeux étaient normotones. À l’interrogatoire, la patiente a révélé avoir été hospitalisée quatre mois auparavant pour une troisième surinfection bronchique à M. avium sur insuffisance respiratoire chronique (1re en 2009 et 2e en mai 2012). Le traitement initial de cet épisode et des deux précédents comprenaient : clarithromycine + rifabutine 150 mg/j. Une semaine après ce 3e épisode, le traitement a été remplacé par éthambutol + rifabutine 450 mg/j après antibiogramme. Elle était également traitée par itraconazole depuis 2 mois pour une aspergillose pulmonaire. Elle ne présentait pas d’autre antécédent particulier. Devant ce tableau, la patiente a été hospitalisée et deux principales hypothèses ont été émises. La première fut celle http://dx.doi.org/10.1016/j.jfo.2013.12.014 0181-5512/© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Figure 1. Rétinophoto de l’œil gauche, les détails rétiniens sont mal visibles du fait d’une hyalite importante.

d’une endophtalmie endogène à mycobactérie ou à Aspergillus bien que l’état général de la patiente était conservé. Cela a conduit à la mise en route d’un traitement par voriconazole par voie intraveineuse en plus de son traitement pour la mycobactérie. Des prélèvements d’humeur aqueuse, des hémocultures et une sérologie aspergillaire ont été réalisés. L’autre hypothèse fut celle d’une uvéite médicamenteuse associée à la prise de rifabutine qui a conduit à son arrêt et à la poursuite de la corticothérapie locale à forte dose. Vingt-quatre heures après l’arrêt de la rifabutine, la patiente a présenté une bilatéralisation de son uvéite et de l’hypopion entraînant une baisse d’acuité visuelle mesurée à 2/10, ainsi qu’une hypertonie à 24 mmHg (Fig. 2). Le vitré était clair et le fond d’œil normal. Une angiographie au vert d’indocyanine et à la fluorescéine a été réalisée, ne montrant aucune atteinte postérieure aux deux yeux (Fig. 3). À gauche, l’inflammation diminuait sous traitement local, également introduit à droite. Après quatre jours d’hospitalisation, les résultats de la ponction de chambre antérieure sont revenus négatifs pour les mycobactéries, la mycologie et la virologie, de même que la sérologie aspergillaire et les hémocultures. Le traitement

e116

Figure 2. Photo du segment antérieur de l’œil droit (2e œil atteint) montrant un hypopion.

Lettre à l’éditeur en dehors de tout déficit immunitaire [1]. Son mécanisme physiopathologique est complexe et mal connu, certains évoquant une toxicité indirecte par la lyse des mycobactéries intraoculaires. L’uvéite est le plus souvent antérieure, bilatérale, associée à un hypopion. Des hyalites avec opacités vitréennes ont été décrites ainsi que des vascularites et des œdèmes maculaires cystoïdes [2—4]. L’incidence et l’intensité de l’uvéite semblent être corrélées à la dose de rifabutine, ainsi qu’à son association éventuelle avec des macrolides ou des azolés qui accroissent son métabolisme et sa concentration sanguine [5]. La littérature rapporte également que l’incidence des uvéites augmenterait chez les patients de faibles poids [5]. Le traitement repose sur l’arrêt de la rifabutine et l’administration de corticoïdes locaux, voire systémiques, en fonction de l’atteinte oculaire. En outre, la diminution de la posologie de rifabutine ne semble pas suffisante avec des récidives décrites même à faibles doses [6]. Dans cette observation, l’uvéite est apparue après quatre mois de traitement par rifabutine et s’est bilatéralisée au bout de six jours. Elle était antérieure, associée à un hypopion, hypertensive, avec une hyalite unilatérale. L’origine infectieuse a été écartée avant d’affirmer la nature iatrogène de l’uvéite. L’originalité du cas réside dans le fait que la patiente avait déjà rec ¸u à deux reprises de la rifabutine (2009 et mai 2012) pour surinfection à M. avium traitée ¸on concomitante par clarithromycine. Malgré cette de fac association médicamenteuse potentiellement plus toxique, la patiente n’a pas présenté d’uvéite. C’est probablement l’augmentation de la posologie à 450 mg/j associée au faible poids de la patiente (45 kg) qui ont favorisé la survenue de cette complication. Conclusion

Figure 3. Angiographie ICG aux temps tardifs de l’œil gauche montrant l’absence d’anomalie hormis une hyalite inférieure.

par voriconazole a donc été arrêté. L’examen ophtalmologique objectivait toujours une amélioration fonctionnelle et une diminution de l’inflammation. L’hypothèse médicamenteuse de l’uvéite a été retenue devant la négativité du bilan infectieux et l’amélioration du tableau à l’arrêt de la rifabutine. L’évolution ophtalmologique a été favorable avec amélioration progressive de l’acuité visuelle, diminution puis disparition des phénomènes inflammatoires un mois après l’arrêt de la rifabutine. Discussion La rifabutine est un bactéricide utilisé dans le traitement curatif ou prophylactique des infections à M. avium en association avec la clarithromycine et l’éthambutol. La toxicité oculaire de la rifabutine se manifeste par une uvéite apparaissant deux semaines à neuf mois après son introduction. Cet effet secondaire est surtout décrit chez les patients immunodéprimés mais peut être rencontré

L’uvéite antérieure avec hypopion est la manifestation la plus fréquente des uvéites associées à la prise de rifabutine. Cependant, elles peuvent prendre d’autres formes avec des cas décrits d’hyalites et d’atteintes postérieures. Il s’agit d’un diagnostic qui doit être évoqué surtout chez l’immunodéprimé, après avoir éliminé une origine infectieuse. Elle peut se révéler à distance de la prise et guérit sous traitement local après arrêt de la rifabutine. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêt en relation avec cet article. Références [1] Saran BR, Maguire AM, Nichols C, Van Uitert B, Goldman S, Brucker A, et al. Hypopyon uveitis in patients with acquired immunodeficiency syndrome treated for systemic Mycobacterium avium complex infection with rifabutin. Arch Ophthalmol 1994;112:1159—65. [2] Smith WM, Reddy MG, Hutcheson KA, Bishop RJ, Sen HN. Rifabutin-associated hypopyon uveitis and retinal vasculitis with a history of acute myeloid leukemia. J Ophthalmic Inflamm Infect 2012;2:149—52. [3] Chaknis MJ, Brooks SE, Mitchell KT, Marcus DM. Inflammatory opacities of the vitreous in rifabutin-associated uveitis. Am J Ophthalmol 1996;122:580—2.

Lettre à l’éditeur [4] Vaudaux JD, Guex-Crosier Y. Rifabutin-induced cystoid macular oedema. J Antimicrob Chemother 2002;49:421—2. [5] Shafran SD, Singer J, Zarowny DP, Deschênes J, Phillips P, Turgeon F, et al. Determinants of rifabutin-associated uveitis in patients treated with rifabutin, clarithromycin, and ethambutol for Mycobacterium avium complex bacteremia: a multivariate analysis. J Infect Dis 1998;177:252—5. [6] Mulliez P, Decoster A, Bacquaert JP. Rifabutin-induced uveitis in an immunocompetent subject. Rev Mal Respir 2004;21: 1004—5.

e117 C. Pochat-Cotilloux ∗ , F. De Bats , A.-M. Nguyen , F. Benbouzid , A. Malclès , P. Denis , L. Kodjikian Service d’ophtalmologie, CHU de la Croix-Rousse, 103, Grande-Rue-de-la-Croix-Rousse, 69317 Lyon cedex 4, France ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (C. Pochat-Cotilloux) Disponible sur Internet le 30 juillet 2014