Aspects du fonctionnement du code linguistique chez les aphasiques moteurs

Aspects du fonctionnement du code linguistique chez les aphasiques moteurs

Neuropsychologia1963,Vol. 1, pp. 165to 177. PergamonPressLtd. Printedin England ASPECTS DU FONCTIONNEMENT DU CODE LtNGUISTIQUE CHEZ LES APHASIQUES MO...

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Neuropsychologia1963,Vol. 1, pp. 165to 177. PergamonPressLtd. Printedin England

ASPECTS DU FONCTIONNEMENT DU CODE LtNGUISTIQUE CHEZ LES APHASIQUES MOTEURS D. COHEN, J.

DUBOIS, M. GAUTHIER, H. HECAEN et R. ANGELERGUES Centre Neurchirurgical de l’hopital Ste. Anne, Paris

(Rep

le 7 Janvier

1963)

Rk.~~Un groupe de neurologues et de linguistes parisiens s’est attache depuis quelque temps a mettre au point une methode structurale et statistique d’ttude des phtnomltnes aphasiques. On s’est limitt volontairement pour commencer a l’examen, qui paraissait moins ardu, d’aphasiques moteurs (de langue franGaise). Les observations et resultats fragmentaires deja obtenus, et qui ne ressortissent done qu’a l’approche liminaire dun probltme aux aspects multiples et complexes, sont presentes ici a titre de rapport de travail. Les premiers chapitres commentent et justifient les tests utilisbs et leurs presupposes conceptuels. On a Ctudie, par comparaison avec un idiolecte ideal, pose comme ayant ete celui du sujet avant sa maladie, d’une part la realisation hors contexte de chacun des elements du code parle, d’autre part l’organisation de ceux-ci dans le fonctionnement linguistique. Correlativement, on a essay& de dtgager le fonctionnement du code graphique et les relations des deux codes. Des directions de recherche sont indiquees pour l’avenir. Les chapitres suivants exposent les resultats obtenus avec un petit nombre de malades et tentent de les interpreter: (1) le systtme phonologique en tant que tel est integralement conserve chez les quatre sujets examines; (2) il n’en apparait pas moins des zones phonetiques de deficit; (3) les defaillances dans la reproduction des items ne mettent pas en cause l’identite de ceux-ci, identite like fondamentalement a deux traits caracttristiques qui determinent la nature m&me des kchecs: la prosodie et le vocalisme; (4) l’influence contextuelle joue rtgressivement, l’element fort &ant la dernitre syllabe et dans cette syllabe la voyelle. Joue aussi un phenomtne d’intoxication mtmorielle qui necessitera un approfondissement de l’analyse. D’une faGon g&&ale, les dtfaillances relevees ne se distinguent que par leur intensite et quantite de celles que l’on constate dans le langage normal, et manifestent, comme elles et plus qu’elles, une inertie du systtme producteur; (5) la discrimination phonetique est attbnuee; les phonemes se trouvent regroup&s grossitrement dans des zones d’articulation larges; (6) une autonomisation relative dans le fonctionnement du code graphique a CtCmise en evidence. LA N~ESSITB d’une analyse plus approfondie des diverses formes de desorganisation du langage, au de12 des classifications traditionnelles -qui conservent d’ailleurs tout leur inter&t cliniqueest actuellement ressentie par tous ceux qui, dans le cadre de la neuropsychologie, portent un inter&t aux problbmes du langage. Mais cette analyse est en general entravee par le fait que les neurologistes mtconnaissent les techniques tlaborees par la linguistique moderne et les theories sur lesquelles elles se fondent. Traditionnellement, le neurologiste apprehende comme comportement le langage dans lequel le linguiste s’attache a discerner des structures. Ce n’est que ces dernibres an&es qu’une certaine tendance est apparue simultanement dans les deux disciplines pour faire converger les methodes et relier les deux domaines (LURIA, JAKOBSON, BEXN, CREWEL, etc. . .). PrCoccupCs de part et d’autre d’ttudier les alterations du langage par rapport aux structures de la langue, des linguistes et des neurologistes ont done entrepris depuis environ deux ans une etude parallele des malades aphasiques. Notre effort a d’abord port6 sur l’analyse de l’aspect expressif des troubles du langage, en dehors de la jargonaphasie. Nons avons done etudie des malades tres proches de ceux qui ont fait l’objet des travaux de ALAJOUANINE, OMBREDANE et DURAND, mais en nous placant, comme on le verra, dans une perspective un peu differente. 165

D. COHEN, J. DUBOLS,M. GAUTHIER,H. HECAENet R. ANOELERGUES

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Les quatre malades dont le langage a ett ainsi ttudit, quoique selectionnb sur la seule presence d’un trouble arthrique, forment un groupe assez homogene. Du point de vue clinique, en effet, leurs caracteres communs sont essentiellement : la difficult6 d’tmission verbale, la deformation des mots du type paraphasie litttrale, le paragrammatisme du type style telegraphique et les troubles de l’tcriture et de l’epellation; par contre la comprehension verbale, la lecture et m&me l’tvocation verbale Ctaient conservees ou gtneralement tres peu touchees. I1 n’existait pas chez ces malades de troubles praxiques ou gnosiques a l’exception d’un certain degre d’apraxie buccolinguofaciale dans deux cas. L’aphasie Ctait toujours accompagnee par des troubles moteurs touchant principalement la face et par des troubles sensitifs au niveau de l’htmicorps droit. Aucun de ces cas n’a donnt lieu a une verification anatomique. ORGANISATION

GeNI?RALE

DUNE

PREMIkRE

APPROCHE

Cette etude linguistique de l’aphasie repose dans son principe sur l’interprttation structurale et statistique dun ensemble de corpus d&finis, qui sont constituts par des enregistrements suffisamment Ctendus de discours libres ou dirigts d’aphasiques. 11 est toutefois apparu db le debut que la constitution materielle de ces corpus et le decodage des textes exigent des delais considerables au tours desquels la recherche sur des aspects particuliers n’en doit pas moins etre poursuivie. Aussi a-t-on juge utile d’organiser une premiere approche, selon des procedures plus arbitraires, mais dont la mise en oeuvre se rtvtlait immediatement possible dans un domaine Ctroitement limit& Dans cette premiere approche linguistique de l’aphasie motrice, le trouble a ete considtre sous l’aspect d’un deficit de rtalisation. Aussi la methode mise en oeuvre repose-t-elle fondamentalement sur une comparaison avec la norme du francais et suppose-t-elle une reference constante a la structure que l’on pose par hypothbe comme ayant Ctt celle du sujet avant sa maladie. Cette hypothbe ne pouvait etre et n’est en fait qu’une base de depart: des essais de verification ont lieu a chaque moment de la procedure. L’objet de cette premiere approche est double -4tudier d’une part les realisations hors contexte des elements du code par& d’autre part leur organisation par la mise en evidence du fonctionnement de ce code. Correlativement on a essay6 de degager le fonctionnement du code graphique et les rapports des deux codes, soit qu’on les ait consider& dans leur dtpendance hierarchique, qui correspond a deux temps differents d’apprentissage, soit qu’on ait examine les possibilites d’autonomisation du graphisme. Les tests mis en oeuvre visent done a associer ou a dissocier, en des temps differents, les deux codes, en mettant a l’epreuve les diverses possibilitts qui se presentent. Ces associations et ces dissociations sont obtenues par les operations fondamentales suivantes: (1) (1) (2) (2)

Audition (Ccoutez)-elocution (rtpetez) l-l Audition (Ccoutez)-graphisme (ecrivez) 1-2 Lecture (lisez)-4ocution (repetez) 2-l Lecture (lisez)-graphisme (tcrivez) 2-2

Les indications (1) et (2) renvoient a celles qui ont Ctt port&es sur le schema operationnel ci-contre. La suite de ces operations permet de mettre en evidence les deficits qui concernent les codes oral (1) et graphique (2), le passage du premier au second (l-2) et reciproquement (2-l). Ces operations fondamentales portent sur les deux ensembles de tests, compte tenu pour le deuxieme de certaines adaptations qui ne modifient pas le sens de l’operation.

ASPECTS

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LES DEUX ENSEMBLES DE TESTS Les tests sont repartis en deux ensembles distincts (indications A et B du schema); I’un vise a saisir l’integration phonetique des unites constitutes et celle des tlCments constitutifs de ces unites, ainsi que leur representation graphique; l’autre, les syntheses de construction et les elements constitutifs de l’enonce. .

ECRIVEZ

1 RiPiTEZ

4

LECTURE

E~CRIVEZ

Chaque ensemble A et B comporte plusieurs series d’epreuves distinctes dont l’ttalonnage repose sur deux principes; le premier est celui de l’accroissement segmental dans A, et d’accroissement quantitatif des elements combines dans B; le second principe est celui de variation ou d’alternance segmentale dans A, c’est-a-dire celui du passage d’un modtle a un autre en envisageant toutes les possibilites de dtcrochements; dans la serie B le principe est celui de la complexitt croissante des elements combines. D’autres principes d’etalonnage sont theoriquement possibles, notamment celui de concentration ou de diffusion des erreurs par rapport a des crittres qualitatifs. 11sne seront envisages systematiquement qu’a la suite d’experiences assez nombreuses pour en Ctablir la validite. L’ensemble A Les Cpreuves du type A sont rtparties en trois series. La premiere (l&e colonne du schema) presente au malade des unites constitdes, definies linguistiquement comme appartenant a une classe de mots; ceux-ci mettent en jeu simultantment diverses possibilitts.

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Le nombre de syllabes constituant ces unites est successivement accru: mats d’une syllabe (2 ou 3 phonemes), de deux syllabes (3 ou 4 phonemes), de trois syllabes (6 phonemes et plus). Aux divers niveaux de ces Cpreuves, on alterne les modtles d’une ou de deux syllabes. Lorsqu’un segment n’est pas reproduit, il est reptte; lorsque sa reproduction est inadequate, il peut &tre tventuellement rCpCtC encore; cette r&petition peut se faire apres cinq ou dix mots afin de mettre en evidence soit la continuite dans la non-conformitt au modele, soit l’kart differentiel qui &pare l’unitt incorrecte de l’unite correctement reprise. La seconde serie d’epreuves presente au malade des syllabes sans signification particuliere, qui forment les ClCments inttgrants des unites constituees du francais actuel. Ces elements ont CtC explores au double point de vue de la reconnaissance et de la rtalisation. On a cherche en particulier: (a) A degager, dans la mesure oti elles existaient, les zones phonetiques du deficit, qu’elles soient get-kales ou particulieres au malade, et Cventuellement a les circonscrire le plus ttroitement possible. (b) A discerner les influences contextuelles par contact immtdiat ou action a distance. A cet effet les phonemes ont tte classes, d’une part, sur we base motrice, selon les criteres de la localisation, de l’aperture et des modes d’articulation; d’autre part, en fonction des don&es acoustiques, selon les oppositions “gravite” et “diffusion”. Les diverses combinaisons des phonemes a l’inthieur des classes ainsi Ctablies, et de classe a classe, ont CtC envisagees dans des segments de dimensions variees. Selon le principe d’accroissement segmental, on a offert des syllabes uniques avec attaque consonantique ou attaque vocalique comportant deux ou trois phonemes, puis des groupes dissyllabiques selon les systemes de correlations phonetiques presentees ci-dessus. C’est a ce niveau de l’tpreuve que l’on pro&de a des retournements segmentaux: on prtsente le groupe (&pa) puis le groupe (pa&). On met enfin en jeu des trisyllabes (type toga@, comportant six phonemes. L’ordre m&me de ces groupes obeit B la fois a des considerations phonetiques et a des considerations sur la variation segmentale: on commence ainsi par des dissyllabes pour continuer par des monosyllabes avant de revenir aux dissyllabes, et ainsi de suite. La troisieme serie d’epreuves est composee de series Cnumeratives d’unites constituees. Elles ont et& utilisees deja, cliniquement, par les neurologues. Sur le plan linguistique, il s’agit d’ensembles form&s d’unites qui se dtfinissent correlativement les unes par rapport aux autres selon un systeme de succession ; ces classes peuvent &re limitees a quelques unites dans le cas des jours et des mois de l’annee OLI dans celui de l’alphabet; la cfasse reste ouverte dans le cas de la liste des nombres. A cette difference dans le nombre et la distance des unites s’ajoutent la variation du nombre des segments des diverses unites, et l’alternance segmentale (un ou deux syllabes, deux ou trois syllabes) qui existe dans les diverses listes. Ainsi, dans l’epreuve de l’alphabet et dans celle des nombres, le passage d’un modele d’une syllabe a un modele a deux syllabes se fait apt-es un nombre assez important d’unitb (au niveau de treize/quatorze), tandis que pour les jours et les mois I’alternance joue presque d&s le debut (fevrier/mars; mardi/mercredi). Dans la liste des jours et dans celle des nombres, on met en jeu des dissyllabes et des trissyllabes en plus grand nombre que les monosyllabes; cette variation et cet accroissement peuvent se reproduire plusieurs fois dans la classe enumerative: ainsi pour les nombres, apres le passage treize/quatorze, on a un nouveau passage une & deux syllabes B seize/dix-Sept.

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Comme il a ttt dit, au point de depart, on a suppose chaque fois un idiolecte ideal dtfini en fonction des coordonnees geographiques et sociales du sujet, et conforme aux normes gCnerales de la langue. L’aspect arbitraire de cette demarche constitue une difficult6 dans ces operations (A) a laquelle le deroulement de la procedure n’apporte pas progressivement une solution. Aussi a-t-on essay& par des voies marginales et d’une man&e non systematique, d’interrompre ce dtroulement par des questionnaires libres, sous la forme d’entretiens qui visent a verifier la conscience du code chez le sujet. On a essay& en particulier de determiner, apres certains Cchecs ou inadequations, si le malade ttait conscient de la realisation qu’il proposait, si elle correspondait a la forme qu’il avait voulu articuler, Cventuellement s’il pouvait apprecier le degre d’inadequation du terme realise au terme demand6 On s’est attache a controler si les marques differenciatives ttaient bien reconnues dans des paires minimales. L’ensemble

B

Celui-ci comporte plusieurs series d’epreuves. La premiere interesse les ordres paradigmatiques : on a pris comme exemple dans les schemas la conjugaison du francais. Sur une base qui reste identique a elle-m&me tout au long du paradigme (manger), le malade est invite a reconstituer l’ensemble de la conjugaison. Sur un verbe comportant deux bases (boi-, buv-), le sujet est invite a repartir les elements morphologiques du paradigme. Entin sur un verbe a trois bases (all-, ir-, -v-) la repartition est de nouveau tentee. Le plus souvent, on part d’une paire minimale paradigmatique je mange/je mangeais; je mange/nous mangeons et on tente la reproduction analogique sur deux bases (finir/finiss-) ou trois bases (aller). On a opCrC aussi sur les distributions des monemes mobiles de type temporel hier, aujourd’hui, demain, qui fournissent des elements redondants des formes verbales: le sujet est invite a les replacer dans les phrases qui lui sont presentees. On a opCrC encore sur les systemes de marques du francais: marques du pluriel (substantifs a alternance: travail/travaux, et sans alternance: festival/s), marques de genre dans la cattgorie des animes (tigre/tigresse; vendeur/ vendeuse), morphemes de negation-contraire (juste/injuste, ltgal/illCgal), d’inversion (faire/ defaire, coudre/dCcoudre), de repetition (faire/refaire); les morphemes (suffixes et prefixes) sont ceux qui sont disponibles au locuteur francais. La deuxieme serie d’epreuves met en evidence les elements constitutifs de 1’CnoncC selon l’ordre progressif de la complexite: le passage du syntagme verbal au syntagme nominal (chamfer une piece/le chauffage d’une piece); la constitution du syntagme nominal avec des elements disjoints (type ma femme, ma there femme, etc.); enfin la constitution de l’tnonct lui-m&me par la cohesion de deux syntagmes differencies (syntagme nominal et syntagme verbal), chacun d’entre eux Ctant susceptible de variations internes ou d’expansions (type: ma femme viendra/vient/venait/demain/aujourd’hui/hier). Ces deux series d’operations sont completees par des exercices a trous oh la lacune serait a combler tantot par un lexeme tantot par un morpheme (grammatical) libre ou lie. Une troisieme serie d’epreuves a pour objet de tester, dans la mesure du possible, en m@me temps que l’inttgrite du code, son degre de disponibilitt. Comme dans la strie (A), Clles consistent essentiellement a faire dttecter par le sujet lui-m&me les insuffisances d’un enonct incorrect, et Cventuellement a le lui faire corriger. La progression Porte d’abord sur la succession des niveaux de l’exercice: (a) Reconnaitre au milieu d’autres un enonce inacceptable (lever la main quand j’enonce un mot qui n’a pas de sens au milieu de ceux qui en ont; ou bien lorsque j’tnonce un mot qui a un sens au milieu de segments qui n’en ont pas, etc.).

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(b) Determiner le ou les elements incorrects. (c) Discerner la nature de la fame: accord, place dans la chaine, classe morphologique ou semantique. (d) Substituer a l’tltment incorrect un autre qui rende l’tnonce linguistiquement valable. L’etalonnage peut etre affint par la determination d’une autre Cchelle de difficult& portant sur la plus ou moins grande subtilitt de l’erreur, et la longueur ou la complexitt de S&once. L’operation fondamentale “lecture” comporte ici aux divers niveaux deux aspects differents (deux modal&): on fait Ccrire au malade un syntagme ou un tnonct entendu; on fait Ccrire spontanement par le sujet un syntagme ou un enonce, ce qui correspond sur le plan du code oral a ce qu’est la conversation spontanee (construction d’enonces en vue de la traduction d’une “experience”). M~THODOLOGIE

DE L’EXAMEN

ET ENREGISTREMENT

DES

RESULTATS

Le sujet est invite a passer ces Cpreuves linguistiques dans des conditions psychologiques telles qu’elles permettent de faire appel a des motivations rtelles: les Cpreuves, qui sont pas&es le plus souvent dans le cabinet du medecin et inserees dans l’examen clinique proprement dit, sont recues comme des tests destines, dans une certaine mesure, a orienter le traitement. De la sorte on reduit tgalement les inconvenients d’une attitude d’apprentissage. La libertt d’expression, hors du programme impose, est totalement conservte. La collaboration du malade est constante puisque celui-ci est invite a signaler ses propres erreurs et a determiner le segment qui offre pour lui une difficulte; cet auto-controle permet de maintenir l’activite du sujet. Les diverses tpreuves, ainsi &par&es en deux ensembles, ont CtC subies en general en deux seances tres rapprochees. La duree, la continuite et la finesse de l’examen ont Ctt fonction de l’ttat du malade, sans que jamais les articulations essentielles de l’examen aient CtC oubliees. L’ensemble des questions et des reponses a don& lieu a des enregistrements sur bandes magnetiques. Selon un systbme variant avec la finesse de l’analyse, le decodage est ensuite fait a partir de la bande. 11faut noter que, dans l’ensemble de la recherche, l’kpreuve est destinte a caracteriser un moment de l’evolution du trouble, et constitue une sorte de coupe synchronique. Lorsque cela a CtC possible, le malade a tte soumis une seconde fois a tout ou partie de l’epreuve. La perspective est de systematiser la repetition de ces examens a intervalles rtguliers pour permettre l’etude des evolutions. L’ensemble du dossier iinguistique du malade comporte une serie d’enregistrements dates, des decodages successifs et les tests graphiques ; il correspond au dossier medical. Les dossiers ainsi constituts sont encore peu nombreux, les tests commencant seulement a Mais il a semble utile au fur et a mesure des decodages, et a titre etre mis en application. de rapport de travail, de fournir quelques analyses sommaires des observations qui ont pu Celles qui suivent portent surtout sur l’application de la etre faites cursivement. batterie (A) a un petit nombre de malades (quatre au total) dont les troubles en sont a des degres d’tvolution tres divers. ASPECTS GGNGRAUX DES PERFORMANCES Statistiquement, les performances sont trbs i&gales. Sur une moyenne qui se situe entre 400 et 500 items proposes, les reussites dans la repetition vont de 82, 8 pour cent a 32, 4 pour cent.

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On ne peut pas caracttriser d’une man&e differentielle les r&hats portant sur les tests de la premiere colonne (unites constituees definies linguistiquement) et sur ceux de la deuxieme colonne (syllabes non significatives). Mais il est remarquable que, pour des performances homogenes chez les deux sujets dont l’aptitude est la plus grande, les deux autres prbentent, de facon inattendue, de meilleurs resultats a la colonne 2. Le plus grand

G. L. T. A.

Performances pour l’ensembleA

pour la ~01.1

pour la col. 2

% 67,7 82,8 32,4 49,l

% 67,3 84,9 22,6 33,9

% 67,8 82.2 36,l 56,7

pourcentage de succes dans la colonne 2 est dQ vraisemblablement a la plus grande facilite, du point de vue articulatoire, des termes proposes. Ceux-ci cornportent, en particulier, relativement moins de groupes de consonnes. Mais la liste de la colonne 1 ne comprend, dans l’ensemble, que des mots d’usage courant dont on s’ttait assure qu’ils faisaient partie du vocabulaire des malades et qu’ils etaient compris d’eux. Ce fait n’a done pas influe --du moins dans les limites de cette strie d’observations-sur les possibilitts de realisation. Le systeme phonologique en tant que tel apparait integralement conserve chez tous les sujets examines. On n’a pu relever chez aucun d’entre eux la perte d’un trait differenciateur. Au niveau de la comprehension, il a toujours CtCpossible de faire reconnaitre des paires minimales. Lorsqu’un trait pertinent ne se trouve pas rtalise, ordinairement le sujet en a conscience ; il est toujours en mesure d’informer l’enqueteur sur ce point. Ainsi A. explique, en s’aidant de l’ecriture, qu’elle ne peut prononcer le d, et qu’elle aboutit a t lorsqu’elle s’y efforce. Ce qui ne l’emp&che pas d’ailleurs de rtaliser correctement le phoneme dans quelques formes. 11a semblt dans un cas au moins, celui de L., que l’opposition des sourdes et des sonores, qui n’est pas abolie dans la comprehension, Ctait realiste en fait exclusivement comme une opposition de tension. Mais des analyses de traces seront necessaires pour l’etablir avec certitude. Aucun phoneme dans sa forme normale de l’idiolecte suppose du malade n’est perdu au point que la realisation en devienne totalement impossible. En general, sous l’effet d’une pression plus ou moins insistante de l’enquCteur, avec une facilite plus ou moins grande selon les positions oti ils se presentent, tous les phonemes peuvent etre articules. I1 n’en est pas moins apparu chez les quatre sujets des zones phonetiques de deficit. De facon g&&ale, l’articulation des liquides orales semble penible chez tous, sans aller chez aucun jusqu’a l’impossibilitt totale de les prononcer. Chez deux malades, on a releve sporadiquement des Cchanges l-d pour lesquels on n’a pas su discerner de determinations contextuelles: [hod] pour [boll, [fide] pour [firi], [kad-] pour [kalo], [diki] pour [liki], [stida] pour [stila], [vade] pour [vallee]. La nasale n”en finale n’a CtCrtaliste que par un malade. Chez les autres, elle est pas&e a n, et a m&me perdu sa resonance nasale occasionnellement chez L. qui a fourni grod pour “grogne”. Les prtpalatales chuintantes [S] et [3], ainsi que la palatale sonore [g], semblent exiger pour leur articulation un effort considerable. Parmi les voyelles, seule [v] (U francais) presente des difficult& parfois insurmontables. Chez T., dont les performances sont dans l’ensemble extr&mement basses, on constate une difficulte a la production de b; or celle-ci ne se manifeste pas sous la forme d’un simple relhchement, comme cela se produit pour toutes les consonnes a l’intervocalique chez G; apres des hesitations, c’est a [v] qu’aboutit l’effort articulatoire.

in

D.

COHEN,

J.

DUBOIS, M. GAUTHIER, H. HECAEN et

R.

ANGELERGUES

Cependant le dCficit le plus notable se constate surtout dans la rkalisation des groupements de consonnes. A l’initiale, les plus difficilement obtenus sont les groupements en [s-l: [sl-1, [sm-1, [st-] et m&me [sk-1. 11 est B remarquer qu’ii l’exception de [st-1, toutes ces combinaisons sont rares g l’initiale dans le lexique francais *; elles caract6risent des mots d’emprunt dont certains cependant sont bien intCgrCs ?I la langue: slip, sleeping, skier. Le groupe [st-] se simplifie le plus souvent en [s]. La simplification est aussi la tendance dans les groupes form& d’une occlusive suivie d’une fricative, mais pas Cgalement pour tous les groupes et pour toutes les positions dans la forme. Lorsque la deuxi&ne consonne est une sifflante, l’occlusive disparait gCnCralement: [sari] pour [tsari], comme [silo] pour “stylo” et [zar] et [zigar] pour “tzar” et “tzigane” (pronon&s par l’enqu&teur [dzar] et [dzigan]). On note souvent, dans ces cas-Iti, un allongement de la sifflante devenue initiale. Lorsque la deuxieme consonneest une liquide, elle peut se maintenir 2 l’initiale de syllabe, surtout sous forme de [Y], qu’elle soit originellement [I] ou [Y], mais tombe rCgulibement en fin de syllabe: [teat] pour “th&tre”, [kijcer] pour “crieur”, [v%d] pour “vendre”, etc.? LES CADRES

FORMELS

Les items dcs differents tests, unit& de la langue ou assemblages non significatifs de syllabes, sont rec;us comme des formes constituCes ayant leur structure et leur unit& Les dkfaillances dans la reproduction ne mettent pas en cause leur identitC. Celle-ci apparait essentiellement like ri deux traits caract&istiques et qui dkterminent la nature mCme des tchecs. (a) Le premier, qui est l’essentiel, est 1’6lCment prosodique (rythme et intonation). Le nombre des syllabes, dans la limite assez dtroite de la capacit6 mt-morielle des sujets examin&, est diterminant dans l’appr6hension de la forme et il est dans la grande majorit des cas restituC intkgralement, quelle que soit la forme mcme que le malade rCussit & donner aux syllabes. Cependant une transcription qui ne prisenterait que les phonkmes dits segmentaux masquerait ce fait essentiel. En effet, & un item dissyllabique le malade pourrait rCpondre frequemment par une suite de quatre (et quelquefois de sept ou huit) syllabes. L’audition permet de se rendre compte clairement que, le plus souvent, ces suites de syllabes n’impliquent en aucune faGon l’oubli et encore mains la non reconnaissance du rythme de l’item. Le dissyllabe ma1 rCalisC est tout simplement repris pour @tre corrigC; on entend parfaitement une suite de deux dissyllabes, avec joncture ouverte entre les deux, accentuCes chacune sur la deuxi&me syllabe, c’est-k-dire sur la finale, comme il est normal en francais, et comportant un parallClisme total dans l’intonation. Un autre accroissement du nombre de syllabes est provoquC par une reprise de la seule deuxikme syllabe, un bCgaiement B tendance corrective, dont la nature adventice se marque bien par son intonation Cgale ?I celle de la 26me syllabe. La forme se prCsente en fait comme -1(-L _L I.. . ). L’intonationladCnonceclairement comme substitut de la syllabe seconde, syllabe qui est sentie comme la finale d’un groupe de deux. Ceci se constate chez les quatre sujets, en dCpit d’une tendance commune it une dysprosodie plus ou moins accentude qui se marque par la rialisation saccadCe de I’item. Ceci n’entraine pas que le sujet rtponde toujours, quel que soit le nombre des syllabes demandkes. En fait, une malade comme T. ne s’attache & reproduire rCguli&ement que les monosyllabes. Elle renonce frCquemment aux dissyllabes, quelquefois avec un signe de d&ouragement, aprgs avoir amorcC l’articulation de la consonne initiale de la seconde * si on laisse de c&B les syntagmes t [teat] et [vld]

sont des forme

type ce qui

constante

. . . etc.

de la langue

parlte

non tenue.

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b

syllabe. De meme, chez A., il y a parfois absence totale de reponse devant un item trisyllabique. Mais, comme G. et L., lorsqu’elle repond, la forme qu’elle propose, m&me tres defectueuse par le contenu, est le plus souvent trisyllabique. Parfois des formes difficiles, comportant plusieurs groupes de consonnes, sont amordes, mais non me&es jusqu’au bout. Elles sont alors reprises et, en cas de nouvel Cchec, abandonnees, mais sur un ton nettement suspensif. (b) Un autre Clement solide de la forme est son vocalisme. De facon gtnerale, ce sont les voyelles qui sont restituees avec la plus grande fidelite. Non qu’elles ne puissent jamais, occasionnellement, &tre transformees; mais dans tous les cas, il s’agit d’harmonisation par rapport a une autre voyelle: ainsi, chez T., [iti] pour [beti]. Les consonnes n’exercent sur elles aucune influence. L’inverse est des plus frequents, et la nature m&me de la consonne est trb souvent en dependance Ctroite de la voyelle.

LA NATURE

DES FAUTES

11 est difficile de determiner des regles, ou m&me s’il y a des regles valables pour tous les sujets examines. 11 est cependant remarquable qu’on puisse discerner des constantes, et que, meme dans les cas oh les performances sont les plus faibles, les fautes ne semblent pas dans leur ensemble etre entibrement fortuites. (a) Le fait essentiel dans la determination des realisations est le caractere presque toujours regressif de l’influence contextuelle. La determination est anticipatrice. L’eltment fort du terme est done la dernibre syllabe. 11 semble mCme qu’on puisse dans la majoritt des cas discerner une hierarchic des influences: voyelle de la derniltre syllabe, puis consonne initiale de cette syllabe. L’influence de la voyelle se marque nettement par l’ampleur du deplacement articulatoire qu’elle peut imposer aux consonnes adjacentes dans la syllabe: chez trois des sujets, les prepalatales, les dentales, et m&me souvent les labiales aboutissent a [k] devant [o] et [a] d’arriere: [ok] pour [os] (G.), [koti] pour [soti] (T.), [ok] pour [ot] (G.), [ak] pour [at] (G.), [tobika] pour [todita] et [tobiko] pour [todipo] (G.), [kogy] pour [pogy] (A.), [duko] pour [dupo] (T.), etc. Chez les memes sujets, [k] et [g] avancent jusqu’a [t] et [d] sous l’influence de [i] et sporadiquement des autres voyelles d’avant (e, et parfois y): [kedi] pour [kegi] (G.), [fidi] pour [fiki], [kopadi] pour [kopagi] (G.), [frit] p our “fric” (T.), [oti] pour [pogi], [yd] pour [yg]

Ml pour [ykl (A.), WeI pour hsl, Ml pour hl Parfois, ce sont les labiales (G.), [ed] pour [eb] (L.).

@.I, Pwl pour [kwl CL.).

qui sont realisees comme

des dentales:

[gody] pour [goby]

Cette influence de la voyelle n’est en somme qu’une manifestation particulitre d’une force d’assimilation considerable. Celle-ci rend compte de l’inadequation d’un trb grand nombre de rtponses: [JySa] pour [dysa], [rarst] pour “barrette”, [vaval] pour “ravale” [sliging] pour “sleeping” (L.), [grisisr] pour “glissiere”, [krarte] pour “clarte”, [krerjer] pour, “clairiere” (G. et T.), [akrisis] pour “sacrifice” (T.). Ces derniers exemples cependant peuvent s’expliquer autrement. En effet, chez les m&mes sujets, il semble que les groupements consonantiques a 2eme element [Z] sont realists avec [r] dans la plupart des cas, comme il a ttC indique plus haut: [gras] pour glace, [prido] pour [plido], [bruto] pour [Pluto], [krava] pour [klaya], [atra] pour [atla], [krimo] pour [klimo]. I1 arrive mCme que I simple a l’intervocalique soit realise r: [kara] pour [kala].

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D. COHEN, J. DUBOIS, M. GAUTHIER,H. HECAENet

R. ANGELERGUES

Un des elements de la syllabe finale peut etre, toujours sous l’effet de la m&me force anticipatrice, prononce avant la forme elle-m&me, qui suit alors apres une ICgke hesitation: [v-lesiv] (T. et A.), [s-lesiv] (L.) pour “lessive”. Plus frappante encore est I’anttposition de la voyelle: [u-Saku], [i-Sigi] (L.). Dans des formes trisyllabiques, on a releve, tgalement chez L., une prothese consonantique dont le timbre est determine par l’une des consonnes precedentes: [titudo] pour [itudo], [dydegy] pour [ydegy]. Une forme plus complexe est [kutude] pour [utuge] oh tout se passe comme si le g final avait CtC anticipt, puis realist, Q sa place dans la dernibre syllabe, comme d, sous l’influence de la voyelle subsequente. (b) Des metatheses sont frtquentes, mais touchent rarement les syllabes en tant qu’unites. L’interversion des consonnes peut done &tre interprttte comme une anticipation par transfert complet d’une consonne a une place anttrieure, avec recul constcutif de la premiere consonne. Des exemples frequents sont fournis par tous les sujets: [lave] pour “vallte”, [karto] pour [tarko], [dite] pour [tide], [pabida] pour [padiba], [risi] pour [siri], etc. Plusieurs de ces metatheses sont favorisees par la nature des phonemes en succession. Une difficult6 de rtalisation en contact peut &tre resolue par le deplacement de l’un des elements en contact. Ainsi on a [kati] pour [tagi], au lieu de [tadi] attendu, qui est difficile a cause de ses deux dentales, l’une sourde l’autre sonore, a la suite. La forme rtalisee parait souvent presenter une distribution des phonemes plus harmonieuse, eu egard aux difficult& signalees: [padiba] pour [pabida]. (c) On ne signalera ici que pour memoire le phenomtne d’intoxication. L’infection mtmorielle joue un role important dans les reponses aux tests phonetiques, oh des items sont proposes a la suite. Les effets en ont Ctt sensibles chez A. et surtout T. Apres [kava], pour [gava] demand& on a obtenu [vaki] pour [fari], [faka] pour [fapa], [koko] pour [fopo], etc; apres [lava] pour “lavabo”, on a eu [lavao] pour “ballon”, etc. En revanche ni G. ni L. n’ont presentt a aucun moment de manifestations deun tel phtnomene. 11y a probablement a observer, plus que les tests n’ont permis de le faire, un phtnomene de motivation qui pourrait etre consider6 comme une sorte particuliere d’infection mtmorielle. Dans le deroulement des Cpreuves, la forme de certaines reponses a dti &tre determinCe par la ressemblance que l’item pouvait avoir avec un morpheme de la langue. Ainsi [ssrtica] a CtC realist5 d’abord comme [ssrtifa] par G., peutltre par collusion avec le mot certificat. L. a fourni [deby] pour [debu], alors que selon ses performances habituelles l’inverse etit Cte plus normal. Ne faudrait-il pas penser a “debut”? De meme [gato] pour [gako], [drapo] pour [dapo] et immediatement apres [drapa] pour [dapa] pouvaient s’expliquer par l’existence de morphemes homophones des formes rtalisees. Mais cet aspect qui n’est apparu qu’au decodage-et dans un petit nombre d’exemples-devra faire l’objet d’une exploration plus systematique. L’alternance de l’ordre des syllabes, (dapa) puis (pada), met frtquemment en evidence des difficult& qui, dans la majeure partie des cas, se resolvent par la repetition du premier modele, (pada) (pada), le malade indiquant le plus souvent qu’il y a eu erreur. Le changement de modele phonetique aboutit a la mCme difficult& ainsi dans le passage de la serie de voyelles orales aux voyelles nasales. La difficult6 ne resulte pas ici non plus d’une articulation plus ou moins aisee, puisque le dissyllabe present6 a une autre place, quand le modele est installe, est repttt dans des conditions satisfaisantes. I1 peut relever de l’intoxication. (d) 11 est a remarquer que les defaillances mises en relief par le test phonetique ne se distinguent que par leur intensitt et leur quantite de celles qu’on relbve frequemment dans le langage normal. Elles consistent, soit a parer a la difficulte de certaines articulations en les

ASPECTS

DU FONCTIONNEMENT

DU CODE

LINCXJISTIQUE

CHEZ

LES APHASlQUEs

MOTEURS

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modifiant, soit a laisser un Clement dominant d’une forme obliterer le reste de la forme et lui imposer ses caracttristiques. Dans ce cas surtout, c’est d’une certaine inertie du systbme producteur que relkent les “fautes”. Cette inertie semble particulierement forte chez les malades observes. Elle se manifeste de facon frappante, sur le plan du simple mouvement articulatoire, par la poursuite dans un mCme sens du mouvement amord. Ainsi, dans de nombreux cas, les malades achevent la fermeture d’une syllabe decroissante par une consonne anterieure. C’est une telle inertie qui impose, au contact d’une voyelle, une consonne de m&me localisation. On l’observe, particulierement insurmontable, chez A., lorsqu’on examine la malade pendant les tpreuves. Toute sa mimique indique la prise de conscience de l’erreur, anttrieurement a la rtalisation de celle-ci, qui n’en est pas moins commise. Le mouvement n’a pas CtCarr&tC. L’enregistrement suffit a laisser deviner, a la rapiditt de la correction, que le sujet s’y ttait prepare a l’avance. Ainsi, pour [kabe], on obtient [kabe-pe], les deux dernieres syllabes sur le m&me ton, et tres rapprochees l’une de I’autre. Immediatement apres, on constate une reprise pour corriger la derniere voyelle, mais cette fois l’attention fixte sur Ipi] impose [pa] comme premiere syllabe, et la forme proposte est [pape-pi], reprise a son tour pour restituer le [k] en [paki-pi]. (e) Outre cette inertie particulibrement accent&e, les corrections apportees par les malades revelent un autre aspect du deficit: une absence de finesse dans la discrimination phonetique. On a ainsi l’impression que les phonemes se trouvent classes grossibrement selon des zones d’articulation larges, en phonemes anterieurs et posterieurs par exemple. Le phoneme vise se trouve dans I’une de ces zones, mais le sujet tombe plus ou moins loin de la cible. Visant [p], on tombe sur [d]; on se reprend immediatement pour atteindre [fJ, etc. De meme, il est arrive frtquemment qu’on fournisse la sourde pour la sonore, ou inversement, ce qui pouvait faire penser a la perte d’un trait differenciateur ; I’examen detail16 des resultats a montre qu’il n’en est rien. LE FONCTIONNEMENT

DU CODE GRAPHIQUE

L’autonomisation relative du fonctionnement du code graphique a pu &tre mise en evidence chez les malades examines. Ces derniers, en particulier L. et G., tcrivent sans hesitation les unites constituees que sont les mots valise, bol, lessive, laver. On ne remarque aucune diI%rence de comportement devant les mots dissyllabiques ou trissyllabiques. Chez un de ces malades, dont l’elocution et la repetition cornportent des deficits importants, les mots sont restitues graphiquement dans leur integritt et en particulier le mot Paris est tcrit avec une majuscule. Inversement tous les malades, depuis celui qui presente le plus de troubles jusqu’a celui en presente le moins sur le plan oral, Ccrivent les trissyllabes sans signification avec d’importantes erreurs de transcription. Ces erreurs consistent non point a se tromper sur le nombre de syllabes transcrites, mais sur le grapheme lui-m&me qui transcrit le phoneme. Le sujet, mis de nouveau en presence de ses realisations graphiques, les reconnait au tours de la nouvelle lecture qui lui est faite de ces trissyllabes; il les retrouve exactement dans l’ensemble des formes errontes : la forme est done transcrite et reconnue comme telle independamment du code parlt. Un autre malade est invite a retranscrire les mots qu’il lit sur une feuille: il met sa propre feuille contre la liste des mots et transcrit exactement les unites constituees; un decalage vient a se produire; le malade htsite, puis mCle les syllabes graphiques de deux termes avant de continuer correctement sa retranscription. 11 est manifeste que le malade ne passe pas par l’intermediaire du code oral; pour retranscrire le terme, il procede par comparaison avec ces hitroglyphes que sont les mots francais. Enfin

D. COHEN, J. DUBOIS, M. GAUTHIER, H. HECAEN et R. ANGELERGUES

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tous les malades prtsentent la mEme htsitation j Ccrire le mot fric; I’explication est relativement simple: ce mot populaire, en d&pit de sa grande frtquence dans la langue parlie, est beaucoup plus rarement kit. Cette difficult6 graphique sur fric ne correspond pas B une difficult6 de m&me nature dans le fonctionnement du code parlC. La transcription des syntagmes met en Cvidence d’autres d6ficits. Le malade L. peut t-crire sCparCment les mots ma et femme, et cela sans hksitation; il prononce les deux termes rkunis avec la mCme difficult6 que les trissyllabes. Mais lorsqu’il est invitC k transcrire le groupe, il s’en dtclare incapable; apt& plusieurs sollicitations, il Ccrit les deux mots en les skparant justement, mais en affirmant qu’il fait une faute; il est invitC ri relire et kaffirme sa faute; enfin aprks quelques hkitations, et avec une certaine surprise, il constate qu’il a correctement transcrit. Les autres malades ont @sent6 des troubles analogues. Ces premikres constatations nous ont confirm& dans l’organisation gCn&ale des tests en mettant en Cvidence le fonctionnement autonome du code graphique. Abstract-A

group of neurologists xxi linguists in Paris have for some time past been interested in establishing a structural and statistical method for the study of aphasic phenomena. To begin with, the scope of the study has been deliberately limited to what seemed the easiest, namely motor aphasia (French speaking patients). The observations made and the fragmentary results obtained until now are reported here and represent a preliminary approach to a multifaceted and complex problem. The first sections comment upon the tests used, and set forth their conceptual bases. The extrapolated realization of each of the elements of the spoken code on the one hand, and their organization in speech processing on the other, have been studied in comparison with an ideal idiolect, supposed to have been that of the subject before his disease. As a corollary, an attempt has been made to understand the functioning of the graphical code, and the relationship between the two codes. Approaches for future research are suggested. The following sections state the results obtained with a small number of patients, and attempt to interpret them: (I) All four patients examined are found to conserve the phonemic system as such integrally; (2) nevertheless, there are zones of phonetic deficiency; (3) the failure to reproduce an item does not mean ;I lack of apprehension of its identity. This latter is linked in a fundamental way to two characteristic features which determine the very type of failure, viz. prosody and vocalism; (4) contextual influences act in retrograde fashion, the major element being the last syllable, and in this syllable, the vowel. A phenomenon of memorial intoxication also plays a part which requires further analysis. On the whole, the failures noted do not differ from those of normal language, except in intensity and number and manifest, in the same manner, an inertia of the motor system. (5) Phonetic discrimination is lowered and phonemes are roughly classified in two broad articulatory areas. (6) A relative autonomization of the functioning of the graphical code has been shown to occur. Zusammenfassung-Eine Pariscr Gruppe von Neurologen und Sprachwissenschuftlern bemiiht sich seit einigcr Zeit, eine strukturalistische und statistische Methode zum Studium der Aphasie auszuarbeiten. Die Verfasser haben sich entschlossen, sich vorerst auf die Untersuchung von (franziisischsprechenden) motorischen Aphasie-kranken zu beschrinken, da diescs Problem weniger schwierig crschien. Die Beobachtungen und die schon erzielten Resultate, die also bless eine erste Annsherung an tin vielseitiges und komplexes Problem darstcllcn, werden hier untcr der Form eines Arbeitsbcrichtes ausgefiihrt. Die crsten Kapitel erI5utcrn und rechtfertigen die angewandten Tests, sowie die angenommenen Begriffe. Die Verfasscr haben einen Vergleich hergestellt mit einem “IdealIdiolekt”, von dem angenommen wird, dass er derjenige des Krunken vor seiner Krankheit war; verglichen wurde einerseits die Ausfihrung, ausserhalb des Kontextes, der verschicdenen Elcmente des Sprachkodes, andererseits ihre Orgnnisation im Sprechvorgang. Gleichzeitig hnben die Verfasser versucht das Funktionieren dcs Schriftkodes zu analysieren, sowic die Weitcre Forschungsrichtungen sind angegeben. Beziehungen zwischen den beiden Kodcn. Die folgenden Karitel entholten die Beschreibung der schon bei einer kleinen Anzahl von Kranken festgestellten Resultate, sowie ein Interpretationsversuch: (1) Das phonoloaische System als solches ist bei den 4 Vp. vollst%ndig erhalten; (2) es lassen sich trotzdem MBngel in verschicdenen phonetischen Zonen feststellen; (3) die fehlerhafte Wiedergabe dcr Elememt. tasten ihre IdentitHt nicht an; dicse Identittit h5ngt wesentlich von zwci charakteristischen

ASPECTS

DU FONCTIONNEMENT

DU CODE

LINGUISTIQKJE

CHEZ

LES APHASIQUES

MOTEURS

Ztigen ab, die such die Natur des Misserfolges bestimmen: Prosodie und Vokalismus; (4) der Kontext hat einen regressiven Einfluss, das starke Element ist die let&e Silbe, und, in dieser, der Vokal. Man stellt such ein Phlnomen von Gedachtnisintoxikation fest. die aber noch eine weitere Analyse benotigt. Im Allgemeinen unterscheiden sich die festgestellten Fehler nur durch ihre Intensitlt und Anzahl von denen die man in der gewohnlichen Sprache beobachtet, ur durch ihre Intensitlt und Anzahl von denen die man in der gewohnlichen Sprache beobachtet, und zeigen, wie diese-und noch in einem grosseren Massstabe als diese - eine gewisse Trfgheit des hervorbringenden Systems; (5) die phonetische Unterscheidung ist vermindert, die Phoneme sind auf eine grobe Art wieder zusammengruppiert in weiten Artikulationszonen; (6) eine relative Autonomisierung im Funktionieren des Schriftkodes wurde festgestellt.

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