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Les interventions de type qualitatif, utilisant l’analyse ergonomique et la psychodynamique du travail ont montré leur intérêt dans des situations de violence avec dégradation avancée des rapports sociaux. Elles sont utiles lorsqu’elles privilégient des modalités d’intervention permettant de renouer avec le vécu et le réel du travail et qui puissent dans le même temps relier la diversité des points de vue (métiers et hiérarchie) de façon à recréer de la coopération. Elles impliquent également une négociation préalable visant à l’obtention d’un minimum de marges de manœuvre avec les responsables de l’entreprise. Il faut effectivement savoir ce qu’ils sont prêts à entendre sur les liens entre santé mentale, violence et organisation du travail. L’expérience montre que l’engagement du médecin du travail est essentiel dans de nombreuses interventions, en amont pour préparer les esprits à ce débat, pour créer la confiance entre les acteurs internes et des intervenants externes puis pour accompagner l’intervention. Enfin, de plus en plus de publications font état d’interventions de médecins du travail basées sur une démarche clinique spécifique en santé au travail, afin d’aider réellement les salariés victimes de violence dans le processus de reconstruction de leur santé en instruisant la question du travail. Cette démarche ne s’improvise pas, elle peut se nourrir de l’expérience de la mise en débat de cas cliniques et pratiques dans des structures professionnelles adaptées. Ceci peut aider non seulement à clarifier et enrichir la nosographie de la psychopathologie du travail mais aussi, par l’élaboration commune de règles de métier, de bien spécifier l’intervention du médecin du travail dans des situations cliniques variées, qu’il s’agisse de situations d’urgences sanitaires ou psychosociales liées à la violence ou d’anticiper et prévenir les risques de violence. Favorisée par l’organisation d’espaces de délibération collective, l’activité coopérative des médecins du travail permet sans aucun doute d’augmenter leurs marges de manœuvre dans l’action vis à vis de la violence en milieu de travail dans toutes ses formes.
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Violence faite aux femmes au travail : le point de vue des sociologues H. HIRATA S’il est vrai que la violence faite aux femmes au travail (professionnel et salarié) se déroule dans la sphère du public, elle est indissociable de la violence dans la sphère du privé, notamment dans les lieux où s’effectue le travail domestique, ce travail dit « d’amour ». En effet, les rapports sociaux de sexe sont transversaux à ces deux sphères et il n’est pas possible de les dissocier quand il s’agit des rapports entre les hommes et les femmes, notamment de violence des hommes sur les femmes. Les liens qui unissent public et privé, dans ce cas, ce sont les rapports hiérarchiques de domination, d’oppression et de pouvoir [1]. Les premières études sociologiques et historiques concernant la violence faite aux femmes au travail ont porté essentiellement sur les violences liées à l’organisation du travail, et notamment le harcèlement sexuel, des chefs et des supérieurs hiérarchiques en général sur les ouvrières et les subordonnées dans la hiérarchie de Arch Mal Prof Env 2006
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ces conjugales et des violences au travail pour une partie de l’échantillon des femmes de cette enquête est souligné par M. Jaspard [10, p.44]. La diffusion des résultats de cette enquête a suscité des controverses, parmi lesquelles deux méritent d’être citées : - le « continuum » ou non de ces violences (des violences psychologiques et verbales aux violences physiques et sexuelles) - la question de la « victimologie ». La première controverse est issue du fait que l’enquête ENVEFF présente les violences psychologiques et verbales aux violences qui résultent en mutilations et blessures dans un continuum. E. Badinter [12], H. Le Bras et M. Yacub [13] sont à l’origine de cette controverse. Il s’agit d’une discussion qui renvoie directement à la définition même du concept de violence et permet des échanges directs avec les analyses de la psychodynamique du travail sur la question. L’enquête ENVEFF emprunte aux Nations Unies la définition de l’acte violent, définition reprise dans un rapport d’un groupe de spécialistes sur la violence faite aux femmes du Conseil de l’Europe en 1997 : « tout acte, omission ou conduite servant à infliger des souffrances physiques, sexuelles ou mentales, directement ou indirectement, au moyen de tromperies, de séductions, de menaces, de contrainte ou de tout autre moyen, à toute femme, et ayant pour but et pour effet de l’intimider, de la punir ou de l’humilier ou de la maintenir dans des rôles stéréotypés liés à son sexe, ou de refuser sa dignité humaine, son autonomie sexuelle, son intégrité physique, mentale et morale, ou d’ébranler sa sécurité personnelle, son amour-propre ou sa personnalité, ou de diminuer ses capacités physiques ou intellectuelles ». [9, p. 18]. Cette définition qui caractérise la violence en tant qu’acte, omission ou conduite provoquant des souffrances physiques ou mentales, contraste fortement avec la définition de la violence symbolique telle que la développe dans différents écrits, le sociologue P. Bourdieu [14]. En effet, pour ce dernier, ce qui caractérise la violence symbolique est son invisibilité pour ses victimes mêmes et les voies de son exercice, « voies purement symboliques de la communication et de la connaissance », voire « de la méconnaissance, de la reconnaissance ou, à la limite, du sentiment » (p. 7). S’il se situe à un registre différent, cette modalité de violence n’exclut pas pour lui d’aucune manière d’autres formes, physiques ou psychologiques, de violence, mais plutôt elles se cumulent – dans sa perspective théorique – pour les femmes (p. 40-41). Il part du point de vue que « nous sommes des êtres de langage et de symbole, pas simplement une mécanique de voies ner-
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l’entreprise et de la production [2, 3]. Le rapport d’oppression de sexe se double du rapport d’exploitation de classe, et ce phénomène est susceptible d’être analysé sur le plan sociologique par la médiation de l’entreprise. Il n’a pas été d’ailleurs toujours analysé en termes d’oppression/domination, mais parfois simplement en termes d’interaction et de « relations hétérosexuelles entre les chefs d’équipe et leurs groupes de travail » comme l’atteste un classique de la sociologie du travail qui vient d’être traduit en France [4]. Aujourd’hui, cette forme « classique » de violence faite aux femmes au travail est loin d’avoir disparue. Des « maquiladoras », usines de sous-traitance au Nicaragua [5] aux entreprises de différents secteurs (hôpitaux, banques, chimie) en Espagne [6], plusieurs recherches sociologiques en cours montrent qu’elles persistent dans différents pays et dans des branches diverses de l’économie et sont cause de souffrances des femmes au travail. Si la résistance à cette forme de violence a toujours représenté une menace directe sur l’emploi, l’évolution de la conjoncture économique et la croissante précarisation sociale et du travail n’ont fait qu’amenuiser les possibilités de riposte des femmes harcelées. En même temps, les mouvements féministes ont pu contribuer aux prises de conscience de ces formes de violence et entraîner des actions collectives. L’analyse en termes d’intériorisation (femmes) et d’extériorisation (hommes) faite par D. Kergoat [7, p. 155] a représenté un avancement considérable dans l’analyse sociologique de la violence selon les sexes. Elle a permis de penser le rapport entre violence, absence d’issue institutionnelle et auto-dévalorisation des femmes, le rapport entre exercice de la violence, exploitation subie et comportement agressif envers la qualification et le travail, de la part des hommes. A partir d’une perspective historique, le rapport entre violence de/ violence sur les femmes a pu aussi être pensé au-delà d’un cadre dichotomique [8]. La sociologie de la violence faite aux femmes a bénéficié d’une quantification, pour la première fois, grâce à l’enquête ENVEFF (Enquête nationale sur les violences envers les femmes en France), commanditée par le Service des droits des femmes et de l’égalité et réalisée en 2000 (pour une présentation détaillée de cette enquête, cf. Jaspard et al, 2003 [9] ; pour une synthèse des résultats principaux, cf. Jaspard, 2005 [10], cf. également Fougeyrollas-Schwebel et al, 2003 [11]). Selon l’enquête ENVEFF autour de 2 % des femmes (87 femmes sur une échantillon de 4500 environ) rapportent des faits de harcèlement d’ordre sexuel (1,9 %) et des agressions (attouchements, tentatives de viol et viol (0,1 %) sur les lieux de travail. Le cumul des violen-
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veuses [15, p. 153] ». Il se réfère aussi à l’exercice de la violence en tant qu’expression de la virilité (p. 55 et suiv.), en rejoignant les analyses de C. Dejours [16]. La deuxième controverse, qui a comme origine les mêmes auteurs que la première, considère que « les féministes » tendent à présenter les femmes comme victimes de la violence masculine, oubliant que les hommes sont parfois aussi victimes. Or, il ressort des différentes recherches sur la question ([8, 9], que la violence féminine envers les hommes est très minoritaire. Par ailleurs, le « féminisme victimiste » [12, p. 140] peut être considéré comme une figure de fiction, à la lumière des recherches présentées dans certains recueils [11, p. 10]. Une controverse qui n’est pas issue directement de cette enquête, la question du rapport entre le harcèlement sexuel au travail et le harcèlement « moral » ou « psychologique », peut y être ajouté (cf. par ex. Davezies [17]). Il s’agit ici d’interroger l’analyse en termes de harcèlement moral, qui peut être en opposition avec une approche sociologique en termes de rapports sociaux ; qui peut occulter des phénomènes de harcèlement sexuel en le mettant dans l’ombre ; or, le harcèlement sexuel sur le lieu de travail et ses multiples formes répétitives peuvent se combiner à d’autres formes de harcèlement, l’intrication de ces dimensions rendant l’analyse particulièrement complexe [18]. Comme le travail, la violence est multidimensionnelle et dans cette mesure complexe et irréductible à un seul point de vue [19]. Elle nécessite l’apport analytique intégrant les interrogations et les contributions de plusieurs disciplines [20]. L’enquête ENVEFF, conçue et réalisée par des démographes, sociologues, psychologues et épidémiologistes, est un bon exemple de cette collaboration interdisciplinaire, que nous essayons de prolonger ici.
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Fonctionnement psychique et violence au travail A. RAIX, B. BIE
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En référence à la construction et au fonctionnement psychosomatique humain, cette intervention essayera de montrer la nature et l’impact de la violence exercée par les organisations de travail sur les salariés. Dans un second temps, seront examinés selon quels mécanismes les individus, en fonction de leur structure, vont tenter de préserver une part de leurs équilibres et de leur santé ou tomber dans la pathologie avérée. La violence est aux origines de l’homme et reste tapie en chacun d’entre nous. Elle parcourt l’Histoire, omniprésente, et s’inscrit aux sources de la culture avec les grands mythes dont les plus représentatifs illustrent l’infanticide, le parricide et les rites sacrificiels. Dans le tout début d’une vie humaine, c’est dans la haine que s’engagent les premières relations. La haine en tant que force protectrice contre les intrusions dessine les preArch Mal Prof Env 2006