Wirsung : un nom propre avant d’être un nom presque commun !

Wirsung : un nom propre avant d’être un nom presque commun !

Tableau I. – Carcinome épidermoïde intra-épithélial et dysplasie sévère (prévalence de 0,09 % dans notre série). Intraepithelial neoplasia of canal an...

243KB Sizes 0 Downloads 66 Views

Tableau I. – Carcinome épidermoïde intra-épithélial et dysplasie sévère (prévalence de 0,09 % dans notre série). Intraepithelial neoplasia of canal anal and severe dysplasia (prevalence of 0,09 % in our séries). TYPE

Année

Age

Sexe

Technique

CIA

1990

58

F

Milligan Morgan

CIA

1997

62

F

CIA

1998

36

DS

1986

DS

Lésion associée fissure anale

Siège

SUIVI

Postéro-droit

Pas de récidive à 21 mois

Milligan Morgan

Antérieur

Pas de récidive à 43 mois

F

Bellan

Antérieur

Pas de récidive à 26 mois

50

M

Bellan

Postéro-gauche

cicatrisation normale à trois semaines

1996

71

F

Bellan

Postéro-droit

Pas de récidive à 7 mois (PDV)

DS-CA

1997

33

F

Milligan Morgan

Antérieur

Pas de récidive à 12 mois

DS

2001

53

F

Bellan

Postéro-gauche

Pas de récidive à 7 mois

CIA : carcinome épidermoïde intra-épithélial ; DS : dysplasie sévère ; CA : condylome acuminé ; PDV : perdu de vue.

la soumission de notre article et qui permettra de répondre aux questions soulevées par Bauer et al.

rait être intéressant de savoir si cette attitude a permis de découvrir une lésion microscopique dont la conséquence n’aurait pas été qu’une simple surveillance clinique, de toute façon habituelle après une hémorroidectomie. La proposition d’étendre cette démarche à l’ensemble des pièces opératoires en proctologie n’est qu’une suggestion qui demande à être confirmée par de nouveaux travaux ; elle n’est pas conforme aux recommandations mais aucun travail, à notre connaissance, n’a été publié sur ce suiet.

Certes, notre étude n’est pas exemple de critiques mais elle confirme, pour nous, le bien fondé des recommandations pour la pratique Clinique de la Société Française de Colo-Proctologie. En effet, aucune des découvertes histologiques n’a eu, de fait, de conséquences en terme de pronostic. En dehors des critiques de forme, d’ailleurs tout à fait justifiées et recevables, il nous paraîtrait plus important que cette recommandation soit éventuellement remise en cause sur des arguments cliniques. Comme l’équipe des Diaconesses continue semble-t-il réaliser l’étude systématique des pièces d’hémorroïdectomie, il pour-

Nicolas LEMARCHAND Hôpital Léopold Bellan, 19/21 rue Vercingétorix, 75019 Paris.

Wirsung : un nom propre avant d’être un nom presque commun ! sité de Padoue était le plus grand centre d’anatomie en Europe occidentale et attirait les médecins de contrées parfois fort éloignées. Le Moyen Age est fini et la Renaissance débute libérant les énergies intellectuelles et créatives, jusque-là confinées essentiellement au clergé et à des normes sociales sévères. Le concept de la dignité de l’homme et de sa liberté de façonner son destin sont parmi les thèmes centraux de la Renaissance. Celle-ci est partie de Florence dès le XIVe siècle et s’est étendue en Lombardie, en Emilie Romaine et en Vénétie. La médecine a suivi ce mouvement intellectuel, notamment dans les trois plus vieilles et prestigieuses écoles italiennes : Bologne (fondée en 1 153), Padoue (1 222) et Pavie (1 361). Le renom de Padoue, deuxième ville de l’empire romain en terme de richesse, était surtout lié à son université. Située à 30 km à l’est de Venise, Padoue attirait aussi les artistes et fut un centre où se développa l’humanisme. Dante vécut à Padoue, Pétrarque, Copernic, Galilée fréquentèrent son université.

J‘ai particulièrement apprécié l’excellente mise au point de Napoléon et al. consacrée au traitement endoscopique de l’ampullome parue dans le numéro d’avril 2004 de Gastroentérologie Clinique et Biologique [1]). J’y ai reconnu toute la rigueur scientifique et la pondération des auteurs qui savent utiliser à très bon escient toutes les techniques interventionnelles. C’est en raison de toutes ces qualités que je me permets de les reprendre sur un point de détail qui me tient à cœur pour le respect de nos maîtres récents ou anciens. Contrairement à ce que le texte de Napoléon et al. peut laisser accroire, « wirsung » n’est pas un nom commun. Pierre Bernades reprenait souvent les internes lorsque ceux–ci écrivaient « wirsung » sans capitalisation ou parlaient du « wirsung » sans le précéder de « canal de », rappelant inlassablement qu’avant de désigner un canal anatomique, Wirsung était un homme. C’était même un brillant anatomiste de l’université de Padoue au XVIIe siècle qui découvrit le canal qui porte son nom pour l’éternité (même si les nouvelles classifications anatomiques refusent à juste titre de garder les noms propres). Cette université avait d’autres professeurs dont les noms nous rappellent bien des souvenirs et des sites anatomiques : Morgagni, Scapa, Bartholin, Falloppe, et bien sûr Santorini, etc… Mais avant d’être « assassiné » (ou glorifié, c’est selon) par le langage commun de nos jeunes internes, M. Wirsung fut bel et bien assassiné à la porte de sa chambre par une nuit de 1643, à proximité de la basilique Saint Antoine. À cette époque, l’univer-

Le premier amphithéâtre permanent d’anatomie y fut construit en 1 594 par le chirurgien anatomiste Vesalius. Son élève, Harvey y découvrit la circulation sanguine. L’histoire culturelle de cette ville brillantissime intrigua pendant des siècles. Shakespeare l’appelait la « nurserie des arts ». L’activité intellectuelle intense qui avait cours à Padoue lui donnait 50 ans d’avance sur le reste de l’Europe du Nord et l’université de cette ville participa à l’émergence de la science 214

1 2 Fig. 1 – Portrait de M. Wirsung dans l’amphithéâtre de la faculté de Padoue. Wirsung’s portrait in an amphitheatre of the university of Padua. Fig. 2 – Pierre tombale de M. Wirsung dans la basilique Saint-Antoine de Padoue. Tombstone of M. Wirsung in the basilica of Saint-Antoine de Padua.

venu à Padoue en 1737 qui ravagea nombre d’archives. Le père de Wirsung était lui même médecin. Il apprit la médecine et la philosophie puis fut nommé prosecteur d’anatomie à Padoue par le Pr. Johannus Wesling, une position qu’il occupa pendant 14 ans. Dès que Wirsung fut un peu connu et réputé, des conflits ouverts entre lui et son maître survinrent. Wirsung, outre ses talents médicaux, était un excellent graveur sur cuivre comme en témoigne la gravure du canal excréteur pancréatique qu’il découvrit en 1642. L’existence du canal pancréatique fut mise en évidence sur un coq par un des élèves de Wirsung : Maurice Hoffman. Un an plus tard, Wirsung découvrait « son » canal sur un cadavre humain dans l’amphithéâtre de son maître. Hoffman devint professeur quelque temps plus tard et une dispute survint rapidement pour savoir si le canal pancréatique devait s’appeler « de Wirsung » ou « d’Hoffman ». Un vrai conte ! Mais le premier avait déjà compris l’importance de sa découverte car il finit rapidement et chez lui la réalisation de la gravure de cuivre faisant la description princeps du canal. Il fit une description de sa découverte en 1642 à Riolan (sans doute sous des arcades !) et répandit rapidement la nouvelle afin de s’assurer de ses droits. Il envoya d’ailleurs une copie de sa plaque de cuivre aux scientifiques en vue des principales académies scientifiques européennes. Finalement, sa découverte ne fut jamais publiée dans un ouvrage scientifique et il ne vécut pas assez vieux pour en apprécier le retentissement.

médicale. En 1222, des étudiants dissidents de l’université de Bologne — révoltés contre le clergé et les autorités de la ville — quittèrent cette ville accompagnés de certains de leurs professeurs préférés. Ce groupe d’étudiants était assez fortuné pour payer eux-mêmes leurs professeurs ce qui leur conférait un pouvoir certain sur leur mode de vie. Dans Padoue, ce groupe influant par le nombre et la fortune avait aussi un pouvoir économique important. Lorsqu’un conflit survenait avec les autorités, la seule menace de leur départ pour une autre ville suffisait à tout arranger ! En 1405, Padoue passa sous la coupe de la juridiction de Venise, un état puissant mais plus tolérant car non dominé par l’église. Grâce à ce milieu intellectuel favorable et tolérant, l’université de Padoue domina toutes les autres universités italiennes, notamment Bologne dans le domaine de l’anatomie. En 1300, le pape Boniface VIII publia une bulle interdisant la dissection humaine. Ce décret était destiné en partie à « resacraliser » le corps humain, malmené au moment des Croisades. Disséquer un corps humain (le plus souvent volé) violait la loi ecclésiastique et civile. Néanmoins, une autorisation spéciale fut donnée à Padoue en raison des recherches académiques. La parution en 1543 du livre du belge Vesalius (vivant alors à Padoue) De Humani Corporis Frabrica a été une date fondamentale dans l’histoire de la médecine. C’était un ouvrage consacrant les travaux de dissection de l’auteur. Il avait 28 ans ! et son livre remettait en question nombre de notions développées par Galien qui étaient fondées sur des dissections animales. En publiant ce livre, Vesalius ouvrait le champ de la médecine, de la chirurgie et de la physiologie. Outre qu’elle intéressa les sculpteurs et les peintres, l’anatomie (dissection et modèles de cire) était la pierre angulaire de la médecine. En cela, Léonard de Vinci les avait précédés à Florence (1452-1519).

Morgagni qui enseigna à Padoue pendant 50 ans relate les faits sur la mort tragique de Wirsung. Wirsung y est dépeint comme un homme noble, doué et illustre. Pendant la nuit du samedi 22 au 23 août 1643, Wirsung avait discuté avec des amis à la porte de sa chambre dans le collège Pratence, à proximité de la basilique Saint Antoine. Attaqué par trois assaillants, il fut alors abattu par un coup d’une sorte de fusil (« sclopetum ») tiré par un flamand, le Dr Jacobus Cambier « pour des raisons haineuses personnelles ». Wirsung reconnu son assaillant avant de mourir d’hémorragie interne à 54 ans. Le meurtrier et ses complices ont sans doute eu le temps de s’enfuir de Padoue. Aucune archive sur un éventuel procès par contumace n’a été trouvée. Wirsung fut enseveli dans une crypte anonyme de la

C’est dans ce contexte de libre pensée, de liberté et d’un niveau intellectuel inégalé que Johann Georg Wirsung (pas le canal, l’homme !) arriva à Padoue (figure 1). Il était né en Bavière le 3 juillet 1589. De nombreux aspects de sa vie restent inconnus. Ce mystère est en partie dû à un incendie sur215

basilique voisine. Réputé pour avoir une vie monacale et célibataire, seuls deux cousins l’accompagnèrent dans sa dernière demeure et recueillirent ses dessins, plaques de cuivre et sa bibliothèque forte de 400 livres.

vraiment communs : wirsungographie, wirsungoscopie, wirsungorragie… Il doit y avoir des pierres de la basilique Saint-Antoine qui restent chaudes (figure 2).

Les raisons du meurtre de Wirsung ne sont pas élucidées : raisons personnelles, jalousie professionnelle ? Il est cependant probable que la jalousie liée au nom du canal en soit l’origine. Raison de plus pour ne pas oublier que derrière ce nom devenu commun s’est caché un homme.

Philippe LÉVY Fédération Médico-Chirurgicale d’Hépato-Gastroentérologie, Hôpital Beaujon, 92118 Clichy Cedex.

La nouvelle classification anatomique internationale s’est attachée à ne plus utiliser de nom propre ce qui est à la fois bien et dommage car les derniers reflets des grandes universités de la Renaissance vont ainsi disparaître des mémoires de nos étudiants. Mais Wirsung qui était décidément un astucieux bonhomme avait-il prévu que son nom se déclinerait en noms

RÉFÉRENCE

1. Napoleon B, Pialat J, Saurin JC, Scoazec JY. Adénomes et adénocarcinomes débutants de l’ampoule de Vater : place du traitement endoscopique à but curatif. Gastroenterol Clin Biol 2004;28:385-92.

216