Choc hémorragique sur rupture de rate secondaire à un myélome anaplasique réfractaire

Choc hémorragique sur rupture de rate secondaire à un myélome anaplasique réfractaire

Anesth Reanim. 2015; 1: 173–177 Cas clinique en ligne sur / on line on www.em-consulte.com/revue/anrea www.sciencedirect.com Choc hémorragique sur ...

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Anesth Reanim. 2015; 1: 173–177

Cas clinique

en ligne sur / on line on www.em-consulte.com/revue/anrea www.sciencedirect.com

Choc hémorragique sur rupture de rate secondaire à un myélome anaplasique réfractaire Laurie Rozand 1,2, Laurence Legros 3, Guillaume Baudin 4, Damien Ambrosetti 5, Jean Dellamonica 1,2

Disponible sur internet le : 18 mars 2015

1. CHU de Nice, hôpital l'Archet 1, service de réanimation médicale, 151, route de Saint-Antoine-de-Ginestière, 06202 Nice cedex 3, France 2. Faculté de médecine de Nice, 28, avenue de Valombrose, 06107 Nice, France 3. CHU de Nice, hôpital l'Archet 1, service d'hématologie, 151, route de Saint-Antoine-de-Ginestière, 06202 Nice cedex 3, France 4. CHU de Nice, hôpital l'Archet 1, service de radiologie, 151, route de Saint-Antoine-de-Ginestière, 06202 Nice cedex 3, France 5. CHU de Nice, hôpital Pasteur, service d'anatomopathologie, 30, avenue de la Voie-Romaine, 06002 Nice cedex 1, France

Correspondance : L. Rozand, CHU de Nice, hôpital l'Archet 1, service de réanimation médicale, 151, route de Saint-Antoine-de-Ginestière, 06202 Nice cedex 3, France. [email protected]

Keywords Splenic rupture Non-traumatic Spontaneous Multiple myeloma Hemorrhagic shock

Résumé La rupture spontanée de rate est une complication classique des hémopathies malignes mais elle est exceptionnelle au cours du myélome. Nous décrivons le cas d'une rupture spontanée de rate dans un myélome anaplasique réfractaire, survenue sans signe avant coureur, après une seule ligne de chimiothérapie, un mois suivant le diagnostic de myélome. Diagnostiquée sur un état de choc avec douleurs abdominales, le traitement chirurgical en urgence a permis de stabiliser l'hémodynamique mais l'évolution du myélome avec une infiltration diffuse a été fatale. L'agressivité singulière de ce myélome, avec une infiltration tissulaire massive malgré la chimiothérapie, souligne l'importance d'évoquer cette complication qui, bien qu'exceptionnelle peut être fatale.

Summary Hemorrhagic shock due to splenic rupture linked to refractory anaplastic myeloma Though spontaneous splenic rupture is a well-known complication of hematologic malignancies, it is rare during myeloma. We describe an unexpected spontaneous splenic rupture in a refractory anaplastic myeloma, following first-line chemotherapy, one month after the myeloma was diagnosed. The rupture was diagnosed on a patient in shock suffering from abdominal pain. Hemodynamics was stabilized thanks to emergency surgical treatment, however, the progression of the myeloma with diffuse infiltration proved fatal. The particularly aggressive nature of this myeloma – massive tissue infiltration despite chemotherapy – underscores the severity of this rare but potentially fatal complication.

tome 1 > n82 > avril 2015 http://dx.doi.org/10.1016/j.anrea.2014.11.003 © 2015 Société française d'anesthésie et de réanimation (Sfar). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

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Mots clés Rupture de rate Non traumatique Spontanée Myélome multiple Choc hémorragique

Cas clinique

L. Rozand, L. Legros, G. Baudin, D. Ambrosetti, J. Dellamonica

Introduction Le myélome est une maladie fréquente : 0,8 % des cancers, 13 % des hémopathies malignes [1]. Dans 30 à 45 % des cas, une atteinte de la rate est associée [2] à des stades avancés de la maladie. Exceptionnellement, des ruptures non traumatiques de rate ont été observées dans les hémopathies malignes principalement des lymphomes (du manteau [3], B [4], T, Burkitt [5]), des leucémies [6,7], l'amylose [8] et un cas de maladie à chaînes légères lambda avec atteinte rénale mais sans myélome [9]. L'administration de facteurs de croissance, comme le granulocyte-colony stimulating factor (G-CSF), en particulier en vue d'une greffe, est associée à des ruptures spontanées de rate mais plutôt au cours des phases avancées de la maladie [10]. Au cours du myélome multiple, seuls deux cas de rupture de rate non traumatique, en dehors de toute prise de G-CSF ont été rapportés [11,12]. Nous décrivons un cas de rupture spontanée de rate responsable d'un choc hémorragique en dehors de tout contexte de prise de G-CSF, survenant peu après le diagnostic inaugural d'un myélome multiple anaplasique réfractaire d'évolution rapide.

Observation

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Mr G 48 ans, sans comorbidités, est entré dans la maladie par une compression médullaire en C6 liée à une masse ostéolytique centrée sur les corps vertébraux de C5 et C6. D'autres atteintes osseuses en T5 et T12 sans fracture-tassement étaient associées. Après le traitement chirurgical (corporectomie C6 et reconstruction par cimentoplastie), les investigations hématologiques ont conclu à un myélome multiple de type IgG Lambda, caryotype normal, ISS2 (stade 2 du Score pronostique international) [13], stade 3A (classification de Durie et Salmon) [14], avec atteinte osseuse (électrophorèse des protéines : pic monoclonal d'IgG Gamma : 27,1 g/L, myélogramme : infiltration majeure de plasmocytes myélomateux type myélome pro-plasmocytaire, plasmocytes : 39 %). La première chimiothérapie débutée à j8 postopératoire par velcade et dexaméthasone (velcade 1,3 mg/m2 à j1, j4, j8, j11 et dexaméthasone 20 mg à j1, j2, j4, j5, j8, j9, j11, j12) a été bien tolérée. Avant sa sortie en convalescence, le bilan biologique et le scanner réalisés étaient sans particularités hormis une splénomégalie modérée (16 cm) isolée. À j30 postopératoire, il est admis en urgence pour des douleurs abdominales et un état de choc. Les examens complémentaires permettent de diagnostiquer un choc hémorragique lié à une rupture non traumatique de rate (figure 1A et B) indiquant une splénectomie en urgence. Malgré une stabilisation rapide de l'hémodynamique, les défaillances respiratoires (ventilation mécanique), rénale (insuffisance rénale anurique hémofiltré) et neurologique ont persisté, interdisant une éventuelle chimiothérapie de sauvetage. L'analyse anatomopathologique de la rate a conclu à une infiltration lymphoplasmocytaire majeure avec prolifération de cellules

pléomorphes aux noyaux irréguliers et positivité de cellules tumorales pour l'immunomarquage CD138, confirmant le diagnostic de myélome anaplasique splénique (figure 2A et B). Le contrôle du myélogramme a retrouvé une infiltration comparable. Le patient est décédé après trois semaines de réanimation dans un tableau de défaillance multiviscérale réfractaire.

Discussion La particularité de ce cas réside, d'une part, dans l'agressivité singulière de ce myélome du fait de sa présentation d'emblée sous forme extra-osseuse et extra-médullaire, de sa progression rapide avec invasion fulgurante de la rate et rupture en un mois d'évolution, malgré la première ligne de chimiothérapie permettant habituellement une rémission temporaire de la maladie [15] et de l'âge jeune du patient. Aucune défaillance d'organe n'était présente à la sortie du service de neurochirurgie. La rupture de rate avec état de choc est survenue vingt jours plus tard avec des défaillances hémodynamiques (noradrénaline jusqu'à 1,6 mg/kg/min) et rénale (créatinine : 239 mmol/L). En postopératoire de splénectomie, l'hémodynamique s'est progressivement stabilisée (noradrénaline à 0,8 mg/kg/min après remplissage et transfusion de 7CGR et 3PFC au bloc opératoire). Les suites en réanimation ont été marquées par une anurie (créatininémie max = 635 mmol/L) nécessitant une hémofiltration continue. Les tentatives de sevrage respiratoire ont été rendues difficiles par un état neurologique d'agitation avec hyperventilation rapportée initialement à la douleur, mais persistant malgré les antalgiques et évoquant une localisation myélomateuse neurologique qui ne sera pas documentée. Tout au long de l'hospitalisation, il persistait un syndrome inflammatoire avec hyperperméabilité capillaire. Aucune infection nosocomiale n'a expliqué ce tableau et c'est une évolutivité rapide du myélome qui a été incriminée. D'autre part, il s'agit seulement du troisième cas de rupture spontanée de rate au cours d'un myélome en dehors de prise de G-CSF [11,12]. Cette complication survient habituellement au cours d'autres hémopathies, telles que les lymphomes et leucémies. La leucémie plasmocytaire, proche du myélome, est plus fréquemment responsable de localisation splénique avec rupture [6]. Rare au cours du myélome, une splénomégalie doit avant tout faire suspecter une amylose [16] ou un syndrome POEMS [17] (polyneuropathie, organomégalie, endocrinopathie, dyscrasie plasmocytaire, anomalies cutanées). Les hypothèses d'amylose et de POEMS ont été écartées. Aucun plasmocyte circulant ni blaste, ni excès de lymphocyte n'a été retrouvé dans le sang circulant excluant une leucémisation du myélome. Aucun facteur favorisant de transformation hémorragique, traumatisme abdominal ou prise d'anti-inflammatoires non stéroïdiens n'a été identifié. Dans le cas de Mr G, l'analyse histologique de la rate conclut à un myélome anaplasique réfractaire. Elle montre

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Cas clinique

Choc hémorragique sur rupture de rate secondaire à un myélome anaplasique réfractaire

Figure 1 Rupture de rate sur splénomégalie avec fuite active de produit de contraste et hémopéritoine diffus A. Tomodensitométrie thoraco-abdomino-pelvienne, coupe frontale, au temps portal. B. Tomodensitométrie thoraco-abdomino-pelvienne, coupe axiale, au temps portal. Étoile : volumineux hématome splénique avec rupture capsulaire. Flèche fine : épanchement péri-splénique et de la gouttière pariéto-colique droite. Flèche épaisse : fuite active de produit de contraste sur le temps portal de l'injection au sein de l'hématome sous-capsulaire splénique.

Figure 2 Myélome anaplasique splénique

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A. Prolifération de cellules pléomorphes aux noyaux irréguliers (coloration HES, grandissement  40). B. Positivité de cellules tumorales pour l'immunomarquage CD138 (coloration CD138, grandissement  40)

Cas clinique

L. Rozand, L. Legros, G. Baudin, D. Ambrosetti, J. Dellamonica

un volumineux hématome en rapport avec une brèche capsulaire et, à distance des zones hémorragiques, une infiltration plasmocytaire massive de la pulpe rouge, par une prolifération plasmocytaire atypique. L'infiltrat est formé d'éléments cellulaires volumineux à noyau excentré, à chromatine mottée, souvent nucléolée. Les immunomarquages retrouvent des résultats comparables à ceux décrits au niveau des lésions osseuses avec une positivité des anticorps anti-CD138, et CD56, monotypie lambda et présence d'un contingent plasmocytaire d'environ 50 % positif avec CD20 (marquages CD3, CD5, CD79a et CD10 négatifs). La rupture de rate survient dans l'immense majorité dans les traumatismes abdominaux majeurs. C'est l'organe le plus fréquemment atteint dans ce contexte (46 %) [18]. La mortalité augmente de 1 à 11 % si la rupture survient en deux temps [19], ce qui motive une surveillance post-traumatique de 48 heures au minimum, des ruptures de rate pouvant cependant survenir deux à trois semaines après le traumatisme. Les ruptures de rate spontanées dans les hémopathies évoluent aussi dans quelques cas en deux temps [20]. Il faut le suspecter devant des douleurs abdominales, une fébricule, des douleurs scapulaires, un malaise. Dans ce cas, la rupture s'est produite en un temps, la capsule s'est d'emblée rompue du fait de l'importance de l'hématome. La thrombose veineuse, splénique ou portale, est également responsable de rupture de rate par engorgement. Le risque thrombotique est majoré au cours du myélome du fait de l'hyperviscosité sanguine, d'une hypofibrinolyse, d'anomalies de la fibrinoformation et de l'activité auto-anticorps non spécifique (lupus-anticoagulant like, IgG kappa et IgM lambda, chaînes légères) ou spécifique (antiprotéine S, antiprotéine C). Mr G, sous prophylaxie anti-thrombotique, ne présentait aucune thrombose veineuse au scanner ni à l'exploration macroscopique durant la chirurgie. La rupture de rate est rarement révélatrice du myélome et survient le plus souvent sur un terrain connu, après plusieurs lignes de chimiothérapie. Les nouveaux traitements (anti-protéasomes notamment le bortézomib) ont considérablement

allongé la survie des patients [15] avec émergence, à un stade avancé de la maladie, de nouvelles formes tumorales extraosseuses extra-médullaires du myélome non observées jusqu'alors. Le délai entre l'admission aux urgences de notre patient et la chirurgie était de 18 heures. Il aurait pu être raccourci si l'hypothèse de la rupture de rate avait été d'emblée évoquée. Cependant, l'anémie, courante dans le myélome n'était pas profonde initialement et le tableau faisait évoquer un choc septique, plus probable dans ce contexte. Dès lors que la déglobulisation s'est majorée, le patient a immédiatement été transporté au scanner puis au bloc opératoire. Dans le myélome, toute déglobulisation atraumatique, notamment dans un contexte de douleurs abdominales, voire un état de choc non expliqué, doit d'abord faire éliminer les diagnostics différentiels plus fréquents comme les saignements digestifs. En l'absence d'extériorisation, la rupture de rate doit être rapidement évoquée et ce, même au diagnostic initial de la maladie. Les cliniciens doivent garder ce diagnostic à l'esprit et le documenter d'urgence par un scanner, voire une échographie abdominale afin d'éviter l'injection d'iode chez ces patients insuffisants rénaux potentiels, car un retard de prise en charge peut se révéler fatal.

Conclusion Ce cas rare expose la possibilité de choc hémorragique sur une rupture spontanée de rate compliquant un envahissement plasmocytaire splénique du myélome à la phase initiale malgré un traitement par chimiothérapie [15]. Il est probable qu'avec l'efficacité des anti-protéasomes et l'allongement de la survie des patients atteints de myélome, nous aurons à observer plus fréquemment des infiltrations spléniques avec un risque de rupture de rate. La réalisation rapide d'un scanner abdominal à la recherche de cette complication devant une déglobulisation inexpliquée à tout stade du myélome paraît être une attitude licite. Déclaration d'intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d'intérêts en relation avec cet article.

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