Vers un inventaire des mutations oncogéniques dans les cancers humains

Vers un inventaire des mutations oncogéniques dans les cancers humains

Volume 97 • N° 11 • novembre 2010 Synthèse General review ©John Libbey Eurotext Vers un inventaire des mutations oncogéniques dans les cancers huma...

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Volume 97 • N° 11 • novembre 2010

Synthèse General review

©John Libbey Eurotext

Vers un inventaire des mutations oncogéniques dans les cancers humains Towards an inventory of oncogenic mutations in cancer C. Theillet Institut de recherche en cancérologie de Montpellier, Inserm U896, CRLC Val-d’Aurelle-Paul-Lamarque, université de Montpellier-I, Montpellier, France

Tirés à part : C. Theillet

Résumé. La découverte des oncogènes, puis de leur contrepartie, les gènes suppresseurs de tumeur, a établi le schéma du cancer se formant et progressant suite à l’apparition spontanée de mutations somatiques. On sait désormais que les génomes des tumeurs subissent de nombreuses modifications qui bouleversent leur structure et affectent profondément leur fonctionnement. Le niveau de remaniement et ses conséquences est de mieux en mieux appréhendé, révélant de nombreuses mutations nouvelles dont un bon nombre s’avèrent orphelines. En conséquence, le nombre de gènes de cancer a augmenté au gré des évolutions technologiques, passant de quelques dizaines à plusieurs centaines. Le répertoire des mutations oncogéniques, centré au départ sur un nombre limité de gènes fondateurs, comprend les gènes affectés par des modifications structurales de l’ADN, mais aussi, ceux touchés par les modifications épigénétiques et des microARN. Le défi qui se pose à nous, désormais, est de trier cette masse d’informations, d’isoler les mutations fondatrices des mutations passagères et de reconstruire les cascades oncogéniques correspondant à chaque phénotype tumoral.

Abstract. The discovery of oncogenes and tumor suppressors has established the original concept of cancer development based on a cascade of spontaneously occurring somatic mutations. It is now well known that genomes of cancer cells are deeply rearranged and that these rearrangements have devastating consequences on their organization and function. These rearrangements and their functional consequences are increasingly well characterized leading to the identification of numerous novel mutations, including a number of orphan mutations. The number of cancer genes has constantly been on the rise as a consequence of technological evolution. Starting from a couple of dozen founder genes, we are presently facing lists comprising several hundreds of genes. These correspond to genes affected by structural rearrangements or mutations, those modified at the epigenetic level and, more recently, miRNAs. The current challenge resulting from this brutal increase will be to sort out founder from passenger mutations and deduce the oncogenic cascades that correspond to each tumor phenotype.

Mots clés : mutation, oncogène, suppresseur de tumeur, génome, cascades oncogéniques

Key words: mutation, oncogene, tumor suppressor, genome, oncogenic cascades

doi: 10.1684/bdc.2010.1200



F

aire un bilan des recherches en oncogénétique revient à faire une pause au cours d’une longue ascension vers un sommet masqué par un nuage têtu, se retourner et contempler le chemin parcouru. Plutôt que d’arrêter mon retour en arrière à dix ans, je préfère remonter plus loin aux origines un peu oubliées de ce champ thématique. En effet, il y a dix ans, nous vivions la révolution du séquençage du génome humain et les débuts de la biologie molécuBull Cancer vol. 97

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laire à haut débit qui ont entraîné des changements conceptuels et méthodologiques majeurs dans notre appréhension du cancer.

Cancer maladie génétique acquise Les recherches en oncogénétique se sont construites sur l’hypothèse fondatrice proposant que le cancer soit une maladie génétique acquise. Cela sonne aujourd’hui comme une évidence, mais voilà 30 ans,

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à l’aube du clonage moléculaire et du séquençage de l’ADN, cette idée était un saut conceptuel. Elle s’appuie sur la découverte des premiers oncogènes chez le poulet et le rat. Ces gènes étaient portés par des formes défectives et hautement cancérogènes de rétrovirus infectieux endémiques dans les élevages. Il est apparu que les oncogènes viraux (v-onc) correspondaient à des séquences cellulaires captées par les rétrovirus au cours du cycle d’infection [1]. Les v-onc étaient donc des avatars de gènes cellulaires. Comme les v-onc correspondaient à des formes mutées de leurs versions originelles, on en a déduit que l’acquisition des caractéristiques transformantes nécessitait que le gène cellulaire soit modifié dans sa structure et/ou sa séquence codante. Cette supposition a été rapidement confirmée par la découverte dans l’ADN de tumeurs animales et humaines de séquences transformantes (c-onc), elles aussi, versions mutées des gènes cellulaires d’origine. Les tumeurs se développaient donc spontanément suite à la mutation d’un gène qui basculait ainsi dans le camp malin [2]. Le cancer en tant que maladie génétique était né, le concept de génétique somatique (se démarquant de la génétique constitutionnelle classique) aussi. Très rapidement vint la question du nombre de mutations (ou d’événements oncogéniques) nécessaires pour transformer une cellule normale. L’essentiel des travaux dans le domaine utilisait des fibroblastes de souris faciles à cultiver et très réceptifs à tout ADN exogène, les NIH/3T3. Très pratiques, ces cellules ont permis nombre de découvertes précieuses, mais étant prétransformées, les fibroblastes 3T3 véhiculaient une idée faussée, car l’introduction d’un seul oncogène suffisait à leur conférer des caractéristiques tumorales (inhibition de contact, clonage en milieu semi-solide, formation de tumeurs chez l’animal). D’où l’idée que le cancer pouvait survenir en un coup (one hit). Cette idée a été contestée par Weinberg et al. qui ont démontré qu’en changeant les NIH/3T3 par des fibroblastes embryonnaires il fallait au minimum deux oncogènes agissant sur des voies complémentaires pour arriver à la transformation [3]. Ce schéma s’appliquait à un système expérimental bien défini, mais sa transposition aux cancers humains semblait douteuse, sachant que certains cancers demandent des années pour se développer. Le nombre d’événements génétiques nécessaires à la formation d’un cancer reste aujourd’hui encore l’objet de débats.

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Progression tumorale par cascade d’événements génétiques Si le nombre d’événements nécessaire à la transformation cellulaire reste une question sans vraie réponse, la mise en évidence de gènes supprimant le caractère tumoral est venue compléter ce schéma exclusivement construit sur des mutations oncogéniques dominantes. La découverte des premiers antioncogènes vient de la convergence de deux approches indépendantes : la génétique « réverse » et la génétique cellulaire. Dans la première, les généticiens avaient montré l’existence, dans des tumeurs pédiatriques à forte composante héréditaire, de pertes alléliques récurrentes, conduisant à une hémizygotie. Cette réduction allélique avait été interprétée comme l’expression d’un « double hit », où l’allèle normal doit être éliminé pour permettre à une mutation récessive de s’exprimer génétiquement [4]. Cependant, la preuve fonctionnelle de l’existence de fonctions génétiques capables de « réverser » un caractère tumoral vint de l’introduction de fragments de chromosomes normaux dans des cellules cancéreuses par fusion cellulaire [5]. Le clonage et la caractérisation des premiers gènes suppresseurs de tumeurs vinrent après de laborieux efforts combinant cartographie génétique et de longues marches sur chromosomes [6]. Ainsi, l’oncogenèse résultait de l’activation de gènes protumoraux et de la perte de fonction de gènes antitumoraux. La mise en place de cette combinaison explosive résulte d’une accumulation progressive de modifications génétiques spontanées qui modifient les fonctions de base d’une cellule normale lui permettant d’acquérir : – une autonomie proliférative du fait d’une levée de la dépendance par rapport aux signaux extérieurs (facteurs de croissance) ; – une perte de sensibilité par rapport aux signaux de mort cellulaire ; – l’élimination de la barrière de sénescence rendant la cellule « immortelle » ; – une capacité à modifier son phénotype. Cette séquence avait été popularisée par le fameux Vogelgramme [7], qui proposait un schéma de progression du cancer colorectal où l’apparition d’une mutation nouvelle était attribuée à chaque transition d’un état à un autre (adénome 1 → adénome 2 → carcinome → métastase). Cette représentation, un peu déterministe, a rapidement été tempérée par un schéma stochastique, où l’instabilité génétique occupe une place centrale. Bull Cancer vol. 97

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Instabilité génétique dans la genèse des cancers L’apparition spontanée d’aberrations génétiques et leur accumulation dans les cancers ne s’expliquent que par la perte, dans les cellules tumorales, des mécanismes de contrôle qui font qu’à chaque division cellulaire les deux cellules filles héritent d’un matériel génétique identique. L’observation de caryotypes de cellules tumorales nous indique que ces contrôles ont été mis au silence. En simplifiant un peu, on peut considérer que les cancers humains se séparent en deux grandes catégories, les cancers à instabilité chromosomique (80 % des cancers) et les cancers associés à un défaut de réparation des mésappariements nucléotidiques (ou à instabilité microsatellitaire). Les premiers présentent des caryotypes fortement remaniés, fréquemment associés à une perte de la ploïdie, les seconds sont hypermutateurs, perdant ou ajoutant des nucléotides dans des séquences homopolymériques. Les deux formes sont quasi exclusives. Ainsi, le taux de mutation nucléotidique n’excède pas la normale dans les tumeurs à instabilité chromosomique (CIN), les tumeurs à instabilité microsatellitaire (MIN) restent diploïdes et présentent un niveau de remaniements très inférieur à celui des tumeurs CIN. Dans les cancers CIN, on note une corrélation entre augmentation de l’aneuploïdie et caryotypes aberrants et l’agressivité de la maladie. L’instabilité génétique jouerait un rôle central, agissant comme un catalyseur, dans la progression tumorale [8]. Si on applique à la tumeur un raisonnement de biologie des populations, l’instabilité génétique est un facteur de diversité génétique extraordinaire, puisqu’à chaque génération elle produit des variants cellulaires, dont seule une infime minorité présentera un avantage sélectif et sera retenue. Mais si l’instabilité génétique favorise le développement tumoral, peut-on conclure qu’elle lui est indispensable ? Certains en doutent [9]. Il est aussi intéressant de noter que la tumeur devient, au fil des divisions cellulaires, un système de plus en plus hétérogène, construit sur quelques mutations fondatrices et un nombre grandissant de mutations secondaires.

Dresser la carte génétique des cancers humains Le schéma de progression stochastique créait un contexte favorable à l’établissement d’un inventaire Bull Cancer vol. 97

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des mutations oncogéniques dans les cancers. Deux logiques complémentaires sous-tendent ces approches. La première, essentiellement cognitive, visait à l’identification de nouveaux gènes et à caractériser les cascades oncogéniques à l’œuvre. La seconde, plus centrée sur le patient, cherchait à mieux en évaluer le risque de récidives et à mieux le traiter. Le raisonnement s’est affiné et a mené au développement de stratégies thérapeutiques, théoriques à ce jour, où la mutation oncogénique devient une cible thérapeutique privilégiée car ayant servi à la construction du cancer, elle devrait être indispensable à sa survie (hypothèse de l’oncogene addiction). En inhibant la fonction activée par la mutation on gagnera en efficacité. Il me semble intéressant d’opérer un petit zoom arrière sur les objectifs de ce type d’approche et leur évolution au fil des années et des évolutions technologiques. Effectivement, avant la révolution génomique, il n’était pas envisageable techniquement d’établir un répertoire exhaustif des mutations, les moyens technologiques et les connaissances sur la composition du génome humain et sa structure ne le permettant pas. On partait d’oncogènes connus et identifiés dans des cribles cellulaires (transfections) et on vérifiait leur implication dans des remaniements génétiques (translocations, amplifications, mutations) dans les tumeurs humaines. Ce raisonnement s’est peu à peu étendu aux gènes de la même famille (orthologues) ou à des gènes agissant le long de cascades signalétiques associées à des oncogènes connus. Alternativement, on s’appuyait sur des données cytogénétiques ayant identifié des remaniements stéréotypes (en général des translocations) et on cherchait, par clonage, à identifier les gènes modifiés. Ces approches ont été très fructueuses, mais ne s’appliquaient qu’aux cancers à caryotypes simples, c’est-à-dire les hémopathies malignes et certains cancers des tissus mous. D’autres travaux portaient sur la recherche de pertes d’hétérozygotie dans les tumeurs humaines. Ces approches visaient à cartographier les régions contenant des antioncogènes. Leur faiblesse résidait dans le nombre limité de marqueurs génétiques disponibles et leur densité sur le génome. La deuxième faiblesse de ces études est que certains déséquilibres alléliques ne correspondaient pas forcément à des pertes d’hétérozygotie, mais à des gains d’un allèle, voire à une amplification [10]. Toutefois, la mise en évidence de nombreux sites de déséquilibres alléliques dans les génomes tumoraux donnait des premières indications

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sur l’intensité des remaniements subis par ces génomes. Cela a été confirmé et précisé grâce à deux évolutions techniques en cytogénétique. La première, appelée hybridation génomique comparative (CGH), conçue pour détecter les régions chromosomiques soumises à des modifications de dosage (gain ou perte), a permis de montrer que les génomes tumoraux présentaient des profils complexes, dans lesquels pratiquement tous les chromosomes étaient le siège de gains ou de pertes [11]. On notait, toutefois, l’existence d’anomalies récurrentes impliquant des régions chromosomiques déterminées, laissant supposer l’existence de mécanismes génétiques privilégiés. De plus, la comparaison des profils CGH, provenant de types tumoraux différents, faisait apparaître des différences de sites récurrents, suggérant des cascades mutationnelles distinctes. La seconde technique était une évolution importante du caryotype [12]. Le caryotype couleur (SKY-FISH ou M-FISH), utilisant des techniques d’hybridation in situ et des sondes spécifiques de chacun des 24 chromosomes, a permis de révéler que les chromosomes des cellules cancéreuses étaient aussi le siège de profonds remaniements structuraux, impliquant de multiples cassures produisant des inversions, des translocations pour la plupart déséquilibrées, ou l’émergence de curieuses structures hybrides provenant de la recombinaison de quatre, cinq, voire plus, chromosomes différents. Toutefois, passé le choc des premières observations, il fallut se rendre à l’évidence que ces techniques ne permettaient pas de dépasser le stade de la description. Étant basées sur l’utilisation de chromosomes en métaphase comme support, elles manquaient de précision (résolution) et ne permettaient que difficilement d’aller jusqu’aux gènes en cause.

Double révolution du décryptage du génome humain et de la biologie à haut débit Le programme du génome humain a amené une révolution en apportant l’information qui manquait ; l’identité des gènes, leur localisation précise, leur structure et organisation. Il a aussi conduit dans son sillage à la conception d’outils, à des nouvelles technologies et à des approches conceptuelles. La biologie à haut débit et son cortège de travaux, dits sans hypothèse, étaient nés, au grand dam de certains réductionnistes.

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Le programme du génome humain a, non seulement, produit une séquence de référence, identifié les portions codantes (laissé des zones d’ombre aussi), il a également produit des ressources extraordinaires, les banques de clones. Ceux-ci, une fois caractérisés, ont permis la mise en œuvre des puces à ADN, qui sont devenues les outils de base de la génomique. Ces puces à ADN ont permis d’appréhender, en une seule expérience, le répertoire génétique dans son ensemble. Leur précision et leur fiabilité ont rapidement crû, des premières puces artisanales, issues d’initiatives de laboratoires pionniers, aux puces industrielles, dont certaines s’imposent peu à peu comme des standards. Elles ont produit deux applications majeures pour la cancérologie, les puces d’expression et la CGH-array, puis, plus récemment, les puces SNP. De plus, le traitement et l’analyse des données issues de ces puces ont engendré des questions nouvelles tant au niveau biostatistique que du croisement de l’information. Naissait un nouveau champ de recherche, la bio-informatique. Particulièrement créatif, ce champ a produit une multitude d’outils d’analyse, de ressources d’information, sous forme de bases de données, sans lesquelles l’utilisation des puces se cantonnerait à un niveau assez rudimentaire.

Profils d’expression La première application des puces à ADN a été dédiée à l’étude du niveau d’expression de tous les gènes que l’on avait en magasin. Leur nombre est progressivement passé de quelques centaines à tout le répertoire connu, c’est-à-dire 22 000 et quelques gènes. L’information, un peu confuse dans les premiers temps, a rapidement fait apparaître que les programmes d’expression génique des cancers étaient profondément perturbés, avec plusieurs milliers de gènes sur- ou sous-exprimés par rapport au tissu normal [13]. Le traitement biomathématique des données de transcriptomes tumoraux a permis de révéler l’existence d’importants réseaux d’expression coordonnée corrélés à des caractéristiques cliniques ou phénotypiques. Dans certains types tumoraux, tels que les cancers du sein ou du poumon, ces analyses ont permis de révéler l’existence de sous-groupes de tumeurs définis sur la base de leurs profils d’expression. Ces données ouvraient la voie vers la définition de nouvelles classifications des cancers. Bull Cancer vol. 97

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Ces approches s’avèrent extrêmement riches en enseignements mais, rapportées à la question du répertoire des mutations oncogéniques, on note qu’elles ont brutalement élargi le concept de gène de cancer. En effet, les quelques centaines de gènes observés dans les réseaux d’expression coordonnée venaient s’ajouter à la liste des membres de ce club encore un peu fermé. De façon intéressante, pratiquement toutes les grandes fonctions cellulaires sont retrouvées, avec dans l’ordre de prévalence, la régulation de la transcription génique, la régulation du cycle cellulaire, la transduction du signal prolifératif, la réplication de l’ADN, ainsi que des fonctions de base comme la respiration mitochondriale ou la traduction des ARN. Ainsi, le concept d’oncogenèse moléculaire, précédemment centré sur des gènes chefs d’orchestre (master genes), qui basculait dans l’irréparable à la suite d’une mutation ou d’une modification de leur structure, s’ouvrait sur un schéma basé sur des réseaux multigéniques. La question qui se posait désormais était de reconstruire les cascades oncogéniques et d’identifier les nœuds de communication.

Profils génomiques Plus reproductible et facile à mettre en œuvre que son aînée sur chromosome, la CGH-array a permis de définir précisément les limites des régions de gains ou de pertes de matériel génétique et de traiter rapidement un nombre important de tumeurs. En association avec l’analyse du transcriptome, il a été possible d’identifier les gènes, localisés dans ces régions de gains ou de perte, dont l’expression était modifiée. Il fallut à nouveau remettre à l’heure nos concepts un peu simplistes. Là où nous pensions trouver un ou deux gènes fortement modifiés (par exemple dans une région d’amplification d’ADN) nous pouvions trouver 10, 20 gènes, parfois plus, dont l’expression était augmentée. Et d’autres dont l’expression était diminuée. Les changements de nombre de copies que nous caractérisions dans les génomes tumoraux s’avéraient avoir des conséquences plus étendues et complexes qu’imaginées au départ.

Épigénétique La liste des modifications subies par le génome des cellules tumorales ne s’arrête pas aux aberrations touchant sa structure ou sa séquence nucléotidique. Bull Cancer vol. 97

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On sait désormais que les modifications épigénétiques interviennent aussi et qu’elles peuvent avoir des conséquences importantes sur l’expression de certains gènes. En se limitant à ce que nous appréhendons le mieux à ce jour, c’est-à-dire la méthylation de l’ADN, de nombreux travaux ont démontré qu’elle jouait un rôle clé dans l’extinction de gènes régulant négativement la prolifération ou servant d’horloge interne pour l’entrée en sénescence. Elle pouvait remplacer la mutation de la séquence codante pour inactiver certains gènes suppresseurs de tumeur. Dans la recherche de l’exhaustivité, il fallait inclure cette modification au logiciel et évaluer ses conséquences exactes au niveau de l’expression génique. Toutefois, à ce jour il n’existe pas encore d’approche technologique simple permettant d’établir un profil de méthylation de l’ADN au niveau du génome entier.

Identification des gènes candidats Le cancer se construit donc sur un ensemble de modifications génétiques et épigénétiques qui remettent profondément en cause les programmes d’expression génique et les niveaux de régulation qui les contrôlent. Entre les gènes mutés, impliqués dans des remaniements structuraux ou des changements de nombre de copies, affectés par des modifications épigénétiques et ceux dont l’expression est modifiée sans que l’on puisse le lier à aucune des causes ci-dessus, on se trouve plus face à un trop-plein qu’à un manque de candidats. Se pose donc la question du choix des bons candidats, ce qui nous ramène à nous interroger sur la méthode à mettre en œuvre. Si l’on considère les données de transcriptome et de CGH-array, la méthode passe d’abord par les biostatistiques ; définition de seuils de significativité et recherches pour intégrer les modifications d’expression observées dans un schéma fonctionnel. Il s’agit de reconstruire les cascades de régulations altérées et d’en identifier les nœuds. Toutefois, ces informations restent virtuelles tant que les liens fonctionnels avec le cancer ne sont pas formellement établis. Cela requiert des approches expérimentales, sur des modèles cellulaires et/ou animaux (souris transgéniques), qui peuvent être assez lourds à réaliser. Il semble difficilement imaginable, à moins de moyens énormes, de les mettre en œuvre pour les dizaines de candidats que génèrent les approches à haut débit.

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Il semble donc que nous devrons utiliser une alternative à la « force brute » impliquant l’utilisation de moyens de plus en plus importants (miniaturisation, multiparallélisation et robotisation des tests phénotypiques), car ces approches pourraient ne livrer que des demi-vérités. En effet, pour être automatisable, un test doit être simple à interpréter, blanc ou noir, et le cancer ne se résume pas toujours aussi facilement. La sélection des cibles ne relève plus seulement de l’identification du « bon » gène muté, remanié, amplifié ou hyperméthylé. L’intégration des données de transcriptome et de profilage génomique nous a montré que nous devions raisonner en termes de réseaux d’interactions et de cascades fonctionnelles. C’est aussi ce que nous apprennent les travaux sur les micro-ARN, dont nous voyons qu’ils agissent comme des chefs d’orchestre commandant l’expression ou, au contraire, l’extinction de nombreux gènes.

par tumeur. Les gènes fréquemment mutés sont de vieilles connaissances, par ailleurs, les petits nouveaux correspondent souvent à des cas uniques, mutés uniquement dans la tumeur analysée. Une étude a montré l’existence, dans le cancer du sein, de gènes chimériques, produits d’une fusion entre deux gènes distants. Ces données suggéraient que ce phénomène jusque-là restreint aux hémopathies, sarcomes et tumeurs de la prostate pouvait aussi se produire dans les cancers du sein. Toutefois, aucun de ces gènes de fusion ne s’est avéré récurrent. Le séquençage des génomes tumoraux révèle au nucléotide près l’extraordinaire instabilité des génomes tumoraux, détectant des mutations ou des remaniements dans des gènes inconnus à ce jour. Si ces nouveaux mutants s’avèrent récurrents, ils viendront agrandir la liste de gènes de cancer, dans le cas contraire elles alimenteront un deuxième répertoire, celui des mutations passagères.

Séquençage massif Les techniques de séquençage ont récemment évolué, permettant de multiplier le débit et de réduire les coûts de façon spectaculaire. Actuellement, ces technologies nécessitent de gros moyens, en particulier au niveau informatique. Les grands centres de séquençage peuvent actuellement produire et réassembler la séquence complète d’un génome humain en une quinzaine de jours, là où le programme du génome humain a mis plusieurs années. Ces évolutions technologiques ont remis au goût du jour le projet de séquençage des génomes tumoraux proposé aux États-Unis au tournant des années 2000. Abandonné du fait de son coût prohibitif et de la guerre en Irak, il est aujourd’hui relancé dans le cadre d’une initiative internationale, l’International Cancer Genome Consortium (ICGC) (www. icgc.org/). Le but affiché est de séquencer 500 génomes tumoraux pour chaque grand type tumoral, soit 25 000 séquences. Le projet est d’identifier toutes les modifications somatiques inscrites dans les génomes tumoraux, pour cela il faut aussi établir la séquence normale du génome de chaque patient, doublant ainsi le nombre de séquences à produire. Les choses vont très vite, et les séquences des premières tumeurs (sein, poumon, mélanome) ont été publiées durant le premier semestre 2009 [14, 15]. Que nous apprennent-elles ? Que le taux de mutations ponctuelles est très variable d’une tumeur à une autre, mais en moyenne on trouve entre 10 et 20 gènes mutés

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Mutations fondatrices versus mutations passagères Nous avons vu qu’un gène modifié peut agir par cascade sur une série de partenaires et influer sur une voie de signalisation en aval. Les moyens technologiques ont, en 20 ans, inversé la problématique. Nous sommes passés d’une information parcellaire à une information surabondante. Il semble essentiel de trier les gènes maîtres, ceux qui sont à l’origine du phénotype, des suiveurs, qui sont une conséquence de son émergence. La recherche de cibles thérapeutiques passe par là. En reprenant les expériences d’il y a 20 ans, on se souviendra qu’il ne faut pas muter la moitié du génome pour transformer une cellule. Cela devrait nous donner à réfléchir dans le futur proche.



Conflits d’intérêts : aucun.

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