sida : révolutions et responsabilités

sida : révolutions et responsabilités

Ethics, Medicine and Public Health (2016) 2, 507—522 Available online at ScienceDirect www.sciencedirect.com DOSSIER « LA PERSONNE : SON INTIMITÉ E...

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Ethics, Medicine and Public Health (2016) 2, 507—522

Available online at

ScienceDirect www.sciencedirect.com

DOSSIER « LA PERSONNE : SON INTIMITÉ ET LE LIEN AVEC LES AUTRES » Études

VIH/sida : révolutions et responsabilités HIV/AIDS: Revolutions and responsibilities C. Lefin a, M.C. Meyohas a,∗,b,c a

Service des maladies infectieuses et tropicales, hôpital Saint-Antoine, hôpitaux universitaires de l’Est Parisien, Assistance publique—Hôpitaux de Paris, 184, rue du Faubourg-Saint-Antoine, 75012 Paris, France b Laboratoire d’éthique médicale et de médecine légale, EA 4569, université Paris-Descartes, 45, rue des Saints-Pères, 75006 Paris, France c Faculté de médecine, université Pierre-et-Marie-Curie, 27, rue de Chaligny, 75012 Paris, France Rec ¸u le 3 juillet 2016 ; accepté le 5 septembre 2016 Disponible sur Internet le 11 novembre 2016

MOTS CLÉS VIH/sida ; Responsabilités ; Homosexualité masculine ; Maternité ; Révolutions



Résumé L’objet de cet article est de poser un regard historique, éthique et contemporain sur l’épidémie du sida, de son avènement à aujourd’hui. Cette approche diachronique permet de comprendre les enjeux en termes de responsabilités qui concernent chacun des acteurs de la société, contaminés comme non contaminés par le virus du sida. Un accent particulier est mis sur ce long parcours qui va de la mise en quarantaine des patients à la responsabilité personnelle afin de mieux cerner les révolutions qui se sont jouées durant ces trente années et leurs retombées en termes de progrès et de questionnements incessants. La clinique auprès des patients touchés par le VIH permet d’illustrer la réelle difficulté actuelle d’ajustement des uns aux autres face aux progrès thérapeutiques. Si les comportements et les mentalités ont largement évolués dans certains domaines, pour d’autres ils restent sous le sceau de préjugés négatifs et de stigmatisation. L’éthique qui sous-tend la pratique est source de questionnements fondamentaux et c’est bien cette déontologie respectueuse de l’humain dans son intégrité qui permet d’interroger ici, au terme de nombreuses révolutions, les changements actuels et à venir en lien avec cette pathologie. © 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´ eserv´ es.

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (M.C. Meyohas).

http://dx.doi.org/10.1016/j.jemep.2016.10.002 2352-5525/© 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´ eserv´ es.

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KEYWORDS HIV/AIDS; Responsibilities; Male homosexuality; Motherhood; Revolutions

C. Lefin, M.C. Meyohas

Summary The purpose of this article is to look at the AIDS pandemic with an historical, ethical and contemporary eye, from its commencement to nowadays. This diachronic approach allows an understanding of the liabilities issues, which concern society players, which had been contaminated or not contaminated by AIDS. A specific emphasis is placed on this long journey, which runs from the quarantining of patients to the individual responsibility, to gain a better understanding of the revolutions that occurred during the past thirty years as well as their benefits in terms of progress and of repeated questioning. The clinic, close to patients with HIV, serves to illustrate the current real difficulty in adjusting each other in view of therapeutic advances. If behavior and mentalities have widely changed in some areas, for others it remains blocked under stigmatization and negatives prejudices. Ethics, which is the basis of the practice, is source of fundamental questionings. This is this deontology, respectful of the human in its integrity, which questioned here in terms of numerous revolutions, actual and future changes in conjunction with pathology. © 2016 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

La responsabilité demande du courage parce qu’elle nous place à la pointe extrême de la décision agissante Vladimir Jankélévitch, 1967

Introduction Les défis relevés face à l’épidémie du sida sont mondiaux, multiples et monumentaux, mais après trois décennies de combats ils semblent, hélas, encore nombreux. Même si les différences de politiques de santé et de prise en charge Nord-Sud restent frappantes, notre choix est de nous concentrer sur la situation de l’épidémie dans l’hexagone, d’une part, parce qu’elle est le cadre essentiel de notre pratique et, d’autre part, parce que nous constatons qu’elle continue sa progression principalement chez les hommes homosexuels de notre capitale. Le but n’est pas ici d’être alarmiste, et encore moins autarcique car nous savons combien les progrès déployés dans ce domaine dépendent de l’ouverture des connaissances pluridisciplinaires et mondiales. C’est pourquoi, notre réflexion en tant que professionnelles de la santé (médecin infectiologue et psychologue clinicienne) est guidée par ce qui nous anime depuis toutes ces années : la richesse de la clinique auprès des patients contaminés, et plus précisément ici, sur ce qui, d’hier à aujourd’hui se joue et s’articule entre évolution, révolutions, responsabilités, comportements et prise en charge du patient. Le sida arrive en France au début des années 1980 pour se déployer tragiquement en termes de mortalité et de contamination entre 1989 et 1996. Puis, l’efficacité thérapeutique des antirétroviraux va permettre de faire chuter considérablement la mortalité et offrir une prise en charge globale aux patients avec à la clef, espérance de vie, qualité de vie et enfin chronicité de la maladie. Depuis 2010, les politiques de préventions se mobilisent activement pour faire face à la recrudescence de contaminations par le VIH essentiellement au sein de la population homosexuelle masculine. À l’issue de la première partie, consacrée à l’épidémiologie mondiale du sida et au regard de l’histoire chronologique

de celle-ci, nous ferons le constat qu’il n’existe pas une mais des révolutions : scientifique, médicale, sociétale, et dans la prise en charge des patients, au cœur même de la relation médecin—patient. Révolutions qui engendrent des avancées considérables associées à des problématiques dont les enjeux vont faire émerger des questionnements éthiques, juridiques et politiques. Avec, en contrepoint, l’incontournable notion de responsabilité qui fera l’objet de la seconde partie. Notion qui sera déclinée dans le contexte de l’épidémie VIH/sida dans ses dimensions philosophique, éthique, juridique. L’essentiel de la réflexion portera alors sur les constats et les questionnements des innombrables répercussions de ces différentes révolutions, à savoir, l’inscription stigmatisante de l’épidémie qui perdure avec la résistance des préjugés négatifs, les notions de honte, de culpabilité et de rejet ainsi que de secret qui continuent d’envahir la vie intime et sociale des patients. Le questionnement éthique est fondamental pour accompagner les patients aux prises avec cette pathologie indicible (visible/invisible) et parvenir à une prise en charge globale de qualité. En effet, de la mise en quarantaine des patients jusqu’à leur responsabilité personnelle actuelle face au VIH, si différentes révolutions se sont jouées, elles n’ont pas été sans les impacter psychologiquement et donc comportementalement, au point de parler de « mutation » comportementale. C’est donc par le prisme de notre clinique hexagonale et contemporaine que nous ciblerons, dans la dernière partie, la mutation des comportements dans le milieu homosexuel masculin parisien, et leur répercutions dans la mise en place de l’alliance thérapeutique médecin—patient. Une brève approche psychodynamique, didactique permettra d’envisager la dimension inconsciente des comportements pour la confronter aux enjeux de responsabilités face à la recrudescence de contaminations. Les témoignages des patients et des soignants illustreront les difficultés mises en jeu dans le réajustement réciproque de la relation de soin et ce, dans un contexte, certes médicalement plus optimiste mais subjectivement très déroutant voire déconcertant. Enfin, c’est un autre aspect de la clinique actuelle qui nous interrogera sur la révolution médicale, celui de la possibilité de procréer. La baisse drastique de la transmission materno-fœtale par les traitements

VIH/sida : révolutions et responsabilités antirétroviraux a révolutionné l’inscription des femmes dans la maternité. L’autorisation de la procréation médicalement assistée (PMA) a ouvert, quant à elle, l’accès à la parentalité. La réalisation du désir d’enfant est possible pour les couples sérodifférents. Cela signe à la fois la désormais possible inscription temporelle dans un registre vital des patients mais également une considérable avancée des mentalités et des regards posés sur la pathologie.

Il n’y a pas une mais des révolutions Révolution épidémiologique Pourquoi parler de révolution ? De l’extension de l’épidémie à l’éradication ?

Le début : des singes d’Afrique au monde entier Le monde est alerté en 1981 : une maladie, la pneumocystose pulmonaire, maladie rare, opportuniste, c’est-à-dire touchant des personnes ayant une baisse de l’immunité les empêchant de se défendre contre des infections, devient plus fréquente. Des demandes importantes de pentamidine, médicament actif contre ce germe, sont faites. Ces demandes de traitement concernent principalement des cas survenant dans la population homosexuelle masculine de la côte Ouest des États-Unis (Los Angeles et San Francisco) et de New York [1]. Des cas identiques sont identifiés en Europe et en particulier en France. En 1983, le VIH, virus de l’immunodéficience humaine, un rétrovirus, est identifié à l’origine du syndrome d’immunodéficience acquise (sida), grâce à l’esprit curieux de certains médecins franc ¸ais, comme Willy Rozenbaum, clinicien infectiologue qui, avec des virologues hospitaliers, demanderont à l’équipe de Luc Montagnier en particulier à Franc ¸oise Barre-Sinoussi, au laboratoire des rétrovirus de l’institut Pasteur de Paris de rechercher un rétrovirus dans un ganglion d’un patient malade [2]. En Amérique du Nord, en Europe et en Australie, des populations sont ciblées, montrées du doigt, stigmatisées. Il s’agit des quatre populations H [3] : • les homosexuels masculins qu’on appelle maintenant HSH (hommes qui ont des rapports sexuels avec des hommes) chez qui l’homosexualité est souvent découverte en même temps que le sida ; • les haïtiens, stigmatisés, qui doivent faire face au racisme ; • les héroïnomanes, toxicomanes par voie veineuse, qui sont rejetés par la société, pénalisés ; • les hémophiles, contaminés par perfusion de facteur hémophilique, qui seront décimés par cette infection. Ils vont être à l’origine du procès du sang contaminé. Mais ces populations infectées par le VIH ne sont que la face émergée de l’iceberg car à l’origine et toujours maintenant, c’est la population d’Afrique subsaharienne qui est au centre de l’épidémie. À côté des homosexuels, les diagnostics de sida sont faits au début de l’épidémie, en France, chez des africains, en particulier chez des Zaïrois (du Zaïre devenue ultérieurement République Démocratique

509 du Congo). En Afrique, la maladie existait déjà, mais n’était pas reconnue. C’était la slim disease [4] depuis des dizaines d’années. Le VIH vient d’Afrique. L’infection par le VIH s’est étendue à partir d’un cas camerounais [5] au début du vingtième siècle. Ce cas-index s’est probablement contaminé à partir d’un singe (possible morsure, écorchure ou repas de viande de brousse) porteur d’un rétrovirus simien, qui s’est adapté à l’homme. La migration vers le Zaïre de ce camerounais pour trouver du travail dans les mines vers l’est du Congo-Brazzaville (appelé ensuite Zaïre puis République Démocratique du Congo explique que l’épidémie se propage peu à peu). La contamination se fait le long des voies qui mènent aux mines. Des haïtiens viennent y travailler puis, non intégrés, retournent en Haïti. Ces personnes contaminées via l’Afrique vont transmettre ce virus en Occident en particulier du fait de relations avec le milieu homosexuel de la côte Ouest américaine puis l’ensemble de l’Amérique du Nord, puis l’Europe. Le début de l’épidémie a été raconté précocement en 1989 par un historien de la médecine, Mirko Grmek, tenant compte de la complexité des faits scientifiques, sociologiques, épidémiologique de cette maladie faisant irruption dans la société de l’époque [6].

Extension de l’épidémie : le VIH s’installe L’épidémie s’étend, à partir de l’Afrique subsaharienne, où les cas sont les plus nombreux à partir du foyer de départ. Il s’agit d’une épidémie qui va toucher 78 millions de personnes sur tous les continents jusqu’à ce jour. Les personnes vivant avec le VIH/sida (PVVIH) sont toujours les plus nombreuses en Afrique subsaharienne. En 2015, sur les 36,7 millions de personnes vivant avec le VIH, 19 millions vivent en Afrique orientale et australe et 6,5 millions en Afrique occidentale et centrale, soit 24,5 millions en Afrique subsaharienne selon les statistiques mondiales 2015 de l’ONUSIDA [7]. En Asie et dans le Pacifique, il existe 5,1 millions de PVVIH, 1,5 millions en en Europe orientale et Asie centrale, 2 millions en Amérique latine et Caraïbes, 230 000 au Moyen orient et Afrique du Nord, 2,4 millions en Europe occidentale et Amérique du Nord.

La révolution : l’éradication du VIH ? Les problèmes posés par l’accès aux traitements contre le VIH ou antirétroviraux (ARV) et à la prévention révèlent des inégalités criantes, même si l’aide financière et technique de certains pays occidentaux est très importante. Le Nord a des médicaments, en proportion moins de personnes à traiter et peut se les payer. Le Sud a accès très progressivement aux antirétroviraux surtout avec l’arrivée des génériques. Les ARV permettent de réduire considérablement la quantité de virus dans le sang et dans les secrétions génitales. Le virus devient indétectable dans le sang (on parle de charge virale indétectable) même si le virus persiste dans certains réservoirs comme les ganglions ou le système nerveux central. Il n’est alors quasiment plus transmissible en particulier par voie sexuelle. La chute de la transmission conduit donc à une baisse considérable des contaminations voire à un arrêt, même si les patients sont encore porteurs du virus. Il devient capital de dépister les personnes pour les traiter. Une révolution est train de s’accomplir avec une nouvelle génération de tests performants qui arrivent sur le marché pour

510 détecter le virus jusqu’à des coins reculés du globe et vont pouvoir détecter approximativement la quantité de virus. En France, l’autotest est disponible depuis septembre 2015 [8]. Toute personne infectée par le VIH doit être traitée, moyen fort pour couper la chaîne de transmission. Les populations cibles visées en France sont les HSH et les personnes originaires d’Afrique subsaharienne [9]. Tout doit donc être fait pour dépister et traiter. L’ONUSIDA (programme de l’Onu destiné à coordonner l’action des différentes agences spécialisées de l’Onu pour lutter contre la pandémie de VIH/sida) appelle à la stratégie 90-9090 c’est-à-dire que 90 % des personnes infectées par le VIH doivent être dépistées, 90 % des personnes dépistées doivent être traitées et 90 % des personnes traitées doivent avoir une suppression virale. Si ces cibles sont atteintes en 2020, cela réduirait l’épidémie de VIH à un bas-niveau en 2030. Il s’agit pour l’ONUSIDA de mobiliser la communauté internationale pour concrétiser sa vision : zéro nouvelle infection, zéro discrimination et zéro décès lié au sida. Une prévention combinée est le message principal délivré dans tous les pays : usage du préservatif pour les personnes séronégatives et séropositives, accès au dépistage et accès au traitement antirétroviral. Pour les personnes séronégatives, le traitement peut être la prophylaxie préexposition (PrEP), consistant à prendre des ARV avant exposition sexuelle à risque. Il a été démontré, dans les populations HSH franc ¸aises, que le traitement par ténofovir/emtricitabine diminue jusqu’à 85 % la transmission du VIH [10]. L’OMS a décidé d’intégrer cette démarche pour le monde en novembre 2015 comme outil de prévention chez les personnes à haut risque de transmission. Elle fait partie intégrante de la stratégie de l’ONUSIDA pour mettre fin à l’épidémie en 2030. Un traitement antirétroviral post-exposition (TPE) est également recommandé après une exposition à risque. Pour les personnes séropositives, un traitement comme prévention (TasP) y compris la prévention de la transmission de la mère à l’enfant (PTME) sont recommandés. Les attitudes de prévention doivent être adaptées aux populations. En Afrique subsaharienne, la prévention de la transmission materno-fœtale par traitement de la mère et de l’enfant s’est développée. Les campagnes de dépistage souvent difficiles à réaliser, soit du fait de l’isolement géographique, soit du fait du rejet de toute personne découverte séropositive. La circoncision pourrait permettre une diminution de la transmission selon des études réalisées en Afrique [11]. La révolution mondiale serait donc d’atteindre « l’éradication » en 2030. Tous les moyens seront-ils développés pour y parvenir ? Quels sont les freins ? Comment y remédier ? Le contrôle de l’épidémie a été très important depuis 2000 et encore récemment avec une baisse de 6 % des nouvelles infections entre 2010 et 2015. Le nombre de nouvelles infections chez les enfants ont diminué de 50 % depuis 2010 (290 000 nouvelles infections en 2010 contre 150 000 enfants en 2015) grâce aux politiques de PTME par accès au traitement dans cette population ciblée. Les décès liés au sida en 2015 (1 million) ont chuté de 45 % depuis le pic de 2005 (2 millions). Mais il reste des pierres d’achoppement. D’abord, l’épidémiologie régionale doit être comprise. Au Moyen Orient et en Afrique du Nord, il existe une augmentation de 4 % des nouvelles infections entre 2010 et 2015 et une

C. Lefin, M.C. Meyohas augmentation des décès de 22 %. Comment les expliquer et mettre en face une stratégie de prévention et de traitement ? Comment ne pas voir l’extension de l’épidémie en Europe orientale et en Asie centrale avec des nouvelles infections par le VIH qui ont augmenté de 22 % entre 2010 et 2015, avec des chiffres inquiétants en Russie du fait des toxicomanes par voie veineuse, selon les données de l’ONUSIDA. La Russie a fait des progrès dans le traitement des personnes séropositives mais le front de la prévention recule. La méthadone, substitut de l’héroïne, est interdite, avec augmentation des risques de contamination. La législation avec criminalisation et les discriminations envers certaines populations (HSH, travailleurs du sexe et leurs clients, personnes emprisonnées) sont des freins majeurs, inquiétants, de la prévention, une extension à la population étant alors prévisible. La PreP peut être moins performante dans d’autres populations que les HSH des pays occidentaux en particulier chez les femmes en Afrique où des barrières de culture, de compréhension, d’approvisionnement gênent l’efficacité. Des essais adaptés locaux sont en cours. La prévention de l’infection par le VIH n’est pas acquise en France chez les HSH, avec de nouvelles pratiques sexuelles conjuguées au « slam », correspondants à la consommation de drogues dites « récréatives » par injection intraveineuse qui peuvent entraîner une perte de conscience et de nouvelles contaminations de type hépatite C. Comment faire passer les messages ? Il existe des freins culturels ou psychologiques en ce qui concerne les moyens de prévention comme les préservatifs, dans la plupart des pays. Le dépistage n’est pas accessible partout ou s’il l’est, il n’est pas toujours désiré par les personnes concernées. L’accès au traitement est évidemment un élément fondamental. Il n’est pas le même selon les régions du monde et parfois selon les pays dans une même région. Si le pourcentage de femmes enceintes traitées pendant leur grossesse a largement augmenté depuis plusieurs années, partout dans le monde, l’accès au traitement de ces femmes est très faible au Moyen Orient et en Afrique du Nord, de l’ordre de 12 % [7]. En ce qui concerne les adultes, globalement, 46 % des adultes de plus de 15 ans ont accès à un traitement ARV. Mais seuls, l’Afrique orientale et australe (53 %), l’Amérique latine et les Caraïbes (55 %) et l’Europe occidentale et centrale et l’Amérique du Nord (59 %) ont accès aux ARV pour plus de la moitié des personnes. Le coût de l’éradication est bien sûr un élément important. Si les financements internationaux diminuent, le financement sur les ressources domestiques augmente, dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, à hauteur de 57 %, témoin de la prise en compte politique plus large. L’ONUSIDA estime que 26,2 milliards de dollars seraient nécessaires d’ici 2020 et 23,9 milliards d’ici 2030. Peut-on dire que les sommes nécessaires sont importantes ? Ou peuton dire que l’éradication du VIH/sida est en fait à portée de dollars ? On imagine le chemin à parcourir pour atteindre les objectifs de l’éradication. Alors qu’on sait ce qu’il faut faire, le coût économique étant loin d’être le seul enjeu, même si la sensibilisation des pays est en progrès notable, la prise en charge responsable de chacun des pays est un élément d’espoir. Il ne faudrait pas que l’absence de politique de prévention adaptée de certains pays obère l’espoir de faire disparaître le fléau du VIH/sida du monde.

VIH/sida : révolutions et responsabilités

Révolution scientifique, thérapeutique et technologique Avant l’avènement des antirétroviraux, être infecté par le VIH signifiait une mort attendue. Un premier espoir naît en 1987 avec l’arrivée de l’AZT [12] qui arrête la fabrication de la chaîne d’acides nucléiques conduisant à la réplication du virus. Mais au bout de quelques semaines ou quelques mois, le virus reprend sa réplication. C’est en 1996 qu’a lieu la grande révolution thérapeutique avec le succès des trithérapies avec de nouveaux agents antirétroviraux maintenant le virus inactif. Les personnes infectées par le VIH ne vont plus mourir, certains diront qu’ils ressuscitent. Dès lors, l’objectif principal est l’efficacité du traitement, les objectifs associés étant d’éviter au mieux les effets secondaires des médicaments et d’adapter chacun des traitements au patient. Rapidement d’autres agents antirétroviraux vont apparaître, il n’y aura plus un seul traitement, mais des traitements de l’infection par VIH. La recherche thérapeutique par ses essais cliniques, permet des progrès rapides avec de petites révolutions successives. Les associations de patients, très actives, contribuent aux avancées thérapeutiques par la promotion des essais thérapeutiques et surtout par l’alerte des pouvoirs publics, aidant à accélérer les processus de mise à disposition des médicaments. Au fil des années, des essais stratégiques sont menés. Des bithérapies avec des molécules plus puissantes peuvent être aussi efficaces qu’une trithérapie avec les molécules initiales, voire même une monothérapie une fois que le virus est devenu indétectable dans le sang [13]. Actuellement l’adaptation du traitement se fait au plus proche du patient selon ses allergies, selon l’existence d’un problème rénal ou hépatique. Selon son histoire thérapeutique, le patient pourra prendre ou non une prise par jour au lieu de deux. Il a la possibilité de prendre deux ou trois médicaments en un comprimé (STR pour single tablet regimen) si les résistances acquises antérieurement le permettent. Selon les antécédents thérapeutiques et les effets secondaires, l’adaptation du traitement est possible. Le nombre de médicaments disponibles augmente alors que le nombre de prises par jour et celui de comprimés diminuent. Selon les médicaments, le traitement est pris au cours d’un repas ou non. Les interactions médicamenteuses avec des traitements pour d’autres pathologies, en particulier pour la prévention des maladies cardio-vasculaires sont prises en compte. Le problème de confidentialité et de secret dans l’entourage reste toujours une donnée prégnante et la prise de traitement se doit d’être la plus discrète possible. Une autre révolution, c’est l’espérance de vie [14]. Le challenge, c’est maintenant de vivre en bonne santé avec le VIH, avec un traitement personnalisé. Le médecin recherche avec son patient le traitement le plus efficace, permettant la meilleure observance possible, avec le moins d’effets secondaires potentiels. Après le miracle thérapeutique de 1996, après toutes ces révolutions successives, la recherche thérapeutique continue toujours. La participation des patients aux essais continue à jouer un rôle primordial dans la lutte contre le VIH. Le respect strict de la loi sur la recherche était un impératif. De nouveaux concepts émergent actuellement comme celle d’une injection mensuelle de médicaments à

511 longue durée de vie ou celui de traitement discontinu qui demandent encore quelques preuves. Toujours en 1996, une autre révolution s’amorce, une révolution technologique. La mise au point d’une technique de biologie moléculaire a permis la quantification du virus dans le sang. Cette quantité de virus ou charge virale va permettre de juger de l’efficacité du traitement réduisant la charge virale jusqu’à la rendre indétectable avec les médicaments. Ces moyens techniques se sont améliorés au cours du temps. Le seuil de détection du virus était de 500 virus/mL en 1996. Elle est maintenant de moins de 20 virus/mL. L’infection par le VIH et l’immunodépression qu’elle induit a permis également des progrès techniques et thérapeutiques pour d’autres infections opportunistes, lorsque les agents infectieux profitent de la dépression de l’immunité pour se développer. Les techniques de biologie moléculaire supplantent les anciennes techniques en particulier pour les virus comme par exemple le cytomégalovirus (CMV). Le développement d’autres techniques va permettre le diagnostic d’infections fongiques ; ainsi la cryptococcose va pouvoir être détectée par l’antigène cryptococcique. L’affinement des techniques d’examen direct des parasites va permettre de mette des noms sur les diarrhées profuses liées à une microsporidiose ou à une cryptosporidiose. Des recommandations thérapeutiques vont être écrites progressivement pour la plupart de ces infections. La construction progressive du meilleur profil de traitement permet à ce jour à toute personne infectée par le VIH d’être traitée avec un profil d’efficacité et de tolérance adapté diminuant les risques personnels et collectifs de développement de la maladie. Ce traitement autorise une vie quasiment normale, permet à la personne infectée d’avoir un autre regard sur elle-même et de changer sa relation à l’autre.

Révolution de la prise en charge et de la relation soignant-soigné Révolution des structures avec l’évolution de la prise en charge des patients VIH/sida en France : des soins palliatifs à la PrEP Des évolutions successives vont faire évoluer les structures de prise en charge de manière vertigineuse à l’échelle temps. Il est possible de distinguer de manière pragmatique cinq périodes.

1983—1989 : la montée en charge de l’épidémie Alors que des milliers de personnes sont déjà mortes de sida en Afrique, l’infection par le VIH émerge en 1981 aux ÉtatsUnis, comme la « partie émergée de l’iceberg », expression beaucoup utilisée à cette époque. Elle atteint également l’Europe. C’est à partir de 1983 que les cas se multiplient en France et où le diagnostic est évoqué et va pouvoir se faire, difficilement sur le plan biologique. En 1985, la sérologie de dépistage est possible. La plupart des diagnostics de séropositivité pour le VIH se fait au cours d’une hospitalisation. Quelques lits sont d’abord occupés, puis de plus en plus jusqu’à 50 % dans les services de maladies infectieuses et tropicales parisiens à la fin des années

512 1980. Il n’existe pas de traitement spécifique de l’infection par le VIH ou il est peu ou pas efficace. L’organisation de l’accompagnement du malade est à son balbutiement. Les médecins, les infirmières, les aides-soignantes, les psychologues, les assistantes sociales prennent l’ampleur de la souffrance physique et psychique de ces malades. La prise en charge de la douleur, souvent neuropathique, débute. Les soins palliatifs en France vont se développer en grande partie grâce à cette épidémie.

1989—1996 : les années sida L’épidémie s’étend. Jusqu’à 90 % des lits des services de maladies infectieuses à Paris sont occupés par des patients atteints de sida. Les soins palliatifs se développent même si ce nom n’est pas donné. Les personnels s’épuisent au travail dans un contexte psychologique difficile. On voit la naissance des structures ambulatoires en particulier des hôpitaux de jour nécessaires en relais des hospitalisations de plus de 24 h. Le suivi doit être très rapproché. Des bilans voire des traitements par voie veineuse, comme des chimiothérapies contre les maladies de Kaposi ou les lymphomes sont nécessaires. Le secteur de consultation se développe, offrant alors un accueil minimal. Dans ce contexte, des moyens fléchés sida sont attribués pour les équipes qui s’occupent de ces patients présentant de multiples infections en particulier digestives nécessitant des soins très lourds. Des réseaux ville—hôpital se mettent en place avec des médecins généralistes, parfois des pharmaciens et des biologistes. Des structures de recherche voient le jour pour améliorer le recueil épidémiologique et la recherche thérapeutique. En 1988, les centres d’information et de soins de l’immunodéficience humaine (CISIH) sont créés par le ministère de la Santé afin d’assurer une prise en charge globale, médico-psycho-sociale des personnes infectées par VIH avec création de poste de technicien d’études cliniques (TEC) ainsi que l’Agence nationale de recherche sur le sida (ANRS) avec création de postes de médecin d’études cliniques (MEC) et les centres de dépistage anonyme et gratuit (CDAG). Les structures d’aval sont débordées.

1996—2001 : le miracle thérapeutique Avec la trithérapie, les patients qui étaient condamnés survivent au sida. Les structures ambulatoires, aussi bien la consultation que l’hôpital de jour, se développent. Les hospitalisations de plus de 24 h sont moins nombreuses et l’occupation des lits descend à 25—30 % et ce pourcentage restera stable par la suite. Les structures de recherche continuent à se développer.

2001—2010 : la prise en charge globale Des traitements efficaces sont disponibles mais encore fautil qu’ils soient pris correctement pour éviter les résistances aux antirétroviraux. Certains d’entre eux peuvent donner des complications secondaires en particulier lipodystrophies (redistribution anormale des graisses), complications métaboliques avec accidents vasculaires plus fréquents et plus précoces aussi bien cardiaques que neurologiques. Une infection chronique, associée par le virus de l’hépatite C ou de l’hépatite B, est fréquente chez ces patients et doit être traitée. Une prise en charge globale va se faire en structure ambulatoire. Il est mis à disposition des patients une aide pour

C. Lefin, M.C. Meyohas l’éducation thérapeutique, une aide psychologique, une aide sociale chez ces patients souvent précaires, un plateau technique de cardiologie pour le dépistage des maladies cardio-vasculaires, des consultations antitabac, des bilans hépatiques pour les patients présentant une co-infection virale hépatique ou des anomalies biologiques liées au traitement, des consultations de gynécologie et de proctologie pour le dépistage de cancers plus fréquents chez les patients infectés par le VIH, des consultations de neurologie, de néphrologie, de dermatologie. . . Le secteur ambulatoire explose, aussi bien l’hôpital de jour que les consultations. Les files actives de patients augmentent du fait de la baisse de la mortalité, mais aussi à cause des nouvelles primo-infections par le VIH dans des populations ciblées ou des découvertes de séropositivité plus anciennes et non dépistées auparavant. Des circulaires vont modifier les règles administratives, en particulier les circulaires frontières du 31 août 2006 et celle du 19 novembre 2007 qui établissent des règles de prise en charge financière en hôpital de jour à condition de respecter certaines règles. La loi la plus récente date du 15 juin 2010. C’est l’institution du bilan de synthèse annuel chez les patients infectés par le VIH avec l’obligation de réaliser un minimum d’examens biologiques avec ECG, des consultations médicales ou paramédicales, une imagerie et une consultation médicale de synthèse. Le bilan annuel va permettre de personnaliser la prise en charge, de s’adapter aux besoins du patient : un cap psychologique, difficile à passer, une obésité qui désespère le patient, une précarité qui risque de nuire à la prise des médicaments, une sexualité exposant à différentes infections. Une orientation vers un psychologue, une diététicienne, une assistante sociale, un sexologue, va parfois permettre de dénouer des situations délicates. Les comités de coordination de la lutte contre l’infection par le VIH (COREVIH) viennent remplacer les CISIH à partir de 2005, instance régionale entrant dans le cadre de la démocratie sanitaire, voulant rassembler l’ensemble des acteurs d’une même pathologie, l’infection par le VIH.

Depuis 2010 : la prévention sous toutes ses formes Il n’y aura plus de cesse que de prévenir les complications du VIH, celles des médicaments et, comme depuis le début de l’épidémie, la prévention de la transmission du VIH mais avec des moyens renforcés. La prévention de la résistance aux antirétroviraux passe par le bon usage de leur prescription et par une prise régulière de ces médicaments. Des consultations dites d’abord « d’observance », puis « d’éducation thérapeutique » comme dans toutes les pathologies chroniques sont développées avec validation des programmes par l’ARS. La lutte contre les complications liées à l’inflammation créée par le VIH ou contre les complications liées aux médicaments est une préoccupation permanente dans le suivi des patients en consultation ou en hôpital de jour. Mais un autre front est primordial, celui de la lutte contre la transmission du VIH et aucune structure ne peut échapper à ce rôle premier. La prévention de la transmission du VIH commence par le dépistage. Celui-ci n’est pas obligatoire, mais doit être systématiquement proposé chez les populations ciblées à risque (HSH et personnes immigrées, essentiellement originaires d’Afrique subsaharienne, en

VIH/sida : révolutions et responsabilités France). La mise en place de tests rapides d’orientation diagnostic (TROD) testés entre 2008 et 2010 et pouvant être réalisés par des non-soignants depuis fin 2010 ont permis d’avoir un diagnostic immédiat en dehors d’une primo-infection. La recherche de la séropositivité VIH des personnes-sources est nécessaire dans les accidents d’exposition au VIH, qu’ils soient professionnels ou sexuels. De nouvelles structures de santé sexuelle ont été créées très récemment, en partie en réponse aux résultats des essais de prévention de la transmission du VIH par une PrEP (prophylaxie pré-exposition). Les résultats sont très significatifs dans les populations de HSH, moins dans les autres populations en particulier en Afrique subsaharienne, mais d’autres essais sont en cours. Dans ce contexte, les CDAG ont été supprimés et remplacés par des centres gratuits d’information, de dépistage et de diagnostic (CeGIDD) le 1er janvier 2016, avec des missions beaucoup plus larges concernant la santé sexuelle. En parallèle à la prise en charge hospitalière, celle du médecin traitant en ville permet un parcours de soins personnalisé avec prise en charge des comorbidités et des facteurs de risque. La formation initiale et continue des médecins de ville dans le cadre de leur mission de soins de santé primaire et de soins avancés (consensus formalisé de 2009) devrait permettre une prise en charge alternée. Mais la pénurie de médecins traitants ouverts à cette démarche pose problème. Les associations de patients mettent en contact les personnes qui vivent des expériences similaires. Le besoin de soutien est criant. La relation médecin—patient est, à l’origine, une relation asymétrique où le médecin serait en possession d’un savoir que le patient n’a pas. Le médecin a son rôle d’expert, indispensable pour soigner. Pour autant, à chaque consultation ou à chaque visite, il y a une rencontre intersubjective qui fait qu’il s’agit de ce médecin-là et de ce patient-là, et qu’il y a une interaction. Une relation thérapeutique se crée. Avant les années sida, la pathologie infectieuse était aiguë, bornée par un début d’infection, un diagnostic, un traitement antibiotique et une fin rapide de prise en charge. À l’avènement du VIH, le médecin devient, en quelque sorte, impuissant. Il n’a pas de médicaments efficaces. Il ne peut pas guérir, il ne peut pas sauver son malade. Le patient l’attend toujours comme expert. L’interrelation et incontournable. Est-ce à dire que la relation thérapeutique n’existe plus, puisque le savoir n’est pas là ? La relation thérapeutique ne se conc ¸oit pas uniquement en termes de traitement médicamenteux. La rencontre est toujours possible. Le « prendre soin » est toujours au cœur de la relation [15]. En même temps que l’arrivée des traitements hautement actifs, le monde change également ainsi que les modes de communication. Ce qui va changer, c’est que le patient va pouvoir devenir acteur de son traitement, il va aller sur Internet, interroger les associations, côtoyer d’autres personnes infectées par le VIH. Discuter des effets secondaires, des pathologies associées. Donner ses préférences et les discuter avec le médecin. Le patient peut participer aux décisions. Mais peut-on vraiment mettre toutes les personnes infectées par le VIH dans un même modèle ? Qu’y a-t-il en commun entre un HSH de 65 ans ressuscité du VIH, qui recherche la bonne santé ; un jeune HSH, qui interroge

513 sur « le » bon traitement et les pratiques à risques ; l’ex-toxicomane qui demande enfin un traitement contre l’hépatite C et cherche à être intégré dans la société ; la femme immigrée d’Afrique subsaharienne, illettrée, qui demande une croix sur son ordonnance pour reconnaître celle des traitements contre le virus ; un transfusé, rescapé qui se sent rejeté ; une haïtienne, qui survit grâce à ses croyances ; un hétérosexuel, qui a payé cher un amour de jeunesse ou non, ou une visite chez les prostituées ? L’infection par le VIH se différencie-t-elle des autres affections chroniques comme le diabète, la polyarthrite rhumatoïde ou la sclérose en plaques ? La spécificité, le lien entre ces personnes peuvent être le secret, la souffrance, la honte, la culpabilité, la stigmatisation. Le point commun n’est-il pas l’intimité ? Au-delà de la sexualité ? La relation médecin—patient ne peut être qu’individuelle, c’est-à-dire unique, toujours différente de l’un à l’autre. Chaque patient a sa propre identité qui se déploie au fil des consultations, des confidences, et qui fera le lit de la rencontre. L’écoute, l’expertise, la relation ne peuvent qu’être personnalisées.

De la mise en quarantaine à la responsabilité individuelle L’hôpital, à l’aube de la prise en charge des patients infectés par le virus du sida, aurait pu être comparé à un lazaret. C’est-à-dire à son origine, un édifice isolé, établi dans certains ports de mer, et dans lequel séjournaient quarante jours, pour y être désinfectés, les hommes et tous les objets provenant de lieux où régnait une maladie épidémique contagieuse, peste, typhus, fièvre jaune, etc. Les soignants de l’époque ont alors dû braver des peurs irrationnelles et leurs propres angoisses de mort pour venir en aide aux patients. Cela au prix de mesures drastiques d’hygiène, de protections pour éviter tout contact direct. Les patients survivants se sont alors vus agoniser, jugés, pestiférés, entourés d’hommes et de femmes masqués, uniquement reconnaissables à leur voix. Chaque jour des patients sont morts sous les regards des soignants et tenus à distance de leurs proches, les uns barricadés dans la culpabilité et l’impuissance, les autres emmurés dans la souffrance, l’humiliation et la honte. La notion de responsabilité liée au VIH, permet de poser un regard diachronique sur les faits saillants et les problématiques spécifiques, tangibles et latentes de cette pathologie qui soulèvent de nombreux questionnements.

Responsabilité et VIH Étymologiquement, « responsabilité » vient du latin respondere : obligation de « répondre », se porter « garant ». D’un point de vue philosophique être responsable c’est être conscient et volontaire par rapport à l’action que l’on engage et n’avoir subi aucune contrainte pour le faire. L’engagement à accomplir cette action réside dans le fait d’avoir accepté au départ la responsabilité [16], ainsi que l’acceptation des conséquences de l’action ou celles de son non-accomplissement. De ce point de vue émerge la dimension introspective consciente liée à toute démarche décisionnelle qui préexiste à un acte particulier. Et nous

514 verrons que dans la pathologie liée au VIH, l’inhérente problématique de l’équation mort/sexualité complexifie lourdement ce point de vue. L’arrière-pensée étant que dans la responsabilité concernant la contamination active ou passive, le débat souffre de l’absence de considérations des dimensions inconscientes et pulsionnelles qui sous-tendent les actes de tout être humain. Ce qu’il faut retenir c’est que la responsabilité est toujours personnelle ; qu’elle soit pénale ou civile elle relèvera alors de la responsabilité juridique ; qu’elle soit éthique, éducative ou déontologique elle relèvera de la responsabilité morale. La responsabilité [17] découle des valeurs propres de chacun et de la conscience de ses responsabilités propres avec toute la subjectivité que cela revêt. Par conséquent être responsable c’est aussi être capable de discernement. Car « nul n’est responsable pénalement que de son propre fait » (code pénal, art. 122-8) à condition d’être « capable de discernement ». L’éthique de conviction wébérienne s’oppose à l’éthique kantienne qui nous dit que la responsabilité est un choix conscient issu directement de la loi morale qui est l’obligation qui s’impose à tout homme. Cette loi possède une dimension universelle et témoigne de la possibilité de l’homme d’agir de manière parfaitement libre. Il s’agit alors d’une liberté de conscience. Chaque individu est par essence responsable de ce qu’il fait et de ce qu’il ne fait pas et s’il est responsable c’est bien parce qu’il est libre. À lire l’article 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » on est donc libre d’ignorer la loi si on la trouve injuste à condition d’en assumer les conséquences. Et c’est pourquoi Max Weber [18] sociologue de tradition luthérienne, oppose non pas radicalement, mais comme son correctif, une « éthique de la responsabilité » qui consisterait à avoir une attitude éthique, c’est-à-dire répondre des conséquences probables de ses actes. On assiste de ce point de vue à une distinction logique entre « jugement de fait » et « jugement de valeur », en d’autres termes où s’arrête la responsabilité et où commence la conviction ? La responsabilité peut être juridique c’est-à-dire pénale ou civile, et l’on observe un renforcement de la pénalisation au plan international depuis les années 2000, se traduisant par une augmentation sensible à la fois du nombre global des procédures visant des personnes vivants avec le VIH pour des faits liés au risque de transmission du virus et du nombre de pays dans lesquels des poursuites sont constatées. En France, la transmission et/ou l’exposition au risque de transmission sexuelle du VIH peuvent constituer dans certaines conditions un délit pénal. En 1999, une première condamnation pour ce type de fait passe relativement inaperc ¸ue et un arrêt de la cour d’appel de Rouen, a considéré que constituait une infraction pour son auteur « le fait de dissimuler volontairement son état de séropositivité pour avoir des relations sexuelles non protégées avec sa partenaire qui a été finalement contaminée ». Par la suite, la Cour de cassation elle-même dans un arrêt du 10 janvier 2006 a condamné pour ce délit l’individu qui, bien que sachant qu’il était porteur du VIH, a « multiplié les relations sexuelles non protégées avec plusieurs jeunes femmes, auxquelles il dissimulait volontairement son état de santé, et a ainsi contaminé par voie sexuelle les deux plaignantes, désormais

C. Lefin, M.C. Meyohas porteuses d’une affection virale constituant une infirmité permanente ». Cet homme est condamné à six années de prison. Du point de vue pénal, la responsabilité est par nature indivisible et l’effet du procès est de signifier, avec la solennité de la loi, qu’une transmission du virus implique un coupable. Or, pour éviter la discrimination des personnes porteuses du virus, l’idée d’une pénalisation de l’exposition a été écartée, pour réserver cette solution extrême aux contaminations effectives, sauf dans le cas d’une exposition mue par une intention avérée de contaminer. Aussi, le recours au droit pénal n’existe pas en cas de rapport consenti par la personne, sauf si son partenaire l’a délibérément trompée sur son statut sérologique, mais non en cas de non-divulgation du statut : toute personne doit en effet savoir qu’elle prend des risques en ayant un rapport non protégé avec une autre dont elle ne connaît pas le statut sérologique. Paradoxalement, c’est dans un contexte où les traitements permettent de diminuer considérablement le préjudice de santé entraîné par une contamination par le VIH et où le pronostic vital s’inverse que se développent les recours judiciaires. Néanmoins, il semblerait que ces progrès, aient pu favoriser l’émergence des recours en justice sur le plan des perceptions et représentations symboliques de la maladie. La question de demander justice ne se pose plus en termes de coupable et de victime à partir du moment où la maladie cesse de signifier une mort proche et certaine. Le droit pénal sanctionne des comportements et interfère d’une certaine fac ¸on dans la prévention, en posant une norme préventive précise à l’intention des personnes vivant avec le VIH. En effet, toute personne se sachant porteuse du virus, sous peine de voir sa responsabilité pénale engagée, est tenue de protéger systématiquement, a priori par l’utilisation du préservatif, les relations sexuelles qu’elle engage avec des partenaires non infectés. Mais est-ce que les objectifs de stratégies préventives de santé publique qui prônent la connaissance du risque pénal encouru, contribuent à dissuader les comportements à risque de ces personnes ? Et est-ce que le risque pénal n’inciterait pas les personnes qui prennent des risques à ne pas se dépister, croyant ainsi éviter de voir leur responsabilité pénale engagée ? Or le dépistage volontaire est bien une stratégie majeure de prévention. En 1990, « l’idéologie de la prise de risque » véhiculée par la mouvance bareback noKpote (bare : nu et back : dos, dans le domaine de l’équitation bareback signifie monter à cru) prônant la liberté de contaminer, a accentué le fantasme du séropositif contaminateur [19]. C’est ainsi que l’on est passé de la responsabilité partagée à la responsabilité individuelle. Du point de vue moral, l’affaire du sang contaminé, a permis de revaloriser l’élément moral de la notion d’empoisonnement. Des facteurs anti-hémophiliques à partir de lots de sang contaminés (certains par le virus du sida) ont été perfusés à des malades hémophiles au cours des années 1984—1985. Plusieurs centaines de personnes seront contaminées par le virus du sida. Trente ans plus tard le scandale laisse des traces indélébiles et notamment cette phrase symbole de l’affaire : « responsables mais pas coupables ». Si bien que jusqu’alors, il était considéré qu’il ne pouvait y avoir d’empoisonnement sans intention de donner la mort, c’est-à-dire que l’élément moral était inclus dans le fait

VIH/sida : révolutions et responsabilités d’avoir administré un poison. Désormais, en vertu de l’Arrêt de la Cour de cassation du 2 juillet 1998, le simple fait de savoir que la substance qu’on administre a un caractère mortifère ne suffit pas pour caractériser l’intention de donner la mort : il faut avoir explicitement recherché ce résultat. C’est cet arrêt de 1998 qui a mis fin à toutes les tentatives de poursuites pour empoisonnement en matière de VIH. On parle désormais de « délit d’administration de substances nuisibles ayant porté atteinte à l’intégrité physique ou psychique d’autrui » prévu par l’article 222-15 du Code pénal, laquelle infraction renvoie en ce qui concerne la peine aux articles 222-7 et suivants du même code. Or, l’infection par le VIH étant particulièrement grave, le délit qui est reproché au séropositif malveillant est « le délit d’administration de substances nuisibles ayant entraîné une infirmité permanente » lequel est puni de 10 ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende (article 222-9). Jusqu’en 1993, l’accès à la parentalité est nul et non avenu. L’avortement est plus que recommandé aux femmes séropositives. Il faudra attendre 1998 pour que le Conseil national du sida (CNS) et le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) rédigent conjointement un avis éthique sur le désir d’enfant des couples sérodifférents pour l’accès à la procréation médicalement assistée (PMA). Concernant le secret médical et la situation particulière des patients infectés par le VIH refusant d’informer leur partenaire de leur maladie, le Conseil national de l’ordre des médecins (CNOM) indique depuis longtemps que « sauf demande expresse du patient, le secret professionnel interdit au médecin d’informer de l’infection les partenaires d’une personne séropositive ». Cependant en 2002, il admettait « que dans certaines circonstances d’autres valeurs peuvent prédominer sur le caractère absolu du secret professionnel » et que s’offre au médecin « un choix en conscience ». Mais on ne peut ignorer, comme le dit l’adage « nul n’est censé ignorer la loi », que la violation du secret médical par un professionnel de santé, selon le Code de la santé publique, peut entraîner une sanction pénale, pour ce dernier, jusqu’à un an de prison et quelques milliers d’euros d’amende. En 2009, le CNOM insiste sur le fait que la prise en charge de ces patients est fondée sur un dépistage anonyme et secret, qu’il est important de préserver (désormais le dépistage n’est plus anonyme dans les CeGIDD). Toutefois, le Conseil admet que la protection du partenaire stable d’une personne contaminée par le VIH peut constituer pour un professionnel un « état de nécessité » justifiant la transgression du secret. Il précise alors que la démarche doit rester exceptionnelle et respecter des étapes précises pour qu’elle soit admise comme fait justificatif devant un juge. Communiquer l’information au partenaire tout en ayant averti le patient et dans le meilleur des cas en présence de ce dernier.

Constats et questionnements diachroniques Après ces rappels éthiques et juridiques, la réalité clinique du terrain ici exposée, permettra d’appréhender une autre facette des différentes révolutions qui se sont jouées depuis la mise en quarantaine des patients jusqu’à leur responsabilité personnelle actuelle face au VIH. Ces différentes révolutions vont avoir un impact psychologique et comportemental considérables non négligeable qu’il est fondamental de prendre en compte.

515

Inscriptions de la maladie Dans les années 1980, en plus d’être une maladie mortelle, le sida [20] annonce les prémices de la révolution identitaire des homosexuels et des toxicomanes. Les « déviances » et leurs « déviants » sont dès lors, de part cette réalité épidémique, mis à jour, stigmatisés. Nombreux seront les questionnements et les débats éthiques qu’il faudra urgemment résoudre pour tenter de venir à bout de ce problème majeur de santé publique qui sera le fléau du vingtième siècle. Cette épidémie n’est pas globalement perc ¸ue par l’ensemble de la population comme un mal endémique fatal tel que la peste mais comme une maladie du sexuel, avec l’excitation que cela induit, tant du côté des pouvoirs publics, de l’Église, des parents. On pourrait dire qu’il s’agit d’une excitation collective autour de l’interdit et de la transgression. Cette pathologie est inconnue, funeste, et au niveau fantasmatique, inquiétante et « fascinante ». Elle apparaît au grand public comme la maladie des homosexuels. Ces derniers, vont alors devoir se battre pour la reconnaissance sociale de l’homosexualité et pour un problème de santé publique qui est la gestion collective des risques de transmission du VIH. En juin 1990, la Gay Pride réunit à Paris un millier de personnes environ. Unique manifestation du genre sur le territoire national, elle est organisée par une association, rassemblant différents acteurs impliqués dans le mouvement associatif homosexuel. La lutte contre l’épidémie va dès lors s’amalgamer avec la lutte contre l’homophobie alors qu’elle décime et touche bien d’autres « populations », hétérosexuels comme bisexuels. Cette maladie porte le sceau d’une connotation morale négative, certains la nomme « maladie de la honte ». Une révolution se met alors en marche : le regard de la société va être obligé de se pencher sur ses non-dits, sur de « l’impossible invisible », sur ce qui touche à l’intime de l’autre, à son identité. Car après réflexion si ce virus est mortel et sexuellement transmissible, qui de chacun de nous n’est-il pas concerné directement par la sexualité et la mort ? Nous ne pouvons donc pas être indifférents à cette pathologie infectieuse qui concerne chacun de nousensemble, séropositifs comme non séropositifs. Pour mieux comprendre l’évolution, rappelons-nous que le début de la lutte contre l’épidémie était fondé sur une « responsabilité partagée », c’est-à-dire ne pas faire porter « la responsabilité de l’épidémie aux personnes séropositives », alors qu’aujourd’hui on parle de « responsabilité morale » c’està-dire d’un tous responsables, ni coupables ni victimes.

Rejet—secret Cette pathologie convoque aux confins des parties « sombres », secrètes et dissimulées de l’individu. Aussi, lorsque ces deux extrémités du spectre de l’existence humaine que sont la vie et la mort, ne sont plus nourries mais « contaminées » par la sexualité, la question de la rencontre et par conséquent de l’être soi, devient morbide et mortifère. Les patients disent combien ils redoutent que « ¸ ca » se voit, effrayés par le rejet discriminatoire possible de l’autre qui s’en suit. La crainte d’être trahi par son corps à cause des stigmates de la maladie a été une des réalités médicales et un tournant dans la prise en charge des patients en termes de qualité de vie dans les années 2000. Ce syndrome appelé

516 syndrome lipodystrophique se traduit par une répartition dysharmonieuse des graisses et modifie de fac ¸on visible l’aspect physique des patients. Cette altération de l’image de soi fait collusion avec un statut identitaire déjà précarisé et fragilisé par la séropositivité plus ou moins ancienne. D’un point de vue clinique, il semblerait que les patients soient confrontés, dans cette nouvelle inscription de la maladie, charnelle et donc visible, à une transformation : une réalité « du dedans », la maladie, devient une « réalité du dehors », que l’on ne peut plus désormais oublier et encore moins cacher à autrui. De plus, la question de la mort se déploie dans un contexte archaïque très proche du trauma initial. La lipodystrophie agit comme une révélation traumatique, une autre inscription de soi dans la réalité, une nouvelle étape dans l’évolution de la maladie, celle d’une vie définitivement « abîmée » à vivre. Il s’agit d’un après-coup dont le premier temps se situe à l’annonce de la séropositivité et qui réactive l’angoisse de mort. Les effets secondaires des traitements même s’ils sont moindres aujourd’hui et n’impactent pas directement ni mécaniquement la sexualité des patients créent des phénomènes inconscients, qui altèrent le désir. La libido est souvent en berne à cause d’une estime de soi négative, d’une image du corps totalement dépréciative où l’atteinte narcissique est alors globale. La crainte du rejet est également due à l’annonce de son statut sérologique essentiellement lors d’une rencontre sexuelle ou dans le milieu du travail. Ce statut est resté dans la mémoire collective, à l’état de confusion entre deux terminologies. Confusion entre l’acronyme qui désigne ce que l’on nomme le stade sida, celui de la maladie, et la séropositivité pour le VIH qui désigne un statut virologique à savoir être porteur sain du virus. En substance transporteur du virus. Cette confusion induit chez la personne profane une vision alarmiste et dangereuse à l’égard de toute personne infectée et ne facilite en rien la rencontre et encore moins l’engagement affectif. Le paradoxe de cette maladie est que, bien prise en charge, c’est une maladie sans symptôme. Indétectable dans le corps réel, elle occupe une grande place dans le corps imaginaire. Elle est donc difficile à gérer subjectivement, mais également vis-à-vis d’autrui, car le virus est secret par essence. Le risque de contaminer son partenaire lors de relations intimes est souvent écarté en refusant ou en évitant toute relation sexuelle ou encore, donne lieu à une sexualité auto-érotique intense ou à une frénésie sexuelle érotique via des rencontres virtuelles. On constate ici que ce qui est en jeu n’est pas tant la question d’une perte de désir qu’une peur de rencontrer l’autre, et cette perte de désir si elle est ainsi exprimée se révèle souvent être un « prétexte protecteur » pour éviter la rencontre dont l’issue serait le rejet potentiel. Cela de fac ¸on encore plus criante pour les patients qui ont connu les années sida et pour qui tout nouvel attachement est susceptible de réactiver l’angoisse liée à la perte ainsi que celle de sa propre finitude. Sans compter le sentiment de culpabilité d’avoir survécu, ou d’avoir échoué dans l’aide que l’on aurait pu apporter à autrui, au point d’annihiler tout élan relationnel.

Honte—culpabilité Le VIH est souvent vécu comme une faute par les patients qui redoutent le jugement social construit autour de nombreux

C. Lefin, M.C. Meyohas préjugés « ils l’ont bien cherché, mérité ». La contamination engendre un sentiment de honte qui révèle l’atteinte narcissique « je suis souillé(e) », et un sentiment de culpabilité lié à la crainte de contaminer « je suis une bombe à retardement » et de surcroît, bien souvent, dire sa pathologie c’est d’avantage se sentir obligé d’avouer une faute bien plus que de dire la maladie. D’autant que bon nombre parmi les patients contaminés ne se sont jamais livrés sur leur homosexualité, empreinte de honte sociale antérieure, source de moquerie à l’adolescence, trop souvent dénigrée par l’entourage proche et la société ou encore sur l’adultère d’un conjoint, qui serait la cause de la contamination source de jugements de valeurs négatifs. Ce qui fait de cette maladie une maladie taboue, qui pousse au silence, à l’abstinence sexuelle et dans le pire des cas à l’isolement social en provoquant des effondrements psychiques graves nécessitants le plus souvent une prise en charge médicale. Le poids du regard social reste un handicap majeur à dépasser pour tous ces patients identitairement fragilisés contraints au silence et à la dissimulation pour réprimer leur différence. « La honte pour une faute publiquement découverte est beaucoup plus gravement redoutée que la culpabilité attachée à des fautes qui peuvent rester secrètes », selon Tisseron [21].

Mort—représentations La létalité du virus perc ¸ue aujourd’hui comme potentielle interroge de fac ¸on plus ou moins inconsciente sur l’aspect moribond de la vie de celui qui le contracte [22]. Dans l’inconscient chacun de nous est convaincu de son immortalité, on ne se représente pas sa propre mort. Cette incapacité n’exclut pas pour autant la capacité de se savoir mortel et l’angoisse de mort qui l’accompagne. Être un homme c’est craindre la mort, la penser c’est la dénier et si l’on en croit Epicure : « Il est inutile d’y songer. Tant que nous sommes là, elle n’est pas ; quand elle est là, nous ne sommes plus ». Et dans le cas du sida les patients ont vu leurs congénères prendre l’apparence de cadavre pour enfin s’éteindre, cette représentation est intacte et traumatique ; c’est l’épreuve de réalité qui a mis fin aux fantasmes. « Si la mort n’est pensable ni avant, ni pendant, ni après, quand pourrons-nous la penser ? », interroge le philosophe Vladimir Jankélévitch. Ainsi, pendant les années sida, les couples et les familles ont été brisés de ne pouvoir obtenir le droit de visite à l’hôpital pour voir leur proche, ou pire, celui de ne pouvoir assister aux obsèques ! À cet égard, il est troublant de constater que les discriminations post mortem perdurent. Un arrêté du 17 novembre 1986 désigne une liste de maladies contagieuses interdisant de pratiquer des soins de thanatopraxie (servant à conserver et préparer les corps) sur des personnes défuntes atteintes de l’infection à VIH ou à hépatite B ou C. Cette loi oblige la mise en bière immédiate des corps. Douze ans plus tard, un nouvel arrêté, daté du 20 juillet 1998, allongeait la liste des maladies, avec l’inscription de l’hépatite A, du Creutzfeld-Jakob et des états septiques graves. Cet état de faits autorise à se demander si d’hier à aujourd’hui il existe un progrès au sein de la population en termes d’acceptation de la maladie ? Les mentalités et les représentations n’évoluent pas au rythme des progrès médicaux et l’on voit que les préjugés ont la vie dure.

VIH/sida : révolutions et responsabilités Voici deux illustrations particulièrement révélatrices du nouveau visage pris par l’épidémie aux termes de mutations multiples. La première s’appuie sur le travail clinique du psychologue clinicien dans le milieu hospitalier et la seconde sur celui de l’infectiologue dans ce même environnement.

Éclairage contemporain : l’homosexualité masculine face au VIH Révolution de la prise en charge : impact sur le regard et les comportements D’un point de vue sociétal, le regard négatif et moralisateur porté sur les patients va légèrement se modifier car les débats portant sur le mode vie des personnes contaminées, sur leur identité sexuelle, autoriseront une mise en mots qui détrônera des représentations totalement taboues, souvent erronées et donc cristallisées et stigmatisantes. L’homosexualité étant au centre des débats de l’époque, la question identitaire est prégnante. Et si l’on admet que l’identité de chaque individu est la résultante complexe de son origine ethnique, culturelle, sociale, familiale et de son sexe, on sait également que son identité de genre conditionnera sa sexualité. Par ailleurs, le sida est une pathologie qui interroge directement la sexualité et c’est bien cela qui va révolutionner les questionnements tabous tapis dans l’inconscient collectif et individuel. L’identité sexuelle est, quant à elle, de nature essentiellement sociale. Elle concerne la fac ¸on dont un individu, à partir de la préférence sexuelle qu’il accepte de se reconnaître, va négocier la définition de son identité sexuelle, c’est-à-dire la manière dont il tolère d’être identifié par le corps social. À cet égard, les simples termes de « souhait », « choix » ou « décision » méritent largement d’être nuancés. La prise en charge des patients va subir une révolution spectaculaire : de balbutiante à globale c’est-à-dire médicale, sociale, psychologique, financière, éducative. . . elle leur permettra de passer du statut de condamné à survivant et de celui de survivant à vivant en bonne santé avec une réelle qualité de vie. Cependant, nombreux sont les patients survivants, qui, aujourd’hui, vivent avec le sentiment paradoxal que ce virus mortel fait d’eux des êtres condamnés en bonne santé, cliniquement parlant. Ce virus rendu silencieux, en « quarantaine » dans un corps vieillissant, plus ou moins modifié par les traitements, les « plombent », c’est le terme qu’ils utilisent pour signifier qu’ils sont contaminés. Ils se retournent sur l’histoire et sur leurs congénères décédés, mortifiés et toujours sans avenir car finalement condamnés à vivre. C’est ce que l’on nomme le syndrome de Lazare ou « syndrome du survivant ». Lazare ayant bénéficié d’un miracle en est devenu le symbole. Il dérange l’ordre établi, menace les institutions, devient une curiosité. La foule afflue pour le voir, sa vie en est bouleversée, il ne peut plus vivre dans son village. Il intègre les disciples de Jésus. « Le Lazare d’avant le miracle, probablement un homme installé avec son métier au sein de son village n’existe plus. Il n’est plus regardé de la même manière et ne voit plus le monde de la même fac ¸on non plus » [23]. Comment ne pas faire l’analogie ? Même si la société actuelle porte sur les patients contaminés un regard moins stigmatisant, le

517 virus reste néanmoins largement perc ¸u comme une maladie « honteuse » et pour ces patients, vécu comme la « maladie du silence ». Même si le regard sur l’homosexualité est plus tolérant, il demeure aujourd’hui encore normativement hétérosexuel.

Mort et sexualité : mutation et responsabilités ? Rappelons combien le sida tue encore, afin de mieux cerner les enjeux qui pèsent sur les comportements sexuels. Grâce à l’apparition des trithérapies, la mortalité a fortement diminué, mais reste en France l’une des plus élevée d’Europe avec plusieurs centaines de cas par an. Aujourd’hui en 2016, ceux qui ont survécu à l’épidémie ont, en moyenne entre 45 et 60 ans. Leur qualité de vie, leur espérance de vie et par conséquent leur projet de vie, pour ceux qui ont eu accès à une nouvelle temporalité, a en effet repris sens grâce à l’arrivée des ARV. Se sentant, tantôt privilégiés, tantôt « cobayes » ils en ont bénéficié et tout à la fois pâti mais leur reconnaissance envers le corps médical est régulièrement énoncée. Elle prend la forme de l’expression d’une lutte et d’une responsabilité conjointes, d’un partenariat avec leur médecin pour trouver le « bon » traitement. Dans cette nouvelle ère de la prise en charge des patients contaminés par le VIH, quelles responsabilités éthiques a chacun d’entre nous ? Le travail clinique auprès d’une importante population de patients homosexuels parisiens ouvre sur des questions actuelles brûlantes. En effet, nombreux sont les patients contaminés puis traités dans les années 1990, dont la durée de vie n’est plus comptée, qui aujourd’hui « dénoncent » les conduites sexuelles à risques de leurs congénères. Une connaissance médicale bien maîtrisée de la pathologie dans le « milieu », un discours ambiant qui est à la « chronicité de la maladie » d’où le spectre de la mort s’est considérablement éloigné semblent décomplexifier voire débrider les conduites sexuelles. Les « séronégatifs » et « positifs » d’aujourd’hui tentent d’échapper à l’utilisation systématique du préservatif en ayant recours à ce que l’on nomme le « sérotriage » : ils cherchent à obtenir une connaissance mutuelle du statut sérologique de l’autre ce qui équivaudrait, selon eux, à une gestion négociée des risques pris ! La multiplication des partenaires anonymes dans des lieux dédiés (backrooms, saunas, cybersexe) les pousse à baisser la garde et par un effet pervers démultiplie les conduites à risques. La norme de ce groupe a donc changé et désormais le préservatif est vécu comme « ringard » et ôte tout espoir de performances sexuelles aujourd’hui poussées à l’extrême. Cette thématique pose la question éthique de la responsabilité personnelle de chaque individu. L’un de ces patients me livre le discours qui circule dans « le milieu » en me signalant qu’il y a urgence et se demande si nous, soignants, savons ce qui se joue de l’autre côté de la scène, derrière le rideau des lieux de la nuit : « On ne meurt plus du sida, c’est bien connu. Alors pourquoi le craindre et s’imposer une sexualité protégée, puisque les traitements sont là ? Il suffit de les obtenir pour vivre librement notre sexualité, comme tout le monde, c’est-à-dire sans préservatif et sans tabou ». La colère exprimée et formulée par ce patient parle-telle d’irresponsabilité ? Soulève-t-elle l’incompréhension du

518 cynisme de tels propos face à la médecine et à ceux qui l’exerce. Pour ces patients anciennement contaminés, il est question de reconnaissance et de dette. En effet, ils sont pris de fac ¸on inconsciente dans un lien idéalisé et coupable où s’enchevêtrent colère et admiration à l’égard du médecin. Étrange relation, ai-je envie de dire que « ce couple-là », médecin—patient, entretient depuis lors. Car après un tel combat il ne resterait plus qu’à vivre et non plus à survivre, ou plus exactement à réapprendre sa vie, rivée à un paradoxe : « Je suis contaminé, mais je suis en bonne santé grâce aux traitements ». Oui, un lien de confiance s’est tissé malgré les doutes et les embûches, les échecs et les malentendus, les résistances et les échappements thérapeutiques. . . Alors aujourd’hui ne serait-ce pas trahir ces professionnels (sauveurs) que de les laisser dans l’ignorance d’un discours entretenu autour d’une telle dérive des comportements qui viendraient mettre un terme à la noblesse de ce combat pour la vie ? Que signifie cette mise en garde des patients, adressée aux médecins ? Ne doit-on pas être attentif au contenu latent de cet aveu responsable, partagé entre « égoïsme » et « altruisme » et y entendre : « Allez-vous garder la foi et continuer d’être là pour nous ? » ou en dédommagement de la dette : « Ne vous usez pas inutilement, ne perdez pas votre temps avec ceux qui vous utilisent ». Ou encore, entendre une forme de « jalousie » vis-à-vis de ces congénères non contaminés à qui on « distribuerait » des traitements « non mérités ». Car pour eux, les anciens contaminés, tout est joué, « c’est définitif, le traitement doit se prendre à vie ». Derrière la révélation d’une situation que ces patients considèrent de plus en plus alarmante, ne nous laissent-ils pas entendre que nous donnerions la liberté ou plus exactement l’insouciance illusoire à ces futurs candidats à la maladie, le pouvoir de jouir de la vie, du sexe sans désormais avoir à craindre la mort ? Témoignage de la dérive de l’abandon du préservatif au profit des traitements ARV ? Et quid de la prévention et de ces nouveaux comportements ? Le virus tue (beaucoup) moins, mais contaminerait-il davantage du fait du progrès des traitements qui auraient relâché l’intérêt pour la prévention ? Les patients nous font bien saisir à travers leurs mises en garde que les temps ont changé. Ils ne vivent plus dans une communauté où la vie primait sur le risque, où le combat mené était en parallèle de destigmatiser l’homosexualité pour revendiquer de nouveaux droits (coming out, homoparentalité) et donc vivre ouvertement sa sexualité ? Le combat était collectif et ne semble plus l’être. Comment recevoir une si lourde information sans qu’elle face écho à des paroles de soignants perplexes à l’issu de certaines consultations post-expositions ou de centres de dépistages ? En effet, les médecins des années sida se heurtent aux consultants d’aujourd’hui et l’on sent sourdre incompréhension, colère à minima, lassitude discrète et malaise pas encore identifié. Autant de ressentis tapis dans l’ombre du devoir accompli, qui font le lit de questionnements en gestation et qui surgissent au décours d’un couloir. «C ¸ a fait plusieurs fois qu’il vient pour les mêmes raisons. Ai-je tort ou raison de lui prescrire un traitement postexposition ? ». Et maintenant une PrEP est proposée aux personnes très exposées au risque d’infection par le VIH qui conjuguée aux moyens de prévention dont nous connaissons l’efficacité, est l’outil complémentaire qui pourrait

C. Lefin, M.C. Meyohas permettre d’atteindre l’objectif fixé par l’ONUSIDA : mettre fin à l’épidémie d’ici 2030. Même si le débat est clos, parce qu’en faveur d’une politique de santé qui prône la PrEP, ne sommes-nous pas légitimement en devoir de nous demander ce que vont finir par « cautionner » les médecins en prescrivant des traitements à des consultants (pas tous évidemment) qui viennent après un week-end festif demander un traitement postexposition conscients (après-coup ?) des risques encourus la veille ! Se soucient-ils un instant de l’impact social (sécurité sociale, santé publique) de leur conduite ? En déniant l’inconséquence de leurs actes pour eux-même cherchentils à se déculpabiliser a minima ? Font-ils amende honorable lorsqu’ils viennent chercher un traitement ? Et quid de leur responsabilité vis-à-vis d’eux-mêmes et d’autrui ? Hélas la récurrence de leur venue, la banalisation de leurs propos apparemment dépourvus de tout état d’âme, et l’exigence quasi tyrannique de certain pour obtenir une réponse thérapeutique dénonce davantage une angoisse masquée dont l’issue serait d’éviter les dégâts bien plus qu’une mobilisation psychique en faveur d’une prise de conscience de la teneur de leurs actes. Les médecins, si l’on pousse le propos à l’extrême, ne seraient-ils pas en passe de devenir des « dealers » pour la génération actuelle des 20—30 ans non encore contaminée ? N’est-ce pas cela qu’intuitivement les médecins perc ¸oivent sans vouloir s’y confronter intellectuellement ? Leur responsabilité médicale est engagée et les pousse à se livrer à un questionnement humain et éthique autour de l’inextricable combat entre liberté individuelle et santé publique. Nous sommes ici au cœur de l’éthique de la responsabilité avec l’objectif de permettre à chacun, quel que soit le niveau des difficultés qu’il rencontre, de faire des choix responsables. Et ce qui semble désormais fondamental d’un point de vue politique et médicale c’est que les gens aient le choix de leur prévention. Assurément le propos choque, mais n’est-il pas urgent de réactualiser le débat ? On parvient, certes, à stopper la mutation du virus mais pas celle des comportements à risque. Est-ce une résultante de l’évolution de la prise en charge ou est-ce l’évolution sociétale de nos pays industrialisés tournés essentiellement vers la consommation, qui chahutent le rapport à la loi et au plaisir, pervertissant ainsi le désir ? En effet, l’arrivée de traitements nombreux et efficaces a recréé, et heureusement, un climat de « confiance » au sein de la communauté gay. Notre société prône le plaisir individuel, immédiat, le « carpe diem » où le sexe, comme le reste, se consomme ; la « normalisation » du sexe à outrance a rendu possible la mise à disposition de saunas et backrooms où l’on peut multiplier les partenaires. Outre la fréquentation de ces lieux, « Il apparaît également que celle des sites de rencontre Internet soit un marqueur de comportements à risque important, ces modes de rencontre étant associés à une augmentation des rapports anaux non protégés avec des partenaires occasionnels » [24], sans compter avec la consommation de produits psycho-actifs et les applications géo-localisées sur Smartphone pour des rencontres immédiates à but sexuel. La part de séropositifs a augmenté en Île-de-France depuis 2004 de 4 % et était à hauteur de 17 % en 2011 [25]. Des estimations récentes font état d’une persistance d’un niveau élevé de transmission du virus dans certains sous-groupes de la population : « S’il n’est pas possible pour le moment de conclure

VIH/sida : révolutions et responsabilités que la détérioration durable de la prévention s’accompagne d’une augmentation de l’incidence du VIH, des nouvelles infections par le VIH, tout à fait évitables, n’en continuent pas moins de survenir par centaines chaque année chez les gays. Malgré les progrès thérapeutiques, les conséquences sur la vie des personnes touchées restent démesurément lourdes » [25]. L’enjeu, pour les acteurs de la prévention, est donc de reconquérir en permanence l’adhésion individuelle des personnes. Les individus doivent être convaincus, à chaque instant, de la nécessité d’inventer individuellement et avec leurs partenaires des manières de se protéger et de réduire les risques qu’ils courent, sans que soient perturbés leurs relations, leurs loisirs et tout ce qui compte pour eux. Malgré le développement d’un individualisme normatif dans la sexualité, l’enjeu est d’aider les patients à apprécier de fac ¸on plus réaliste la réalité des risques qu’ils courent, et à prendre des décisions personnelles adaptées à la grande diversité des situations relationnelles et des aspirations en matière de sexualité. Autre obstacle à la prévention, relevé par Michel Ohayon [26], la méconnaissance des Infections sexuellement transmissibles : « les infections sexuellement transmissibles sont le cheval de Troie pour le VIH ». Le poids de l’épidémie est également sous-estimé. Les jeunes gays semblent pour beaucoup dans une forme de déni de la réalité : ils pensent que 2 à 3 % des gays sont séropositifs quand des études ont montré que les séropositifs représentaient de 10 à près de 20 % de la population gay à Paris [27].

Réflexion psychodynamique Ces résultats chiffrés appellent une réflexion psychodynamique concernant ces patients qui prennent des risques et se disent « addict au sexe » [28] avec « un besoin permanent de consommer, c’est plus fort que moi ». Essayons de comprendre la nature des enjeux plus ou moins conscients qui sous-tendent leurs comportements. À l’adolescence c’est le corps qui va, en première ligne, servir de support au fantasme d’immortalité, corps investi ou attaqué. Le corps d’enfant est attaqué dans ses liens aux images parentales du passé infantile, ainsi que le corps sexué qui s’accompagne des images parentales de l’actualité fantasmatique incestueuse ou excitante. On sait que le corps est le premier représentant des pulsions sexuelles et agressives plus ou moins conscientes, il est un moyen d’expression symbolique de l’identité sexuelle de l’adolescent. C’est la stabilisation progressive de l’image du corps qui permettra l’émergence d’un sentiment d’identité. Aujourd’hui si la prévention prône : « Soyez des adultes responsables et gérez votre sexualité » elle oublie et n’ignore que trop, que dans ce contexte, il existe des enjeux inconscients inter-individuels et intra-psychiques qui conditionnent les comportements. Si l’on se réfère à la théorie psychanalytique des pulsions, Freud [29—31] fait de ce concept de pulsions un concept-limite entre le psychique et le somatique. La pulsion serait alors un représentant psychique des tensions et des excitations ressenties dans le corps. Cette liaison entre le psychique et le somatique se traduit dans la théorie des pulsions par des pulsions de vie (amour, faim, besoins sexuels) et des pulsions de mort (destructivité). Cette pulsion ressentie dans le corps vise selon lui à une satisfaction liée à la baisse des tensions

519 ressenties, et elle est dotée de quatre caractéristiques : la poussée, sa source, son objet, son but. Dans ce contexte de sexualité débridée et excessive la poussée est telle qu’elle est irrépressible. La source de la pulsion se situe dans le corps et nous pourrions dire que la décharge pulsionnelle contenue dans l’acte sexuel revêt un but conscient et impérieux, celui d’obtenir du plaisir. Plaisir, derrière lequel se cache la recherche du soulagement inconscient d’angoisses de mort refoulées ainsi que la jouissance prise à transgresser et avoir l’illusion de maîtrise. La toute-puissance alors fantasmée qui équivaudrait à une sorte de triomphe narcissique dans la jouissance, abolirait toute altérité et par conséquent la douleur « mortelle » de la frustration liée au manque et à l’absence. D’ailleurs, les patients confient éprouver un douloureux sentiment de solitude et ressentir un réel désert affectif dans le milieu gay. N’y aurait-il pas derrière cette pulsion sexuelle une énergie instinctuelle auto-conservatrice ? Toujours sur le plan psychodynamique, la décharge pulsionnelle aurait pour objet, un partenaire qui reste souvent à l’état d’objet et non un autre reconnu dans son altérité, doué de partage et de reconnaissance. Cet autre recherché comme miroir, c’est-à-dire sans différence castratrice, deviendrait alors dans le contexte d’incertitude de statut virologique (avoué/caché/ignoré/énoncé) des uns et des autres effrayant plutôt que désirable. De plus, le fait de s’imaginer une « bombe à retardement pour l’autre » pousserait à « une position de défi pour s’opposer à l’injonction de maîtrise » qui n’a pas ici valeur de surmoi protecteur. Ce qui expliquerait que « l’incontournable question du désir ne saurait être réglée par des discours médicaux-éducatifs ou moralisateurs » [32].

Quid de l’alliance thérapeutique médecin—patient ? Si en 2016 les comportements sexuels sont modifiés, le discours des consultants se modifie également, une mutation est en marche. Comme on l’a dit, un vent de toute-puissance souffle, on profite, on consomme : le sexe, les médecins, les traitements, sans souci du lendemain en évitant toute frustration. Les patients d’aujourd’hui expliquent très bien que même s’ils ont conscience que le risque de contamination est infime donc pas égal à zéro, ils le prennent dans le but de se sentir exister. Ils n’ont plus peur de la mort puisqu’ils la « maîtrisent » en la défiant. Ce qui n’est pas sans rappeler l’ordalie, qui au moyen âge faisait figure d’épreuve juridique, et qui consistait à s’en remettre au « jugement de Dieu » afin que cet « Autre » décide de sa propre mort, lorsqu’on ne trouvait pas de jugement favorable au mal commis. Dans le contexte de prises de risques sexuelles, le plaisir triompherait-il sur le désir ? « Puisque le désir cherche l’objet de satisfaction perdu, son entreprise sera toujours maculée par la mort. Le sujet essaiera de mettre de son côté, la mort, de la domestiquer de la dresser ou de la nier ; mais, pour la nier, il ne pourra pas ne pas compter avec elle » [33]. Le plus déroutant est que la mort semble reléguée au second plan, donc ne plus être au cœur de l’angoisse des patients, mais se substituer à la maladie qui elle est « maîtrisée » par la « médecine ». Les cartes sont alors brouillées et le sida avance masqué.

520 Partant de là, le but n’est pas tant d’analyser les comportements à risques que de comprendre ce qu’ils mettent désormais en jeu dans la relation médecin—patient. Dans le cadre de cette pathologie, l’alliance thérapeutique est sous-tendue par un trépied thématique : vie/mort/sexualité. Il relève du registre de l’intime et nécessite donc une confidentialité et un secret médical absolus. La relation médecin—patient est fondamentalement basée sur le secret médical, une notion vieille de deux mille cinq cents ans (depuis Hippocrate, 460 à 370 avant J.C.) qui s’impose dans toute pratique médicale afin de ne pas trahir la confiance du malade. Il se situe aux confins de la médecine, de l’éthique, de la philosophie et du droit. Son histoire est aussi longue que celle de la médecine. Elle accompagne l’évolution de la pensée médicale comme celle de la société. L’engagement, le respect, la confiance mutuelle sont nécessaires pour une prise en charge efficace et adaptée. Ce qui n’est pas si évident dans le cas des demandes de traitements post-exposition où le médecin semble mis en porte-à-faux et soumis à l’injonction paradoxale des patients. À la fois conscient des bénéfices en termes de prévention par rapport à cette mesure et à la fois conscient de la proposition de prise de risque encourue pour d’autres infections telles que l’hépatite C et les IST. Devant la multiplicité complexe des prises de risque, plus ou moins énoncées, dans le cadre des consultations, quelle relation thérapeutique peut alors se mettre en place avec le client éventuel futur patient ? Le médecin est inévitablement confronté à une problématique qui met sa responsabilité en jeu face à la mise en danger de soi et d’autrui. Doit-il alors refuser de prendre en charge ce type de patient en redoutant de cautionner des pratiques de ce genre ? Évidemment non, car, d’une part, le médecin n’est pas là pour juger et, d’autre part, juridiquement il n’en n’a pas le droit, de plus le patient a le choix de son médecin mais pas l’inverse. Doit-il se demander s’il est rendu responsable des risques encourus par le patient et quelle dimension cette réflexion doit prendre dans la relation ? Doit-il remettre en question un choix délibéré de son client ? Le but principal n’est-il pas de le prendre en charge, lui, et pas la société. Le fait de ne pas se sentir jugé par le médecin et d’avoir simplement dit ne permet-il pas d’avantage de favoriser la confiance et donc le retour possible du patient ? Quel discours adopter sans être moralisateur ou trop rigoureux ? Ne rien dire ne confinerait-il pas à la lâcheté voire au laxisme ? Le conflit conscient pour le soignant se situe donc entre le respect de la vie d’autrui et du choix de sa sexualité et de l’intérêt général de la société. Mais la gestion de ce conflit se déploie au cœur de la relation intersubjective, nourrie par le contretransfert du médecin et le transfert du patient qui pèse de tout son poids dans la rencontre actuelle et dans la qualité de l’éventuelle prise en charge à venir. Face aux changements de société, le médecin est davantage vécu comme prestataire de service et plus comme doté d’un pouvoir scientifique et d’humanité. C’est un peu comme si nous étions entrés dans l’aire d’un modèle consumériste de patient-usager. Ce constat/perspective attaque la relation de confiance alors que chacun des partenaires reste mue, quoiqu’il arrive, par des ressentis plus ou moins subjectifs inhérent à son état d’Homme. Le médecin doit désormais veiller à ne pas réagir en miroir d’un système où le passage à l’acte prime de plus en

C. Lefin, M.C. Meyohas plus sur la pensée et ne pas répondre dans l’acte médical par l’acte prescripteur en faisant l’économie de la parole et de la réflexion c’est-à-dire du lien humain. Les médecins qui travaillent dans le domaine du VIH depuis l’avènement de l’épidémie ne sont-ils pas victimes d’une forme d’usure ? Renvoyés à un sentiment d’impuissance initiale puis de triomphe en berne ils sont sommés de changer de regard sur les patients et la pathologie. En somme, ne doivent-ils pas faire le deuil d’un combat mené conjointement avec les patients contre le virus ? Le contraste entre l’attitude des patients d’autrefois et ceux d’aujourd’hui demande un réajustement laborieux de la prise en charge. Cela demande aux professionnels un réel travail d’ajustement et de réaménagement du lien, du travail d’écoute intérieure comme extérieure. Et quand bien même le discours médical et même le discours de prévention peuvent l’un et l’autre s’appuyer sur les progrès des traitements, l’histoire physiologique du virus ne garantit pas systématiquement une tranquillité subjective. Le rejet d’un partenaire sexuel lambda ou amant, d’un ami ou d’un collègue est une conséquence du virus bien que sans aucune justification organique. Les impacts psychiques de la séropositivité sont aujourd’hui minorés par le discours ambiant, identitaire et scientifique. La prise en compte des besoins des séropositifs tend à ne plus dépasser le strict renouvellement des ordonnances bi-annuelles. Le traumatisme de la séropositivité est largement démenti aujourd’hui, comme si la survie biologique devait effacer toutes les conséquences psychiques, affectives, sociales ou culturelles que le fait d’être contaminé induit pourtant toujours aujourd’hui. Certaines conséquences ne sont plus les mêmes qu’au début de l’épidémie, mais la chronicité en a entraîné d’autres : si la peur de la mort imminente s’est dissipée en partie, les effets à long terme des traitements empêchent certains engagements dans des projets, font redouter d’autres pathologies plus graves. C’est surtout le réaménagement psychique lié à la chronicité qui est le plus insidieux car les traces mnésiques du temps de l’annonce jettent une ombre tantôt funeste tantôt dépressiogène sur le quotidien. Aujourd’hui les patients ne redoutent pas de mourir mais disent « avoir peur de vivre », le sentiment d’insécurité est permanent. Autant de questions qui poussent à se demander s’il est trop optimiste de raisonner prudemment en imaginant la recherche d’un équilibre entre responsabilité personnelle et liberté.

Éclairage contemporain : maternité et VIH Révolution : de la grossesse interdite à la grossesse responsable, du désespoir à l’espoir, de la mort à la vie. Tout est là pour une maternité responsable. La transmission maternofœtale du VIH est quasiment nulle si le traitement est efficace contre le VIH [34]. Il y avait eu la recommandation d’avorter dans les années 1980 avec une transmission estimée entre 20 et 30 %. Il y avait eu le traitement par l’AZT en 1994 [35] qui avait largement fait baisser la TMF. Puis les trithérapies évitent la transmission si la charge virale maternelle est indétectable [34]. Les femmes séropositives ont la possibilité de pratiquer une auto-insémination avec le sperme de leur partenaire. Le droit au recours à la procréation médicalement assistée (PMA) est en vigueur légalement

VIH/sida : révolutions et responsabilités depuis 2001 (arrêté du 10 mai 2001). Une politique de dépistage des populations cibles a été mise en place depuis les résultats des enquêtes aux SAU de plusieurs hôpitaux d’Îlede-France [9,36]. La conception peut donc être envisagée dans une réflexion de couple responsable, connaissant les tenants et les aboutissants de sa démarche donnant lieu à une grossesse vécue aussi sereinement que possible, avec un traitement ARV adapté. Mais voilà. Dans des staffs multidisciplinaires autour de la grossesse, regroupant obstétriciens, sages-femmes, pédiatre, infectiologues, assistante sociale, psychologue, pourquoi s’agit-il à plus de 80 % de femmes soit qui découvrent leur séropositivité au cours de la grossesse (encore, pourrait-on dire), soit dont la précarité n’a pas permis un suivi régulier, soit qui sont en rupture de traitement, leurs conditions de vie familiale ne leur permettant pas de prendre régulièrement leurs antirétroviraux, soit qui pensent qu’elles vont guérir sans traitement ? Il s’agit pour la plupart de femmes d’Afrique subsahariennes. Des parcours de vie parfois impossibles à raconter. Des conditions de vie inimaginables. Un rapport à la vie culturellement et personnellement difficile à appréhender. Mais elles sont là, avec leur désir d’enfant. Elles n’avortent quasiment jamais. La situation est paradoxale. Toute femme peut maintenant décider du moment de sa grossesse, elle sait ce qu’il faut faire pour ne pas contaminer son enfant. Son traitement est bien codifié avec les médicaments qu’on peut prendre et ceux qu’on ne peut pas prendre. Ce n’est plus la quarantaine comme autrefois dans certaines maternités : des gommettes rouges apposées sur leur dossier et leurs feuilles de prélèvement sanguin ; l’interdiction de se laver dans les douches communes ; l’isolement géographique et la solitude. Faisons un focus sur les femmes africaines, de loin les plus nombreuses, dans le monde et en France, à être enceintes. La révolution n’a pas lieu, ou pas comme on l’aurait imaginé. Peut-on parler de grossesse responsable ? Qu’est-ce qu’une grossesse responsable ? Une femme enceinte infectée par le VIH devrait d’abord informer le père de son enfant de sa séropositivité. Comme tout patient séropositif devrait prévenir son partenaire. Mais aussi parce que le père a des droits sur l’enfant, en particulier l’autorisation d’accès à son dossier médical. Il est difficile de croire que 15 à 25 % des femmes enceintes n’ont pas informé leur partenaire de leur infection par le VIH [37]. Cela sous-tend des réalités douloureuses. D’abord, n’est-ce pas lui qui a contaminé la femme ? Sa femme ? Combien d’exemples de séropositivité découverte pendant la grossesse permettent de découvrir la séropositivité du partenaire. La contamination a pu se faire en Afrique mais dans un tiers des cas, elle a lieu en France, souvent après un rapport sexuel forcé. Mais, difficile aussi, combien d’hommes se sachant séropositifs ne l’ont pas dit à leur femme ? Cette femme qui fuit son pays car son mari, haute personnalité politique, se faisant soigner aux États-Unis, l’a contaminée et l’a répudiée car elle n’avait pas d’enfant. Dès son arrivée en France, elle est enceinte. Cette autre qui divorce car elle découvre tardivement que son mari l’a contaminée et qu’il continue sans vergogne à avoir des rapports sexuels sans préservatifs alors qu’il ne prend pas correctement son traitement. À chacune des consultations, vous conseillez à votre patiente enceinte

521 de révéler sa séropositivité au père de l’enfant. Que lui dîtes-vous quand elle vous annonce alors qu’elle est à la rue et que son mari l’a chassée ? Heureusement, après une crise parfois très dramatique, les pères assument souvent cette séropositivité. Mais ces femmes enceintes, fragiles, jeunes, mal insérées dans la vie ne veulent pas toujours prendre ce risque d’abandon avec leur enfant à naître, le risque d’une stigmatisation impossible à vivre. Elles vivent avec ce secret lourd à porter. Peut-on les condamner ? Une femme enceinte séropositive dite responsable devrait protéger son enfant de la transmission du VIH. Cela veut dire qu’elle doit assurer des prises de médicaments régulières et correctes. Que va-t-elle faire si elle vomit les médicaments et qu’elle n’a pas l’idée de venir en consultation en urgence pour prévenir les vomissements ou changer le traitement ? La transmission materno-fœtale est d’autant moins fréquente que les ARV sont pris avant la grossesse ou le plus tôt possible au cours de la grossesse [38], même si la transmission du VIH se fait essentiellement en fin de grossesse et surtout au moment de l’accouchement. Un fait est remarquable, témoin de la responsabilité de ces patientes : beaucoup, si elles étaient mal observantes, le devienne soit lorsqu’elles désirent un enfant et cherchent à être enceintes, soit lorsqu’elles sont enceintes, au début de leur grossesse. L’enfant est « sacré ». Une mère séropositive est responsable quand elle accepte de ne pas allaiter son enfant, car l‘allaitement reste à risque même s’il est très diminué quand la mère est indétectable sous ARV. Que va-t-elle dire à sa belle-mère quand elle viendra constater que la maman allaite bien son enfant, coutume fréquente en Afrique ? Sera-t-elle tentée avec la complicité ou non de son mari de prendre un risque, même ponctuel pour son enfant ? La révolution depuis l’arrivée du VIH, c’est qu’aujourd’hui, les patientes séropositives peuvent vivre une grossesse « normale », dans les conditions de prise de traitement optimal, sachant que l’enfant ne sera pas contaminé. Depuis le désespoir du début de l’épidémie jusqu’à maintenant l’espoir de l’enfant à naître non contaminé, le chemin a été difficile. Malgré tous les obstacles culturels, les freins à la révélation, cette réalité est devenue tangible.

Conclusion Au terme des multiples révolutions qui se sont jouées depuis l’avènement de l’épidémie de sida, la baisse de la mortalité est spectaculaire et l’infection par le VIH est devenue chronique. Aussi, la mort déserte quasiment les représentations et la conscience des patients contaminés. Le combat ne se jouerait-il alors plus contre la mort ? Ce nouveau contexte de résurgence de la contamination réactualise la prise en charge des patients dans sa dimension relationnelle, éthique et déontologique et appelle à redéfinir les combats communs à venir. Si le visage contemporain du virus génère de nouvelles conduites, est-ce à dire que ces dernières viendraient entraver l’objectif sanitaire de son éradication ? Comment faire face à ces nouveaux défis ? Une éthique de responsabilité s’impose donc au regard de cette « mutation » globale c’està-dire sociétale, politique, médicale et comportementale.

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Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.

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