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ScienceDirect www.sciencedirect.com Nutrition clinique et métabolisme xxx (2015) xxx–xxx
Cas clinique
Choc cardiogénique et syndrome de renutrition inappropriée Cardiogenic shock and refeeding syndrome Francis Quinty a,∗ , Nicolas Portet a , Mathieu Parcevaux b , David Couret a , Philippe Ocquidant a a
Service de neuroréanimation, CHU Sud Réunion site Saint-Pierre, 97448 St-Pierre cedex, France b Service d’anesthésie - réanimation, CH Gabriel-Martin, 97460 Saint-Paul cedex, France
Rec¸u le 23 d´ecembre 2013 ; rec¸u sous la forme révisée le 27 aoˆut 2014 ; accepté le 2 octobre 2014
Résumé Le syndrome de renutrition inapproprié (SRI) est une pathologie rare et grave avec des manifestations polyviscérales survenant chez des patients dénutris sévères. La prévention est la clé de la prise en charge. Bien que les troubles du rythme cardiaque secondaires aux désordres hydro électrolytiques soient le plus souvent décrits, nous rapportons le cas original d’un choc cardiogénique survenu au troisième jour de la renutrition chez une patiente de 32 ans. © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Syndrome de renutrition inappropriée ; Choc cardiogénique ; Hypophosphorémie
Abstract Refeeding syndrome (RS) is a rare and serious disease with multi-organ system failure occurring in severely malnourished patients. Prevention is the key to support. Although cardiac arrhythmias due to fluid and electrolyte disorders are often described, we report the original case of cardiogenic shock occurred in a third day refeeding of a 32-year-old patient. © 2014 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Refeeding syndrome; Cardiogenic shock; Hypophosphataemia
1. Introduction Le syndrome de renutrition inappropriée (SRI) est une pathologie rare et grave qui atteint essentiellement les patients dénutris sévères. Ce tableau associe des troubles hydro électrolytiques (hypophosphorémie, hypomagnésémie, hypokaliémie) à des atteintes organiques multiples (neurologique, hématologique, respiratoire, rénale, osseuse et cardiaque), pouvant mettre en jeu le pronostic vital. Les manifestations cardiaques les plus fréquemment décrites au cours du SRI sont des troubles du rythme secondaires à
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Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (F. Quinty).
l’hypokaliémie et à l’hypomagnésémie sans atteinte de la pompe cardiaque [1]. Nous décrivons ici le cas original d’une patiente ayant présenté un choc cardiogénique dans le cadre d’un SRI quatre jours après son admission.
2. Observation Une patiente de 32 ans était admise en réanimation pour une détresse respiratoire aiguë hypoxémiante. Dans ses antécédents, on notait deux ans auparavant un cancer du sein droit de stade IIb initialement (T2N1M0) traité par tumorectomie et curage axillaire associés à une chimiothérapie adjuvante (6 cures de farmorubicine- 5 fluorouracile-endoxan) et radiothérapie. La néoplasie avait récidivé il y a un an sous
http://dx.doi.org/10.1016/j.nupar.2014.10.003 0985-0562/© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Pour citer cet article : Quinty F, et al. Choc cardiogénique et syndrome de renutrition inappropriée. Nutr clin métab (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.nupar.2014.10.003
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la forme d’une métastase cérébrale unique traitée chirurgicalement. La patiente présentait à l’admission des critères cliniques de dénutrition sévère avec un IMC à 16 et une perte de poids de 10 kg en un mois soit 16,7 % (poids habituel 60 kg). Elle ne prenait pas de traitement au long cours. L’examen clinique à l’entrée retrouvait une polypnée à 35/min avec tirage sus-sternal, une oxygénorequérance à 9 L/min, des râles crépitants aux deux bases à l’auscultation pulmonaire et une fièvre à 38,5◦ . Les constantes hémodynamiques étaient stables avec une tachycardie à 100 bpm et une pression artérielle normale. Le bilan biologique initial ne retrouvait aucun trouble hydro électrolytique (kaliémie = 4,1 mmol/L ; magnésémie = 1,1 mmol/L ; phosphorémie = 2,32 mmol/L). Les dosages des enzymes cardiaques et l’électrocardiogramme (ECG) étaient normaux. On notait un syndrome inflammatoire biologique (procalcitonine = 3,45 ug/L, GB = 25 000/mL). La gazométrie artérielle réalisée sous 9 L/min d’oxygène retrouvait une hypoxie (PO2 = 50 mmHg), un pH et une capnie normaux. Il n’y avait pas d’hyperlactacidémie. Les marqueurs biochimiques de dénutrition (albumine, préalbumine) n’ont pas été dosés, compte tenu de leur difficulté d’interprétation dans ce contexte inflammatoire. L’échocardiographie transthoracique (ETT) réalisée à l’admission pour éliminer une participation cardiaque à cette dyspnée était sans particularité. Le scanner thoracique mettait en évidence un aspect de pneumopathie des deux lobes inférieurs. La prise en charge initiale de cette pneumopathie bibasale consistait en la poursuite d’une oxygénothérapie au masque facial et l’introduction d’une antibiothérapie probabiliste intraveineuse par ceftriaxone 2 g/jour et rovamycine 3 million unités 3 fois par jour. La patiente recevait une perfusion quotidienne de 500 mL de glucosé 5 % (100 calories) associés à 3 g de sodium et 2 g de potassium. Compte tenu de l’état de dénutrition clinique préexistant et du refus de la patiente de s’alimenter per os, un apport nutritionnel entéral prudent par sonde naso gastrique (Sondalis ISO 1000 kcal/j donc 1100 kcal/j soit 22 kcal/kg/j) et une vitaminothérapie intraveineuse (vitamine B1 500 mg et vitamine B6 250 mg par jour) étaient débutés dès l’admission. L’évolution clinique était initialement favorable avec une baisse franche de l’oxygénorequérance et une disparition de la dyspnée dès le 3e jour. Les examens biologiques de surveillance quotidiens (phosphorémie, magnesémie) ne révélaient aucune anomalie. Au quatrième jour, la patiente développait un état de choc associé à une acidose métabolique avec la gazométrie artérielle suivante : pH = 7,30 (7,38–7,42) ; pCO2 = 31 mmHg (35–40) ; pO2 = 60 mmHg (70–100) ; bicarbonates = 17 mmol/L (22–26) ; lactates = 5 mmol/L (0,6–1,9). L’ETT mettait en évidence une insuffisance cardiaque gauche systolo-diastolique sévère (fraction d’éjection ventriculaire gauche 30 %, Index Cardiaque 1 L/min/m2 , pression de remplissage élevée) sans altération de la fonction cardiaque droite.
Le bilan étiologique ne retenait pas d’argument pour une cause ischémique (ECG et enzymes cardiaques normaux) ou une cause septique (apyrexie et marqueurs inflammatoires normalisés). En revanche, l’apparition de novo de troubles électrolytiques majeurs : hypophosphorémie à 0,2 mmol/L (0,8–1,35), hypokaliémie à 1,8 mmol/L (3,6–5) et hypomagnésémie à 0,4 mmol/L (0,75–0,96) faisait évoquer le diagnostic de SRI. Sur le plan hémodynamique, la patiente était traitée par ventilation non invasive, diurétiques et dobutamine. La nutrition entérale était quant à elle arrêtée. Une supplémentation parentérale en phosphore (18 mmol intraveineux sur 12 heures, puis 0,3 à 0,6 mmol/kg/j en entretien), magnésium (24 mmol sur 6 h en intraveineux, puis 0,25 mmol/kg/j en entretien) et potassium était instaurée selon l’algorithme de la conférence de la National Institute for Health and Clinical Excellence (NICE) [2]. L’évolution clinique était ensuite à nouveau favorable en 48 h, avec normalisation de la fraction d’éjection ventriculaire gauche, de l’Index Cardiaque, des pressions de remplissage, ainsi que des désordres électrolytiques. Une fois l’état de choc amendé, la nutrition entérale à faible dose (5 kcal/kg/j) était réintroduite trois jours plus tard, avec une augmentation prudente de 0,3 kcal/kg/j. La patiente sortait du service avec un examen cardiovasculaire normal au dixième jour. Le contrôle échocardiographique à un mois était sans particularité. 3. Discussion Il s’agit à notre connaissance du troisième cas de choc cardiogénique associé au SRI décrit dans la littérature [3,4]. Sur le plan du diagnostic : si la profondeur des troubles électrolytiques est un signe d’alerte pertinent, le SRI n’en demeure pas moins un diagnostic d’élimination, à confronter aux autres hypothèses. Chez notre patiente dénutrie sévère, la question d’une cardiopathie par carence vitaminique type Béri Béri a été écartée par le profil échocardiographique (absence d’insuffisance cardiaque droite, débit cardiaque effondré), l’absence de signes neurologiques périphériques et la présence d’une supplémentation en vitamine B1 et B6 dès l’admission. L’examen échocardiographique normal à l’entrée réfutait l’hypothèse d’une cardiopathie pré-existante radique ou chimio-induite chez cette patiente aux antécédents de cancer traité. Enfin, il n’existait pas d’argument franc pour retenir une autre cause classique d’insuffisance cardiaque gauche en réanimation : la dysfonction myocardique liée au sepsis compliquant la pneumopathie n’a pas été retenue devant l’amélioration clinique initiale sous traitement et la normalisation du syndrome inflammatoire clinico-biologique. Une embolie pulmonaire a été éliminée par l’ETT et la conservation de la fonction droite, l’infarctus du myocarde par l’absence de mouvement de troponine et l’altération globale de la FEVG. Enfin, c’est la réversibilité rapide du tableau clinique sous traitement adapté qui a permis secondairement de confirmer le diagnostic.
Pour citer cet article : Quinty F, et al. Choc cardiogénique et syndrome de renutrition inappropriée. Nutr clin métab (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.nupar.2014.10.003
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Plusieurs mécanismes physiopathologiques intriqués peuvent expliquer la dysfonction cardiaque au cours du SRI. Certains de ces mécanismes sont liés au déficit ionique : lors du jeûne, le métabolisme de base diminue, ainsi que les stocks cellulaires de phosphore et de magnésium [5]. Durant la renutrition, l’hyperglycémie, l’hyperinsulinisme et l’augmentation du métabolisme basal sont responsables d’un transfert intracellulaire et d’une consommation accrue de ces ions. L’hypophosphorémie et l’hypomagnésémie qui en résultent provoquent à leur tour une altération membranaire et une carence énergétique cellulaire avec baisse des réserves en ATP [6,7]. D’autre part, au cours de la renutrition, il existe un hyperaldostéronisme secondaire qui peut être responsable d’une rétention hydrosodée inadaptée avec hypervolémie [8]. Enfin, la diminution de la masse cardiaque par protéolyse observée dans les états de dénutrition profonde peut également contribuer à une mauvaise tolérance ventriculaire gauche [9]. Sur le plan de l’évolution et du traitement : comme dans les autres cas décrits, la dysfonction cardiaque est apparue précocement (dans les 4 jours suivant l’admission), et a été totalement réversible sous traitement adapté. Il nous paraît donc important de dépister, dès l’admission en réanimation, les facteurs de risque de SRI chez tout malade présentant un état de dénutrition sévère [10]. La prise en charge thérapeutique du SRI est désormais bien codifiée. La première étape consiste à corriger un déficit ionique pré-existant par des perfusions intraveineuses de magnésium, phosphore et potassium, de manière adaptée à des dosages quotidiens. La seconde étape concerne la mise en route de la nutrition artificielle : la renutrition doit être réalisée de manière très progressive car elle peut démasquer brutalement un déficit intracellulaire en électrolytes et en micronutriments. Pour les cas les plus sévères de dénutrition comme chez notre patiente, il est conseillé de débuter par un apport de 10 à 15 kcal/kg/j sans dépasser 500 kcal/j pendant les trois premiers jours, puis d’augmenter par paliers pour atteindre la cible énergétique (30 à 40 kcal/kg/j) et protéique (1,2 à 1,5 kg/j) [11]. Une surveillance clinique est impérative comportant le poids, la prise d’œdème déclives et l’apparition d’épanchements pleuraux témoin d’une rétention hydrosodée. Enfin, devant toute détresse respiratoire aiguë associée à un SRI, il s’agira d’évoquer l’insuffisance cardiaque et dans ce contexte, une ETT devra être réalisée au moindre signe d’appel, afin de guider la mise en place et la surveillance de l’efficacité des thérapeutiques inotropes.
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4. Conclusion Le SRI est une entité clinico-biologique au diagnostic difficile et à l’évolution potentiellement grave en l’absence de traitement spécifique. Il est donc primordial de quantifier l’état nutritionnel de chaque patient à l’entrée en réanimation. Chez les patients dénutris sévères, il s’agira de compenser précocement d’éventuels déficits ioniques préexistants, de prévenir la survenue du SRI en opérant une renutrition progressive, et de surveiller étroitement le ionogramme sanguin. L’altération de la pompe cardiaque peut s’ajouter aux classiques troubles du rythme liés aux carences ioniques et être vecteurs d’états de chocs cardiogéniques. Dans ce contexte, l’ETT apparaît comme l’outil de choix du diagnostic et de la surveillance de l’efficacité thérapeutique. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références [1] Skipper A. Refeeding syndrome or refeeding hypophosphatemia: a systematic review of cases. Nutr Clin Pract 2012;27(1):34–40. [2] National Institute for health and Clinical Excellence. Nutrition support in adults. Clin Guidel 2006. [3] Campos-FerrerC, Cervera-Montes M, Romero A, Borras S, Gomez E, Ricart C. Cardiogenic shock associated with inappropriate nutritional regimen: refeeding syndrom. Nutr Hosp 2004;19(3):175–7. [4] Miller SJ. Death resulting from overzealous total parenteral nutrition: the refeeding syndrom revisited. Nutr Clin Pract 2008;23(2):166–71. [5] McGray S, Walker S, Parrish CR. Much ado about refeeding. Pract Gastroenterol 2004;XXVIII(12):26–44. [6] Knochel JP. The pathophysiology and clinical characteristics of severe hypophosphatemia. Arch Int Med 1977;137:203–20. [7] Wacker WEC, Parisi AF. Magnesium metabolism. N Eng J Med 1968;278:658–63. [8] Veverbrants E, Arky RA. Effects of fasting and refeeding: I. Studies on sodium, potassium and water excretion on a constant electrolyte and fluid intake. J Clin Endocrinol Metab 1969;29:55–62. [9] Keys A, Brozek J, Henschel A, Mickelsen O, Longstreet Taylor H. The biology of human starvation, 2. University of Minnesota Press; 1950. p. 203–5. [10] Mehanna HM, Moledina J, Travis J. Refeeding syndrom: what it is, and how to prevent and treat it. Brit Med J 2008;336:1495–8. [11] Barras-Morret AC, Guex E, Coti-Bertrand P. Le syndrome de renutrition inappropriée : la clé du traitement est la prévention. Nutr Clin Metab 2011;25:86–90.
Pour citer cet article : Quinty F, et al. Choc cardiogénique et syndrome de renutrition inappropriée. Nutr clin métab (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.nupar.2014.10.003