THROMBOPI NIE INDUITE PAR UHI PARINE : PROPOS D'UN CAS Manuela Oliver a,*, Jean-Jacques de Pina b, Lucien Pollet c, Xavier Bohand d
1. Introduction ~heparine est un medicament largement prescrit dans le traitement preventif et curatif de la maladie thromboembolique. Elle presente deux effets adverses majeurs, les hemorragies et les thrombopenies. Les thrombopenies induites par I'heparine (TIH) sont rares mais potentiellement severes. II en existe deux types. Le type I caracterise une thrombopenie precoce, survenant entre le premier et le quatrieme jour du traitement heparinique, moderee, transitoire, spontanement resolutive. La thrombopenie resulte probablement d'une interaction directe de I'heparine avec les proteines de la surface plaquettaire. Sa frequence a ete estimee & 28 % dans une etude recente effectuee dans un service de chirurgie orthopedique [6]. Le type II caracterise une thrombopenie severe, retardee, survenant entre le 5 et le 16 e jour de traitement, et permanente, ne cessant qu'& I'arret de I'heparine. Son incidence varie entre 1,3 0/opour les heparines d'origine porcine et 2,5 0/0 pour les heparines d'origine bovine [2]. Nous rapportons une observation de TIH de type II survenue en octobre 1998 dans le service de reanimation de I'Hepital d'lnstruction des Armees Laveran.
2. Cas clinique Un homme de 83 ans est admis dans le service de reanimation, en post-operatoire d'une oesophagectomie du tiers inferieur pour adenocarcinome classe T2NOM0. Le patient est traite par amiodarone 200 mg/24 h et heparinotherapie 150 mg/24 h pour une fibrillation auriculaire survenue une sernaine auparavant. La veille de I'intervention, & J6 de I'heparinotherapie, le TCA est & 74 s (temoin 33 s) et la numeration plaquettaire & 253 G/I. IJintervention de Iongue duree (7 h) necessite un remplissage massif de 13 litres. Elle est marquee par un trouble de la conduction severe qui a conduit & la mise en place d'une sonde d'entrainement endocavitaire. Un saignement de 1,5 litres a necessite une transfusion de
a Service de biochimie et toxicologie clinique b Service de biologie clinique c Departement d'anesthesie et de reanimation d Service de pharmacie hospitaliere H6pital d'lnstruction des Armees Laveran 13998 Marseille Armees article regu le 14 juin 1999, accepte le 31 mars 2000.
© Elsevier,Paris. RevueFrangaisedes Laboratoires,mai/juin2000, N° 323
4 concentres erythrocytaires. En post-operatoire, le rechauffement du patient est poursuivi sous sedation. Une re-equilibration hydro-electrolytique est assuree et le debit d'heparine est regle afin d'obtenir un TCA compris entre 1,2 et 1,5 fois la normale. La numeration plaquettaire (JT) est de 163 000/mm 3. Cette diminution s'explique par les transfusions erythrocyta[res et le remplissage vasculaire per-operatoire. Les suites immediates sont marquees par I'apparition d'une insuffisance renale aigue anurique, suite & un choc infectieux a. point de depart pulmonaire necessitant une hemodiafiltration continue. A J11 du debut de I'heparinotherapie, une thrombopenie & 96 G/I, confirmee sur tube citrate, apparait. A J13, devant une thrombopenie & 65 G/I, le traitement est arrete et une recherche de TIH de type II est entreprise. Les tests d'agregation plaquettaire, effectues dans le laboratoire d'hemostase du Centre hospitalier universitaire la Timone (Pr Juhan Vague), sont positifs ainsi que la recherche d'anticorps antiheparine PF4 par technique immuno-enzymatique. Le test de reactivite croisee des anticorps hepar[ne dependants avec le danapardl'de est negatif. A J15, la numeration plaquettaire & 10 G/I impose, en I'absence de signes cliniques et biologiques evocateurs de CIVD, la transfusion de concentres plaquettaires. A J17, chez ce patient alite, &ge, dans un contexte post-chirurgical, une prophylaxie antithrombotique par le danapardlde sodique (Orgaran :~) & la dose de 750 UI anti-Xa 3 fois par jour en injection sous-cutanee est mise en place. Malgre I'arret de I'heparine, la numeration plaquettaire reste stable. De nombreux facteurs contribuent probablement & la persistance de cette thrombopenie : - choc septique, - epuration extrarenale, - u n e reaction croisee des anticorps antiheparine-PF4 avec I'Orgaran" ne peut etre ecartee meme en I'absence de reaction croisee in vitro : en effet, la sensibilite des tests d'agregation plaquettaire est de I'ordre de 80o/0. L'apparition d'une phlebite du membre inferieur droit conduit a I'arret du danapard~de sodique eta I'instauration d'un traitement curatif par lepirudine (Refludan '~:) en perfusion intraveineuse continue de 0,15 mg/kg/h. Le TCA est & ?5,9 secondes pour un temoin a 33 secondes. Une hemorragie pulmonaire massive survient & J24 et entraine le deces du patient. Cette hemorragie n'est probablement pas imputable & la TIH de type I1. Elle peut etre eventuellement rattachee soit & une CIVD (non recherchee) soit & un surdosage en lepirudine (TCA >120 s). La figure 1 presente I'evolution de la numeration plaquettaire de notre patient. Ce cas a fait I'objet d'une declaration au centre de pharmacovigilance de Marseille. Les criteres d'imputabilite C1 (chronologie), $3 (semeiologie) et B3 (bibliographie) orientent vers la probable responsabilite de I'heparine dans la thrombopenie de ce patient. 75
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3. Commentaires 3.1. P h y s i o p a t h o l o g i e De mecanisme immunologique, tes TIH de type II sont dues au deveIoppement d'anticorps anti-plaquettaires heparine dependants. L'antigene majeur reconnu par ces anticorps est constitue d'heparine associee au facteur 4 plaquettaire (PF4). Les immunoglobulines se lient & cet antigene pour former des complexes immuns. Ces derniers se fixent sur les plaquettes par le fragment Fc des immunoglobulines et entrafnent une activation plaquettaire. La liberation de PF4 qui resulte de cette activation auto-entretient la reaction. Les thromboses sont significativement associees aux TIH de type II. La physiopathologie est encore imparfaitement comprise. Plusieurs elements contribuant & leur survenue sont probablement impliques [4, 6]. Les anticorps anti-PF4-heparine ne seraient pas specifiques. IIs pourraient se fixer non seulement aux complexes heparine-PF4 presents & la surface des plaquettes mais aussi aux complexes glycosaminoglycane-PF4 presents & la surface de I'endothelium vasculaire. Cette fixation serait responsable de I'activation de la cellule endotheliale. L'expression a sa surface de facteur tissulaire favoriserait I'activation de la coagulation et la survenue de thromboses. L'activation du processus de coagulation est responsable de la generation de thrombine. Cette thrombine contribue a amplifier I'activation plaquettaire et donc la liberation de PF4. L'elevation intravasculaire de la concentration en PF4 est responsable de la neutralisation de I'heparine. 76
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3.2. C l i n i q u e Les thromboses arterielles se developpent sur vaisseaux sains. Elles concernent frequemment I'aorte abdominale mais aussi les arteres cerebrales, coronaires mesenteriques, renales ou les troncs arteriels des membres inferieurs. Les thrombi extraits chirurgicalement sont blanch&tres, fibrinoplaquettaires d'oQ I'appellation de syndrome du caillot blanc. Les thromboses veineuses profondes et les embolies pulmonaires sont les complications les plus frequentes des TIH. Les manifestations hemorragiques sont plus rares et souvent benignes. 3.3. D i a g n o s t i c b i o l o g i q u e Le diagnostic biologique de TI H repose sur I'elimination des autres etiologies de thrombopenie, sur la normalisation de la numeration plaquettaire apres I'arret de I'heparinotherapie et sur la mise en evidence dans le plasma des anticorps heparine dependants. Pour cela, trois types de tests sont disponibles. Les tests d'agregation plaquettaire, les plus simples et les plus specifiques consistent #. incuber le plasma du malade en presence d'heparine et de plaquettes d'un donneur sain. [_'apparition d'une agregation est en faveur d'une TIH. Cependant, ces tests sont peu sensibles et leur negativite ne permet pas d'exclure une TIH de type II. Le test de liberation de serotonine marquee est plus sensible et tres specifique mais difficile & mettre en oeuvre en raison de I'utilisation de radioelements. En dehors de ces tests fonctionnels, une technique immunoenzymatique (ELISA) permet de doser les anticorps anti-heparine PF4 generes Iors des TIH. D'une grande sensibilite, ce test manque cependant de specificit& RevueFranqaisedes Laboratoires,mai/juin2000, N° 323
3.4. T r a i t e m e n t Lors d'une TIH de type II, I'arret du traitement par I'heparine est imperatif. Les reactions croisees entre HBPM et heparine standard limitent I'utilisation des HBPM en relais therapeutique. In vitro, les HBPM croisent & 100 % avec les anticorps anti-heparine present chez les patients si I'on utilise des methodes sensibles. In vivo, ce risque est moindre mais la plupart des auteurs sont maintenant d'accord pour contre-indiquer les HPM dans cette pathologie [1,6]. Les AVK constituent le traitement anticoagulant substitutif le plus employe mais si leur action est precoce sur le systeme proteine C proteine S, elle est plus tardive sur les autres facteurs vitamine K dependants, majorant le risque thrombotique dans les premiers jours du traitement. Deux nouvelles molecules, le danaparo'ide sodique (Orgaran ~) et la lepirudine (Refludan ~;) ont ete recemment commercialisees, l'Orgaran ~ sera utilise dans le traitement preventif de la thrombose. Le Refludan:" est indique dans le traitement curatif des thromboses survenant sur TIH de type II. Le danapardfde sodique (Orgaran '~) est un melange de glycosaminoglycanes completement depourvu de molecules d'heparine ou d'un de ses fragments. Le danapardide sodique favorise I'inhibition par I'antithrombine du facteur X active, empechant la formation du complexe prothrombinique. II a un effet minime sur I'inhibition du facteur II active (le rapport activite anti-Xa/activite anti-Ila est superieur & 22) [3]. Cette molecule a ete utilisee comme traitement preventif [3] et curatif [5], dormant dans les deux cas des resultats encourageants. Le suivi du traitement est base sur la determination de I'activite anti-Xa en utilisant une courbe de calibration etablie avec des heparindl'des. Le danapardi'de presente un risque de reaction croisee avec les anticorps anti-heparine d'environ 10 % in vitro ; ce risque, in vivo, serait inferieur & 5 %, imposant la recherche de reaction croisee avec les anticorps anti-heparine PF4 avant la raise en place du traitement. Le traitement peut toutefois etre commence avant les resultats des tests d'agregation plaquettaire. La lepirudine, inhibiteur direct et hautement specifique de la thrombine, est une molecule recombinante de I'hirudine, compose anticoagulant present dans la salive des sangsues, hirudo medicinalis. Du fait de son mode d'action, cette molecule presente une activite anti-Ila exclusive. Elle ne croise pas avec les anticorps anti-heparine [6]. Le suivi biologique du traitement est plus simple que celui des heparindl'des. La dose de lepirudine doit etre correlee au TCA. Uinconvenient majeur de cette molecule est I'absence d'antidote en cas de surdosage. Ainsi, le risque hemorragique constitue son principal effet indesirable (390/o dont 11% d'hemorragies severes).
Arret de I'heparinotherapie. Recherche des anticorps heparine dependants. Test de reactivite croisee de ces anticorps avec le danapardide sodique. Si necessaire, choix d'une anticoagulation substitutive & visee prophylactique (danapardide sodique) ou curative (lepirudine). Suivi quotidien de I'evolution de la numeration plaquettaire. Arret du danapard/de sodique en cas de positivite des tests de reaction croisee.
Enfin, il faut signaler que d'autres molecules (lloprost ~, Tegeline<~:)ont parfois ete proposees dans cette indication.
4. Conclusion hez notre patient, le choix therapeutique s'est porte sur le danapardi'de. La recherche de reaction croisee entre les anticorps anti-heparine PF4 et le danapardfde sodique est negative cependant en raison du manque de sensibilite des techniques d'agregation plaquettaire et devant la persistance d'une thrombopenie importante, il est possible d'envisager une reaction croisee in vivo pouvant expliquer la survenue d'une thrombose veineuse profonde & J18.
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Devant la confirmation d'un phenomene de thrombose peripherique et I'absence d'amelioration clinique et biologique, la lepirudine a ete introduite dans un but curatif chez notre patient. L'hemorragie intraalveolaire terminale du patient peut etre imputee soit & une CIVD (non recherchee) soit & un surdosage en lepirudine (TCA >1 20 s). La TIH de type II est une complication rare d'un traitement fiequemment employe. Son evolution compliquee principalement d'accident thrombotique peut etre redoutable et poser des problemes souvent insolubles comme I'illustre notre observation. Ces TIH compliquent la prise en charge antithrombotique de ces patients. La commercialisation en France de nouvelles molecules anticoagulantes permet de proposer des alternatives therapeutiques au clinicien sans toutefois resoudre tousles problemes. Actuellernent indique dans le traitement prophylactique de la maladie thromboembolique veineuse, le danapardlde sodique vient d'obtenir, comme la lepirudine, I'AMM pour le traitement curatif. Le tableau I resume la conduite & tenir devant une TIH de type II.
R .f rences
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