Audit des pratiques médicamenteuses en anesthésie

Audit des pratiques médicamenteuses en anesthésie

Ann Fr Anesth Réanim 2000 ; 19 : 86-92 © Elsevier, Paris S0750765800001830/FLA Article original Audit des pratiques médicamenteuses en anesthésie D...

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Ann Fr Anesth Réanim 2000 ; 19 : 86-92 © Elsevier, Paris S0750765800001830/FLA

Article original

Audit des pratiques médicamenteuses en anesthésie D. Benhamou1, S. Laurent1,2, F.J. Mercier1, N. Préaux2 1

Département d’anesthésie-réanimation, 2pharmacie hospitalière, hôpital Antoine-Béclère, faculté de médecine Paris-Sud, 157, rue de la Porte-de-Trivaux, 92141 Clamart cedex, France

RE´SUME´ Objectifs : Des recommandations de pratique clinique (RPC) ont été instituées en 1995 dans un service d’anesthésie-réanimation hospitalo-universitaire, dans un effort d’amélioration de l’emploi des agents d’anesthésie. Ces RPC ont été préparées à la suite d’une évaluation préliminaire montrant des pratiques discutables et coûteuses, puis diffusées après obtention d’un consensus interne. Cette étude avait pour but d’évaluer l’adhésion du personnel anesthésique à ces RPC au cours de la chirurgie programmée chez l’adulte (phase I). Type d’étude : Enquête prospective. Méthode : Un auditeur externe, préalablement formé, a enregistré au cours des anesthésies successives les agents et le débit de gaz frais utilisés et a comparé les pratiques aux RPC. Résultats : Une adhésion excellente (> 90 %) a été notée pour tous les produits sauf les curares non dépolarisants. Le rocuronium et l’atracurium ont été employés dans 52 % des interventions de durée prévue supérieure à 90 minutes, contrairement aux RPC. Les résultats de la phase I ont été présentés lors d’une réunion de service, au cours de laquelle les écarts par rapport aux RPC ont été soulignés. Une deuxième phase d’évaluation a ainsi été décidée, après le rappel des RPC à l’ensemble du personnel et leurs amendements, pour tenir compte des remarques formulées et des publications devenues disponibles dans l’intervalle. Cette phase II a confirmé l’adhésion quasi parfaite aux RPC, mais n’a montré qu’une tendance non significative à leur application pour les curares non dépolarisants (emploi du pancuronium dans les interventions de durée prévue > 90 minutes : phase I versus phase II = 74 versus 52 %, NS ; emploi du pancuronium dans les interventions de durée prévue < 90 min : phase I versus phase II = 3,5 versus 0 %, NS).

Reçu le 20 août 1999 ; accepté après révision le 28 octobre 1999.

Conclusions : Cette étude suggère que la mise en œuvre de RPC est réalisable sans difficulté lorsque les indications d’emploi des produits ne sont pas controversées. © 2000 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS anesthésie / coûts / maîtrise

ABSTRACT Auditing the choice of anaesthetic agents. Objectives: Internal pharmaceutical practice guidelines were produced in a department of anaesthesia of a University hospital in 1995, after a preliminary evaluation showing controversial and expensive practices. After approval, these recommendations were circulated to all members of the department. Phase I of this study was started 18 months later, to evaluate the compliance of anaesthetists with these guidelines. Study design: Prospective survey. Method: An audit was performed by a research assistant pharmacist, previously trained, who compared anaesthetic agents and fresh gas flows used during anaesthetics with those recommended in the internal guidelines. Results: Implementation of guidelines was observed in more than 90% of cases for all agents studied, except for non-depolarizing neuromuscular relaxants. Relaxants of intermediate duration were used in 52% of cases with an expected surgery duration of more than 90 min, in opposition to the guidelines stating that pancuronium should have been administered in such circumstances. These results were presented and discussed. Slight changes in the guidelines (especially concerning monitoring of neuromuscular blockade) were made and evaluated again, using the same method (Phase II). A small but significant improvement was seen with induction agents (use of propofol in non-approved situations: 5 versus 0%, P=0.03), while a non significant trend toward better implementation of

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guidelines was seen with non-depolarizing agents (use of pancuronium in surgery of expected duration > 90 min: phase I vs phase II = 47 vs 52%, NS; use of pancuronium in surgery of expected duration < 90 min : phase I vs phase II = 3.5 vs 0%, NS). Conclusion : This study suggests that implementation of internal guidelines is easy when clinical indications of the agents are not controversial. © 2000 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS anaesthesia / costs / cost-containment

La limitation des sources de financement a conduit les autorités et les médecins à mener une politique de maîtrise des dépenses de santé, notamment en incitant les praticiens à mieux analyser leurs choix thérapeutiques. En anesthésie, les médicaments sont moins coûteux que dans d’autres domaines ; ils ne représentent en effet que 6 % des dépenses totales du soin d’un patient chirurgical [1] mais le nombre des agents d’anesthésie disponibles est en augmentation constante. De nouveaux médicaments sont mis régulièrement sur le marché et sont présentés comme offrant une meilleure efficacité ou de moindres effets indésirables, mais avec l’inconvénient d’être indéniablement plus coûteux. Il est donc intéressant d’en étudier précisément le rapport coût/ efficacité. Des publications récentes ont décrit des programmes de sensibilisation [2, 3], ou suggéré les indications respectives des médicaments anesthésiques [4]. Elles ont montré que des restrictions d’emploi des médicaments coûteux et récents peuvent être accomplies sans pour autant entraîner de réduction de la qualité des soins [5, 6]. L’absence d’effet négatif sur le devenir des patients rend acceptables les études, ayant pour ultime but une minimisation des coûts [7]. Bien que la définition des bonnes pratiques ait été initialement largement développée en réponse à l’accroissement des coûts, l’amélioration des pratiques médicales est justifiée par le simple besoin d’amélioration de la qualité des soins. Cet article a pour objet l’évaluation des pratiques médicales anesthésiques dans un service d’anesthésie-réanimation (SAR) par rapport à des recommandations de pratique clinique (RPC) définies au sein de l’établissement en 1995. Si les pratiques sont très proches du référentiel, alors le rapport coût/efficacité devrait être optimal.

MÉTHODES En 1995, les médecins du SAR de l’hôpital AntoineBéclère ont pris progressivement conscience de l’augmentation de la consommation de plusieurs médicaments, essentiellement le propofol, l’atracurium, le rocuronium et l’isoflurane. Un travail préalable à la mise en place des RPC avait été réalisé en 1994 et comportait une analyse de l’emploi des différents agents d’anesthésie. La taille de l’échantillon, bien qu’insuffisante pour permettre une analyse chiffrée précise, documentait des pratiques douteuses et coûteuses (ex. : induction de l’anesthésie chez un patient ayant une péritonite grave avec du propofol) et avait suffi à convaincre les médecins de l’équipe de la nécessité de préparer des RPC locales concernant l’anesthésie des patients adultes. Ces RPC ont été établies par l’un des médecins du groupe (DB), discutées et amendées en réunion de service et finalement acceptées, avant d’être diffusées auprès de l’ensemble des médecins et des infirmier(e)-anesthésistes (IADE) du service puis ont fait l’objet de rappels réguliers. Ces recommandations portaient sur les points suivants. Induction de l’anesthésie. Le propofol permet un réveil d’excellente qualité et rapide, mais il est plus cher que le thiopental. Son utilisation est donc réservée aux patients dont l’intervention a une durée prévue inférieure à 1 h 30, aux patients ambulatoires et, en raison de son effet spécifique sur la musculature des voies aériennes supérieures, son utilisation est préférée lors de la pose d’un masque laryngé et dans le cas des intubations difficiles prévues. Le propofol est également recommandé chez les patients aux antécédents cliniques de nausées-vomissements postopératoires. Utilisation de l’anesthésique halogéné. Le débit de gaz frais conditionne directement la consommation des agents halogénés [2]. Il doit être inférieur à 1 500 mL·min–1 pendant l’entretien de l’anesthésie, sauf cas particulier. L’isoflurane est l’agent de choix et l’emploi des nouveaux produits, tels le desflurane n’a lieu que dans le cadre de leur évaluation locale. Emploi des curares non dépolarisants. L’atracurium et le rocuronium, ayant une durée d’action intermédiaire, sont utilisés pour des interventions d’une durée prévue inférieure à 1 h 30. Pour les opérations de plus longue durée, le pancuronium doit être utilisé en première intention, sauf cas particulier

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(insuffisance rénale notamment). Dans les deux cas, la curarisation doit s’effectuer sous couvert d’un monitorage neuromusculaire. La succinylcholine est indiquée en dose unique en cas d’estomac plein ou d’intubation difficile prévue. Prescriptions associées : administration systématique peropératoire, chez les patients ayant reçu une anesthésie générale, d’antalgiques (propacétamol et/ou kétoprofène) sauf contre-indication [8]. Prévention des nausées-vomissements. En raison de la fréquence importante des nauséesvomissements en phase postopératoire immédiate (24 premières heures) [9] et de l’insatisfaction importante qui en résulte pour les patients [10], il a été décidé, en réunion de service du 23 octobre 1996, d’écrire l’addendum suivant : tous les patients ayant une anesthésie générale doivent recevoir en fin d’intervention une injection intraveineuse de 1 mg de dropéridol. La procédure d’évaluation de ces recommandations a été élaborée en février 1997, afin de s’assurer de la bonne application des RPC sus-décrites. Une fiche de suivi des anesthésies a été réalisée et cette étude a été conduite de février à avril 1997 (trois mois, phase I) puis de juin à juillet 1997 (deux mois, phase II) et a inclus l’ensemble des patients bénéficiant d’une intervention chirurgicale programmée de 8 h 30 à 13 h au bloc opératoire central de l’hôpital Antoine-Béclère. Le recueil des données a été effectué par un externe en pharmacie (SL) préalablement formé. L’ensemble du personnel du service a été informé de la préparation d’une enquête concernant les pratiques, mais la date exacte de son début et ses modalités précises, notamment le fait que l’évaluation porterait sur chaque anesthésie, n’ont pas été dévoilées. Le nom du patient, le type de l’intervention prévue et le type d’anesthésie ont été reportés au cours de chaque intervention à partir de la feuille d’anesthésie. La présence (ou non) de contreindications a été déterminée à partir du dossier du patient. L’anesthésiste était interrogé sur la durée prévue de l’intervention. La nature des produits utilisés a été notée à partir des seringues présentes sur le chariot d’anesthésie. Le débit de gaz frais (DGF) a été lu directement sur le débitmètre de l’appareil d’anesthésie. La lecture a été effectuée une fois par intervention, de manière aléatoire, mais en général au cours du premier quart d’heure suivant le début

de l’anesthésie, afin de savoir si le DGF élevé, utilisé lors de la phase d’induction d’anesthésie, était rapidement réduit. La présence d’un moniteur de curarisation a été notée visuellement et son emploi effectif a été déterminé par les valeurs du train de quatre (T4/T1) indiquées sur la feuille d’anesthésie. Enfin, la durée effective de l’intervention a été déterminée à partir de la feuille d’anesthésie et de l’heure d’arrivée dans la salle de surveillance postinterventionnelle. L’administration de dropéridol et des analgésiques a été vérifiée par lecture de la feuille d’anesthésie. Les résultats de la phase I ont été présentés lors d’une réunion de service, lors de laquelle les écarts par rapport aux RPC ont été soulignés. Une deuxième phase d’évaluation a ainsi été décidée après leur rappel à l’ensemble du service et leur amendement pour tenir compte des remarques formulées et des publications devenues disponibles dans l’intervalle [5, 6, 11-13]. Il a ainsi été ajouté l’incitation à l’utilisation concomitante d’un moniteur de curarisation donnant des valeurs chiffrées (TOF-Guardt), lorsque le pancuronium était utilisé. Cette recommandation avait pour but d’obtenir un monitorage neuromusculaire de meilleure précision et d’éviter le risque de curarisation résiduelle lors des interventions chirurgicales longues. La méthode d’évaluation utilisée lors de la phase II a été identique à celle de la phase I. L’étude statistique a été effectuée à l’aide du logiciel Statview 4.5 (Macintosht). Les résultats sont présentés en moyenne ± déviation standard, en médiane avec extrêmes ou en pourcentages. Le test de t de Student non apparié, le test du χ2 (avec le test exact de Fisher pour les petits effectifs) ou le test de Mann-Whitney ont été utilisés selon la nature des variables. RÉSULTATS Durant les deux phases, 243 interventions chirurgicales ont été suivies dont 148 pour la phase I et 95 pour la phase II. La durée moyenne des interventions était significativement différente entre les deux phases (phase I versus phase II = 100 [15–810] versus 70 [10–680] min, P = 0,008). La part des interventions gynécologiques était significativement plus importante au cours de la phase II (27 versus 42 %, P = 0,003).

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Tableau I. Produits et indications des médicaments utilisés en anesthésie. Pourcentages Phase I Phase II (n = 148) (n = 95) Produit utilisé Thiopental Propofol Étomidate/kétamine Indications du propofol Chirurgie ambulatoire Masque laryngé Chirurgie courte Intubation difficile prévue Hors recommandation

P

0,03 53,4 43,9 2,7

37,9 61,1 1,0

56,5 7,8 21,4 2,9 11,4

60,2 10,5 27,5 1,8 0

Tableau II. Utilisation du débit de gaz frais, des antalgiques et des anti-émétiques au cours des deux phases de l’étude.

0,01

Pourcentages Phase I Phase II (n = 148) (n = 95) DGF pendant l’entretien (mL⋅min–1) > 1 500 avec motif > 1 500 sans motif Injection des antalgiques (kétoprofène, propacétamol) période peropératoire en SSPI non réalisée Injection de dropéridol en fin d’intervention réalisée non réalisée

7,1 1,4

7,9 0

92,5 0,7 6,8

91,6 0 8,4

92,5 7,5

95,8 4,2

DGF : débit de gaz frais ; SSPI : salle de surveillance postinterventionnelle. Pas de différence significative.

Au cours de la phase I, le propofol a été utilisé dans environ 44 % des anesthésies générales alors que 39 % des situations représentaient une indication au propofol (tableau I). Cet agent d’induction n’avait donc aucune justification d’emploi dans 5 % des cas. Le DGF, reflet de la consommation d’anesthésique halogéné, est resté inférieur à 1 500 mL·min–1 pendant l’entretien de l’anesthésie au cours de 91,4 % des anesthésies générales (tableau II). L’emploi d’un débit supérieur à 1 500 mL·min–1 était généralement motivé par des problèmes de fuite au niveau du circuit anesthésique. Afin de prévenir les nausées et vomissements, 92 % des patients ont reçu du dropéridol à la fin de l’intervention (tableau II). L’absence de prescription de dropéridol était justifiée par le passage des patients en réanimation. L’administration préventive peropératoire de kétoprofène et/ou de propacétamol était réalisée dans 92 % des cas. L’absence de prescription d’antalgique était toujours justifiée par la présence de contre-indications, ou par un passage en réanimation. L’emploi des différents curares non dépolarisants au cours de la phase I est résumé dans la figure 1. Si le pancuronium n’a pratiquement pas été employé lors des interventions de moins de 1 h 30 min, l’atracurium ou le rocuronium ont cependant été préférés dans plus de la moitié des actes de plus de 1 h 30 min. Le monitorage de la curarisation a été globalement très bien utilisé (tableau III). Au cours de la phase II, la consommation de propofol a augmenté en valeur absolue (tableau I). Ceci

s’explique par un plus grand nombre d’interventions chirurgicales courtes, telles les interventions gynécologiques, lors de la phase II. Il faut également noter une meilleure corrélation entre les indications et les prescriptions effectives du propofol (tableau I). Au cours de l’entretien de l’anesthésie le DGF n’a jamais dépassé 1 500 mL·min–1 sans motif au cours de la phase II (tableau II). La fréquence de prescription du dropéridol et des antalgiques n’était pas statistiquement différente entre les phases I et II (tableau II). L’étude de l’utilisation des curares, qui est à l’origine de cette deuxième phase d’évaluation, a montré une légère amélioration des prescriptions (figure 1). Au cours de la phase II, le pancuronium n’a été utilisé dans aucune intervention courte (P < 0,0001 versus phase I). Lors des interventions longues, celui-ci

Tableau III. Modalités d’utilisation de monitorage de la curarisation au cours de deux phases de l’étude. NB : le Tof-Guardt est un moniteur basé sur le principe de l’accélérométrie et qui fournit des indications chiffrées (nombre de réponses, rapport T4/T1). Pourcentages Phase I Phase II (n = 148) (n = 95) Monitorage de la curarisation présence absence

99,2* 0,8

98,6** 1,4

* Tof-Guardt non disponible ; ** se répartissant en 80 % d’utilisation d’un monitorage standard et 19 % d’emploi du Tof-Guardt.

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Figure 1. Modalités d’utilisation des curares non dépolarisants au cours des deux phases (■ phase 1, [ phase 2) de l’étude, en fonction de la durée prévue de l’intervention.

n’a été utilisé que dans 52 % des cas, ce qui représente une augmentation des prescriptions de 5 % par rapport à la phase I (NS). Comme lors de la première phase, la curarisation a été surveillée par un monitorage neuromusculaire dans la quasi-totalité des cas (tableau III). Le TOF-Guardt a été utilisé dans 19 % des interventions, ce qui représente 35 % des actes de longue durée. DISCUSSION Le but de cette étude était la recherche d’une meilleure adéquation des pratiques par rapport aux données acquises de la science, en faisant l’hypothèse qu’une amélioration dans ce domaine aurait une influence bénéfique sur les dépenses. Cependant,

cette étude n’a pas été associée à une évaluation économique, dont la réalisation requiert des informations sur le système de soins dont nous ne disposions pas. La maîtrise des pratiques, et probablement des coûts, ne doit pas se faire aux dépens de la santé, ni même du confort des patients. Si l’utilisation d’un certain nombre de médicaments jugés trop coûteux a été restreinte, cela a toujours été justifié par l’absence de bénéfice médical majeur. Cette absence d’effet néfaste sur le résultat clinique était une notion intuitive lors de la mise en place des RPC, tant pour nous que pour les autres équipes [4]. La publication d’études montrant un meilleur rapport coût/efficacité avec les agents plus anciens, c’est-à-dire même efficacité clinique et moindre coût, n’a soutenu notre action qu’après la réalisation de la phase I de cette étude [5] ou de la phase II [6]. Cependant, pour l’essentiel, les RPC ont paru raisonnables à notre équipe, et donc acceptables, car fondées sur l’évidence clinique et ont donc été largement appliquées. Certains médicaments n’ont pas été inclus dans les RPC et n’ont donc pas été évalués, soit parce qu’ils étaient utilisés dans le cadre d’une évaluation séparée (desflurane), soit qu’un consensus s’était établi spontanément au sein du service (Ringer lactate, hydroxyéthylamidons). Par ailleurs, l’adjonction systématique du dropéridol a été réalisée ultérieurement, sans difficulté particulière. Dès la première phase de l’étude, il a été possible de constater l’adhésion du personnel médical à ces RPC. Les anesthésiques halogénés n’étaient pas « gaspillés », les curarisations étaient bien surveillées et pratiquement tous les patients recevaient les traitements préventifs de nausées et de la douleur. Il faut cependant noter une légère propension à la surprescription de propofol. Cet inducteur d’anesthésie permet certes des réveils de meilleure qualité que ceux obtenus avec le thiopental [14], mais cet avantage devient quasiment nul pour les interventions chirurgicales de longue durée [15]. L’utilisation du propofol, produit particulièrement coûteux, n’est donc nullement justifiée lors des opérations de plus de 90 minutes. Une équipe américaine est parvenue en deux ans à réduire de 66 % le débit de gaz frais (DGF) moyen utilisé [5]. Le résultat était certes spectaculaire, mais le DGF initial était de 4 L·min–1. À l’hôpital Antoine-Béclère, 92 % des anesthésies se faisaient avec un DGF inférieur à 1,5 L·min–1 et le potentiel

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d’amélioration était donc très limité. L’utilisation du propofol par cette équipe [5] a été diminuée elle aussi de 66 %, mais ce résultat impressionnant n’est dû qu’à l’abandon de l’anesthésie totale intraveineuse (TIVA), technique entraînant une surconsommation importante de propofol. Dans notre hôpital, la TIVA n’a jamais été largement utilisée, même avant la mise en place des RPC. L’importance de l’effet attendu par l’instauration de ces RPC est donc également limitée pour ce produit. Ainsi, bien que nos résultats apparaissent moins spectaculaires, ils traduisent cependant une réflexion individuelle préalable de chaque médecin concernant la maîtrise des coûts. Le seul « échec » rencontré dans cette étude a été l’application des RPC concernant les curares non dépolarisants. Malgré l’accord théorique initial, environ 50 % des prescriptions de curare sont restées « hors norme ». Les dérives étaient toujours observées dans le même sens : emploi des curares non dépolarisants de durée d’action intermédiaire, alors que le protocole recommandait l’usage du pancuronium (actes > 90 minutes). Cette dérive n’a guère été réduite par la présentation et la discussion des résultats de la phase I, ni par la mise à disposition d’un moniteur de curarisation donnant le rapport T4/T1. Parmi les risques liés à l’emploi du pancuronium, le plus important est celui de la curarisation résiduelle [16, 17]. Bien que certains aient suggéré que ce risque pourrait être réduit par le monitorage [18], cette notion n’est actuellement pas confirmée, d’autant que l’évaluation visuelle ou tactile du train de quatre est imprécise avec les moniteurs de poche usuels [19]. Seule la détection d’un T4/T1 supérieur à 70 % [20] voire à 90 % [11-13] affirme que la décurarisation est effective. Cette notion a été expliquée lors de la présentation des résultats de la phase I et les médecins avaient donné leur accord à l’emploi concomitant du pancuronium et d’un monitorage quantitatif. Malheureusement, au moment de la phase II nous ne disposions que d’un seul moniteur quantitatif en raison de son prix élevé et la possibilité d’avoir à utiliser le pancuronium en l’absence de ce matériel avait été acceptée. Le rapport coût (du matériel de monitorage) et efficacité (réduction du risque de curarisation résiduelle) n’a pas été déterminé et pourrait être un élément de choix supplémentaire. Cependant, en de nombreuses occasions, alors que le moniteur était disponible, le

pancuronium n’a pas été utilisé pour des interventions de durée supérieure à 90 minutes. Comment expliquer cette résistance, alors que l’ensemble des autres recommandations ont été très bien appliquées ? Cohen et Rose [21] ont également observé cette résistance, lors de la mise en œuvre d’un programme d’amélioration de la qualité concernant les traitements anti-émétiques et celle-ci ne semblait intervenir que lorsqu’une recommandation était basée sur l’emploi d’un produit, dont l’efficacité restait scientifiquement douteuse. Ce type de raisonnement semble avoir prévalu dans notre étude. En effet, le rapport coût/efficacité avantageux du pancuronium a été démontré dans certaines études [5, 6] mais a été réfuté par d’autres [22-24]. On peut alors concevoir que si le consensus n’existe pas pour les experts eux-mêmes, l’indécision prévaut également chez les utilisateurs. Il faut noter que lors de l’évaluation, ces RPC avaient déjà deux ans d’existence. La présente étude ne tient donc pas compte de la phase de mise en œuvre. De plus, cette étude n’a évalué les pratiques qu’en chirurgie programmée et la présence de l’évaluateur peut avoir modifié les pratiques. Cette hypothèse ne peut être retenue, car le suivi sur de longues périodes, dans le cadre de programmes d’assurancequalité réalisés dans le service, a confirmé l’adhésion à l’emploi des antalgiques et du dropéridol par exemple. Enfin, le suivi des consommations mensuelles des produits n’a pas mis en évidence de modification significative pendant les phases d’évaluation. CONCLUSION Cette étude montre qu’il est possible, pour l’essentiel, de parvenir à une maîtrise de l’utilisation des produits anesthésiques sans difficulté majeure, et dont la conséquence logique devrait être une réduction du coût de l’anesthésie. Les études antérieures ont par ailleurs prouvé que la maîtrise des coûts ne passe pas nécessairement par une diminution de la qualité des soins. Cette étude est, à notre connaissance, la première réalisée en France dans le domaine de l’anesthésie. L’excellente adhésion est en outre une aide très utile lors des négociations budgétaires avec l’administration hospitalière. La mise

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en œuvre de RPC est réalisable sans difficulté lorsque les indications d’emploi des produits ne sont pas controversées. REMERCIEMENTS Les auteurs tiennent à remercier l’ensemble des médecins anesthésistes et des IADE pour la patience et la bonne volonté dont ils ont fait preuve pendant cette étude. RE´FE´RENCES 1 Macario A, Vitez TS, Dunn B, McDonald T. Where are the costs in perioperative care? Analysis of hospital costs and charges for inpatient surgical care. Anesthesiology 1995 ; 83 : 1138-44. 2 Becker KE, Carrithers J. Practical methods of cost containment in anesthesia and surgery. J Clin Anesth 1994 ; 6 : 388-99. 3 Johnstone RE, Jozefczyk KG. Costs of anesthetic drugs: experience with a cost education trial. Anesth Analg 1994 ; 78 : 766-71. 4 Kapur PA. Pharmacy acquisition costs: responsible choices versus over utilization of costly pharmaceuticals [editorial]. Anesth Analg 1994 ; 78 : 617-8. 5 Lubarsky DA, Glass PSA, Ginsberg B, de L Dear G, Dentz ME, Gan TJ, et al. The successful implementation of pharmaceutical practice guidelines. Analysis of associated outcomes and cost savings. Anesthesiology 1997 ; 86 : 1145-60. 6 Freund PR, Bowdle A, Posner KL, Kharasch ED, de Paul Burkhart V. Cost-effective reduction of neuromuscularblocking drug expenditures. Anesthesiology 1997 ; 87 : 1044-9. 7 Watcha MF, White PF. Economics of anesthetic practice. Anesthesiology 1997 ; 86 : 1170-96. 8 Benhamou D, Legendre F, Couaillet M. Évaluation de la douleur et de son traitement en salle de réveil [résumé]. Ann Fr Anesth Réanim 1996 ; 16 : R163. 9 Cohen MM, Duncan PG, Deboer DP, Tweed WA. The postoperative interview: assessing risk factors for nausea and vomiting. Anesth Analg 1994 ; 78: 7-16. 10 Orkin FK. What do patients want? Preferences for immediate postoperative recovery. Anesth Analg 1992 ; 74 Suppl 1 : S225.

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