Vers un changement de pratique dans une filière céréalière : apport de la modélisation de l’environnement

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Psychologie française 64 (2019) 141–158 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com ScienceDirect et également disponible sur www.em-consulte.com ...

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Psychologie française 64 (2019) 141–158

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Article original

Vers un changement de pratique dans une filière céréalière : apport de la modélisation de l’environnement Towards a change of practice in a grain sector: Contribution of the modeling of the environment V. Saint-Dizier de Almeida a,∗, A. Specogna a, D. Gouyon b, E. Levrat b, F. Dumarc¸ay c, E. Rondags d, X. Framboisier d a 2LPN EA7489, campus lettres et sciences humaines, université de Lorraine, 23, rue Albert 1er , B. P. 13397, 54000 Nancy, France b CRAN UMR CNRS 7039, faculté des sciences et technologies, université de Lorraine, B. P. 70239, 54506 Vandoeuvre-lès-Nancy cedex, France c SRSMC UMR CNRS 7565, faculté des sciences et technologies, université de Lorraine, B. P. 70239, 54506 Vandoeuvre-lès-Nancy cedex, France d LRGP UMR CNRS 7274, plateforme sciences du vivant et santé, université de Lorraine, plateforme sciences du vivant et santé, 13, rue du Bois-de-la-Champelle, 54500 Vandoeuvre-lès-Nancy, France

i n f o

a r t i c l e

Historique de l’article : Rec¸u le 8 septembre 2017 ´ 2019 Accepté le 27 fevrier Mots clés : Modélisation Environnement Développement durable Agriculture Changement de pratique

r é s u m é L’intervention ergonomique dans le champ du développement durable requiert la prise en compte d’un environnement dépassant largement l’environnement de travail afin d’y intégrer des composants relevant de dimensions environnementales, économique, législative, etc. Les ergonomes et psychologues ergonomes sont alors conduits à développer des cadres de modélisation permettant d’appréhender et de rendre davantage intelligible cet environnement complexe. L’étude sur laquelle nous nous basons ici s’inscrit dans ce cadre et vise l’identification des freins et leviers à la mise en place d’une nouvelle pratique en matière de traitement

∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (V. Saint-Dizier de Almeida). https://doi.org/10.1016/j.psfr.2019.02.004 ´ e´ Franc¸aise de Psychologie. Publie´ par Elsevier Masson SAS. Tous droits reserv ´ ´ 0033-2984/© 2019 Societ es.

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antifongique pour la filière orge-malt-bière. Pour cette investigation, nous nous référons notamment à la modélisation de Thatcher et Yeow (2016). L’enjeu est de présenter le processus de recueil et d’analyse sous-jacente à la modélisation et de poursuivre par une réflexion quant à l’emploi de ces formes de modélisation au cours d’un processus d’intervention. ´ e´ Franc¸aise de Psychologie. Publie´ par Elsevier © 2019 Societ ´ ´ Masson SAS. Tous droits reserv es.

a b s t r a c t Keywords: Modeling Environment Sustainable development Agriculture Change in practice

Project management, especially in the field of sustainable development, requires to take into account not only the working environment stricto sensu, but also supra components of environmental, social, economic, legislative, etc. Ergonomists and psychologists are then led to be interested in, and to develop modeling frameworks to better understand and to make more intelligible this complex environment. The study presented here, which requires taking into account this environment, aims at setting up a novel practice for improving the food safety of a cereal chain in a global context of sustainable development: protection of the environment (flora and fauna) and the health of farmers and consumers. As part of this study, a quick fungal contamination diagnostic tool and a corresponding decontamination process have been developed for an application in the barley-malt-beer food chain. However, the use of these processes may change the agricultural practices in antifungal treatments with the regular and high dose treatments replaced by fine targeted applications only where and when necessary. In relation with this technological development, the challenge is to identify the components of the environment that may become brakes and levers to the implementation of this new practice. In this scope, this investigation mobilizes the modeling of the environment of Thatcher and Yeow (2016). This paper is consequently aimed at presenting the underlying process to this construction, and this in relation with the characteristics of the study. At last, a discussion is initiated concerning the further use of such modelling practices for purposes other than the decision-making processes on ergonomic intervention purposes. ´ e´ Franc¸aise de Psychologie. Published by Elsevier © 2019 Societ Masson SAS. All rights reserved.

1. Introduction Les projets de recherche s’inscrivant dans le cadre du développement durable1 amènent à revoir l’acception de l’environnement telle que mobilisée classiquement en psychologie ergonomique — c’est-à-dire, un environnement assimilé aux conditions techniques et organisationnelles (Hoc, 1992 ; Hubault, 1995 ; Leplat, 2004 ; Theureau & Jeffroy, 1994). En effet, viser la durabilité requiert la prise

1 La Commission mondiale sur l’environnement et le développement (CMED) dans son rapport Brundtland (1988) pose que « le développement durable signifie ne pas mettre en danger les systèmes naturels qui nous font vivre : l’atmosphère, l’eau, les sols et les êtres vivants (Commission mondiale sur l’environnement et le and développement, 1988 p. 41) et que « le développement durable est un processus de transformation dans lequel l’exploitation des ressources, la direction des investissements et l’orientation des techniques et les changement institutionnels se font de manière harmonieuse et renforcent le potentiel présent et à venir permettant de mieux répondre aux besoins et aspirations de l’humanité. » (Commission mondiale sur l’environnement et le and développement, 1988, p. 42).

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en compte d’un environnement dépassant largement l’environnement de travail ; un environnement qui comporte des composants supra relevant de dimensions environnementale, sociale, économique, législative (Elkington, 1998 ; Thatcher & Yeow, 2016a). L’étude sur laquelle nous nous basons ici requiert la prise en compte et la modélisation de cet environnement global. L’étude vise à constituer des ressources visant l’accompagnement à la mise en place de deux nouveaux procédés pour la filière orge-malt-bière dans une optique de développement durable : un test rapide et efficace d’identification et de numérisation des mycotoxines (molécule toxique produite par une moisissure), ainsi qu’un procédé de décontamination non polluant. L’enjeu sera de conduire la filière à ne plus utiliser de traitements antifongiques polluants au profit d’un procédé écologique qui évitera en outre le déclassement ou la destruction de céréales contaminées. Dans le cadre de cet article, le focus est mis sur le processus de recueil et de traitement de données développé pour la modélisation de l’environnement — ce processus n’est pas explicité dans les travaux consacrés à la modélisation d’environnement, on mentionne uniquement le recours à des entretiens (Samudhram, Siew, Sinnakkannu, &, Yeow, 2016 ; Thatcher & Yeow, 2016a, 2016b ; Hutchings & Thatcher, 2018). Le formalisme de modélisation est emprunté à Thatcher et Yeow (2016a). En discussion, nous montrons que ce type de modèle, à l’instar de Thatcher et Yeow, permet certes à l’ergonome de pouvoir faire des choix en matière d’interventions, mais il peut également constituer une ressource intéressante pour la poursuite de l’étude. Une première partie restitue le contexte de l’étude et les procédés développés ou en cours de développement ; dans une deuxième partie est présenté le formalisme de modélisation mobilisé ; la troisième restitue la méthodologie de recueil et de traitement des données exploitées pour la construction du modèle de l’environnement ; la quatrième présente les résultats et se poursuit par une discussion. 2. Contexte de l’étude Notre réflexion s’appuie sur un contexte initial d’étude de l’environnement scientifique et technique en matière de traitement antifongique au sein de la filière orge-malt-bière. 2.1. Le contexte en matière de traitement antifongique Une analyse des performances des filières agricoles majeures fait apparaître un taux de perte global supérieur ou égal à 10 % provenant d’une cause unique : les contaminations dues aux moisissures ou contaminations fongiques (Pitt & Hocking, 2009). En effet, les produits agricoles sont obtenus dans des conditions très éloignées de l’asepsie, et sont donc sujets à des contaminations microbiennes en général, et fongiques en particulier. Ces contaminations ont pour conséquence directe une diminution parfois drastique des rendements agronomiques. Les moisissures, en parallèle de leur action directe sur les matières premières, sont aussi susceptibles de produire des molécules toxiques appelées mycotoxines. La présence de ces molécules pathogènes pour les plantes, les animaux en général et l’Homme, est à l’origine du déclassement vers de l’alimentation animale et de la destruction d’importantes quantités de matières premières agricoles. Une des pistes d’action permettant à la fois d’améliorer quantitativement et qualitativement l’alimentation humaine repose sur le contrôle des infections fongiques et de leurs conséquences. Ce contrôle repose sur un double suivi, avec, d’une part, l’identification et la quantification des contaminants fongiques et, d’autre part, le dosage des mycotoxines produites. Ce double suivi est rendu nécessaire par l’absence de relation directe entre moisissures et mycotoxines : la production de ces dernières n’étant pas obligatoirement associée à la croissance fongique et l’élimination des moisissures n’étant pas systématiquement associée à une destruction des mycotoxines. Les identifications et quantifications fongiques peuvent être réalisées soit par des dilutions et remises en cultures lentes et peu précises, soit par des analyses génétiques plus rapides, mais à un coût parfois prohibitif. Les dosages réglementaires de mycotoxines reposent sur des techniques elles-aussi onéreuses basées sur des techniques séparatives (chromatographie) et l’identification par mesure du poids moléculaire (spectrométrie de masse). Ces coûts analytiques peuvent être réduits, dans un cadre non réglementaire, par

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le recours à des tests basés sur des interactions molécule-molécule (tests immuno-enzymatiques) qui sont néanmoins caractérisés par leur grande imprécision. Cette situation analytique défavorable en termes de délais et coûts influe négativement sur l’efficacité du contrôle du développement mycologique dans les filières agro-alimentaires, qu’il s’agisse d’actions en amont ou préventives ou en aval, dites curatives. Cet état de fait est rendu plus critique encore par la conjonction de facteurs climatiques, écologiques, technologiques et politiques. En premier lieu, des changements climatiques, bien réels, font que les conditions de culture et de récolte évoluent défavorablement (température et surtout humidité), en augmentant potentiellement les niveaux de contamination fongique et mycotoxicologique. En dehors de cet aspect quantitatif, une émergence de populations fongiques nouvelles et parfois hautement toxinogènes est observée, avec par exemple le binôme Fusarium langsethiae/mycotoxine T2 pour les filières céréalières. Cette émergence semble d’ailleurs être renforcée par l’utilisation déraisonnée de certains produits phytosanitaires (doses, temps, périodes et répétitions d’application inadaptées). À ces facteurs déjà difficiles à intégrer s’ajoutent des problèmes d’ordres politique et sociologique sur le pilotage de la qualité dans les filières agricoles, avec une opposition de principe entre les tenants du contrôle chimique par le biais de produits phytosanitaires, et les partisans de l’agriculture biologique. En parallèle à cette situation analytique défavorable, il faut aussi noter qu’en dehors de l’utilisation de produits phytosanitaires de type antifongiques, l’éventail des mesures curatives est peu développé. Cette carence est extrêmement dommageable économiquement pour les filières agro-alimentaires, car, pratiquement, une fois les mycotoxines produites à un seuil élevé au sein d’une matière première, il n’existe pas, pour sa gestion, de solution alternative au déclassement et/ou à la destruction.

2.2. Le test de diagnostic et le procédé de décontamination Le laboratoire structure et réactivité des systèmes moléculaires complexes est engagé depuis de nombreuses années dans le développement de dérivés synthétiques de cyclodextrines (CDs). Les dérivés synthétiques des CDs sont obtenus après modification chimique de CDs natives. Les CDs dites natives sont des molécules d’origine naturelle constituées d’un enchaînement de molécules de glucose qui ont une forme de cylindre conique. L’intérieur du cylindre est hydrophobe (« qui n’aime pas l’eau » — du grec ıо, hydro = eau, et ˚ó⑁о, phóbos = peur) ce qui permet aux CDs de capter et d’emprisonner des molécules qui ne sont pas solubles dans l’eau, ce qui est le cas de nombreuses mycotoxines. Le procédé de transformation chimique des CDs natives permet de modifier leurs propriétés telle que la solubilité — propriété recherchée ici puisque l’objectif est que les mycotoxines emprisonnées puissent ensuite être éliminées dans et par les sols. Les analyses physico-chimiques réalisées au laboratoire SRSMC dans le cadre de cette étude ont permis, d’une part, de développer des CDs dérivées qui ont pour propriété d’être solubles et, d’autre part, de vérifier que les mycotoxines ciblées étaient bien captées et emprisonnées par ces CDs. En parallèle à cette recherche de traitements curatifs, le laboratoire réactions et génie des procédés a mis en place une technique d’identification phénotypique rapide des moisissures par spectrométrie de masse couplée à une interrogation de bases de données (Heit, 2015). L’analyse des spectres de masse (analyse de la composition d’un mélange basée sur les masses moléculaires des différentes espèces présentes) obtenus a permis de mettre en avant la capacité de cette technique à détecter les mycotoxines produites par ces micro-organismes. Ces résultats montrent la capacité de cette technique analytique à haut débit à apporter une analyse rapide du risque fongique et toxicologique d’un échantillon donné. En effet, en l’espace d’une semaine et à l’aide d’un personnel technique d’un niveau BAC +2, il est possible de connaître pour cet échantillon la nature des contaminants fongiques majeurs et leur pouvoir toxinogène. Ces deux nouveaux procédés gagneraient à être mobilisés de manière pérenne au sein de la filière. Différentes questions se posent : qui ou qu’est-ce qui pourrait freiner ou promouvoir leur emploi ? Comment l’ergonome peut-il accompagner ce type de transition ? Il est évident que la compréhension du fonctionnement de la filière — filière que l’on peut assimiler à l’environnement global de l’agriculteur céréalier — s’impose en premier lieu.

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3. Cadre pour la modélisation de l’environnement Pour la modélisation de l’environnement de l’agriculteur céréalier, nous nous référons au formalisme de Thatcher et Yeow (2016a). Ces auteurs partent du constat que le traitement des problèmes associés au développement durable ne peut se limiter à la prise en compte du contexte local, mais doit s’étendre à des contextes distribués dans l’espace et le temps. Il s’agit de cerner la complexité des problèmes dans leur système social et environnemental en utilisant une approche globale (CMED rapport Brundtland, 1988). L’approche se veut exhaustive. La fonction du modèle est de rendre intelligible cet environnement complexe pour pouvoir anticiper l’impact d’interventions ergonomiques sur les composants de cet environnement et opérer des choix d’interventions en conséquence. Leur formalisme exploite les travaux sur la hiérarchie des systèmes complexes (Costanza & Patten, 1995), sur le « triple bottom line » qui suggère d’interroger les composants selon trois axes : social/humain, économique, naturel/environnemental (Elkington, 1997 ; Samudhram et al., 2016) et les travaux de Maïer (1998) traitant des caractéristiques des systèmes de systèmes, en l’occurrence : • chaque composant ou sous-système doit avoir une indépendance opérationnelle (cela ne signifie pas que le composant est entièrement indépendant, mais plutôt qu’il peut exister sans la nécessité d’être intégré à un système de systèmes) ; • chaque composant opère indépendamment, il n’y a pas de dépendance à d’autres composants, toutefois les composants s’influencent mutuellement ; • le système de systèmes évolue au fil du temps ; • le système de systèmes génère des caractéristiques et des effets de bord non anticipables ; • les systèmes sont dispersés dans l’espace. Le formalisme développé par Thatcher et Yeow (2016a) comporte trois éléments majeurs : • une hiérarchisation de la complexité : cette hiérarchisation permet d’organiser les sous-systèmes ou composants de l’environnement sur la base de leur complexité et de leur durée de vie — différentes strates sur lesquelles l’ergonome peut agir, sont distinguées : « micro-ergonomics », « mesoergonomics », « macro-ergonomics ». Plus un composant intègre un niveau supérieur, plus il est complexe et plus sa durée de vue est longue : les systèmes enfants (composants de niveau inférieur) devraient avoir un cycle de vie plus court que celui des parents (niveau supérieur) ; • un focus sur des buts multiples et simultanés : les multiples buts s’appliquent aux différents composants quel que soit leur niveau d’inscription. La dimension fonctionnelle et téléologique des composants de l’environnement transparaît à travers l’affectation des composants par strate et l’intitulé donné à chacun des niveaux ; • la prise en compte de l’évolution du système au fil du temps. Si un composant faillit, quelle que soit son inscription dans le système, son déclin ou sa disparition aura une incidence sur le système global. Plus précisément, si des systèmes parents disparaissent prématurément, ils créeront une instabilité et des systèmes enfants seront créés (Thatcher & Yeow, 2016b). Pour illustrer l’emploi et l’intérêt de ce formalisme de modélisation, Thatcher et Yeow (2016a) se réfèrent à une étude de Celestino, Bispo, Saldanha et Mattos (2012) ayant pour objet la pratique de la pêche en radeaux traditionnels (non motorisés) à Ponta Negra Beach (Brésil). Le système des systèmes pour cette étude apparaît dans la Fig. 1. Nous restituons à la suite de manière synthétique l’étude telle que commentée par Thatcher et Yeow (2016a). Le recueil de données exploite l’observation et l’entretien directif. Le traitement des données a révélé différents éléments : un stock de poissons qui diminue au fil du temps, des problèmes techniques liés à la levée des filets de pêche, des épisodes météorologiques violents créant des conditions de travail dangereuses, des conflits avec l’espace de plages, les hôtels voisins et les colporteurs ainsi que la pollution des plages et mers qui menacent la population de poissons. Si l’étude s’était arrêtée au niveau d’une analyse de tâche micro-ergonomique, le problème technique lié à la levée des filets aurait été résolu, mais cette solution n’aurait pas été durable au vu du stock décroissant de

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Fig. 1. Le système de systèmes du gagne-pain des résidents de la plage de Ponta Negra extrait de Thatcher et Yeow (2016a).

poissons. La conduite d’entretiens a permis d’identifier des facteurs pouvant expliquer la diminution de la population de poissons : des filets trop fins qui emprisonnent des poissons non matures, la pollution. Résoudre le problème des filets est complexe, car ces filets sont fournis par les industries poissonnières qui visent également la capture de petits poissons. Ce problème peut néanmoins être traité par des interventions méso-ergonomiques visant à convaincre la communauté poissonnière d’acquérir des filets à plus grosses mailles. Pour concourir à ce changement de matériel, une intervention au niveau méso-ergonomique pourrait consister à aider la communauté à obtenir des prêts bancaires et des réductions pour l’achat en gros de nouveaux filets. Mais, une telle solution ne pourrait être durable sans considérer les problèmes d’insuffisance d’espaces de plages et la pollution marinière (système parent). Un effort concerté est donc nécessaire pour démarquer les limites pour les radeaux, les hôtels et les colporteurs et pour susciter auprès des parties prenantes une prise de conscience des comportements ayant une incidence sur l’environnement (pollution). Une approche macro-ergonomique est également nécessaire afin de trouver une solution pour équilibrer les besoins des différentes parties prenantes sur la plage. À travers cet exemple, Thatcher et Yeow montrent qu’un système durable peut être atteint seulement si les problèmes sont traités à différents niveaux. Concernant la dimension temporelle, il est précisé que les interventions micro-ergonomiques (changement de pratique quant à la levée des filets) auront un impact à plus court terme que les interventions auprès des industries poissonnières (au niveau méso-ergonomique). De la même fac¸on, les interventions macro-ergonomiques qui adressent le problème des plages et droits de mise à quai pour les propriétaires d’hôtels et pêcheurs auront un impact à plus long terme que les changements de pratique de la pêche. Néanmoins l’impact de ces interventions sera contraint par le changement climatique et son incidence sur l’érosion des plages. Si chaque niveau du système est considéré comme indépendant, il impacte les autres systèmes : la stratégie de levée de filets a un impact sur la durabilité de l’économie de la pêche, la durabilité sociale de la communauté de pêcheurs et la durabilité de l’environnement du stock de poissons. Au niveau méso-ergonomique, le nombre et la taille des poissons capturés a également un impact sur la durabilité de l’économie de la pêche, la durabilité sociale de la communauté de pêcheurs et la durabilité de l’environnement du stock de poissons. Enfin, ces systèmes sont dispersés géographiquement (c’est-à-dire, le bord de mer est géographiquement séparé de la mer, mais sa pollution l’affecte ; le réchauffement climatique trouve ses origines à des milliers de kilomètres). Ainsi, ces modélisations fondées sur la hiérarchisation des composants de l’environnement, pouvant impacter ou être impactés par un changement de pratique, ont pour fonction d’aider les chercheurs et les praticiens à prendre des décisions quant aux stratégies d’intervention (à quel(s)

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niveau(x), quel nombre d’itérations), relativement à leurs potentielles incidences sur le système global (étude des impacts en cascade). La modélisation de l’environnement a ainsi pour finalité de guider le processus d’intervention. 4. Méthodologie de recueil et d’analyse des données Il s’agit de développer un modèle de l’environnement qui fasse consensus, qui soit intelligible et compréhensible pour les acteurs de la filière, car son emploi ne va pas se limiter à envisager les interventions ergonomiques à mettre en place. Nous allons utiliser ce construit comme ressource pour la poursuite de l’étude : une ressource pour la conduite d’entretiens et de « focus-groups » impliquant des acteurs de la filière. Cette seconde finalité, non envisagée par Thatcher et Yeow, a orienté le processus de conception du modèle. Le travail de modélisation implique des parties prenantes : des acteurs de la filière ayant des statuts, missions différentes et donc a priori une vision de l’environnement qui peut sensiblement diverger — en effet la perception d’un objet peut potentiellement différer d’un corps de métier à l’autre, celle-ci va dépendre du statut, rôle, des valeurs. . . des personnes concernées par l’objet (Kock & Ellström, 2011). 4.1. Acteurs de la filière sollicités Le modèle de l’environnement a été élaboré à partir des résultats d’analyse de productions langagières produites en réunion par deux chercheurs de la filière — un ingénieur de recherche et un maître de conférences travaillant pour la filière depuis une quinzaine d’année — et d’entretiens individuels auprès d’acteurs de la filière choisis sur la base de leur expérience et de leur fonction et statut, en l’occurrence : • le responsable céréalier d’une coopérative agricole. Ingénieur de l’École nationale supérieure d’agronomie et des industries alimentaires (ENSAIA), il a 14 ans d’expérience à ce poste. Il procède à des analyses de prélèvements en laboratoire, les interprète et produit des prescriptions en matière de traitement. Il n’est pas en contact direct avec les agriculteurs hormis avec des agriculteurs volontaires dans le cadre d’expérimentations en champ ; • un technicien d’une coopérative agricole. Ingénieur de l’ENSAIA, il a 10 ans d’expérience à ce poste. Il se déplace sur les exploitations, fournit des conseils, propose des solutions optimales aux agriculteurs sur la base d’un cahier des charges. Il procède à des prélèvements qu’il transmet au laboratoire de sa coopérative et peut également procéder à des analyses en champ ; • un agriculteur sélectionné pour son spectre de connaissances. Il a 23 ans d’expérience en qualité d’agriculteur. Il appartient à une famille d’agriculteurs établie depuis plusieurs générations. Il est passé d’une agriculture céréalière intensive à l’agriculture biologique dernièrement. Il fait également de la vente directe et élève en parallèle des chevaux. La partie de la réunion au cours de laquelle les deux chercheurs ont informé sur la filière et les pratiques agronomiques actuelles a duré 1 heure 30 minutes. L’entretien avec le responsable céréalier a duré 45 minutes ; celui avec le technicien, 25 minutes ; celui avec l’agriculteur, 1 heure 15 minutes. Le modèle de l’environnement développé sur la base de l’analyse des verbalisations produites en réunion et en entretien a été soumis à trois chercheurs de l’Inra qui l’ont amendé. Le modèle obtenu a ensuite été soumis à cinq acteurs de la filière : un chargé de mission de la chambre d’agriculture Grand-Est, un représentant des salariés et un représentant des employeurs de l’Association nationale emploi formation en agriculture (ANEFA Lorraine) et deux membres de la Fédération régionale des syndicats d’exploitations agricoles. 4.2. Consignes communiquées La consigne communiquée aux deux chercheurs de la filière impliqués dans l’étude est la suivante : pouvez-vous nous expliquer la pratique classique en matière de traitement antifongique et nous faire comprendre le fonctionnement de la filière orge-malt-bière.

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Concernant les entretiens individuels auprès des trois acteurs de la filière, avant la conduite de chaque entretien, nous informons l’interviewé, du projet de recherche et des deux procédés en cours de développement. Nous amorc¸ons l’entretien en lui demandant de parler de son activité professionnelle, puis pour la poursuite de l’entretien nous mobilisons un guide afin que les thèmes suivants soient abordés : le changement dans le monde agricole, les sources d’influence, l’existence de profils d’agriculteurs face au changement, les éventuels freins aux deux procédés en développement. Des relances sont utilisées pour fixer l’intercompréhension, obtenir des développements, des illustrations, des approfondissements — notamment faire approfondir ses relations avec des composants de l’environnement. La consigne communiquée aux chercheurs de l’Inra et aux cinq autres acteurs de la filière est la suivante : nous avons conc¸u un modèle de l’environnement de l’agriculteur céréalier, l’activité de l’agriculteur se trouve à la base du schéma ; sur la strate juste au-dessus on visualise les composants en lien direct avec l’agriculteur, et plus on s’éloigne, moins la relation avec l’agriculteur est directe. Est-ce que des composants devraient être placés ailleurs ? Manque-t-il des composants ? 4.3. Méthodologie d’analyse Les verbalisations des deux chercheurs de la filière et celles produites en entretien individuel ont fait l’objet d’une analyse visant l’identification des composants de l’environnement évoqués dans le discours impactant plus ou moins directement la pratique de l’agriculteur. L’analyse effectuée repose sur une approche sémantico-pragmatique du discours. Ce type d’analyse permet d’identifier des composants de l’environnement et leur proximité, par exemple le technicien a un lien direct avec les agriculteurs : « Et puis on à notre technicien qui tourne chez nos adhérents (agriculteurs) pour aller les conseiller sur euh. . . les traitements à effectuer, les variétés à planter (. . .) donc ce fameux lien se fait autour de c¸a » (Le responsable céréalier). L’analyse a également permis l’identification des rôles (dimension fonctionnelle) et finalités (dimension téléologique) des composants. Par exemple la coopérative qui est un composant de l’environnement, a notamment pour fonctions de s’assurer de la qualité des céréales, de la collecte des céréales et de leur vente ; sa visée est de collecter des céréales de bonnes qualités répondant aux normes. Les productions langagières collectées auprès des chercheurs, de l’agriculteur, du technicien et du responsable céréalier d’une coopérative n’avaient pas pour seul but le recueil de données pour la construction d’un modèle de l’environnement, il s’agissait dans une visée exploratoire d’obtenir également des indications sur la fac¸on dont les changements s’opéraient classiquement dans le monde agricole et étaient accompagnés, de recueillir des informations sur les sources pouvant influencer/appuyer un changement de pratique, s’il existait des profils d’agriculteurs à prendre en compte pour adapter les modes d’intervention et également de recueillir des premiers éléments sur les éventuels freins et leviers à la mise en place des deux nouveaux procédés. Les entretiens ont fait l’objet d’une analyse de contenu thématique. Les entretiens et l’analyse de contenu forment une méthodologie permettant d’accéder aux opinions (registre référentiel) et aux attitudes (registre modal : valence positive, neutre ou négative affectée aux contenus). L’analyse de contenu thématique consiste à identifier des unités de sens — les unités de sens renvoient à des idées couplant des opinions et des attitudes — et à les classer par thème (Negura, 2006). 5. Résultats 5.1. La modélisation de l’environnement de l’agriculteur céréalier L’analyse des données produites en réunion et en entretiens individuels a permis d’identifier des composants de l’environnement et de les organiser en strate (niveau micro, deux niveaux méso, niveau macro et niveau climat/santé). Ces composants peuvent potentiellement avoir une incidence plus ou moins directe sur la pratique agronomique en matière de traitements antifongiques. Le modèle de l’environnement soumis aux chercheurs de l’Inra a été complété. En l’occurrence le composant « assurances » a été ajouté, car certaines compagnies d’assurances peuvent couvrir les pertes en cas d’emploi

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Fig. 2. Modèle de l’environnement de l’agriculteur céréalier.

de procédés non polluants, ce qui concourt à des changements de pratique. Ils mentionnent également l’importance de considérer les pratiques qui atténuent ou accentuent la prolifération fongique : l’alternance Blé-Orge atténue la prolifération fongique, l’emploi de certains produits phytosanitaires en revanche l’accentue. La soumission du modèle ainsi revu aux cinq acteurs de la filière a permis d’évaluer son accessibilité, son intelligibilité par les acteurs qui ont proposé les amendements suivants. Au niveau micro, un quatrième point a été ajouté : « Expérience (formations suivies), histoire de l’exploitation (désherber ou non, normes. . .) ». Dans le niveau méso groupe/équipe, il a été proposé de placer « distributeurs négociants » qui apparaissait initialement dans le niveau filières/influences — leur incidence étant plus proximale qu’envisagé initialement. Le modèle auquel nous aboutissons apparaît dans la Fig. 2. Les composants identifiés pour la plupart apparaissent dans la littérature (Cerf & Magne, 2007 ; Meynard et al., 2013), mais de manière non articulée. Le niveau micro renvoie à la pratique en matière de traitement antifongique déterminée notamment par les conditions de travail, l’expertise de l’agriculteur en la matière, ses états mentaux et affectifs. Le premier niveau méso renvoie aux composants pouvant avoir une incidence directe sur la pratique agricole. Par exemple des échanges avec les voisins peuvent conduire l’agriculteur à ne pas épandre les mercredis, samedis et dimanches (« [car] les enfants jouent dehors et à proximité » — dixit l’agriculteur interrogé), l’agriculteur dans sa pratique prend en compte les périodes d’épandage définies en coopérative, il met en place des consignes produites par les conseillers des chambres d’agriculture (alternance blé/orge pour réduire le risque de contamination fongique). . . Le second niveau méso renvoie à des composants qui ont une incidence moins directe sur la pratique agricole. Cela renvoie à des groupes d’influence (syndicats, coopératives, chambres d’agriculture, etc.). Le niveau macro renvoie à la législation (par exemple interdiction de traiter les produits récoltés), aux aides de l’état ou de l’Europe (aide pour le passage à l’agriculture biologique), aux assurances (pour couvrir les pertes en cas d’emploi d’un procédé expérimental non polluant). Le niveau climat/santé renvoie à l’environnement (intempéries, pollution des sols, de l’eau, santé des agriculteurs et des consommateurs).

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5.2. Les résultats de l’analyse thématique des entretiens Les résultats d’analyse sont présentés par thème. Lorsque des verbatims sont rapportés, nous précisons à la suite entre parenthèse qui en sont les auteurs. 5.2.1. Les changements et l’accompagnement au changement dans le monde agricole Les changements sont généralement induits par l’évolution de la réglementation et sont rarement brutaux : « les grands changements sont plus d’ordre réglementaire aujourd’hui. . . c¸a se fait dans le temps, c¸a n’arrive pas comme c¸a, en claquant des doigts (. . .) les grands changements ils sont jamais, j’allais dire brutaux ils peuvent être brutaux, mais c’est toujours. . . l’ensemble de la profession, les uns à un degré plus ou moins élevé que les autres » (le technicien). Néanmoins, des agriculteurs peuvent anticiper des changements réglementaires et modifier leur pratique avant que ces changements soient actés : « il y a quand même un courant d’agriculteurs qui sont inquiets par rapport à la lumière de l’utilisation des produits phyto, qui sont. . . et c’est une des raisons pour laquelle ils sont en train de se convertir avec une agriculture biologique, non pas parce qu’ils sont forcément bio dans l’âme et qu’ils y croient à 100 %, mais plutôt parce qu’ils se disent qu’à l’avenir les traitements phyto vont être limités, réduits, voire interdits et que plutôt que de se retrouver face à ces changements de but en blanc, ils préfèrent les euh. . . défaire à l’avance parce qu’aujourd’hui il y a des aides à la conversion bio et qu’ils se disent que peut-être dans 5 ans ils seront obligés de devenir bio, mais sans les aides » (le responsable céréalier). Les sources de diffusion des informations sont multiples : « y a pas une source unique, y a pas discours unique même si tous se rejoignent un peu il y a des divergences de vue des choses comme c¸a, et puis il y tout ce qui est internet, tous les liens en France et partout donc il y a plusieurs sources d’informations et de discussion et de conseil » (le technicien). Des réunions non obligatoires à visée informative ou de formation peuvent être mises en place par les coopératives, des centrales d’achat : « On a Arvalis qui fait des journées de formation, différentes coopératives qui font des journées techniques avec des conseils, etc. Les gens viennent, les gens viennent pas, c’est à la carte » (le technicien). 5.2.2. Des profils d’agriculteur Les trois personnes interviewées débutent par présenter trois profils d’agriculteur, que le technicien dénomme de cette fac¸on : les avant-gardistes, les suiveurs, les agriculteurs en grande difficulté financière. Les avant-gardistes sont « des agriculteurs qui sont adeptes de tout ce qui est nouveauté, qui vont mettre en place euh. . . qui vont se servir de drone, de moyen technologique satellitaire par rapport au positionnement des matériels, par rapport aux traitements, par rapport à la gestion informatisée de tout c¸a, ils ont un potentiel économique suffisant aussi pour mettre tout c¸a en place et qui sont attentifs à tous les nouveaux produits qui peuvent arriver » (le responsable agricole), « ils connaissent les produits sur le bout des doigts » (l’agriculteur). Les suiveurs renvoient à « une frange de population qui voit venir, qui souvent attend de voir ce que font les autres pour savoir si c¸a marche ou pas. . . qui lorsqu’un produit apparaît ne l’utiliseront pas la première année ; mais si c¸a marche bien, sont prêts à l’utiliser l’année suivante. (. . .) des gens qui sont plus suiveurs que franchement têtes de file, et qui se retrouvent à mettre en place des choses souvent avec une année de retard et qui du coup ne réussissent pas forcément dans tous ces développementslà » (le responsable agricole). Les agriculteurs en grande difficulté ont « un pouvoir financier très limité relativement. . . voire très endetté donc avec un potentiel d’investissement qui est quasiment nul et qui vont être réduits au minimum de ce qui peut être fait. » (le responsable agricole). Concernant les céréaliers qui cultivent de l’orge, le technicien mentionne qu’il faut également distinguer les agriculteurs dont c’est l’activité principale : « c’est quelqu’un d’un niveau technique un peu plus élevé et qui est. . . qui est prêt à suivre un cahier des charges un peu plus précis, on peut dire c¸a comme c¸a, mais c’est pas systématique pour autant » (le technicien), des agriculteurs opportunistes : « c’est un peu monsieur tout le monde, avec pas toujours des niveaux techniques très

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élevés qui conduisent une céréale d’automne avec l’espoir qu’elle puisse être apte à la brasserie, sans faire forcément toujours tout ce qu’il faut » (Le technicien). 5.2.3. Les sources d’influence et leur poids sur les décisions des agriculteurs On note quelques divergences sur ce point. Pour l’agriculteur interrogé, les agriculteurs sont particulièrement attentifs aux recommandations de leur expert-comptable, garant de la viabilité de leur exploitation. En cas de changement de procédés non imposés par la réglementation, la famille et plus particulièrement le propriétaire de l’exploitation (en général un des parents de l’agriculteur) est déterminant. Les agriculteurs voisins peuvent également infléchir le processus de décision. Les coopératives peuvent être influentes. Pour le technicien, les sources d’influence sont : les coopératives via leurs techniciens et la mise en place de réunions d’information, les chambres d’agricultures via leurs conseillers, les distributeurs négociants qui se rendent directement sur les exploitations pour vendre leur produit et conseiller à la marge : « distributeur négociant, qui conseille de fait, il vend en priorité, mais il conseille quand même » (le technicien). Le responsable céréalier, avant de répondre sur ce point, mentionne : « les agriculteurs, ce sont nos adhérents, la coopérative n’existe que parce qu’il y a des agriculteurs. C’est quelque chose qui leur appartient puisque c’est eux qui détiennent le capital social. » (le responsable céréalier). Il poursuit en précisant que c’est l’agriculteur qui est décisionnaire et que la coopérative n’a qu’un rôle de conseil : « Alors le poids, c’est toujours délicat à dire le poids qu’on peut avoir, nous on va faire des préconisations et des conseils, maintenant chaque agriculteur est libre et uniquement responsable des choix qu’il va mettre en place. » (le responsable céréalier). Ce rôle de conseil est également mentionné par le technicien : « il y a un cahier des charges assez vaste, et dans ce cahier des charges on trouve les solutions techniques, économiques, etc. fin, les solutions. . . la solution qui est la plus adaptée à chaque fois. . . on n’impose rien. » (technicien). Néanmoins, même si l’intention revendiquée n’est pas d’infléchir d’éventuels choix, l’agriculteur est néanmoins contraint pour les produits dont dispose la coopérative : « pour autant, les choix vont être également guidés par la disponibilité en semence par exemple, ils ne pourront semer que ce que nous, on peut leur vendre. Donc si on n’a pas la semence qu’ils veulent ou s’il n’y a plus de disponibilités, bah forcément ils vont être réorientés vers autre chose » (le responsable céréalier). Le lien entre la coopérative et les agriculteurs se fait notamment via le technicien : « Et puis on à notre technicien qui tourne chez nos adhérents pour aller les conseiller sur euh. . . Les traitements à effectuer, les variétés à planter (. . .) donc ce fameux lien se fait autour de c¸a » (le responsable céréalier). Le responsable céréalier, le technicien et l’agriculteur, concernant le poids des coopératives, distinguent deux types d’agriculteurs : • ceux qui s’approvisionnent et livrent leur récolte à la coopérative ; • ceux qui livrent à la coopérative sans s’approvisionner ou en s’approvisionnant très rarement auprès d’elle. Le poids de la coopérative sera important pour le premier type, moins pour le second. 5.2.4. Éventuels freins à la mise en place des nouveaux procédés Les facteurs ci-dessous ne sont pas considérés comme des freins : • la possession ou la mise à disposition de machines pour épandre : « généralement ils (les agriculteurs céréaliers) ont tous leurs propres machines » (le technicien) ; • le niveau de compétence requis pour l’emploi du test et l’existence de laboratoire dans les coopératives : « Les techniciens ont tous des BTS, donc minima niveau BAC +2 avec une expérience pour les plus jeunes d’une dizaine d’année d’expérience de terrain, donc on peut faire les tests y aura pas de problème et comme je l’ai dit tout à l’heure, le directeur qui s’occupe toute la partie appro, c’est un ingénieur agro de l’ENSAIA, je suis moi-même ingénieur agro de l’ENSAIA, donc les BAC +2 on les a » (le technicien) ;

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• les coopératives quelle que soit leur taille, disposent de laboratoires ou de « micro-laboratoires » (le technicien) ; • les périodes non planifiées d’épandage ne sont pas non plus un problème ; même si les périodes d’épandage sont actuellement planifiées, la météorologie peut conduire à revoir les dates actées : « C’est euh. . . Le problème de l’épandage c’est le problème d’accès au champ, donc c’est le problème de la météo. S’il pleut trop de toute fac¸on on peut pas rentrer dans les champs parce que, on a souvent des terres argileuses donc difficile d’accéder » (le technicien) ; • l’alternance blé-orge semble déjà mise en place : « de toute fac¸on c’est déjà quelque chose qui est censé se faire naturellement donc réponse oui. L’alternance est déjà faite normalement » (le technicien).

Les freins suivants sont des freins potentiels :

• une nouvelle pratique qui se révèlerait inefficace. Pour la coopérative, le premier frein serait l’inefficacité des procédés : « Le premier frein au niveau distributeur serait d’avoir l’outil, de faire les tests de faire tout ce qu’il faut, et qu’à l’arrivée c¸a serve à rien. Bon c¸a, travailler pour perdre son temps c’est négatif, c’est zéro, donc là retour à l’envoyeur. Donc il faut la pertinence de l’outil et la correction qui va avec, et là on est d’accord » (le technicien) ; • un coût financier trop élevé. Côté agriculteur, le coût financier serait rédhibitoire : « Les freins qui peuvent exister c’est le coût, et si je parle précisément actuellement dans les exploitations c¸a va être le problème de trésorerie. . . c’est sûr qu’aujourd’hui le coût de la mise en place des traitements où des expérimentations sera obligatoirement un frein parce que les trésoreries sont très tendues » (le responsable céréalier). À noter que l’on retrouve des propos similaires chez l’agriculteur et le technicien. Néanmoins, le responsable modère ses propos : « Maintenant euh. . . On trouve toujours de tout et même encore aujourd’hui y a des trésoreries qui seront très très tendues, et il y a des gens qui ont encore un potentiel d’investissement qui est là. Et à partir du moment où c’est dans l’espoir d’avoir un gain et qui va se traduire par une meilleure qualité, une meilleure protection au nombre de quintaux supplémentaires, le potentiel est. . . Les agriculteurs seront plus aptes à le mettre en place. Maintenant c’est vrai que c’est pas. . . aujourd’hui ils sont. . . Ils regardent de très près à tout ce qu’ils mettent en place, mais ceci dit s’il faut faire l’investissement d’un traitement antifongique qui est là pour sauver des quintaux, bah ils iront faire l’investissement quand même » (le responsable céréalier). Au vu des informations que nous avons communiquées sur les deux procédés, le technicien estime que le coût financier des tests et des analyses en laboratoire devrait être pris en charge par les coopératives, en revanche le produit de décontamination serait à la charge de l’agriculteur : « la collecte venant chez nous, c’est nous qui sommes censés faire l’analyse comme je l’ai dit, et faire corriger le cas échant, la correction si c’est un produit quelconque à pulvériser, c’est à l’agri de payer, par contre, l’analyse c’est pas de son ressort parce que l’aspect qualitatif de la récolte c’est pour nous » (le technicien) ; • des problèmes d’approvisionnement de la solution décontaminante : « Mais c¸a c’est un phénomène mondial et une disponibilité mondiale et aussi un problème de logistique. C’est pas le tout de disposer des engrais où d’avoir des bateaux qui arrivent dans les ports maritimes, encore faut-il le ramener et pour le ramener il faut que les péniches puissent naviguer euh. . . sur les fleuves, donc le Rhin et la Moselle, et là aussi euh. . . certaines années si on est en sécheresse, les péniches ne peuvent pas se charger comme elles le voudraient, et si au contraire on a trop de pluviométrie avec des cours d’eaux qui débordent, les péniches ne peuvent pas naviguer non plus parce qu’elles passent plus sous les ponts » (le responsable céréalier) ; • un procédé de décontamination qui ne soit pas labellisé « bio ». Comme mentionné précédemment, des agriculteurs sont passés d’une agriculture intensive à une agriculture biologique ; pour ce public, il est essentiel que le procédé de décontamination entre dans le cahier des charges bio : « (. . .) tout ce qui sera mis en place sur les cultures (bio) devra correspondre au cahier des charges bio donc mettre un nouveau traitement ou apporter une nouvelle molécule, bah il faudra que c¸a rentre dans le cahier

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des charges. . . Donc déjà, euh. . . votre produit s’il est pas reconnu dans le cahier des charges bio, il pourra pas être mis en place chez tous ces gens-là. » (le responsable céréalier) ; • une filière très, voire trop organisée ce qui impacte la réactivité/adaptabilité des agriculteurs : « Le fonctionnement actuel est extrêmement lourd, car on a une filière très organisée de l’agronomie aux industries alimentaires » (chercheur filière). Le mode organisationnel actuel concourt à une forte utilisation de produits phytosanitaires préventifs. Les leviers : ce sont des facteurs qui devraient concourir au changement de pratique visé, ils sont davantage évoqués par les chercheurs de la filière : • le réchauffement climatique : « on a quand même des signes avant-coureurs forts, une humidité latente, et on arrive à une situation très mauvaise en matière de mycotoxines et de contamination fongique » (chercheur filière) ; • le développement de l’agriculture biologique qui correspond à une demande de l’Europe et des consommateurs ; • des agriculteurs mieux formés qui sont capables de réagir efficacement aux nouvelles directives : « les agriculteurs ont une connaissance non négligeable sur la fac¸on de pratiquer, on a un niveau de compétences qui est relativement important, en belle évolution, ils sont capables de mettre en œuvre des directives que l’on peut leur demander, donc une forte capacité d’adaptation » (chercheur filière) ; • les néo-ruraux : « de plus en plus d’urbains colonisent les campagnes et n’acceptent pas de se prendre des produits phyto dans la tronche, donc des systèmes de pouvoir, contrepouvoir (. . .) avec les urbains qui viennent coloniser les campagnes et deviennent majoritaires et qui produisent des décrets municipaux » (chercheur filière) ; • les syndicats : « maintenant c’est au pluriel, avant c’était la FNSEA sur le principe de la cogestion de fait le degré de liberté pour les agriculteurs était quand même faible. Là au niveau syndical, on a la confédération agricole qui commence à émerger. » (chercheur filière) ; • des agriculteurs de plus en plus performants au vu de leur formation, qui intégreront le syndicat et les chambres d’agriculture ; • « On peut imaginer aussi que la formule “pollueur payeur” s’applique également prochainement aux agriculteurs » (chercheur filière) — ce qui n’est pas le cas actuellement. 5.2.5. L’accompagnement pour l’emploi des deux nouveaux procédés. Pour le technicien et le responsable céréalier, les coopératives devraient être impliquées dans le processus : « il faut que c¸a passe par l’organisme collecteur avant tout. » (le technicien). « L’accompagnement c¸a sera dans un premier temps de l’information, via les techniciens ou dans des réunions. . . euh. . . ou on peut inviter le représentant de la société qui présente le produit, qui va expliquer l’intérêt de son produit, les conditions de mise en place, les conditions tarifaires et si on se rapproche plus sur l’aspect purement pratique voilà c¸a va être une explication de comment c¸a va devoir être mis en place, à quelle période, à quel stade végétal, etc. donc c¸a va être plus une information » (le responsable céréalier). Pour les prélèvements, « c¸a ne pourrait que passer par des techniciens, des distributeurs enfin des organismes collecteurs donc des coopératives, c’est les mieux placés, on fait des tas de contrôle en plein champ, assimilation de l’azote, les maladies. . . on est dedans donc pour moi c’est de notre ressort. » (le technicien). L’accompagnement pourra s’opérer en individuel et en collectif : « Individuel parce qu’on a les techniciens qui passent en fait sur les exploitations pour faire du conseil individuel ou pour aller voir les parcelles, mais c¸a peut être aussi au cours de réunion et comme j’avais dit tout à l’heure on a deux réunions techniques par an qui sont justement l’occasion de présenter ce type de démarche. Après ponctuellement s’il y a une nécessité ou une demande on peut très bien organiser une réunion de présentation ou de démonstration de matériel ou d’épandage donc on peut créer une réunion, une démonstration. . . c’est pas un souci, du moment que le besoin et que la demande est là, c¸a peut se mettre en place » (le responsable céréalier).

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5.2.6. Des pistes pour la poursuite de l’étude L’analyse des données recueillies auprès des deux chercheurs et d’acteurs de la filière a permis de recueillir des informations sur les éventuels freins et leviers à la mise en place de ces nouveaux procédés et sur d’éventuels profils d’agriculteurs. Ses résultats d’analyse nous invitent, au préalable de la conduite des entretiens visant l’identification de freins effectifs par profils d’agriculteur, à poursuivre les investigations afin de pouvoir fournir les informations nécessaires pour que les acteurs de la filière puissent se positionner en connaissance de cause. Plus précisément : • au niveau économique, il conviendra d’estimer le coût financier de cette nouvelle pratique comparée à la pratique classique. Cela suppose de développer des scénarios et pour chacun de calculer leur coût. Pour ce calcul, il faudra en outre prendre en compte les éventuelles aides de l’État et de l’Europe (niveau macro) et d’apprécier si des assurances pourraient couvrir les éventuels préjudices si le procédé s’avérait moins performant que les techniques traditionnelles. . . ; • au niveau écologique, le cylindre conique qui encapsule les mycotoxines se compose d’amidon, molécule glucidique aisément biodégradable. Le procédé de décontamination ne devrait donc pas avoir d’impact négatif majeur sur les sols et les nappes phréatiques (niveau climat/santé). Ces éléments seront évidemment à vérifier en laboratoire et en champ relativement au taux de présence de mycotoxines. Sur la base des résultats obtenus, une démarche pour labelliser « bio » le procédé va s’imposer (niveau macro) ; • au niveau social, l’emploi du test nécessite un niveau BAC +2. Il repose sur des prélèvements et leur traitement en laboratoire. Les coopératives disposent habituellement de techniciens et de laboratoires permettant d’effectuer les prélèvements et de procéder à des tests (niveau méso1). Les moments où procéder à des prélèvements pourraient être déterminés par les coopératives relativement à la pluviométrie et/ou l’alerte de certains agriculteurs. Quant au procédé de décontamination, il repose sur les techniques d’épandage traditionnelles et ne nécessitent pas d’achats en matériel supplémentaires, ni de compétences particulières. Ce qui changera pour les agriculteurs (niveau micro), ce sont les moments d’épandage des solutions antifongiques qui ne seront plus fixés a priori en coopérative, mais seront définis ponctuellement en fonction des résultats au test et de la pluviométrie. L’organisation du travail s’en trouvera modifiée et nécessitera davantage d’interactions entre les agriculteurs et leur coopérative. En référence au travaux de Barbier, Cerf et Lusson (2015), ces nouvelles formes de coordination pourraient ne pas être un frein, mais un levier — les réunions, rencontres pouvant être source de plaisir. Pour les agriculteurs ne procédant pas encore à l’alternance blé-orge (ce qui semble rare pour le technicien interrogé) et/ou employant des produits phytosanitaires favorisant le développement fongique, des interventions complémentaires (niveau méso1) seront à définir auprès des coopératives concernées et des distributeurs négociants — pour les agriculteurs ne s’approvisionnant pas en coopérative. 6. Discussion 6.1. Des entretiens pour construire un modèle de l’environnement L’enjeu de l’article était d’expliciter le processus de recueil et de traitement que nous avons développé dans le cadre de cette étude. Les chercheurs en ergonomie travaillant à la modélisation d’environnements globaux dans le cadre du développement durable ont recours à la méthode des entretiens, néanmoins ils ne mentionnent pas les consignes, les guides utilisés, le nombre d’interviewés, ni leur méthodologie d’analyse (Samudhram et al., 2016 ; Thatcher & Yeow, 2016a, 2016b ; Hutchings & Thatcher, 2018). Dans le champ de l’ergonomie et de la psychologie ergonomique, la méthode de l’entretien est mobilisée en complément d’autres méthodes pour l’étude des activités de travail (par exemple, les entretiens d’explicitation, les entretiens avec des relances en pourquoi comment, les entretiens en autoconfrontation). Dans cette étude et les travaux précités, l’enjeu n’est pas d’instruire l’activité de l’opérateur (ici, l’agriculteur céréalier), mais son environnement global. Cet objet (l’environnement global) conduit alors à s’orienter vers la méthode d’entretien telle qu’utilisée en psychologie sociale pour l’étude des représentations. Dans ce

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champ, l’objet soumis à verbalisation, doit avoir fait l’objet d’une construction cognitive chez les interviewés, il doit être partagé par une communauté et véhiculer une idéologie (Jodelet, 1991). La consigne est généralement : « pouvez-vous me parler de cet objet, me dire ce qui vous vient à l’esprit lorsque l’on évoque cet objet ». L’entretien est semi-directif — sur la base de l’analyse d’entretiens exploratoires, le chercheur identifie des angles sous lesquels l’objet peut être interrogé ; ces angles constituent le guide d’entretien. L’enjeu ici n’est pas d’apprécier si les interviewés ont une représentation partagée ou non de leur environnement global — d’ailleurs il n’est pas certain que l’objet « environnement global » ait fait l’objet d’un construit cognitif chez les acteurs de la filière —, mais d’accéder à un maximum de composants constituant cet environnement, d’identifier leur(s) fonction(s) et leur(s) finalité(s). De fait, nous avons utilisé des consignes et un guide d’entretien permettant de manière détournée d’accéder à des composants de l’environnement. Les consignes ont été en outre adaptées au profil des personnes sollicitées : les chercheurs de la filière orge-malt-bière qui sont les initiateurs de l’étude avaient pour consigne de nous parler de la filière et de la pratique actuelle en matière de traitements antifongiques. L’agriculteur céréalier, le technicien d’une coopérative et le responsable céréalier d’une coopérative, une fois leur avoir présenté les deux procédés en développement et l’enjeu de l’étude, avaient pour consigne de parler de leur activité et par un système de relance, étaient notamment invités à approfondir leur relation avec des composants de leur environnement. L’emploi d’un guide les invitant à parler des changements dans le monde agricole, des freins et leviers au changement de procédés. . ., a permis d’identifier des composants de l’environnement, leur(s) fonction(s) et finalité(s). Sur la base de ces éléments et du formalisme de Thatcher et Yeow (2016a), nous avons esquissé un modèle de l’environnement que nous avons fait évoluer de manière itérative en sollicitant d’autres acteurs de la filière. Nous avons donc misé sur la diversité des acteurs sollicités pour avoir accès à un maximum de composants. Cette dernière étape a permis en outre de vérifier l’accessibilité et l’intelligibilité du modèle. 6.2. Des entretiens pour l’identification de déterminants de l’intention de changer de pratique Les résultats de l’analyse thématique effectuée dans une visée exploratoire, nous ont conduit à mobiliser la théorie du comportement planifié de Ajzen (1985), qui présente un intérêt dans une visée interventionniste visant un changement de pratique. Cette théorie restitue des déterminants impliqués dans une intention comportementale. Sur cette base, l’intention de changer de pratique va dépendre de trois éléments : • les normes subjectives qui renvoient à la pression sociale (ce que la personne pense que l’on va penser d’elle si elle opte pour la nouvelle pratique), le « on » renvoie aux personnes importantes pour elle ; • l’attitude à l’égard de la nouvelle pratique (favorable ou défavorable) ; • le contrôle comportemental qui peut être impacté par des éléments extérieurs difficilement contrôlables (par exemple rupture de stock d’un produit). Le traitement des productions langagières collectées a permis d’identifier des déterminants impliqués dans l’intention d’utiliser ces nouveaux procédés. Concernant les pressions sociales, les données recueillies ont permis d’identifier les composants pouvant potentiellement avoir une influence sur la décision des agriculteurs quant à la mise en place de ces nouveaux procédés (composants des deux niveaux méso de la Fig. 2), en l’occurrence la famille, les voisins, les distributeurs négociants, d’autres agriculteurs, les coopératives, les chambres d’agriculture, les syndicats, les experts comptables, etc. Concernant l’attitude à l’égard de la nouvelle pratique, on note à travers l’analyse des entretiens conduits que la pratique est interrogée sous différents angles qui correspondent aux trois axes transversaux d’Elkington (1998) : • capital économique (la nouvelle pratique est-elle plus ou moins coûteuse que la pratique traditionnelle ?) ;

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• capital social (le coût humain de la nouvelle pratique — nécessite-t-elle de nouveaux apprentissages, un matériel particulier ? Nécessite-t-elle de nouvelles formes de coordination entre les acteurs de la filière sachant que les grandes coopératives ont plus de difficulté à se mettre en lien direct avec les agriculteurs ?) ; • capital naturel (le coût environnemental — la nouvelle pratique, peut-elle être labellisée « procédé biologique » pour que les agriculteurs puissent percevoir des aides de l’État, de l’Europe ?). Le contrôle comportemental renvoie à des éléments extérieurs qui empêcheraient/altéreraient la mise en place de la pratique. Pour l’étude qui nous occupe, il faudra s’assurer que les tests et le procédé seront commercialisables et commercialisés en quantité suffisante, que l’approvisionnement sera assuré via les centrales d’achat, que les coopératives disposent de laboratoire et de techniciens en nombre suffisant pour procéder aux prélèvements et tests. Les entretiens qui seront conduits ultérieurement auprès des agriculteurs céréaliers permettront de cibler parmi ces différents acteurs ceux qui ont un poids dans leur intention de changer de procédés. Sur la base des données collectées, on observe que le modèle de l’environnement et la théorie du comportement planifié constituent des construits qui s’enrichissent mutuellement et qui gagnent à être mobilisés en amont d’un processus d’intervention : le modèle de l’environnement permet de définir les interventions ergonomiques à mettre en place (à quel niveau, le nombre de récurrences requises) et la théorie du comportement planifié permet d’interroger les éléments/composants pouvant entraver ou concourir à l’intention de changer de procédés. 6.3. Fonction(s) et validité du modèle de l’environnement Un modèle peut remplir soit une fonction de stockage, soit une fonction de guidage (Leplat, 2003). À l’instar de Thatcher et Yeow (2016a), un modèle de l’environnement a une fonction de guidage dans le sens où il permet à l’ergonome d’envisager à quel(s) niveau(x) intervenir, le nombre d’interventions à produire et d’imaginer leur incidence sur les autres strates. Pour notre étude, il a également une fonction de stockage dans le sens où il capitalise des composants de l’environnement et leur articulation. Le modèle sera mobilisé comme ressource au cours d’entretiens et en « focus-group ». Plus précisément, lors de la poursuite de l’étude, le modèle de l’environnement sera exploité comme support à la conduite d’entretiens visant à recueillir l’opinion et l’attitude des acteurs interviewés afin de développer, par profil d’agriculteurs, un modèle de l’environnement enrichi de ses dimensions fonctionnelle (rôles, missions des composants) et téléologique (finalités des composants intégrant un même niveau). Sur cette base, l’identification des composants constituant des freins ou des leviers, par profil, permettra d’engager des processus d’accompagnement adaptés. Le cas échéant, des « focusgroups » seront mis en place afin de trouver des solutions définies collectivement permettant de pallier les freins identifiés. Dans cette optique, le modèle de l’environnement constituera une ressource qui permettra d’interroger de manière plus exhaustive les composants pouvant constituer des freins au changement de procédés. Quant à la validité du modèle, elle dépend de sa finalité : « la finalité des modèles est étroitement liée à leur validation qui vérifiera leur adéquation à cette finalité » (Leplat, 2003, p. 18). La finalité d’un modèle peut être descriptive, explicative, prédictive (Leplat, 2003 ; Sperandio, 2003) ; dans notre cas, elle vise une description — décrire revient à « expliciter le but et la forme du système étudié, ce pour quoi il est fait et comment il se présente » (Leplat, 2003, p. 17). Le modèle doit en outre être accessible et compréhensible par les acteurs de la filière ; la soumission du modèle en « focus-group » auprès de huit acteurs de la filière a permis cette validation. 7. Conclusion L’enjeu de cet article était de présenter le processus méthodologique mis en place pour construire un modèle de l’environnement à partir d’une étude de cas. Le processus développé dans cette étude exploite, d’une part, le formalisme de Thatcher et Yeow (2016a) et, d’autre part, le recueil de données auprès de personnes de la filière ayant des statuts et fonctions différents afin de couvrir au maximum les composants propres à chaque niveau du modèle.

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Cette étude montre que la méthodologie de recueil (devant impliquer les parties prenantes et reposant sur un guide d’entretien semi-directif mettant le focus sur les relations dans le cadre de l’activité agricole, les freins, les leviers. . .) est particulièrement adaptée pour identifier des composants de l’environnement et leur plus ou moins grande proximité avec l’agriculteur céréalier. En outre, il ressort, en référence à la théorie du comportement planifié (Ajzen, 1985) que ces entretiens semidirectifs fournissent des ressources pour l’identification de déterminants (qui potentiellement peuvent être des leviers ou des freins) de l’intention de changer de procédés. Enfin et à l’instar de Prost (Prost, Berthet, Jeoffroy, Labatut, &, Meynard, 2017), nous notons que le domaine agricole au vu de ses caractéristiques est particulièrement propice à faire évoluer les cadres et à enrichir les débats en ergonomie : en l’occurrence l’agriculteur responsable d’une exploitation travaille en relative autonomie, il décide des modes opératoires, du matériel, des intrants. . . Néanmoins il subit de nombreuses influences et contraintes qui ne proviennent pas de son environnement de travail immédiat, mais d’un environnement plus global. Thématiques de recherche des auteurs Valérie Saint-Dizier de Almeida : clinique de l’activité, communications professionnelles, accompagnement, intervention ergonomique, formation. Antonietta Specogna : analyse de l’activité, interaction, éducation, didactique professionnelle. David Gouyon : ingénierie système (définition d’architectures systèmes à base de COTS, définition de méthodes de co-spécification), conduite des systèmes industriels (définition d’une approche de génération de séquences d’action de conduite). Eric Levrat : ingénierie système, sûreté de fonctionnement, maintenance et soutien logistique intégré pronostic et management de la santé des systèmes. Florence Dumarc¸ay : synthèse organique — chimie supramoléculaire — fonctionnalisation de macrocycles (de type cyclodextrines/azacouronnes/cryptocarbènes) — coordination/complexation. Emmanuel Rondags : génie microbiologique, sécurité alimentaire, identification microbienne et détection de métabolites secondaires par spectrométrie de masse. Xavier Framboisier : bioProcédés (bioraffinerie protéique, fonctionnalisation de biomolécules par voie enzymatique) ; analytique (analyse en/hors ligne de biomolécules, identification microbienne et détection de métabolites secondaires par spectrométrie de masse, protéomique et métabolomique). Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts. Remerciements Nous tenons à remercier Marianne Cerf, Marianne Le Bail et Jean-Marc Meynard de l’Inra pour avoir accepté de partager leur expertise au cours d’une demi-journée de travail dans le cadre de ce projet. Nous remercions également l’université de Lorraine et le CNRS pour avoir soutenu financièrement et scientifiquement ce projet PEPS Mirabelle. Références Ajzen, I. (1985). From intention to actions: A theory of planned behavior. In J. In, J. Kuhl, & Bekmann (Eds.), Action-control: From cognition to action (pp. 11–39). Heidelberg: Springer. Barbier, C., Cerf, M., & Lusson, J.-L. (2015). Cours de vie d’agriculteurs allant vers l’économie en intrants : Les plaisirs associés aux changements de pratiques. Activités, 12(2), 26–52. Celestino, J. E. M., Bispo, C. S., Saldanha, M. C. W., & Mattos, K. M. C. (2012). Ergonomics and environmental sustainability: A case study of Raft Fisherman Activity at Ponta Negra Beach, Natal-RN. Work, 41, 648–655. Cerf, M., & Magne, M.-A. (2007). Comment les agriculteurs mobilisent-ils des interventions de développement ? Activités, 4(1), 112–122. Commission mondiale sur l’environnement et le développement. (1988). Notre avenir à tous (Rapport Brundtland). Québec: Ed. Lambda. Costanza, R., & Patten, B. C. (1995). Defining and predicting sustainability. Ecological Economics, 15(3), 193–196.

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